REJET des pourvois de :
1° Eric X...,
contre un arrêt de la Cour d'assises de la Meurthe-et-Moselle du 14 mai 1985 qui, pour vol avec port d'arme, l'a condamné à neuf ans de réclusion criminelle, ainsi que contre l'arrêt du même jour qui l'a, en outre, condamné à des réparations civiles ;
2° La Fédération nationale des Chambres syndicales des horlogers, bijoutiers, joailliers, orfèvres détaillants et artisans de France, contre un autre arrêt du même jour par lequel la Cour a déclaré irrecevable sa constitution de partie civile ;
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
1° Sur le pourvoi de X... :
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 288, 290, 292 et 295 du Code de procédure pénale,
" en ce que le jury de jugement a été tiré au sort parmi 28 jurés de session seulement,
" sans qu'un arrêt de la Cour porté à la connaissance de l'accusé ait statué sur l'absence de la dispense de l'un des 29 jurés de session figurant sur la liste arrêtée par l'arrêt de révision du 2 mai 1985 ; "
Attendu qu'il appert de l'arrêt portant révision de la liste du jury de session que la Cour a excusé ou radié sept jurés titulaires ; qu'en conséquence, après ces excuses et radiations, il restait sur la liste de service les noms de vingt-huit jurés titulaires, et non vingt-neuf comme l'arrêt le mentionne par erreur ;
Que le procès-verbal de tirage au sort du jury de jugement constatant qu'il a été procédé à cette opération à partir d'une liste de vingt-huit jurés titulaires, le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 296, 316 et 377 du Code de procédure pénale,
" en ce que l'arrêt de la Cour ordonnant le tirage au sort de deux jurés supplémentaires ne porte pas mention de la présence du Ministère public ;
" alors qu'en vertu de l'article 316 du Code de procédure pénale, généralement applicable aux arrêts incidents rendus par la Cour et de l'article 377 dudit Code, la Cour statue le Ministère public et l'arrêt qu'elle rend doit porter mention de la présence du Ministère public ; "
Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 296 du Code de procédure pénale, en sa rédaction issue de la loi du 10 juin 1983, que le tirage au sort d'un ou de plusieurs jurés supplémentaires est obligatoire et que nul ne peut s'y opposer ;
Que l'arrêt ordonnant cette mesure n'ayant donc pas un caractère contentieux, les dispositions de l'article 316 du même Code ne lui sont pas applicables ; qu'au demeurant, en l'espèce, le procès-verbal des débats, dans lequel cet arrêt est inséré, constate la présence du Ministère public au moment où ledit arrêt a été prononcé ;
Qu'ainsi le moyen doit être rejeté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale,
" en ce que, statuant sur les intérêts civils, la Cour a condamné solidairement X... à payer à l'agent judiciaire du Trésor les sommes de 202 289, 43 F et de 2 000 F sur le fondement de l'article 575 alinéa 2 du Code de procédure pénale,
" alors qu'aucun motif ne permet de déterminer la nature du préjudice que la Cour a ainsi entendu réparer ; "
Attendu que pour justifier la condamnation de X..., solidairement avec deux coaccusés, qui venaient tous trois d'être déclarés coupables d'un vol avec port d'arme commis au préjudice d'un établissement hospitalier de l'Etat, à des dommages-intérêts envers l'agent judiciaire du Trésor, lequel s'était régulièrement constitué partie civile et avait saisi la Cour d'assises de conclusions auxquelles celle-ci se réfère expressément, ladite Cour n'était pas tenue de donner des motifs spéciaux ;
Attendu en effet que cette condamnation, qui a suivi immédiatement l'arrêt par lequel X... a été condamné pénalement du chef susénoncé et avec lequel il fait corps, trouvait ses motifs dans le crime reconnu constant à la charge du demandeur au pourvoi, le lien de causalité entre le dommage et l'infraction et l'existence d'un préjudice se déduisant de ce crime ; que dès lors les juges ont souverainement apprécié, dans la limite des conclusions dont ils étaient saisis, le montant de ce préjudice ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
2° Sur le pourvoi de la Fédération nationale des Chambres syndicales des horlogers, bijoutiers, joalliers, orfèvres détaillants et artisans de France ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, défaut de réponse aux conclusions, manque de base légale,
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable l'action civile de la demanderesse ;
" aux motifs que quoiqu'elle laisse entendre que la qualité de bijoutiers des époux Y... aurait été " déterminante et exclusive " de l'action criminelle reprochée à Z..., A... et B..., la Fédération nationale des chambres syndicales des horlogers, bijoutiers, ne saurait être suivie sur ce terrain ; que si, certes, les accusés ont reconnu lors des débats qu'avant de pénétrer dans le magasin des époux Y..., ils avaient l'intention de " faire une bijouterie ", le dessein criminel ainsi conçu visait essentiellement à obtenir des liquidités ; qu'il s'ensuit que si les faits imputés aux accusés ont été commis à l'intérieur d'une bijouterie, ils auraient pu l'être tout autant dans un établissement financier quelconque ; qu'en réalité l'atteinte aux intérêts collectifs de la profession dont fait état la Fédération pour justifier sa constitution de partie civile ne se distingue pas du trouble à l'ordre public qu'ont pu causer les méfaits des accusés ; que c'est au Ministère public qu'il appartient de défendre seul l'intérêt de la société, sauf disposition législative contraire ; que la Fédération ne saurait se prévaloir d'une telle disposition ; que sa constitution de partie civile sera donc déclarée irrecevable " ;
" alors qu'il importait peu que l'attaque de la bijouterie Y... ait eu pour but de procurer des liquidités aux accusés et que ceux-ci se fussent aussi attaqués, dans le même but, à d'autres établissements ; que ce qui importait, comme le faisait valoir la demanderesse dans ses conclusions, c'était qu'une fois de plus une bijouterie avait été attaquée, ce qui portait évidemment atteinte aux intérêts collectifs de la profession de bijoutier (que la demanderesse avait mission de défendre de par ses statuts à l'égard de ses adhérents et membres actifs) en raison du nombre des bijouteries attaquées en France depuis 1980 et de la précarité de cette profession devenue dangereuse et fort coûteuse ; qu'en raison de l'importance sociale des intérêts à sauvegarder, la défense de ces intérêts pouvait être assurée le plus largement possible, sans qu'il fût besoin d'un texte spécial pour ouvrir l'action civile à l'association demanderesse ; qu'en effet cette action était recevable en vertu de l'article 2 alinéa 1 du Code de procédure pénale aux termes duquel " l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction " ; que l'association avait subi, de par les infractions commises par les accusés, un préjudice personnel et direct (atteinte aux intérêts collectifs de la profession de bijoutier) se distinguant par sa spécificité, tant du préjudice de la victime ou de ses ayants droit que de l'atteinte portée à l'intérêt général ; que dès lors l'action était recevable et que l'arrêt attaqué encourt la cassation pour violation des textes visés au moyen ; "
Attendu que Z..., A... et B... ont été déclarés coupables d'une tentative de vol avec port d'arme dans une bijouterie exploitée par les époux Y..., et Z... de violences volontaires, commises au cours de cette tentative de vol sur la personne de dame Y..., ayant entraîné la mort de celle-ci sans intention de la donner ; qu'ils ont été condamnés pénalement de ces chefs ;
Attendu que la Fédération nationale des Chambres syndicales des horlogers, bijoutiers, joailliers, orfèvres détaillants et artisans de France, qui s'était constituée partie civile, a saisi la Cour de conclusions tendant à la condamnation solidaire des trois accusés susnommés à lui payer des dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'elle prétend avoir subi du fait de ces crimes ;
Que la Cour, rejetant ces conclusions, a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la Fédération des Chambres syndicales ;
Attendu que pour statuer ainsi les juges ont notamment retenu que les crimes dont les accusés ont été déclarés coupables ont atteint individuellement les personnes qui en ont été victimes, mais n'ont pas porté un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession que représente la Fédération syndicale demanderesse au pourvoi ;
Attendu, en cet état, que la Cour, qui n'était pas tenue de répondre plus amplement qu'elle ne l'a fait à des chefs de conclusions qui ne constituaient que de simples arguments, a donné une base légale à sa décision, au regard notamment des dispositions de l'article L. 411-11 du Code du travail ;
Que le moyen doit donc être écarté ;
Et attendu que la procédure est régulière et que la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la Cour et le jury ;
REJETTE les pourvois.