Vu leur connexité, joint les pourvois n° 71-11.264, 71-12.131 et 71-12.974 ; Sur le premier moyen du pourvoi n° 71-11.264 :
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué, que les époux Y..., propriétaires d'un fonds de commerce dans l'immeuble appartenant aux époux Z..., ont été mis en demeure d'évacuer les lieux, sans délai, et informés qu'à la suite d'un arrêté de péril pris par le maire de la ville leur bail se trouvait résilié de plein droit et sans indemnité, en raison de la ruine de la chose louée ; qu'estimant que le préjudice subi par eux avait pour origine un défaut d'entretien de l'immeuble par les époux Z... et une absence de précautions préalables dans la démolition, par la Société Charles Urban, de l'immeuble voisin appartenant aux consorts A..., les époux Y... les ont tous assignés pour demander leur condamnation, in solidum, à la remise des lieux en état ou au paiement d'une somme équivalente à l'indemnité d'éviction et de dommages-intérêts à fixer après expertise ;
Attendu que les consorts A... font grief à l'arrêt attaqué d'avoir accueilli cette demande, alors, selon le pourvoi, que, d'une part, le droit de propriété doit comporter celui de détruire la chose sur laquelle il porte et qu'en l'espèce les propriétaires étaient tenus d'une obligation de détruire, eu égard à la ruine imminente de leur immeuble et que, d'autre part, le seul risque que présentât cette démolition n'était pas de nature à engager la responsabilité des propriétaires, dès lors que la démolition n'était pas fautive ; qu'il est encore soutenu que l'arrêt n'est pas motivé quant à l'absence des mesures de sécurité que les consorts A... auraient négligé de prendre et qu'au surplus, de telles mesures auraient incombé à l'entrepreneur spécialisé ;
Mais attendu que la responsabilité du propriétaire est toujours engagée si, par sa négligence ou par son imprudence, il cause un dommage à autrui ; que la Cour d'appel relève qu'en septembre 1964 les consorts A... ont chargé l'entreprise Urban d'abattre leur immeuble pour construire une autre maison sur son emplacement ; que l'entreprise Urban a procédé au forage de six puits de reconnaissance à partir du sol et à une saignée dans la voûte de la cave ; qu'explorant les constructions voisines, elle a constaté leur vétusté et a repéré de nombreuses fissures ; qu'un expert judiciaire, commis à la demande d'un assureur, a conclu : "la démolition et la reconstruction de l'immeuble Schmitt risquent de provoquer un certain nombre de fissures et autres désordres dans les immeubles contigus, ces désordres peuvent aller jusqu'à l'effondrement total ou partiel d'un ou de plusieurs bâtiments voisins ..." ; que, néanmoins, l'entreprise Urban a ouvert le chantier ; que les juges d'appel retiennent que le risque que comportaient les travaux était évident aux yeux de quiconque connaissant les lieux et qu'il appartenait aux conssorts A... de commander à l'entreprise Urban les travaux de sécurité nécessaires, à exécuter sous la direction d'un architecte qualifié ;
Attendu que de ces constatations et appréciations la Cour d'appel a pu déduire à la charge des consorts A... une faute personnelle génératrice de responsabilité dans le dommage dont il lui était demandé réparation ; D'où il suit que le premier moyen, pris en ses diverses branches, est sans fondement ;
Sur le second moyen du pourvoi n° 71-11.264 et sur le premier moyen du pourvoi n° 71-12.131 :
Attendu que la Société Charles Urban et les consorts A... reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé contre eux et les époux Z... une condamnation solidaire, alors que, d'après les demandeurs en cassation, d'une part, chacune des fautes retenues à l'encontre des co-auteurs du dommage entraînait un dommage distinct, excluant l'obligation de chacun au tout et que, d'autre part, la condamnation ne pouvait, tout au plus, être prononcée qu'in solidum, la solidarité des articles 1200 et suivants du Code civil n'existant que dans les cas prévus par la loi ; Mais attendu que la Cour a relevé, à bon droit, que chacun des co-auteurs d'un dommage peut être condamné à le réparer en totalité, parce qu'il a contribué à le causer tout entier ; que saisie d'une demande de condamnation in solidum pour réparer l'unique dommage subi par les époux Y... en raison de leur éviction des locaux qu'ils avaient en location, elle a nécessairement, bien que par un emploi impropre du terme "solidarité", en accueillant cette demande, entendu faire application du principe qu'elle venait de rappeler ; Que ces moyens ne peuvent donc être accueillis ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 71-12.131 :
Attendu que la Société Charles Urban soutient que, pour déclarer engagée sa responsabilité, les juges d'appel ont, d'une part, dénaturé les rapports d'expertise desquels il résultait qu'elle avait pris toutes les précautions utiles dans l'exécution des travaux de sondage et de démolition dont elle était chargée, d'autre part, omis de répondre à ses conclusions suivant lesquelles les précautions prises par un entrepreneur ne peuvent lui être imputées à faute, qu'elle leur reproche, enfin, de n'avoir pas caractérisé le lien de causalité entre la faute qui aurait été commise et le dommage à réparer ; Mais attendu, d'abord, que, sans dénaturer les rapports des experts, dont elle n'a retenu que les éléments d'appréciation qui lui ont paru utiles à former sa conviction, la Cour d'appel énonce "que la Société Urban a engagé sa responsabilité en entreprenant des travaux de sondage et de démolition sans prendre d'elle-même les précautions nécessaires, celles que l'architecte Philippe avaient indiquées dans son rapport établi après les sondages mais avant la démolition" : qu'ensuite, répondant aux écritures de la Société Urban, elle déclare que c'est en vain que celle-ci soutient que les travaux qu'elle a exécutés "n'ont pu ébranler l'immeuble Lutz puisque à l'exception de quelques puits de sondage creusés dans la cave, ils ont porté sur la partie arrière de l'immeuble et ont consisté dans la dépose du toit et qu'ils ont été arrêtés presque aussitôt commencés ... ; que cette prétention est démentie et réfutée par un faisceau de constatations dont la première est que les désordres, qui ont provoqué l'arrêté de péril, se sont manifestés lors de ces travaux et que l'entrepreneur, conscient de la relation causale existant entre ces deux faits, a immédiatement arrêté la démolition" ; qu'enfin, pour caractériser encore le lien de causalité entre les fautes ainsi relevées et le dommage invoqué, elle ajoute "que l'expertise Andrès, contemporaine du rapport A... et Risch, fait ressortir la corrélation entre les sondages opérés dans la cave de l'immeuble Schmitt et les désordres constatés dans l'immeuble Lutz ; que le rapport de l'expert X... fait la même protestation ... que tous les experts ont reconnu le rôle joué par les travaux effectués dans l'immeuble Schmitt dant le déclenchement des désordres survenus dans l'immeuble Lutz" ; D'où il suit que le moyen n'est pas mieux fondé que les précédents ;
Sur le troisième moyen du pourvoi n° 71-12.131 :
Attendu que, vainement encore, la Société Charles Urban critique l'arrêt pour avoir déclaré recevable l'appel en garantie formé contre elle par les époux Z..., sans pour autant écarter la responsabilité solidaire des co-auteurs du dommage, alors, d'après le moyen, que, d'une part, la responsabilité de l'entrepreneur ne peut être engagée envers les tiers qu'en tant que gardien de l'immeuble, que, d'autre part, la garde étant alternative, les consorts A..., propriétaires, et la société demanderesse au pourvoi ne pourraient avoir ensemble la même qualité de gardien, et qu'enfin, la Cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, déclarer infime, sinon nulle, la part de responsabilité de la Société Urban dans le dommage et la condamner, en cumulant les condamnations prononcées contre elle, à réparer l'entier dommage ; Attendu, en effet, que, d'une part, les juges d'appel ayant fondé leur décision sur les fautes qu'ils avaient relevées à la charge des défendeurs à l'action, les critiques énoncées relativement à la garde, dans les deux premières branches du moyen, sont sans portée ; que, d'autre part, la condamnation in solidum de co-auteurs d'un même dommage ne préjugeant pas la part respective de responsabilité de chacun d'entre eux, le grief de contradiction contenu dans la troisième branche est, lui aussi, sans fondement ; Qu'ainsi, le moyen doit être rejeté ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° 71-12.974 ; Attendu que les époux Z... soutiennent que la décision, qui retient leur responsabilité, au motif qu'ils auraient négligé d'entretenir leur immeuble, qui, de ce fait, n'aurait pas résisté aux travaux de démolition de l'immeuble voisin des consorts A..., n'a pu être rendue qu'au prix d'une dénaturation des rapports d'expertise sur laquelle elle est fondée ; Mais attendu que la critique ainsi formulée, qui n'est assortie d'aucune précision ni accompagnée de la production des documents prétendument dénaturés, doit être écartée ; PAR CES MOTIFS :
REJETTE LES POURVOIS formés contre l'arrêt rendu le 15 janvier 1971, par la Cour d'appel dee Colmar.