CASSATION SUR LE POURVOI DE X... (JACQUES), CONTRE UN ARRET DE LA COUR D'APPEL DE PARIS, EN DATE DU 28 AVRIL 1971, QUI L'A CONDAMNE A 500 FRANCS D'AMENDE POUR COMPLICITE DU DELIT DE DIFFAMATION PUBLIQUE ENVERS Y... (EUGENE), ANCIEN MEMBRE DU MINISTERE, ET A STATUE SUR LES INTERETS CIVILS. LA COUR, VU LES MEMOIRES PRODUITS EN DEMANDE ET EN DEFENSE ;
SUR LE
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
, PRIS DE LA VIOLATION DES ARTICLES 29 ET 31 DE LA LOI DU 29 JUILLET 1881 ET DES ARTICLES 592 ET 593 DU CODE DE PROCEDURE PENALE, DEFAUT DE MOTIFS ET MANQUE DE BASE LEGALE, "EN CE QUE L'ARRET ATTAQUE A DECLARE JACQUES X... COUPABLE DE COMPLICITE DU DELIT DE FIFFAMATION PUBLIQUE ENVERS UN MEMBRE DU MINISTERE A RAISON DE LA PUBLICATION AUX EDITIONS FAYARD, D'UN LIVRE DONT IL EST L'AUTEUR, INTITULE "MEMOIRES DE 1896 A 1934, LE CHEMIN QUE J'AI PARCOURU DE VERDUN AU PARTI COMMUNISTE", CONTENANT A LA PAGE 401 LE PARAGRAPHE SUIVANT : "J'IMAGINAIS QUE Z... ET Y... QUI AVAIENT DONNE L'ORDRE DE TIRER SUR LES MANIFESTANTS, DEVAIENT ETRE DESEMPARES, ET COMME LE PIRE EST TOUJOURS A CRAINDRE DE LA PART D'HOMMES DESEMPARES, J'ENTENDAIS LES PLACER DEVANT LEURS RESPONSABILITES" ;"AUX MOTIFS QUE D'UNE PART LE FAIT D'AVOIR VOLONTAIREMENT RAPPROCHE DANS LA MEME PHRASE UNE ACCUSATION RECONNUE INEXACTE PAR LA COMMISSION D'ENQUETE PARLEMENTAIRE (A SAVOIR QUE Z... ET Y... AVAIENT DONNE L'ORDRE DE TIRER SUR LES MANIFESTANTS), ET UNE HYPOTHESE GRATUITE (QUE CES DEUX HOMMES DEVAIENT ETRE DESEMPARES), CREE UNE EQUIVOQUE DANS L'ESPRIT DU LECTEUR EN LUI LAISSANT A PENSER QUE SI Z... ET Y... AVAIENT DONNE L'ORDRE DE TIRER, C'EST EN RAISON DE LEUR DESARROI ;
QUE S'IL APPARTIENT BIEN AUX FONCTIONS D'UN MINISTRE DE L'INTERIEUR DE FAIRE TIRER SUR DES MANIFESTANTS, SI LES CIRCONSTANCES L'IMPOSENT, IL N'EN DEMEURE PAS MOINS QU'UN TEL ORDRE NE PEUT TROUVER SA JUSTIFICATION DANS LE FAIT QUE LE MINISTRE ETAIT "DESEMPARE", CE QUI TEMOIGNAIT DE SON INCAPACITE ET DE SON INCOMPETENCE, ET QUI PORTE ATTEINTE A L'HONNEUR ET A LA CONSIDERATION D'EUGENE Y... ;
"ET AUX MOTIFS QUE D'AUTRE PART, SI LE MEMORIALISTE EST EN DROIT DE COMMUNIQUER A SES LECTEURS LES SUPPOSITIONS QU'IL A FAITES A UNE EPOQUE OU UN EVENEMENT A ETE PORTE A SA CONNAISSANCE, IL A, POUR JUSTIFIER DE SA BONNE FOI, L'OBLIGATION DE RETABLIR LA VERITE HISTORIQUE LORSQU'IL SE REFERE A CE FAIT, ALORS QU'IL EN CONNAIT L'INEXACTITUDE ;
QUE X..., MOINS QUE TOUT AUTRE, N'IGNORAIT LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION D'ENQUETE ;
"ALORS QUE, D'UNE PART, LE SENS DU PASSAGE INCRIMINE, DANS UNE SYNTAXE RIGOUREUSE, ET DANS LA MESURE OU LE MEMBRE DE PHRASE "DEVAIENT ETRE DESEMPARES" SE SITUAIT APRES CELUI "AVAIENT DONNE L'ORDRE DE TIRER" IMPLIQUAIT QUE Y... ETAIT DESEMPARE POUR AVOIR DONNE L'ORDRE DE TIRER ET NON QUE C'EST A CAUSE DE SON DESARROI QU'IL AVAIT DONNE L'ORDRE DE TIRER ;
QU'AINSI, LE SEUL FAIT POUR UN MINISTRE DE L'INTERIEUR DE DONNER L'ORDRE DE TIRER SUR DES MANIFESTANTS SI LES CIRCONSTANCES L'IMPOSENT, N'ETANT PAS CONSTITUTIF DE DIFFAMATION, L'ARRET ATTAQUE N'A PAS DONNE DE BASE LEGALE A SA DECISION ;
"ET ALORS QUE D'AUTRE PART IL RESSORTIT AU GENRE DES MEMOIRES UNE PROFESSION DE SUBJECTIVITE QUI CONTREDIT MEME LA NECESSITE D'UNE VERITE HISTORIQUE OBJECTIVE " ;
VU LESDITS ARTICLES ;
ATTENDU QU'IL APPARTIENT A LA COUR DE CASSATION D'EXERCER SON CONTROLE SUR LE POINT DE SAVOIR SI DANS LES ECRITS POURSUIVIS SE RETROUVENT LES ELEMENTS LEGAUX DE LA DIFFAMATION PUBLIQUE, TELS QU'ILS SONT DEFINIS DANS LES ARTICLES 29 ET 31 DE LA LOI DU 29 JUILLET 1881 ;
ATTENDU QUE X... EST POURSUIVI DU CHEF DE COMPLICITE DE DIFFAMATION PUBLIQUE ENVERS Y..., ANCIEN MEMBRE DU MINISTERE, A RAISON DE LA PUBLICATION, EN AOUT 1968, SOUS LE TITRE "MEMOIRES 1896-1934. LE CHEMIN QUE J'AI CHOISI. DE VERDUN AU PARTI COMMUNISTE" D'UN LIVRE, VISE EN SON ENTIER PAR LA CITATION, DONT IL EST L'AUTEUR ET CONTENANT NOTAMMENT LE PASSAGE SUIVANT : "J'IMAGINAIS QUE Z... ET Y... QUI AVAIENT DONNE L'ORDRE DE TIRER SUR LES MANIFESTANTS DEVAIENT ETRE DESEMPARES ET COMME LE PIRE EST TOUJOURS A CRAINDRE DE LA PART D'HOMMES DESEMPARES, J'ENTENDAIS LES PLACER DEVANT LEURS RESPONSABILITES" ;
QUE CE TEXTE MET EN CAUSE Y... A RAISON D'UN ACTE QU'IL AURAIT ACCOMPLI, LE 6 FEVRIER 1934, DANS L'EXERCICE DE SES FONCTIONS DE MINISTRE DE L'INTERIEUR ;
ATTENDU QU'A LA DATE DE CES FAITS, LE MINISTRE DE L'INTERIEUR, CHARGE DU MAINTIEN DE L'ORDRE PUBLIC, TENAIT DU DECRET DU 26 JUILLET 1791, DES LOIS DES 10 AVRIL 1831 ET 7 JUIN 1848, AINSI QUE DES ARTICLES 59 ET 173 DU DECRET DU 20 MAI 1903 LE POUVOIR DE FAIRE DISPERSER LES ATTROUPEMENTS SEDITIEUX, AU BESOIN PAR LA FORCE ;
QUE, D'AUTRE PART, LA VERITE DE L'IMPUTATION REPROCHEE, ENCORE QU'ELLE FUT RELATIVE A LA VIE PUBLIQUE, NE POUVAIT ETRE PROUVEE PAR X..., PAS PLUS QUE Y... NE POUVAIT ADMINISTRER LA PREUVE CONTRAIRE ;
QU'EN EFFET L'ARTICLE 35 DE LA LOI DU 29 JUILLET 1881 INTERDIT UNE TELLE PREUVE LORSQUE L'IMPUTATION SE REFERE A DES FAITS QUI REMONTENT A PLUS DE DIX ANS ;
QUE CETTE INTERDICTION EST GENERALE ET ABSOLUE ET S'IMPOSE AUX JUGES ALORS MEME QUE LES PARTIES VOUDRAIENT Y RENONCER ;
ATTENDU QUE, DANS LE PASSAGE RETENU ET RAPPROCHE DE CELUI QUI LE PRECEDE, X... RELATE COMMENT IL AVAIT ETE ARRETE LE LENDEMAIN DES EVENEMENTS DU 6 FEVRIER 1934 ET EXPRIME L'HYPOTHESE SUIVANT LAQUELLE Z... ET Y... QU'IL RENDAIT RESPONSABLES DE CETTE MESURE, DEVAIENT ETRE "DESEMPARES" ;
QUE, DES LORS, C'EST A TORT ET PAR UNE INTERPRETATION INEXACTE DE L'ECRIT QUE, POUR DECLARER LE DELIT CONSTITUE, LA COUR D'APPEL ENONCE QUE L'AUTEUR A "CREE UNE EQUIVOQUE DANS L'ESPRIT DU LECTEUR EN LUI LAISSANT A PENSER QUE SI Z... ET Y... AVAIENT "DONNE L'ORDRE DE TIRER", C'EST EN RAISON DE LEUR "DESARROI" ;
QU'EN EFFET IL RESULTE DU TEXTE INCRIMINE QUE LA REFLEXION DE X..., SELON LAQUELLE Y... ETAIT "UN HOMME DESEMPARE", NE SE RAPPORTE PAS A LA DECISION QUE, SELON L'AUTEUR, CE MINISTRE AURAIT PRISE POUR REPRIMER L'EMEUTE MAIS A L'ETAT D'ESPRIT DANS LEQUEL CELUI-CI DEVAIT SE TROUVER AU LENDEMAIN DE CES TRAGIQUES EVENEMENTS ;
ATTENDU, DES LORS, QUE L'IMPUTATION FAITE A Y... D'AVOIR, DANS L'EXERCICE DE SES FONCTIONS, PRIS UNE DECISION QUE LA LOI L'AUTORISAIT A PRENDRE, NE SAURAIT, EN L'ABSENCE DE TOUTE APPRECIATION MALVEILLANTE OU BLESSANTE DE CET ACTE, PORTER ATTEINTE A SON HONNEUR OU A SA CONSIDERATION ET CONSTITUER LE DELIT DE DIFFAMATION ;
QU'AINSI LE PASSAGE DU LIVRE DE X... RETENU PAR LA POURSUITE NE CONTIENT PAS D'INFRACTION PENALEMENT PUNISSABLE ET QUE LE MOYEN DOIT ETRE ACCUEILLI ;
ATTENDU QUE, RIEN NE RESTANT A JUGER, IL N'Y A LIEU A RENVOI ;
PAR CES MOTIFS, ET SANS QU'IL Y AIT LIEU DE STATUER SUR LE
SECOND MOYEN DE CASSATION :
: CASSE ET ANNULE L'ARRET DE LA COUR D'APPEL DE PARIS, EN DATE DU 28 AVRIL 1971, MAIS DANS SES SEULES DISPOSITIONS QUI CONCERNENT JACQUES X..., TOUTES AUTRES DISPOSITIONS DE L'ARRET ETANT EXPRESSEMENT MAINTENUES ;DIT N'Y AVOIR LIEU A RENVOI.