| France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 juillet 1972, 71-93615

CASSATION SUR LE POURVOI DE X... (DOMINIQUE), CONTRE UN ARRET DE LA COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE DU 19 NOVEMBRE 1971 QUI, POUR DIFFAMATION PUBLIQUE ENVERS UN PARTICULIER, L'A CONDAMNE A UNE AMENDE DE 300 F, AVEC SURSIS, AINSI QU'A DES REPARATIONS CIVILES. LA COUR, VU LE MEMOIRE PRODUIT ;

SUR LE

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

"ALORS QUE LES TERMES DU TRACT PRETENDUMENT DIFFAMATOIRES, TELS QU'ILS SE TROUVENT REPRODUITS DANS L'ARRET ATTAQUE, NE VISANT NULLEMENT L'UNION DEPARTEMENTALE, PARTIE POURSUIVANTE, CELLE-CI N'AVAIT PAS QUALITE POUR SE SUBSTITUER A LA CFT A LAQUELLE SEULE IL ETAIT FAIT ALLUSION DANS LE TEXTE INCRIMINE ET QUI SEULE AURAIT ETE EN DROIT D'EXERCER DES POURSUITES, DE SORTE QUE LA PLAINTE AYANT ETE FORMEE PAR UNE PERSONNE SANS QUALITE, LA POURSUITE SE TROUVAIT ENTACHEE D'UNE NULLITE ABSOLUE, D'ORDRE PUBLIC ET LA COUR N'ETAIT PAS LEGALEMENT SAISIE DE L'ACTION PUBLIQUE, NI DE L'ACTION CIVILE" ;

VU LESDITS ARTICLES ;

ATTENDU QUE SELON LES DISPOSITIONS COMBINEES DES ARTICLES 29, 32, ALINEA 1ER, 33, ALINEA 2 ET 48-6° DE LA LOI DU 29 JUILLET 1881, LA REPRESSION DE LA DIFFAMATION ET DE L'INJURE ENVERS LES PARTICULIERS NE PEUT ETRE POURSUIVIE QUE SUR LA PLAINTE DE CEUX QUI, PERSONNELLEMENT VISES ET ATTEINTS, EN ONT ETE DIRECTEMENT VICTIMES ;

QUE CES DISPOSITIONS QUI ONT TRAIT AUX ELEMENTS CONSTITUTIFS DE L'INFRACTION SONT D'AUTANT PLUS IMPERATIVES QUE, D'APRES L'ARTICLE 49 DE LA MEME LOI, LA PARTIE PLAIGNANTE, QUI DEMEURE AINSI JUGE DE L'OPPORTUNITE DU DEBAT, PEUT, EN SE DESISTANT, ARRETER LA POURSUITE COMMENCEE ;

QUE, D'AUTRE PART, S'IL APPARTIENT, EN GENERAL, AUX JUGES DU FOND, DE DECLARER, D'APRES LES CIRCONSTANCES DE LA CAUSE, QUELLE EST LA PERSONNE DIFFAMEE OU INJURIEE, CETTE APPRECIATION N'EST SOUVERAINE QUE DANS LA MESURE OU ELLE RESULTE D'ELEMENTS DE FAIT EXTRINSEQUES A L'ECRIT INCRIMINE ;

ATTENDU QUE L'UNION DEPARTEMENTALE DES SYNDICATS INDEPENDANTS DES ALPES-MARITIMES A PORTE PLAINTE, ET S'EST CONSTITUEE PARTIE CIVILE, DEVANT LE JUGE D'INSTRUCTION, POUR INJURES ET DIFFAMATION PUBLIQUES ENVERS UN PARTICULIER, A RAISON DE LA DIFFUSION D'UN TRACT QUI CONTENAIT LES PASSAGES SUIVANTS : "UN PATRON DU DEPARTEMENT VIENT DE NOUS FOURNIR LA PREUVE DE LA LIBERTE ET DE L'INDEPENDANCE DU SYNDICAT CFT, EN EFFET, CE PATRON A, DANS SON ENTREPRISE, UN SYNDICAT UNIQUE QUI LE GENE ;

CETTE DIRECTION A DECIDE DE PRENDRE DES MESURES, COMMENT ARRIVER A DIVISER LE PERSONNEL DANS SON ENTREPRISE ? EH BIEN, C'EST SIMPLE, IL FAUT IMPLANTER UN SYNDICAT "MAISON" A LA DEVOTION DU PATRONAT. CE SYNDICAT EXISTE DEJA, IL NE RESTE PLUS QU'A FAIRE APPEL A LUI. LA DIRECTION A DONC ENVOYE UNE LETTRE AU SYNDICAT CFT, HOTEL DU LOUVRE ;

... UN HEUREUX CONCOURS DE CIRCONSTANCES NOUS A PERMIS DE POSSEDER CETTE LETTRE QUI CONFIRME LOCALEMENT CE QUI SE PASSE DANS L'ENSEMBLE DE LA FRANCE ... AUX TNL LA CGT EXISTE DEPUIS TOUJOURS. DE LA MEME MANIERE QU'A VITE ET BIEN MAIS PLUSIEURS ANNEES AVANT, LA CFT EST APPARUE, D'ABORD SOUS LE NOM DE SYNDICAT INDEPENDANT, PUIS EST ENTREE AU SEIN DE L'ORGANISATION MISE SUR PIED PAR D'HONNETES DEFENSEURS DE TRAVAILLEURS QUI ONT FAIT LEURS CLASSES EN ITALIE SOUS MUSSOLINI ET ONT FORME LEURS DISCIPLES CHEZ SIMCA" ;

ATTENDU QUE X..., EDITEUR DU TRACT INCRIMINE, A ETE RENVOYE DEVANT LA JURIDICTION CORRECTIONNELLE POUR INJURES ET DIFFAMATION PUBLIQUES ENVERS UN PARTICULIER ;

QUE, POUR RETENIR A LA CHARGE DUDIT X... LE DELIT DE DIFFAMATION PUBLIQUE ENVERS UN PARTICULIER EN LAISSANT, D'AILLEURS, INCERTAIN LE POINT DE SAVOIR SI L'ELEMENT DE PUBLICITE EXISTAIT EN L'ESPECE, ET EN OMETTANT DE STATUER SUR L'AUTRE CHEF DE LA PREVENTION, LA COUR D'APPEL SE BORNE A ENONCER "QU'IL NE PEUT ETRE DISCUTE QUE LA REDACTION DU TRACT INCRIMINE MONTRAIT LA VOLONTE MANIFESTE DE JETER LE DISCREDIT SUR LES MEMBRES DU SYNDICAT DIFFAME ;

QU'ON NE SAURAIT SOUTENIR QUE LA QUALIFICATION DE "SYNDICAT MAISON" A LA DEVOTION DU PATRONAT, OU L'AFFIRMATION QUE LA CFT EST APPARUE D'ABORD SOUS LE NOM DE SYNDICAT INDEPENDANT PUIS EST ENTRE AU SEIN DE L'ORGANISATION MISE SUR PIED PAR D'HONNETES TRAVAILLEURS QUI ONT FAIT LEURS CLASSES EN ITALIE SOUS MUSSOLINI ET ONT FORME LEURS DISCIPLES CHEZ SIMCA, NE CONSTITUENT PAS LA DIFFAMATION REPROCHEE ;

QU'IL S'AGIT BIEN LA DE L'IMPUTATION DE FAITS PRECIS DONT LA PREUVE N'A PAS ETE RAPPORTEE ;

QU'IL EST BIEN CERTAIN QUE LA MISSION D'UN SYNDICAT EST DE DEFENDRE LES SEULS INTERETS DES TRAVAILLEURS ET QUE LES INDICATIONS SELON LESQUELLES LES TRAVAILLEURS VISES AURAIENT FAIT LEURS CLASSES SOUS UN CHEF FASCISTE SONT BIEN DE NATURE A JETER LE DISCREDIT SUR LA PARTIE CIVILE" ;

MAIS ATTENDU QUE L'UNION DEPARTEMENTALE DES SYNDICATS INDEPENDANTS DES ALPES-MARITIMES, DONT L'ARRET ATTAQUE N'INDIQUE D'AILLEURS PAS LE STATUT JURIDIQUE, N'EST PAS NOMMEE DANS LE TEXTE DU TRACT INCRIMINE ;

QUE LES IMPUTATIONS QUE CONTIENT CE TRACT NE PERMETTENT PAS, A ELLES SEULES, DE DETERMINER SI ELLES SONT DIRIGEES CONTRE LADITE UNION, OU SI ELLES VISENT SEULEMENT CERTAINES PERSONNES MORALES QUI SONT EXPLICITEMENT DESIGNEES, MAIS QUI N'ONT PAS PORTE PLAINTE ;

QUE L'ARRET N'ENONCE AUCUNE CIRCONSTANCE RESULTANT SOIT DU CONTEXTE DU TRACT INCRIMINE, SOIT D'ELEMENTS DE LA CAUSE EXTRINSEQUES AUX PASSAGES CI-DESSUS REPRODUITS, DE NATURE A DEMONTRER QUE, COMME LA COUR D'APPEL SEMBLE L'AVOIR ESTIME, CES PASSAGES INCULPAIENT, PERSONNELLEMENT, L'UNION DEPARTEMENTALE DES SYNDICATS INDEPENDANTS DES ALPES-MARITIMES ;

QU'AINSI LA COUR DE CASSATION N'EST PAS EN MESURE D'EXERCER SON CONTROLE SUR LE POINT DE SAVOIR SI CE GROUPEMENT A PU LEGALEMENT EXERCER L'ACTION CIVILE, ET METTRE EN MOUVEMENT L'ACTION POLITIQUE ;

PAR CES MOTIFS, ET SANS QU'IL Y AIT LIEU DE STATUER SUR LE SECOND MOYEN PROPOSE : CASSE ET ANNULE L'ARRET DE LA COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE DU 19 NOVEMBRE 1971, ET, POUR ETRE STATUE A NOUVEAU CONFORMEMENT A LA LOI.