CASSATION sur le pourvoi formé d'ordre du garde des Sceaux, ministre de la Justice, par le procureur général près la Cour de Cassation, dans l'intérêt de la loi et du condamné, contre un arrêt de la Cour d'assises du Rhône en date du 7 février 1963, qui a condamné X... (Jean-Marie), à vingt ans de réclusion criminelle pour meurtre.
LA COUR, Vu la dépêche du garde des Sceaux en date du 5 mars 1969 et les réquisitions du procureur général du même jour ; Vu l'article 620 du Code de procédure pénale ; Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 283 et 284 du Code de procédure pénale, et des droits de la défense ; Vu lesdits articles ; Attendu que si l'article 283 du Code de procédure pénale autorise le président de la Cour d'assises à accomplir lui-même ou à prescrire tous actes complémentaires d'information qu'il estime utiles, il exige que les mesures ainsi décidées soient exécutées en conformité des règles de l'instruction préparatoire ; Qu'aux termes de l'article 284 du même Code, les procès-verbaux qui doivent être établis à cet effet sont obligatoirement joints au dossier de la procédure et mis à la disposition des parties dûment avisées du dépôt qui en a été fait au greffe ; Attendu qu'il appert de la requête et des pièces y annexées qu'avant l'ouverture des débats de l'affaire concernant X..., accusé du meurtre de Dominique Y..., le président de la Cour d'assises du Rhône s'est rendu sur les lieux du crime accompagné d'un magistrat du Parquet général et du commissaire de police Z... ; Qu'il est constant que cette visite n'a fait l'objet d'aucun procès-verbal ; que ni l'accusé ni son conseil n'en ont eu d'ailleurs connaissance ;
Attendu que le pourvoi relève que ce même fonctionnaire de police a figuré au nombre des personnes citées par le Ministère public et dénoncées à l'accusé comme témoins de l'accusation ; qu'il a été entendu en cette qualité à l'audience de la Cour d'assises ; Attendu que l'examen de la procédure fait apparaître qu'au cours de l'instruction préparatoire le commissaire Z... avait effectué, sur commission rogatoire du juge, diverses investigations et établi plusieurs procès-verbaux assortis d'un rapport où il relatait les circonstances dans lesquelles il avait personnellement obtenu les aveux de X... et énumérait, tout en les commentant, les charges relevées contre ce dernier ; Attendu que de l'ensemble de ces faits et circonstances tels que la Cour de Cassation est aujourd'hui appelée à en connaître eu égard à la spécification du moyen dont elle est saisie, il résulte que la visite des lieux à laquelle le président de la Cour d'assises a procédé dans les conditions ci-dessus précisées constitue, en même temps qu'une atteinte aux droits de la défense, la violation des articles 283 et 284 du Code de procédure pénale ; Attendu, en effet, que si rien n'interdit au président de la Cour d'assises d'acquérir une connaissance directe et personnelle des lieux du crime, en vue de préparer la direction des débats dont il a la charge et l'exercice des pouvoirs qu'il tient de la loi et si une telle vérification n'est pas en soi une mesure d'instruction complémentaire au sens de l'article 283 du Code de procédure pénale et, comme telle assujettie aux prescriptions de l'article 284, il ne saurait en être de même lorsque, comme en l'espèce, le président s'est fait accompagner au cours de sa visite par une personne appelée à témoigner à l'audience et dont les déclarations ne pouvaient dès lors être provoquées ou reçues avant l'ouverture des débats que dans les conditions et selon les formes exigées par les textes ci-dessus visés ;
D'où il suit que l'annulation doit être prononcée ; Et attendu que le pourvoi formé par application de l'article 620 du Code de procédure pénale dans l'intérêt de la loi et du condamné ne peut en aucun cas préjudicier aux droits acquis à la partie civile, à l'égard de laquelle l'arrêt subsiste et conserve l'autorité de la chose jugée ; CASSE ET ANNULE, dans l'intérêt de la loi et du condamné, l'arrêt de la Cour d'assises du Rhône du 7 février 1963 condamnant X... (Jean-Marie) à vingt ans de réclusion criminelle pour meurtre, ensemble la déclaration de la Cour et du jury et les débats qui l'ont précédée, et, pour être à nouveau statué sur l'action publique conformément à la loi, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'assises de la Côte-d'Or. Président : M. Comte - Rapporteur : M. Chapar - Avocat général : M. Boucheron - Avocat : M. Ledieu.