La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/04/1969 | FRANCE | N°67-90412

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 29 avril 1969, 67-90412


CASSATION sur les pourvois formés par : 1° le procureur général près la Cour d'appel de Colmar ; 2° X... (Eric), partie civile, contre un arrêt de ladite Cour, Chambre détachée à Metz, en date du 26 janvier 1967, qui, dans la poursuite dirigée contre Y... des chefs de diffamation et injures publiques, a annulé toute la procédure à partir du réquisitoire introductif, inclus.

LA COUR, Vu la requête et les mémoires produits tant en demande qu'en défense ; Vu la connexité, joint les pourvois ; Sur les deux moyens de cassation soulevés par le procureur général et pris d

e la violation de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881, insuffisance d...

CASSATION sur les pourvois formés par : 1° le procureur général près la Cour d'appel de Colmar ; 2° X... (Eric), partie civile, contre un arrêt de ladite Cour, Chambre détachée à Metz, en date du 26 janvier 1967, qui, dans la poursuite dirigée contre Y... des chefs de diffamation et injures publiques, a annulé toute la procédure à partir du réquisitoire introductif, inclus.

LA COUR, Vu la requête et les mémoires produits tant en demande qu'en défense ; Vu la connexité, joint les pourvois ; Sur les deux moyens de cassation soulevés par le procureur général et pris de la violation de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881, insuffisance de motifs et manque de base légale ; "en ce que l'arrêt attaqué a prononcé la nullité du réquisitoire introductif du procureur de la République de Sarreguemines, en date du 24 décembre 1965, de l'information et de tous les actes subséquents, motif pris de ce que ledit réquisitoire ne préciserait pas exactement la date des faits, articulerait pour partie des imputations couvertes par la prescription et ne qualifierait pas distributivement, de manière certaine, les faits d'injures et de diffamations publiques se rapportant respectivement à la vie publique et à la vie privée du plaignant ; "alors, d'une part, que les circonstances de fait énumérées dans le réquisitoire, les énonciations de la plainte et des documents annexes, auxquels le procureur de la République de Sarreguemines s'est expressément référé, ne peuvent laisser aucune incertitude sur la date des faits ayant motivé les poursuites ; que l'articulation surabondante de certains faits couverts par la prescription ne pouvait nuire aux droits de l'inculpé Y... qui a eu toute latitude pour faire valoir ses moyens de défense ; qu'enfin, le défaut de spécification et de qualification distinctes des faits incriminés ne pouvait, en l'espèce, s'agissant d'infractions de même nature, nuire aux intérêts de la défense ; "d'autre part, qu'en ce qui concerne les autres qualifications retenues par le Ministère public dans l'acte initial de la poursuite, aucune irrégularité n'a été relevée par l'arrêt qui eût été de nature à justifier l'annulation totale du réquisitoire introductif" ;

Le second moyen de cassation pris de la violation de l'article 509 du Code de procédure pénale ; "en ce que les actes d'appel du prévenu Y... et du procureur de la République de Sarreguemines ne visant pas les dispositions spéciales et distinctes du jugement du 24 octobre 1966, qui ont trait à la régularité de la procédure, les limites de sa saisine ne permettaient pas à la Cour d'appel de revenir sur lesdites dispositions" ; Ainsi que sur les deux moyens de cassation réunis soulevés par X... et pris : Le premier, de la violation des articles 50 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, 7 de la loi du 20 avril 1810, insuffisance de motifs, manque de base légale ; "en ce que la décision attaquée a considéré comme nul un réquisitoire introductif concernant des infractions à la loi du 29 juillet 1881, et l'ordonnance de renvoi se référant au réquisitoire, au motif que ni l'un ni l'autre de ces documents n'auraient distingué, en les qualifiant, ce qui, des imputations contenues dans les tracts et rappelées tant dans le réquisitoire que dans l'ordonnance de renvoi, constituaient la diffamation à une personne privée, d'une part, l'injure publique à un sénateur et à un maire, et l'injure publique à une personne privée, d'autre part ; "alors que le réquisitoire et l'ordonnance énonçaient et reproduisaient les tracts incriminés et qualifiaient les diverses allégations et imputations qui y étaient contenues, en déclarant qu'elles constituaient des diffamations envers un sénateur, un maire et une personne privée et des injures envers un sénateur, un maire et une personne privée et répondaient, dès lors, aux prescriptions de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881, sans qu'il fût nécessaire qu'ils précisent celles de ces imputations qui constituaient des diffamations et celles qui constituaient des injures, ni celles qui s'attaquaient à la personne publique et celles qui s'attaquaient à la personne privée du demandeur" ;

Le second pris de la violation de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881, 7 de la loi du 20 avril 1810 ; " en ce que la décision attaquée a déclaré nul le réquisitoire introductif d'instance du procureur de la République de Sarreguemines, en date du 24 décembre 1965, l'information et les actes qui ont suivi, au motif que celui-ci aurait visé certains tracts distribués pendant les élections sénatoriales pour lesquelles la prescription n'était pas acquise, et certains tracts distribués pendant les élections municipales pour lesquelles la prescription aurait placé Y..., avant même qu'il ne soit inculpé, dans une situation telle qu'il ne pouvait déterminer avec certitude celle des imputations au sujet desquelles il aurait à assurer sa défense et celle qui ne pourrait lui être reprochée et que le rapprochement, dans le réquisitoire, des termes du tract concernant les élections municipales avec ceux du tract et du dessein commenté relatif aux élections sénatoriales, nonobstant la prescription acquise aurait conféré à l'ensemble une portée différente de celle qu'aurait eu la seule articulation des imputations contenues dans le tract et le dessin se rapportant aux élections sénatoriales et que dès lors il y aurait violation de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881 qui a pour objet de fixer définitivement, dès l'origine, les limites de l'information, les limites de la poursuite, et par conséquent les points sur lesquels le prévenu aura à se défendre, tant devant le juge d'instruction, qu'éventuellement devant la juridiction de jugement, et que la surabondance du réquisitoire introductif aurait conféré aux imputations retenues contre Y... dans leurs énumérations successives mais conjointes et corrélatives, si ce n'est une différence de nature, du moins un degré de gravité différent par rapport à celles qui en raison de la prescription justifiaient seules la mise en mouvement de l'action publique et que Y... aurait été dès lors placé en une situation telle qu'il ne pouvait assurer sa défense sur un terrain exactement précisé dans ses limites ;

"alors que le fait d'imputer à la même personne à la fois des diffamations contenues dans des écrits publiés à une date telle que la prescription serait atteinte, et dans des écrits publiés à une date telle que la prescription ne saurait être atteinte, ne peut constituer une cause de nullité du réquisitoire, le prévenu ayant précisément la faculté de faire valoir la prescription comme un moyen de défense ; "alors d'autre part, que le fait d'invoquer des faits prescrits même si ces faits comportent des infractions non prescrites ne saurait constituer une cause de nullité aux termes de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors que le prévenu ayant connaissance des écrits sur lesquels il aura à se défendre est en mesure de faire valoir tous les moyens de forme et de fond dont il dispose" ;

Vu lesdits articles ; Attendu qu'aux termes de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881, si le Ministère public requiert une information, il sera tenu, dans son réquisitoire, d'articuler et de qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels la poursuite est intentée, avec l'indication des textes dont l'application est demandée, à peine de nullité du réquisitoire de ladite poursuite, que si, en vertu de ces dispositions le réquisitoire introductif fixe irrévocablement la nature de la poursuite, il suffit pour sa validité, qu'il fasse exactement connaître au prévenu les faits et les infractions qui lui sont reprochés, et le mette ainsi en mesure de préparer utilement sa défense ; Attendu que le 22 décembre 1965, X..., sénateur de la Moselle et maire de Forbach, a porté plainte contre X... "pour calomnies et outrages", que le 24 décembre 1965, le procureur de Sarreguemines a délivré un réquisitoire introductif intégralement reproduit par l'arrêt attaqué identifiant trois actes distribués en "automne 1965" lors de la campagne électorale sénatoriale, dans différentes mairies de la Moselle et notamment à Merlebach, tracts par lesquels le plaignant est, selon le réquisitoire, injurié et diffamé en sa qualité de sénateur et de maire et dans sa vie privée, plus particulièrement par les termes suivants :

Premier tract : "Tout le monde sait que nos affaires municipales sont gérées pratiquement par une femme que le maire actuel traîne comme un vrai "boulet", que le maire n'est visible qu'à la condition que sa secrétaire accorde son feu vert ..., que c'est elle qui conseille celui qu'elle assiste et qu'elle est en fait à l'origine de ses décisions, que cela n'a rien d'anormal puisque tout le monde sait que ces deux personnages vivent en concubinage ; qu'il s'agit là d'une situation peu conforme à la morale chrétienne ; que l'application de cette conception semble interdire tout soutien que le clergé pourrait apporter à la candidature du maire sortant ... ; vous manifesterez ainsi votre mécontentement contre "une politique à sens unique, une domination exclusive de la mairie et des administrations locales par un tandem de concubins notoires, l'ingérence outrancière d'une femme qui a abandonné son foyer pour suivre un maire qui place ses intérêts avant ceux de la commune" ;

Deuxième tract : "M. X... est un spécialiste de la démagogie, du bluff ..., et des bonnes affaires ... ; soyez persuadés qu'il ne se bat ni pour un idéal ni pour son équipe ; ses colistiers anonymes doivent apporter des voix pour assurer la réélection du proconsul de Forbach ... ; M. X... désire régner demain comme hier en potentat absolu n'écoutant que la voix de son secrétariat ; le sous-préfet qui refuse de porter sa serviette, le directeur des H.B.L., qui n'obéit pas à ses ordres et le directeur de la Construction qui ne fait pas acte de soumission doivent faire leurs valises ..., oh, combien aurions-nous souhaité pour une fois le coup de poing sur la table de M. X... lors de la grève des mineurs ; hélas, il se contenta de faire les antichambres du pouvoir pour provoquer le décret de réquisition des mineurs, texte de sinistre mémoire ... ; avec votre bulletin de vote vous condamnerez ces méthodes arbitraires et vous mettrez un terme à l'omnipotence de ce personnage" ;

Troisième tract comportant un dessin représentant trois personnages, un tas de charbon, une chaîne et un boulet rattaché au pied d'un des personnages ; Attendu que se fondant sur ces documents, le réquisitoire introductif retient à la charge de X des présomptions : 1° D'injures et diffamations publiques envers un sénateur, un maire et une personne privée ; 2° De distribution d'imprimés ne portant pas la mention du nom et du domicile de l'imprimeur ; 3° De distribution de tracts en des lieux publics, délit prévus et réprimés par les articles 2, 23, 29, 31, 32, 33, 35, 42, 43, 44, 45, 47, 48, 50, 51, 65 de la loi du 29 juillet 1881 ; Attendu que les délits de distributions d'imprimés ne portant pas la mention du nom et du domicile de l'imprimeur, et de distribution de tracts en des lieux publics ayant été commis antérieurement au 8 janvier 1966, sont amnistiés par application de l'article 2, 2°, de la loi du 18 juin 1966 ; que l'action publique est éteinte à leur égard ; qu'ils ne sauraient donner lieu à réparations civiles ; qu'ainsi les moyens sont sans intérêt en ce qu'ils reprochent à la Cour d'appel d'avoir annulé sur ces deux chefs le réquisitoire introductif, la procédure subséquente et le jugement de condamnation du 24 octobre 1966 ; Attendu que les appels interjetés par Y..., condamné par ledit jugement, et par le Ministère public, avaient saisi la Cour d'appel de l'ensemble de la poursuite et qu'elle avait compétence pour statuer, comme elle l'a fait, sur l'exception de nullité du réquisitoire introductif et de l'assignation soulevée par Y... tant devant le Tribunal que devant elle ;

Attendu que l'arrêt attaqué a déclaré nuls le réquisitoire introductif, l'information et les actes qui ont suivi, et mis à néant le jugement entrepris en toutes ses dispositions tant pénales que civiles, aux motifs que ledit réquisitoire ne distingue pas entre la diffamation à personne publique et à personne privée, entre les injures à personne publique et à personne privée, et qu'ainsi Y... ne peut savoir sur quels faits il peut être admis à apporter la preuve de la véracité de ses allégations ; que le réquisitoire ne distingue pas davantage entre les diffamations et les injures ; qu'enfin il retient à la charge de Y... le premier des trois actes bien que celui-ci ait été publié à une date telle (élections municipales de mars 1965) qu'il bénéficie de la prescription de trois mois ; que seuls auraient dû être articulés les faits non prescrits (tracts distribués lors de l'élection sénatoriale de septembre 1965) ; que la "surabondance" du réquisitoire "confère aux imputations retenues contre Y..., dans leur émunération successive, mais conjointe et corrélative, si ce n'est une différence de nature, du moins un degré de gravité différent par rapport à celles qui, en raison de la prescription, justifiaient seules la mise en mouvement de l'action publique ; Mais attendu que la Cour d'appel n'a pas exactement apprécié le sens et la portée de l'article 50 précité ;

Qu'en effet, l'indication de la date du fait incriminé ne peut être exigée que daans la mesure où elle est nécessaire pour donner à ce fait la précision indispensable ; que le réquisitoire identifie et distingue biens les uns des autres les trois tracts ; qu'ainsi le prévenu connaît avec certitude les faits qui lui sont reprochés, et est en mesure d'invoquer, comme il l'a d'ailleurs fait, la prescription qui s'applique au premier tract, et pour discuter devant les juges du fond le caractère délictueux des faits poursuivis ; Qu'en outre, le réquisitoire qualifie les faits qu'il articule d'injures et de diffamation, tant à l'égard de X..., personne publique, que de X..., personne privée ; qu'il vise les articles de la loi de 1881 qui punissent ces délits ; que ces énonciations précisent l'objet du débat et permettent au prévenu de discuter la qualification donnée par la poursuite aux faits incriminés ; que dès lors elles répondent aux prescriptions de l'article 50, sans qu'il soit nécessaire qu'elles précisent ceux des faits qui constituent des injures et ceux qui au contraire, constituent des diffamations, ni dans quelle mesure ils concernent respectivement l'homme public et la personne privée ; D'où il suit que la cessation est encourue ;

Par ces motifs :

DECLARE l'action publique ETEINTE en ce qui concerne les délits de distribution d'imprimés ne portant pas la mention du nom et du domicile de l'imprimeur, et de distribution de tracts en des lieux publis ; CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Colmar (Chambre détachée à Metz), en date du 26 janvier 1967, et pour qu'il soit statué à nouveau conformément à la loi :

RENVOIE la cause et les parties devant la Cour d'appel de Nancy.

Président : M. Comte - Rapporteur : M. Costa - Avocat général :

M. Boucheron - Avocats : MM. Ryziger et Ravel.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 67-90412
Date de la décision : 29/04/1969
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1) PRESSE - Procédure - Instruction - Réquisitoire introductif (art 50 de la loi du 29 juillet 1881) - Validité - Enonciations suffisantes.

Si, en vertu des dispositions de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881, le réquisitoire introductif fixe irrévocablement la nature de la poursuite (1), il suffit, pour sa validité, qu'il fasse exactement connaître au prévenu les faits qui lui sont reprochés et les infractions qu'ils constituent, et le mettre ainsi en mesure de préparer utilement sa défense (2). Il peut en particulier se référer d'une part à des faits prescrits, d'autre part à des faits non prescrits, du moment qu'il les identifie et les distingue. Il peut qualifier les faits qu'il articule d'injures et de diffamations, tant à l'égard de l'homme public que de la personne privée, en visant les articles qui punissent ces délits. il n'est pas nécessaire qu'il précise ceux des faits qui constituent des injures et ceux qui au contraire constituent les diffamations, ni dans quelle mesure ils concernent respectivement l'homme public et la personne privée (3) du moment que ces faits sont distincts (4).

2) ACTION CIVILE - Recevabilité - Presse - Distribution d'imprimés ne portant pas la mention de l'imprimeur (non).

ACTION CIVILE - Recevabilité - Presse - Distribution de tracts dans un lieu public (non) - * PRESSE - Imprimés - Absence de mention du nom de l'imprimeur - Action civile - Irrecevabilité - * PRESSE - Imprimés - Distribution dans un lieu public - Action civile Irrecevabilité - * PRESSE - Procédure - Action civile - Recevabilité - Distribution de tracts dans un lieu public (non) - * PRESSE - Procédure - Action civile - Recevabilité - Distribution d'imprimés sans indication de l'imprimeur.

Les délits de distibution d'imprimés ne portant pas la mention du nom et du domicile de l'imprimeur, et de distribution de tracts en des lieux publics, ne sauraient donner lieu à des réparations civiles.


Références :

LOI du 29 juillet 1881 ART. 50

Décision attaquée : DECISION (type)


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 29 avr. 1969, pourvoi n°67-90412, Bull. crim. Criminel Cour de Cassation Crim. N. 148
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle Criminel Cour de Cassation Crim. N. 148

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1969:67.90412
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award