FAITS
Le Syndicat de la métallurgie et parties similaires CFTC de Nantes s'est pourvu contre un jugement rendu le 20 janvier 1961 par le Tribunal d'instance de Nantes au profit de la société "Etablissements J.-J. Carnaud et Forges de Basse-Indre". Ce jugement a été cassé le 4 janvier 1962 par la Chambre sociale de la Cour de Cassation. La cause et les parties ont été renvoyées devant le Tribunal d'instance de Saint-Nazaire lequel a statué par jugement du 7 juin 1963 dans le même sens que le Tribunal d'instance de Nantes et s'est fondé en droit sur des motifs qui sont en opposition avec la doctrine de l'arrêt de cassation.
Un pourvoi ayant été formé contre le jugement rendu par le Tribunal d'instance de Saint-Nazaire, l'attaquant par le même moyen que celui ayant entraîné la cassation du jugement du Tribunal d'instance de Nantes, la Chambre sociale de la Cour de Cassation a, par arrêt du 16 juillet 1964, renvoyé la cause et les parties devant les Chambres réunies.
Le demandeur invoque, devant les Chambres réunies, le moyen unique de cassation suivant :
"Violation de l'ordonnance du 22 février 1945, notamment de son article 2, violation du décret du 2 novembre 1945, de la loi du 23 juillet 1957, et de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs et manque de base légale, en ce que le jugement attaqué a décidé que l'indemnité versée par le Comité d'entreprise aux bénéficiaires du congé-éducation, prélevée sur les fonds dont il a la gestion, ne rentre pas dans les attributions dudit Comité, aux motifs que cette indemnisation ne constitue ni une oeuvre sociale de l'entreprise, ni une institution d'entr'aide ou d'éducation, alors que l'institution par le Comité d'entreprise d'un régime d'indemnités destinées à faciliter l'éducation ouvrière du personnel de cette entreprise rentre dans les oeuvres sociales destinées à l'amélioration des conditions collectives de travail et de vie du personnel, au sens de l'article 2 de l'ordonnance du 22 février 1945, qu'il s'agit d'une institution d'entr'aide prévue par l'article 2-1° du décret du 2 novembre 1945, et d'une institution d'ordre éducatif attachée à l'entreprise au sens de l'article 2-4° du même décret, que le Comité d'entreprise avait la faculté de créer ce régime d'indemnités dès lors que celles-ci étaient instituées dans l'entreprise en faveur des seuls salariés de celle-ci sans distinction entre eux selon leur appartenance syndicale" ;
Ce moyen a été formulé dans un mémoire déposé au greffe par Me Nicolas, avocat du Syndicat de la métallurgie et parties similaires CFTC de Nantes. Un mémoire en défense a été produit par Me Coutard, avocat de la société anonyme "Etablissements J.-J. Carnaud et Forges de Basse-Indre". Des observations rectificatives ont été en outre déposées par Me Coutard ;
Sur quoi, la Cour, statuant toutes Chambres réunies, et vidant le renvoi qui lui a été fait par arrêt de la Chambre sociale du 16 juillet 1964 ;
Sur le rapport de M. le conseiller Cunéo, les observations de Me Nicolas, avocat du Syndicat de la métallurgie et parties similaires CFTC de Nantes, de Me Coutard, avocat de la société anonyme "Etablissements J.-J. Carnaud et Forges de Basse-Indre", les conclusions de M. l'avocat général Schmelck, et après en avoir délibéré en la Chambre du Conseil ;
Sur le moyen unique :
Vu l'article 2, paragraphe 2 de l'ordonnance du 22 février 1945, ensemble l'article 1er de la loi du 23 juillet 1957 ;
Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, le Comité d'entreprise assure ou contrôle la gestion de toutes les oeuvres sociales établies dans l'entreprise au bénéfice des salariés ou de leurs familles ou participe à cette gestion, quel qu'en soit le mode de financement, dans les conditions fixées par un décret pris en Conseil d'Etat ;
Attendu que selon le second, les travailleurs et apprentis désireux de participer à des stages ou sessions exclusivement consacrés à l'éducation ouvrière ou à la formation syndicale, organisés soit par des centres rattachés à des organisations syndicales de travailleurs reconnues comme représentatives sur le plan national, soit par des instituts spécialisés, ont droit, sur leur demande, à un congé non rémunéré de douze jours ouvrables par an ;
Attendu qu'il résulte du jugement attaqué que, pour indemniser les salariés, qui iraient faire un tel stage, de leur perte de salaires, le Comité d'entreprise des Etablissements J.-J. Carnaud a décidé que "tout membre du personnel bénéficiant d'un congé-éducation dans le cadre de la loi du 23 juillet 1957 pourrait prétendre à une indemnité forfaitaire de 15 francs par journée de travail perdue" ; que le Comité disposait dans son budget propre des ressources nécessaires pour payer lesdites indemnités ; que la dame X..., membre du personnel, ayant participé à un stage de cinq jours, la direction s'est opposée au versement de l'indemnité prévue en soutenant qu'elle ne saurait être légalement prélevée sur le budget des oeuvres sociales ;
Attendu que le Tribunal d'instance de Saint-Nazaire a rejeté la demande en dommages-intérêts formée par le Syndicat de la métallurgie et parties similaires CFTC de Nantes, contre les Etablissements J.-J. Carnaud, pour avoir fait obstacle au fonctionnement du Comité d'entreprise, aux motifs qu'une telle indemnisation n'entrait pas dans les institutions envisagées par l'article 2 du décret du 2 novembre 1945, notamment dans celles d'ordre professionnel ou éducatif visées en son paragraphe 4, le centre dans lequel le stage avait été effectué n'ayant aucune attache avec lesdits établissements, et ne constituant pas une oeuvre sociale au sens de l'ordonnance du 22 février 1945 ;
Attendu cependant que l'institution dans les Etablissements Carnaud d'un régime d'indemnités destinées à faciliter l'éducation ouvrière du personnel de cette entreprise entre dans les oeuvres sociales au sens de l'article 2, paragraphe 2 de l'ordonnance du 22 février 1945 ; que les dispositions de l'article 2-4° du décret du 2 novembre 1945 ne l'interdisent pas, dès lors que ces indemnités sont instituées dans l'entreprise en faveur des seuls salariés de celle-ci sans aucune distinction entre eux ;
D'où il suit que le jugement attaqué a faussement appliqué les textes susvisés ;
Par ces motifs :
Casse et annule le jugement rendu entre les parties par le Tribunal d'instance de Saint-Nazaire le 7 juin 1963 ; remet en conséquence la cause et les parties au même et semblable état où elles étaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le Tribunal d'instance de Paimboeuf.