| France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 28 janvier 1964, 63-90463

REJET DU POURVOI DE X... (GEORGES), CONTRE UN ARRET DE LA COUR D'APPEL DE BORDEAUX, DU 19 DECEMBRE 1962, QUI, POUR DIFFAMATION ENVERS L'ARMEE, L'A CONDAMNE A TROIS MOIS D'EMPRISONNEMENT AVEC SURSIS ET 5000 NF D'AMENDE LA COUR, VU LE MEMOIRE PRODUIT ;

SUR LE

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

"EN CE QUE L'ARRET ATTAQUE A REJETE L'EXCEPTION DE PRESCRIPTION DE L'ACTION PUBLIQUE FONDEE SUR L'ECOULEMENT D'UN DELAI DE PLUS DE TROIS MOIS ENTRE LA CITATION ET LA DATE D'AUDIENCE SANS QU'AUCUN ACTE INTERRUPTIF SOIT INTERVENU DANS L'INTERVALLE, PAR LE MOTIF QUE LE MINISTERE PUBLIC ETAIT TENU DE RESPECTER LES DELAIS DE DISTANCE ET QU'A L'INTERIEUR DESDITS DELAIS, IL Y AVAIT SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION ;

"ALORS QUE LA PRESCRIPTION EST D'ORDRE PUBLIC, QUE L'INTERPRETATION STRICTE DE LA LOI PENALE NE PEUT EN AUGMENTER LA DUREE ET QU'AUCUN OBSTACLE DE DROIT OU DE FAIT NE POUVAIT JUSTIFIER UNE SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION" ;

ATTENDU QUE, LA CHAMBRE CRIMINELLE DE LA COUR DE CASSATION, AYANT, PAR ARRET DU 6 JANVIER 1962, SAISI DANS L'INTERET D'UNE BONNE ADMINISTRATION DE LA JUSTICE LA COUR DE BORDEAUX DES APPELS FORMES PAR LE MINISTERE PUBLIC ET X... DU JUGEMENT DU TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE FORT-DE-FRANCE, DU 18 OCTOBRE 1961, QUI AVAIT CONDAMNE CE DERNIER POUR DIFFAMATION ET INJURE ENVERS L'ARMEE, LE PROCUREUR GENERAL DE BORDEAUX, A PAR EXPLOIT DE ME Y..., HUISSIER A FORT-DE-FRANCE, DU 20 MARS 1962, FAIT CITER X..., DEMEURANT DANS CETTE VILLE, ... A COMPARAITRE A L'AUDIENCE DU 19 SEPTEMBRE 1962 DE LA CHAMBRE DES APPELS CORRECTIONNELS DE LA COUR DE BORDEAUX ;

QUE CETTE CITATION A ETE ETABLIE EN TENANT COMPTE DES DELAIS PRESCRITS PAR L'ARTICLE 54 DE LA LOI DU 29 JUILLET 1881 ;

ATTENDU QUE C'EST A BON DROIT QUE L'ARRET ATTAQUE A REJETE LES CONCLUSIONS PAR LESQUELLES X... A SOUTENU, DEVANT LA COUR D'APPEL, AVANT TOUT DEBAT AU FOND, QUE PLUS DE TROIS MOIS (SOIT 179 JOURS) S'ETANT ECOULES DEPUIS LA CITATION DU 20 MARS 1962, LORSQUE L'AFFAIRE A ETE APPELEE A L'AUDIENCE DU 19 SEPTEMBRE 1962, L'ACTION PUBLIQUE ETAIT PRESCRITE, CONFORMEMENT AUX DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 65 DE LA LOI DU 29 JUILLET 1881 ;

ATTENDU EN EFFET QUE LA CITATION A COMPARAITRE INTERROMPT LA PRESCRIPTION MAIS NE LA SUSPEND PAS ;

QUE S'IL EST VRAI QUE LE DELAI FRANC D'AU MOINS VINGT JOURS QUI, AUX TERMES DE L'ARTICLE 54 DE LA LOI PRECITEE, DOIT ETRE OBSERVE ENTRE LA CITATION ET LA COMPARUTION, S'IMPUTE SUR CELUI DE LA PRESCRIPTION, IL EN EST AUTREMENT DU DELAI DE DISTANCE DE 1 JOUR PAR 5 MYRIAMETRES EDICTE PAR LEDIT ARTICLE, LEQUEL EST APPLICABLE A LA POURSUITE DES INFRACTIONS DE PRESSE, A L'EXCLUSION DE L'ARTICLE 552 DU CODE DE PROCEDURE PENALE ;

QUE PENDANT CE DELAI LA PRESCRIPTION SE TROUVE SUSPENDUE ET NE RECOMMENCE A COURIR QU'APRES L'EXPIRATION DUDIT DELAI ;

QU'IL SUIT DE LA QUE LE MOYEN N'EST PAS FONDE ;

SUR LE

SECOND MOYEN DE CASSATION :

"EN CE QUE L'ARRET ATTAQUE A CONDAMNE LE PREVENU POUR DIFFAMATION ENVERS L'ARMEE PAR LE MOTIF QUE CELUI-CI N'AURAIT PAS ETABLI LA PREUVE DE LA VERITE DU FAIT DIFFAMATOIRE ET AURAIT RECONNU, DANS UNE NOTE EN DELIBERE, LA MATERIALITE DES FAITS ;

"ALORS QUE, D'UNE PART POUR ECARTER LA PREUVE DU FAIT PRETENDUMENT DIFFAMATOIRE, L'ARRET SE FONDE SUR UN SEUL TEMOIGNAGE PARMI DE NOMBREUX AUTRES IGNORES POUR CONCLURE D'UNE MANIERE DUBITATIVE QUE DES SOMMATIONS AURAIENT ETE EFFECTUEES AVANT LA SALVE ;

"ET ALORS QUE, D'AUTRE PART, C'EST PAR UNE DENATURATION FLAGRANTE DES DOCUMENTS DE LA CAUSE QUE LA COUR ATTRIBUE LE CARACTERE D'UN AVEU A UNE NOTE EN DELIBERE QUI, A TITRE SUBSIDIAIRE, DEMANDE L'APPLICATION D'UNE PEINE DE PRINCIPE AU CAS OU LE TRIBUNAL ESTIMERAIT LES FAITS ETABLIS" ;

ATTENDU QUE, DES MOTIFS DU JUGEMENT NON CONTRAIRES AUX SIENS ET QUE L'ARRET ATTAQUE ADOPTE, IL APPERT QUE, DES DEPOSITIONS DES TEMOINS QUI ONT ETE ENTENDUS A LA REQUETE DE X..., LEQUEL AVAIT DEMANDE A FAIRE LA PREUVE DE LA VERITE DES FAITS DIFFAMATOIRES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 35, ALINEA 1, DE LA LOI SUR LA PRESSE, IL RESULTE QUE LE SOIR DU 24 MARS 1961, IL Y AVAIT AU LAMENTIN, UNE FOULE CALME DANS LAQUELLE ILS N'ONT PAS VU DE GENS ARMES, ET UN SERVICE D'ORDRE COMPOSE DE GENDARMES ET DE POLICIERS ;

QU'A UN MOMENT DONNE, DES GRENADES LACRYMOGENES ONT ETE LANCEES SANS QUE LESDITS TEMOIGNAGES INDIQUENT PAR QUI OU COMBIEN ;

QU'ENFIN DES COUPS DE FEU ET DES SALVES DE COUPS DE FEU ONT ETE TIRES, FAISANT UN CERTAIN NOMBRE DE VICTIMES ;

QU'AINSI, NE RESULTE PAS DE L'AUDITION DE CES TEMOINS, LA PREUVE QUE, COMME L'AVAIT AFFIRME LE PREVENU DANS LES PROPOS QUI LUI SONT REPROCHES, LES FORCES DE GENDARMERIE OU DE POLICE, PRESENTES AU LAMENTIN LE 24 MARS 1961 AU SOIR, AURAIENT COMMIS UN OU DES ASSASSINATS, AU SENS DES ARTICLES 295 ET SUIVANTS DU CODE PENAL, NI QUE DES ASSASSINATS Y AURAIENT ETE COMMIS "AU NOM DE L'ORDRE ET DE LA FORCE PUBLIQUE, OU AU NOM DE LA FRANCE" ;

QU'ILS N'ONT PAS DAVANTAGE ETABLI "QUE DES FRANCAIS FORMENT A LA MARTINIQUE UNE GESTAPO, AVEC TOUT CE QUE CE TERME IMPLIQUE" ;

ATTENDU QUE CES SEULS MOTIFS, ABSTRACTION FAITE DE CEUX AJOUTES PAR L'ARRET ATTAQUE ET QUI SONT SURABONDANTS, VOIRE MEME ERRONES, SUFFISENT A JUSTIFIER LA DECISION PAR LAQUELLE LES JUGES DU FOND ONT ESTIME QUE LE PREVENU N'A PAS RAPPORTE LA PREUVE QUI LUI INCOMBAIT ;

QU'EN EFFET, CELLE-CI POUR REPONDRE AUX EXIGENCES DE L'ARTICLE 35 PRECITE, DOIT ETRE COMPLETE ET ABSOLUE, ET CORRELATIVE AUX IMPUTATIONS DIFFAMATOIRES DANS TOUTE LEUR PORTEE ;

QUE TEL N'EST PAS LE CAS EN L'ESPECE ;

QU'AINSI LE MOYEN DOIT ETRE REJETE ;

ET ATTENDU QUE L'ARRET EST REGULIER EN LA FORME ;

REJETTE LE POURVOI PRESIDENT : M FRIOL, CONSEIL DOYEN, FAISANT FONCTIONS - RAPPORTEUR : M TURQUEY - AVOCAT GENERAL : M BOUCHERON - AVOCAT : M MAYER