Attendu, que suivant lettre du 16 mars 1961, Sansoube, propriétaire de l'entreprise France-Route a engagé Tournemaine pour diriger son agence de Bordeaux, avec un préavis réciproque de trois mois, moyennant un salaire mensuel de 1.900 NF, étant également stipulé qu'"après une période de mise en place efficace de son activité" il pourrait toucher les "primes en usage dans l'entreprise" mais que pendant une période de six mois, destinée à l'établissement du mouvement d'affaires, une prime mensuelle de 100 NF serait payée de toute façon ; qu'alors que Tournemaine avait pris ses fonctions le 1er juin 1961, Sansoube, alléguant la carence de son employé pour incapacité professionnelle, l'a brusquement licencié par lettre du 29 juin ; que Tournemaine a obtenu de la juridiction prud'homale la condamnation de son employeur au payement d'une indemnité compensatrice de congés payés, de la prime mensuelle de 10 NF, du préavis de trois mois, et de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail ;
Sur le premier moyen, pris de la violation et fausse application des articles 1134 du Code civil, articles 54 g et k du Livre II du Code du travail, ensemble violation de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810 pour défaut de motifs et de réponse aux conclusions, manque de base légale - en ce que pour condamner l'employeur à verser à son employé congédié une indemnité compensatrice de congés payés, la Cour a retenu que les quatre jours pendant lesquels ledit employé n'avait pas travaillé au cours du mois passé par lui au service de l'employeur, n'étaient pas des jours de congé et a calculé l'indemnité compensatrice d'une part sur la base du salaire et du complément de salaire qu'elle venait de déclarer exigible, d'autre part sur la base d'un mois de travail - alors que, d'une part, la Cour ne s'est pas expliquée sur le moyen tiré par l'employeur de la faute grave imputée à son employé, faute de nature à priver celui-ci de tout droit à l'indemnité compensatrice qu'il réclamait, et que d'autre part aucune indemnité compensatrice ne pouvait être allouée sans constater que l'employé avait travaillé pendant une période de quatre semaines ou vingt-quatre jours, son absence pour s'installer ne permettant pas d'assimiler à des journées de travail le temps ainsi utilisé pour des raisons de convenances personnelles ; Mais attendu d'une part que s'expliquant sur la carence de l'employé seule alléguée comme faute grave par l'employeur, l'arrêt confirmatif attaqué a relevé qu'il n'était justifié d'aucune faute de Tournemaine ; Attendu d'autre part que les juges du fonds constatent qu'à supposer que Tournemaine, comme le prétend l'employeur, ait consacré quatre journées du mois de juin à son déménagement et à son installation à Bordeaux, il n'a pas, ce faisant, pris les congés payés auxquels il était en droit de prétendre, qu'ainsi, alors qu'il n'était pas contesté que Tournemaine, agent de direction avait effectivement pris ses fonctions à Bordeaux le 1er juin 1961, les juges du fond ont donné une base légale à leur décision ; D'où il suit que le premier moyen n'est fondé dans aucune de ses branches ;
Sur les deuxième et troisième moyens réunis, pris de la violation et fausse application des articles 23 du Livre Ier du Code du travail, 1134 du Code civil, ensemble violation de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810, pour défaut de motifs, manque de base légale, dénaturation des conventions et des termes du litige, - en ce que, d'une part, pour condamner l'employeur à payer une indemnité de préavis, la Cour, après avoir relevé que celui-ci n'alléguait à la charge de l'intéressé aucun fait grave de nature à le priver du droit à préavis, s'est fondée sur ce que la période d'essai devant être stipulée, il n'était justifié d'aucun usage sur ce point et que les termes explicites du contrat prévoyaient sans distinction un préavis de trois mois, - alors que la preuve de l'existence d'une période d'essai ressortait des termes mêmes du contrat de travail conclu entre les parties, et que, lorsque l'existence d'une telle période résulte de l'usage, celui-ci ne peut être écarté que par la preuve formelle que les parties au contrat ont voulu déroger audit usage ; qu'en outre, la faute grave de l'employé avait été en réalité alléguée et qu'une offre de preuve avait été faite à cet égard, ce qui ne permettait pas à la Cour d'éluder l'argumentation soulevée par les conclusions d'appel ; -
en ce que, d'autre part, pour condamner l'employeur à payer des dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, la Cour retient que son employé supérieur a été congédié en raison de son inactivité, bien que sa compétence technique fût l'objet de certificats élogieux, et que l'employeur ne lui ait pas fourni le moyen de remplir ses fonctions malgré ses réclamations pertinentes, - alors qu'un employeur est seul juge du point de savoir si son employé lui donne satisfaction et de la manière dont il convient d'organiser les services de son entreprise, que les juges du fond ne peuvent sur ce point substituer leur appréciation à la sienne, et qu'en tous cas, des dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat ne peuvent être allouées à un employé qui ne fait pas la preuve de la malveillance de son employeur à son égard ou de la légèreté blâmable de celui-ci dans l'exercice de son droit de congédiement ;
Attendu d'une part, qu'appréciant les preuves produites et la commune intention des parties sans dénaturer une clause claire et précise de leur convention, les juges du fond ont estimé que celles-ci n'avaient pas convenu d'une période d'essai, dont l'existence ne résultait pas non plus d'un usage ; Attendu, d'autre part, que les juges du fond, appréciant la correspondance échangée par les parties depuis l'entrée en fonction de l'employé et les certificats de travail délivrés à Tournemaine par ses précédents employeur, ont relevé que Sansoube n'allégue aucun fait justifiant un brusque renvoi, que les griefs d'inactivité par suite d'insuffisance professionnelle invoqués à l'appui du licenciement sont fallacieux ; que, par d'intéressantes offres d'emploi, Sansoube a conduit Tournemaine à résilier ses fonctions chez son précédent employeur, puis l'a congédié, au motif d'inactivité alors, que par sa propre carence, il n'a pas fourni à son employé les moyens normaux de remplir ses fonctions de directeur d'agence ; Qu'en déduisant que l'employeur étant tenu de payer un préavis et qu'il devait être condamné à des dommages-intérêts, les juges du fond, auxsquels il appartenait d'apprécier l'utilité de l'offre de preuve, ont donné une base légale à leur décision ; PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 8 mai 1962 par la Cour d'appel de Bordeaux ; N° 62-40.775 Société France-Route c/ Tournemaine. Président : M. Verdier - Rapporteur : M. Baulet - Avocat général :
M. X... - Avocat : M. Lépany.