CASSATION sur le pourvoi formé par le Syndicat départemental CFTC des salariés des Industries chimiques et parachimiques, contre un arrêt du 3 juillet 1958 de la Cour d'appel de Riom qui a déclaré ledit syndicat irrecevable dans son action contre Puiseux, X..., Léger et Z... et contre la Société Manufacture française de Pneumatiques Michelin, Puiseux, X... et Cie, du chef d'entrave au fonctionnement d'un comité d'entreprise.
LA COUR,
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2 et 3 du Code d'instruction criminelle, violation des articles 2, 10 et 11 du livre III du Code du travail, 24 de l'ordonnance du 22 février 1945 et 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs et manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable l'action du syndicat demandeur aux motifs que l'intérêt en cause était limité à certains travailleurs d'une entreprise et non à l'ensemble de la profession et même aux intérêts collectifs que le syndicat représente ; que les comités d'établissements ou le comité central d'entreprise ont la possibilité de se constituer eux-mêmes parties civiles ou de demander au ministère public d'exercer des poursuites ; que les justifications du préjudice subi par la profession n'auraient pas été données ; alors d'une part, qu'un syndicat professionnel groupant certains membres d'une entreprise est habilité à se porter partie civile pour obtenir le respect des dispositions légales relatives à la protection ou à la représentation des salariés de cette entreprise et, spécialement, des dispositions relatives au fonctionnement des comités d'entreprise ou d'établissement ; alors, d'autre part, qu'en admettant que la loi du 22 février 1945 et le décret du 2 novembre 1945 aient conféré aux comités d'entreprise ou d'établissement une action collective leur permettant de poursuivre directement devant la juridiction correctionnelle les entraves qui pourraient être apportées à leur fonctionnement, ces dispositions n'ont pu avoir ni pour but ni pour résultat de restreindre l'exercice du droit d'agir en justice accordé aux syndicats professionnels par le Code du travail ; alors enfin, que le syndicat demandeur justifiait de l'existence du préjudice subi par la profession par l'existence même des entraves apportées au fonctionnement du comité d'établissement ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que les syndicats professionnels sont habilités par l'article 11 du livre III du Code de travail à exercer les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ;
Attendu que le syndicat demandeur avait cité directement les sieurs A..., X..., Y... et Z... à comparaître devant le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand sous la prévention d'avoir porté atteinte au fonctionnement du comité d'établissement de la Manufacture française des pneumatiques Michelin à Clermont-Ferrand ; que la citation énumérait vingt faits précis reprochés aux prévenus ;
Attendu que l'arrêt attaqué énonce que le comité en cause est un simple comité d'établissement, que les établissements Michelin possèdent d'autres usines et manufactures en France, qu'à Clermont-Ferrand même existent aussi d'autres usines de pneumatiques appartenant à d'autres firmes étrangères à Michelin, que l'intérêt en cause se limite tout au plus à certains travailleurs d'une entreprise déterminée et nullement à l'ensemble de la profession ni même aux intérêts collectifs que le syndicat représente ; qu'en ce qui concerne les intérêts particuliers à une entreprise les comités d'établissement ou le comité central ont la possibilité d'exercer des poursuites ou de porter plainte ; qu'en l'espèce plainte a été déposée par le comité d'établissement, puis abandonnée ; qu'enfin la citation ne donne pas les moindres justifications ou précisions sur l'existence d'un préjudice, chiffré arbitrairement à 1.000.000 de francs, qui serait subi par la profession représentée par son syndicat et qu'il conviendrait de réparer ;
Attendu qu'en déduisant de ces énonciations l'irrecevabilité de l'action du syndicat, les juges du fond ont méconnu le sens et la portée des textes visés au moyen ;
Qu'en effet les attributions conférées aux comités d'entreprise par l'article 2 de l'ordonnance du 22 février 1945 modifiée par la loi du 16 mai 1946 et par l'ordonnance du 26 février 1958 concernent notamment les conditions collectives de travail et de vie du personnel ainsi que la gestion ou le contrôle de toutes les oeuvres sociales établies dans l'entreprise au bénéfice des salariés ou de leurs familles ; qu'aux termes de l'article 21 de ladite ordonnance, les comités d'établissement, dont la composition et le fonctionnement sont identiques à ceux des comités d'entreprise, ont, dans le cadre de l'établissement, les mêmes attributions que ces derniers ; que ces attributions concernent bien l'intérêt collectif de la profession, même lorsqu'en fait l'activité d'un comité ne concerne qu'un nombre limité d'ouvriers ; que les syndicats professionnels ont donc qualité pour intervenir dans le cas d'entrave au fonctionnement d'un comité d'entreprise ou d'établissement, et ce indépendamment des actions pouvant être intentées éventuellement par ce comité lui-même ; que le fait d'apporter entrave au fonctionnement du comité, prévu et réprimé par l'article 24 de l'ordonnance précitée est en lui-même constitutif s'il est établi, du préjudice subi par l'ensemble de la profession et dont les syndicats professionnels ont qualité pour demander réparation ;
D'où il suit que le moyen doit être accueilli ;
Et attendu que si, aux termes de l'article 567 du Code de procédure pénale a partie civile ne peut se pourvoir que quant aux dispositions relatives à ses intérêts civils, cette restriction des effets de son pourvoi n'a lieu que lorsque la décision a statué au fond et non quand elle n'a jugé, comme en l'espèce, que sur la recevabilité de l'action par laquelle la partie civile a saisi le Tribunal tant de l'action publique que de l'action civile ; que par suite il échet que la juridiction de renvoi statue sur la prévention tant au point de vue pénal qu'au point de vue des intérêts civils ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé du 3 juillet 1958 de la Cour d'appel de Riom, et pour être à nouveau statué tant sur l'action publique que sur l'action civile, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Limoges.