ANNULATION, sur le pourvoi du Procureur général près la Cour d'appel de Caen, d'un Arrêt rendu, le 14 février 1881, par ladite cour, chambre correctionnelle, au profit du sieur Charles-André Y....
LA COUR,
Ouï M. le conseiller Dupré-Lasale, en son rapport, et M. l'avocat général Petiton, en ses conclusions ;
Vu le mémoire produit à l'appui du pourvoi par le procureur général près la cour d'appel de Caen ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 330 du Code pénal, en ce que l'arrêt attaqué aurait méconnu la publicité du fait incriminé, et se serait en outre fondé, pour prononcer le relaxe, sur l'absence de l'intention délictueuse d'offenser la pudeur publique :
Vu ledit article ;
Sur la première branche du moyen :
Attendu, en droit, que la disposition de l'article 330 du Code pénal, sur le caractère de publicité de l'outrage, l'énonce d'une manière générale et absolue , qu'elle se réfère conséquemment à tous les genres de publicité que l'outrage à la pudeur est susceptible d'avoir, soit par le lieu où il a été commis, soit par les autres circonstances dont il est accompagné ; d'où il suit que, même accompli dans un lieu privé, l'outrage à la pudeur est public, s'il a été aperçu ou a pu l'être par des tiers, à défaut de précautions suffisantes prises par son auteur pour le tenir secret ;
Attendu, en fait, qu'il est constaté par l'arrêt attaqué que l'acte immoral reproché à Y... s'est accompli dans une boulangerie dépendante de la maison du sieur
X...
, cultivateur ; que cette pièce est éclairée par une fenêtre à hauteur d'appui et donnant sur un herbage ; qu'en approchant son visage des vitres de cette croisée, le sieur X... a distingué ce qui se passait à l'intérieur ;
Attendu qu'il résulte de ces constatations que l'acte obscène perpétré dans la boulangerie par Y... pouvait être aperçu du dehors et qu'il l'a été par le sieur X... , que celui-ci avait le droit et le devoir de surveiller les personnes qu'il avait admises dans cette boulangerie ; que les autres habitants de la maison pouvaient exercer la même surveillance ; que Y... devait le prévoir ; qu'en ne prenant pas les précautions nécessaires pour dérober ses obscénités à tous les regards, il a commis un outrage public à la pudeur dans le sens de l'article 330 du Code pénal ; d'où il suit que l'arrêt attaqué, qui a décidé le contraire, a manifestement violé cette disposition ;
Sur la seconde branche du moyen :
Attendu que l'arrêt attaqué a déclaré qu'à raison de ce que la porte de la boulangerie était fermée et de ce que les carreaux de la fenêtre laissaient difficilement passer les regards, Y... avait pu se croire à l'abri d'une surprise, et que, dès lors, il n'avait pas agi avec l'intention délictueuse d'offenser la pudeur publique ;
Mais attendu que le but que s'est proposé le législateur, en édictant l'article 330 du Code pénal, serait presque toujours manqué si cette disposition ne devait être appliquée que lorsque l'auteur de l'outrage à la pudeur aurait eu l'intention de le rendre public ; que cette intention n'est pas une des conditions du délit ; qu'en effet la loi, pour protéger l'honnêté publique et empêcher le scandale, punit le vice, soit qu'il se montre avec effronterie, soit même qu'il néglige de se cacher ; que cette négligence suffit pour établir la culpabilité de l'agent parce qu'à elle seule elle révèle chez lui le mépris de la pudeur publique ; que le délit d'outrage public à la pudeur existe indépendamment de toute volonté d'affronter la publicité, par cela seul qu'on n'a pas fait tout ce qui était nécessaire pour l'éviter ; qu'en décidant le contraire, l'arrêt attaqué a, sous le second rapport, violé la disposition ci-dessus visée ;
Par ces motifs, CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Caen, chambre des appels correctionnels, du 14 avril 1881, qui a relaxé le nommé Charles-André Y..., et pour être statué à nouveau, conformément à la loi, renvoie la cause et le prévenu en l'état où il se trouve, devant la cour d'appel de Rouen, chambre des appels correctionnels, à ce déterminée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
Ordonne que le présent arrêt sera imprimé ; qu'il sera transcrit sur le registre de la Cour d'appel de Caen, et qu'il en sera fait mention en marge de la décision annulée.