La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/07/1844 | FRANCE | N°JURITEXT000006951557

France | France, Cour de cassation, Chambre civile, 30 juillet 1844, JURITEXT000006951557


ANNULATION, sur la demande du sieur Prosper X..., avoué, d'un arrêt rendu, par la Cour royale de Rouen, le 18 février 1842, au profit du sieur Y... et autres.

Du 30 juillet 1844.

NOTICE ET MOTIFS.

Le 13 avril 1838, le sieur Y..., avoué près la cour royale de Rouen, céda son office au sieur X..., avec ses recouvrements et quelques objets mobiliers.

Mais deux traités séparés furent souscrits. Par l'un, destiné à être soumis à l'autorité, le prix de l'office était porté à 85000 francs seulement, payables à diverses époques. Le second traité, qui

devait rester secret entre les parties, stipulait un excédent de prix d'une somme de 31500...

ANNULATION, sur la demande du sieur Prosper X..., avoué, d'un arrêt rendu, par la Cour royale de Rouen, le 18 février 1842, au profit du sieur Y... et autres.

Du 30 juillet 1844.

NOTICE ET MOTIFS.

Le 13 avril 1838, le sieur Y..., avoué près la cour royale de Rouen, céda son office au sieur X..., avec ses recouvrements et quelques objets mobiliers.

Mais deux traités séparés furent souscrits. Par l'un, destiné à être soumis à l'autorité, le prix de l'office était porté à 85000 francs seulement, payables à diverses époques. Le second traité, qui devait rester secret entre les parties, stipulait un excédent de prix d'une somme de 31500 francs, payable la veille de la prestation de serment du nouveau titulaire.

Le sieur X... fut en effet nommé avoué en remplacement du sieur Y....

Le 6 août 1838, il paya la somme de 31500 francs (c'était celle énoncée au traité secret) au sieur Z..., prédécesseur et ayant droit du sieur Y....

Ce payement semblait être l'exécution pleine et volontaire du traité secret : cependant X... a prétendu qu'il était imputable sur le prix du traité ostensible.

Le 23 janvier 1839, autre acte par lequel Chédeville se reconnaît débiteur, envers les sieurs A... et B..., d'une somme de 79000 francs, qu'il paraît compter à l'instant au sieur Y..., lequel, à son tour, passa quittance définitive du prix de l'office à X....

Les qualités de l'arrêt attaqué constatent que X... paya, pendant neuf mois, les intérêts du capital de 79000 francs prêté par les sieurs A... et B..., en sorte que l'exécution des deux traités du 13 avril 1838 semble avoir été entière.

Mais, le 22 janvier 1841, X... assigna devant le tribunal de Rouen, tant Y..., son vendeur, que les sieurs A... et B..., cessionnaires de celui-ci, pour voir dire, Y..., que, sans égard aux conventions particulières, le prix de l'office serait réduit et maintenu aux 85000 francs énoncés dans l'acte ostensible, si mieux n'aimait Y... le voir résilié ... etc., et les sieurs A... et B..., pour voir déclarer commun avec eux le jugement à intervenir.

Le 18 juillet 1841, jugement du tribunal qui déclare X... non recevable dans son action.

Sur l'appel, arrêt confirmatif de la cour royale de Rouen, intervenu le 18 février 1842.

Le principal motif de cet arrêt était qu'à la vérité le traité secret était infecté d'une nullité radicale et d'ordre public qui pouvait être opposée par les parties elles-mêmes : mais qu'ayant été pleinement exécuté par le payement volontaire de la somme stipulée, la répétition de la somme payée était interdite par l'article 1255 du Code civil, qui dispose que "la répétition n'est pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées".

X... s'est pourvu contre cet arrêt, pour violation des articles 6 et 1131 du Code civil, et fausse application de l'article 1235 du même code.

Son système a été accueilli par la Cour de cassation, à son audience du 30 juillet 1844.

L'arrêt qui suit fera suffisamment connaître les moyens du pourvoi et ceux de la défense.

Sur quoi, ouï, à l'audience, M. le conseiller Duplan, en son rapport ; Maître Fabre, avocat du demandeur, et Maître Ripault, avocat des défendeurs, dans leurs observations ; et M. de Boissieu, avocat général, en ses conclusions ; et après qu'il en a été délibéré en la chambre du conseil ;

Vu les articles 6, 1131, 1133, 1235 et 1376 du Code civil ;

Attendu que les offices ne sont pas une propriété dont les titulaires peuvent disposer à leur gré et d'une manière absolue ;

Attendu que leur transmission intéresse essentiellement l'ordre public ; qu'en effet, de ce que les titulaires sont institués pour avoir le privilège exclusif de faire les actes qui entrent dans leurs attributions, il importe à la société qu'ils présentent, non-seulement des garanties d'aptitude et de moralité, mais encore que l'exagération du prix des charges, en leur enlevant le moyen d'y trouver une honnête existence, ne les entraîne pas hors la ligne de leurs devoirs ;

Attendu que c'est dans ce but éminemment social que l'article 91 de la loi du 28 avril 1816, au lieu de reconnaître que les titulaires auraient la libre disposition des offices, ne leur a conféré que la faculté de présenter des successeurs à l'agrément du Roi ;

Attendu que l'agrément de l'autorité ne doit intervenir qu'en pleine connaissance, soit des qualités personnelles des successeurs présentés, soit des conditions de la transmission des offices, et principalement avec la certitude d'un prix fixe, qui ne peut être augmenté par des conventions clandestines ;

Qu'en un tel cas toute contre-lettre ou traité secret blesse ouvertement l'intérêt public, en ce qu'il lui enlève les garanties que la loi avait placées sous la vigilance du pouvoir, et que, dès lors, de tels actes doivent être classés dans le nombre de ces conventions particulières que l'article 6 du Code civil frappe d'une prohibition absolue, et qui, aux termes de l'article 1131 du même code, ne peuvent produire aucun effet, comme ayant une cause

illicite ;

Attendu que, s'il est vrai que les traités secrets, en matière de transmission d'office, ne peuvent produire l'obligation civile entre les contractants, il doit être également vrai qu'ils ne sauraient engendrer une obligation naturelle, dont la puissance serait de les soustraire à la prohibition de la loi ; que, pour admettre, en effet, que le payement volontairement fait en exécution d'une semblable obligation naturelle ne peut être répété, il faudrait nécessairement s'étayer de l'article 1235 du Code civil, c'est-à-dire, d'une disposition textuelle du droit civil, mais qu'alors on serait conduit à la choquante inconséquence de supposer que le droit civil, qui prohibe le contrat, se prêterait en même temps à en protéger l'exécution ;

Attendu qu'on objecterait en vain que, dans ce cas, ce n'est pas la convention illicite qui produirait effet, et que l'efficacité ne résulterait que du fait même du payement ; car le payement, considéré isolément de la convention, ne pourrait se rattacher à aucune obligation ni civile, ni naturelle ; par conséquent, serait sans cause licite ou illicite, et, comme tel, serait sujet à répétition ;

Qu'il faut donc reconnaître que le traité secret ayant pour objet la vente d'un office ne peut se soutenir par l'article 1235 du Code civil, sous le prétexte d'une obligation naturelle à laquelle l'ordre public résiste ouvertement, et qu'il ne peut pas davantage s'appuyer sur l'article 1338, qui, mais seulement en matière d'intérêt privé, couvre les vices d'un contrat par la ratification ou l'exécution volontaire ;

Et qu'alors encore il faut reconnaître que, par le payement d'un supplément de prix d'office stipulé dans un traité secret, les parties auxquelles il est interdit d'alléguer l'ignorance de la loi, surtout d'une loi prohibitive, tombent positivement sous l'application de l'article 1376 du Code civil, qui dispose que "celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu;"

Attendu, en conséquence de ce qui précède, que l'arrêt attaqué, qui, tout en reconnaissant que les traités secrets sur la vente d'un office sont frappés d'une nullité d'ordre public, a néanmoins repoussé la répétition des sommes payées volontairement par suite de leur exécution, a, en cela, faussement appliqué l'article 1235 du Code civil, et violé ouvertement les articles 6, 1131, 1133 et 1376 du même code ;

LA COUR casse et annule l'arrêt rendu entre les parties, le 18 février 1842, par la cour royale de Rouen ;

Jugé et prononcé, Chambre civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006951557
Date de la décision : 30/07/1844
Sens de l'arrêt : Annulation
Type d'affaire : Civile

Analyses

Les traités secrets ou contre-lettres, en matière de vente des offices, sont frappés d'une nullité d'ordre public ; comme tels, la cause en est illicite, et ils ne peuvent produire aucun effet, pas même une obligation naturelle, qui, aux termes de l'article 1235 du Code civil, interdirait la répétition des sommes payées par suite de leur exécution, et pourrait ainsi les soustraire à la prohibition absolue de la loi.


Références :

Code civil 6, 1131, 1133, 1235, 1376

Décision attaquée : Cour Royale de Rouen, 18 février 1842


Publications
Proposition de citation : Cass. Chambre civile, 30 jui. 1844, pourvoi n°JURITEXT000006951557, Bull. civ. N. 78 p. 242
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles N. 78 p. 242

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1844:JURITEXT000006951557
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award