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23/01/1832 | FRANCE | N°JURITEXT000006952081

France | France, Cour de cassation, Chambre civile, 23 janvier 1832, JURITEXT000006952081


ANNULATION, sur la demande du sieur X..., d'un arrêt rendu par la Cour royale de Bordeaux, le 20 Août 1828, au profit de la dame veuve La Roche.

Du 23 Janvier 1832.

NOTICE ET MOTIFS.

En vertu d'une procuration que son mari lui avait donnée, le 4 juillet 1791, en l'envoyant de Saint-Domingue en France avec ses deux filles, la dame Y... a marié la première au sieur La Roche, le 6 fructidor an 3, et la seconde au sieur X..., le 15 messidor an 9, en assignant à chacune d'elles, sur les biens de leur père, une rente de 2000 francs, au capital de 40000 francs, dont el

le ne put acquitter ni les arrérages, ni les capitaux, pour sûreté desqu...

ANNULATION, sur la demande du sieur X..., d'un arrêt rendu par la Cour royale de Bordeaux, le 20 Août 1828, au profit de la dame veuve La Roche.

Du 23 Janvier 1832.

NOTICE ET MOTIFS.

En vertu d'une procuration que son mari lui avait donnée, le 4 juillet 1791, en l'envoyant de Saint-Domingue en France avec ses deux filles, la dame Y... a marié la première au sieur La Roche, le 6 fructidor an 3, et la seconde au sieur X..., le 15 messidor an 9, en assignant à chacune d'elles, sur les biens de leur père, une rente de 2000 francs, au capital de 40000 francs, dont elle ne put acquitter ni les arrérages, ni les capitaux, pour sûreté desquels des inscriptions avaient été prises sur un domaine appelé Le Saillent.

Ce domaine, à défaut d'entretien et de réparations et de cheptels, se trouvant dans un mauvais état, la dame Y..., réduite par les malheurs de Saint-Domingue et de France, à ne pouvoir plus subsister avec ses deux filles, dont la première ayant fait divorce, avec le sieur La Roche, était revenue à sa charge, il leur fut conseillé de prendre un parti que la nécessité semblait justifier ; ce fut de faire prendre l'immeuble par les deux filles créancières, dont l'une, la dame La Roche, vendrait sa moitié au sieur X..., lequel, avec la moitié revenant à sa femme, pourrait revendre en détail, et avec le produit de ces ventes partielles, servirait à la dame Y... une rente alimentaire de 900 francs, paierait à la dame La Roche une rente de 900 francs au capital de 18000 francs, qui ne serait remboursable qu'aux enfants de ladite dame, et conserverait pareille somme pour la dame X..., son épouse.

Ces arrangements furent rédigés en acte, le 17 mars 1813, en vertu d'une procuration de la dame Y..., qui exigea la main-levée des inscriptions prises par la dame La Roche.

Dans cet acte, les deux filles ne prirent d'autre qualité que celle de créancières ; le montant de leurs créances dotales, en capital et intérêts, se trouvait supérieur de beaucoup à la valeur de l'immeuble dont elles s'emparaient pour se payer et en faire ressource. Il ne fut fait ni liquidation de communauté, ni liquidation de succession, ni masse, ni rapports, ni reprises, rien enfin de ce qui aurait pu faire considérer cet acte comme le partage de la succession d'un époux et d'un père vivant.

Sur la foi de cet acte, le sieur X... a payé à la mère et à la dame La Roche les sommes stipulées ; il a vendu, par parties, à divers acquéreurs, et il restait encore plusieurs objets à vendre lorsque le sieur Y... est revenu en France, n'ayant rien pu sauver de toute sa fortune en Amérique.

Le sieur X... s'empresse de lui rendre compte de ce qui avait été fait et de lui faire approuver ; ce qu'il a confirmé par plusieurs actes très-exprès ; et comme il avait lui-même des besoins pressants, il obtint du sieur X... de toucher une partie du prix de ce qui restait à vendre ; il concourut à ces ventes par une procuration ; même il fit lui seul une vente dont il toucha le prix du sieur Z....

Quatorze ans d'exécution et de possession avaient suivi cet acte de 1813, lorsque la dame La Roche s'avisa de faire au sieur Y..., son père, un commandement de lui payer la somme de 32000 francs pour seize années d'arrérages de sa rente dotale, et de dénoncer ce commandement aux tiers acquéreurs, avec sommation de payer ou de délaisser les parties de bien par eux possédées.

Ainsi troublés, ces tiers ne manquèrent pas de s'opposer à la poursuite et d'appeler en garantie tant le sieur X... que le sieur Y... qui avaient fait et confirmé ces ventes.

Ceux-ci se sont empressés de prendre fait et cause, comme garants formels des tiers-acquéreurs, et de combattre avec eux la prétention qui se décelait par la poursuite de la dame La Roche.

Cette prétention était de faire considérer l'acte du 17 mars 1813, comme infecté d'un vice originel qui rendait nuls tous les actes subséquents, et de telle manière que ni son propre concours à cet acte, ni la vente qu'elle y fait elle-même, ni les ratifications du père Y..., ni son concours aux dernières ventes, ne pussent réparer un tel vice et en empêcher les effets irritants.

Cette prétention fut combattue par toutes les parties et repoussée par le jugement du tribunal de première instance, du 14 mai 1828, qui déclare nulles les poursuites, et la dame La Roche non recevable dans sa demande en nullité de l'acte du 17 mars 1813.

Dans les motifs que le tribunal a donnés de sa décision, il a pris soin d'établir que cet acte de 1813 n'avait aucun des caractères du partage immoral entre enfants de la succession de leur père vivant encore.

Sur l'appel interjeté par la dame La Roche, est intervenu, le 20 août 1828, en la cour royale de Bordeaux, l'arrêt que le sieur X... dénonce comme ayant fait une fausse application des articles 791, 1130 et 1600 du Code civil, et violé les articles 1304, 1338, 2265 et 1134 du même code, en ce que, sans avoir égard à la possession plus que décennale de X... et des tiers-acquéreurs, possession avec bonne foi et titres émanés de la dame La Roche elle-même, approuvés et ratifiés par son père, la cour royale n'a voulu voir dans l'acte de 1813 qu'un partage, sinon de la succession de ce père vivant, au moins d'une partie considérable de ses biens, et sous ce prétexte une nullité absolue dans l'acte de 1813, nullité dont la conséquence devait entraîner par suite la condamnation des tiers-acquéreurs et de leurs garants, les sieurs X... et Y....

Le sieur X..., sur qui, comme seul solvable, devait retomber tout le poids des condamnations prononcées, s'est appliqué à démontrer la fausse application et la violation qu'il reproche à cet arrêt. Il a prétendu d'abord que l'exécution pendant quatorze ans, la possession plus que décennale avec titre et bonne foi, les approbations et ratifications données par le père Y..., étaient plus que suffisantes pour garantir les tiers-acquéreurs, sans qu'il fût besoin d'entrer dans la justification de l'acte de 1813.

Subsidiairement, il a soutenu qu'aux termes de l'article 1304 du Code civil, une action en nullité ne pouvait être admise après dix ans contre ces tiers-acquéreurs, et surtout être exercée par la dame La Roche.

Enfin il est allé jusqu'à dire que l'acte de 1813 n'était affecté d'aucune nullité ; que si, par cet acte, deux filles, créancières de leur père, avaient commis quelque irrégularité en se payant elles-mêmes sur son bien, sans un mandat spécial de lui, l'approbation qu'il avait ensuite expressément donnée, avait fait disparaître cette irrégularité ; que, de plus, cette ratification emportait avec elle la reconnaissance que la mère et les deux filles avaient agi conformément à ses intentions, et même au pouvoir général qu'il avait précédemment donné, lequel comprenait naturellement tout ce que la nécessité rendrait indispensable ; qu'aux termes de la loi ratio habiti mandato comparatur ; que, dès lors, il est censé avoir opéré lui-même, et cela avec d'autant plus de raison qu'il lui a été rendu compte de tout à son retour et donné satisfaction suffisante, par suite de laquelle il a vendu lui-même et touché tout ou partie du prix des dernières ventes ; qu'enfin l'acte de 1813 n'a, comme les premiers juges l'ont démontré, aucun des caractères du partage impie et immoral de la succession d'un père vivant.

De son côté, la dame La Roche a fait valoir les motifs de l'arrêt attaqué, prétendant que la nullité dont se trouvait infecté l'acte du 17 mars 1813 était absolue, c'est-à-dire, de telle nature que ni son propre concours à l'acte de 1813, ni les ratifications données par son père, ni la prise de fait et cause pour les tiers-acquéreurs, ni les dispositions des articles 1304, 1338 et 2265 ne pouvaient les mettre à l'abri des effets d'une telle nullité, quoique l'article 1304 du Code civil se soit servi de cette expression générale dans tous les cas, celui de la nullité absolue ne pouvant y être compris, question à la vérité controversée, mais que la jurisprudence a résolue en ce sens, que l'extinction de l'action en nullité, par dix ans, ne pouvait s'entendre que d'une nullité relative ; que la question se réduisait à savoir si la nullité de l'acte de 1813 était absolue comme partage des biens d'un père vivant, ou seulement relative comme disposition des biens d'un homme absent ; qu'en ce dernier cas, la nullité se couvrirait par la ratification, et l'action s'éteindrait par dix ans ; mais qu'au premier cas, rien ne pourrait couvrir le vice, et les tiers-acquéreurs ne pourraient opposer la prescription de dix ans que tout au plus à compter de la mort du père.

Sur ces moyens respectifs des parties, la Cour a rendu l'arrêt suivant ;

Ouï le rapport fait par M. le Conseiller Piet, membre de l'ordre de la Légion d'honneur, ; les observations de Dalloz, avocat du demandeur ; celle de Jouhaud, avocat de la défenderesse ; ensemble les conclusions de M. Joubert, premier avocat général, officier du même ordre, et après qu'il en a été délibéré en la chambre du conseil, le tout aux audiences du 11 de ce mois et de cejourd'hui ;

Vu l'article 1304 du Code civil ;

L'article 2265 dudit Code, qui fait acquérir la propriété par dix ans de possession, avec titre et bonne foi ;

L'article 1338, sur les effets de la ratification ;

Vu pareillement l'article 1134 dudit Code ;

Considérant que l'acte du 17 mars 1813 ne contient rien dans aucune de ses clauses, ni dans aucune de ses expressions, qui présente les caractères d'un partage, ou d'une vente de la succession future du sieur Y... ; qu'il n'est fait entre la dame Y... et ses filles, ni liquidation de la communauté, ni liquidation par suite de la succession du mari, ni masse ni rapports ; que les dames La Roche et X... n'y figurent nulle part à titre d'héritières, et n'y traitent, ni de la totalité, ni d'une quotité de la succession de leur père vivant ; que seulement, en qualité de créancières de leurs dots et des arrérages échus, elles disposent de l'immeuble du Saillant, hypothécairement affecté à leurs créances respectives, à l'effet d'assurer le paiement d'une partie d'icelles (l'immeuble étant insuffisant pour payer la totalité), et en même temps d'assurer aussi des aliments à leur mère ;

Que cette opération, et la vente faite, de suite par la dame La Roche, de sa portion au sieur X..., ayant été approuvées et ratifiées expressément par le sieur Y... père, à son retour, l'exécution qui avait eu lieu jusque là, a dû se continuer, et qu'elle s'est continuée avec le concours dudit sieur Y... qui lui-même a vendu seul, et a concouru à vendre, avec X..., une partie des objets restant encore à aliéner ;

Qu'aux termes de l'article 1304 du Code civil, la dame La Roche n'était pas recevable, après dix ans, à attaquer en nullité la vente faite par elle-même dans cet acte de 1813, au sieur X... qui y avait figuré ;

Qu'en annulant cet acte comme contenant partage ou vente d'une succession future, l'arrêt attaqué a dénaturé le caractère de cet acte, fait une fausse application des articles 791, 1130 et 1600 du Code civil et violé les articles ci-dessus dudit Code :

LA COUR casse et annule l'arrêt rendu par la cour royale de Bordeaux, le 20 août 1828 ; remet les parties au même et semblable état qu'elles étaient avant ledit arrêt ; et pour leur être fait droit, renvoie la cause et les parties devant la cour royale d'Agen ;

Fait et prononcé, Chambre civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006952081
Date de la décision : 23/01/1832
Sens de l'arrêt : Annulation
Type d'affaire : Civile

Références :

Code civil 1134
Code civil 1304
Code civil 1338
Code civil 2265

Décision attaquée : COUR ROYALE de Bordeaux, 20 août 1828


Publications
Proposition de citation : Cass. Chambre civile, 23 jan. 1832, pourvoi n°JURITEXT000006952081, Bull. civ. N. 7 p. 11
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles N. 7 p. 11

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1832:JURITEXT000006952081
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