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23/07/2024 | FRANCE | N°21/03265

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Chambre civile, 23 juillet 2024, 21/03265


COUR D'APPEL D'ORLÉANS



C H A M B R E C I V I L E



GROSSES + EXPÉDITIONS : le 23/07/2024

la SCP REFERENS

Me Estelle GARNIER





ARRÊT du : 23 JUILLET 2024



N° : - 24



N° RG 21/03265 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GPWA





DÉCISION ENTREPRISE : Jugement TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOURS en date du 07 Octobre 2021



PARTIES EN CAUSE



APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265265867509030



Monsieur [Z] [P]

né le [Date

naissance 3] 1958 à [Localité 8] (37)

[Adresse 15]

[Localité 8]



représenté par Me Michel ARNOULT de la SCP REFERENS, avocat au barreau de TOURS



Monsieur [H] [P]

né le [Date naissance 1] 1...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 23/07/2024

la SCP REFERENS

Me Estelle GARNIER

ARRÊT du : 23 JUILLET 2024

N° : - 24

N° RG 21/03265 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GPWA

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOURS en date du 07 Octobre 2021

PARTIES EN CAUSE

APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265265867509030

Monsieur [Z] [P]

né le [Date naissance 3] 1958 à [Localité 8] (37)

[Adresse 15]

[Localité 8]

représenté par Me Michel ARNOULT de la SCP REFERENS, avocat au barreau de TOURS

Monsieur [H] [P]

né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 8] (37)

[Adresse 14]

[Localité 5]

représenté par Me Michel ARNOULT de la SCP REFERENS, avocat au barreau de TOURS

Madame [B] [V] NÉE [P]

née le [Date naissance 4] 1963 à [Localité 8] (37)

[Adresse 6]

[Localité 9]

représentée par Me Michel ARNOULT de la SCP REFERENS, avocat au barreau de TOURS

E.A.R.L. [Adresse 15] Exploitation Agricole à Responsabilité Limitée immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de TOURS sous le numéro 437 560 808, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège ;

[Adresse 15]

[Adresse 15]

[Localité 8]

représentée par Me Michel ARNOULT de la SCP REFERENS, avocat au barreau de TOURS

D'UNE PART

INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265276854039042

Monsieur [M] [I]

né le [Date naissance 7] 1956 à [Localité 17] (18)

[Adresse 2]

[Localité 8]

ayant pour avocat postulant Me Estelle GARNIER, avocat au barreau d'ORLEANS

ayant eu pour avocat plaidant Me Stéphane RAIMBAULT de la SELARL SAINT CRICQ & ASSOCIES, avocat au barreau de TOURS

S.C.P. [M] [I] ET [T] [C] prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 2]

[Localité 8]

Non représentée, n'ayant pas constitué avocat

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 24 Décembre 2021.

ORDONNANCE DE DÉSISTEMENT PARTIEL d'appel à l'égard de la S.C.P. [M] [I] ET [T] [C] le 17.03.22

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 8 avril 2024

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l'audience publique du 10 Juin 2024 à 14h00, l'affaire a été plaidée devant Madame Anne-Lise COLLOMP, présidente de chambre et Monsieur Laurent SOUSA, conseiller, en charge du rapport, en l'absence d'opposition des parties ou de leurs représentants.

Lors du délibéré, au cours duquel Madame Anne-Lise COLLOMP, présidente de chambre et Monsieur Laurent SOUSA, conseiller, ont rendu compte des débats à la collégialité, la Cour était composée de:

Madame Anne-Lise COLLOMP, Présidente de chambre,

Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,

Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

GREFFIER :

Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.

ARRÊT :

Prononcé publiquement le 23 juillet 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant acte authentique en date du 1er juin 1996, M. et Mme [P] en qualité d'usufruitiers, et leurs trois enfants, [H], [Z] et [B] [P], en qualité de nu-propriétaires, ont donné à bail rural à M. [D] diverses parcelles de terre et de vigne ainsi que des bâtiments d'habitation et d'exploitation répartis sur les communes de [Localité 13], [Localité 11], [Localité 10] et [Localité 12] pour une contenance totale de 43 ha, 80 a et 91 ca.

Après plusieurs renouvellements du bail, les consorts [P] ont fait délivrer à M. [D], le 31 janvier 2012 par acte de Maître [I], huissier de justice à [Localité 8], un congé aux fins de non renouvellement du bail, pour motifs de reprise au profit d'un descendant, M. [Z] [P], et pour défaut de moyens d'exploitation personnelle du fonds loué. Toutefois, l'acte délivré à M. [D] portait la date du 31 janvier 2011, que l'huissier a rectifié sur le second original remis aux consorts [P].

Ce congé devait prendre effet au :

- 31 décembre 2013 à minuit pour les parcelles de vignes,

- 30 septembre 2014 à minuit pour les bâtiments d'habitation,

- 31 octobre 2014 à minuit pour les bâtiments d'exploitation et les parcelles de terre.

M. [D] a entendu vouloir se maintenir dans les lieux en alléguant l'irrégularité du congé et a diligenté une procédure d'inscription de faux concernant l'exploit d'huissier de Maître [I] et une procédure devant le tribunal paritaire des baux ruraux.

Par jugement du 4 décembre 2014, le tribunal de grande instance de Tours a donné acte aux consorts [P] de ce qu'ils n'entendaient pas se prévaloir du congé délivré le 31 janvier 2011 et a constaté le renouvellement du bail à ferme.

Par acte d'huissier de justice du 23 juin 2014, les consorts [P] ont fait délivrer un nouveau congé à M. [D] fondé sur l'âge de la retraite du preneur, avec les dates d'effet suivantes :

- 31 décembre 2016 à minuit pour les parcelles de vignes,

- 30 septembre 2017 à minuit pour les bâtiments d'habitation,

- 31 octobre 2017 à minuit pour les bâtiments d'exploitation et les parcelles de terre.

M. [D] a contesté la validité de ce congé devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Tours qui l'a jugé valable par jugement du 3 mai 2016 et a rejeté la demande de cession de bail formée par M. [Y] [D] au profit de

son fils [O] [D]. M. [Y] [D] a interjeté appel et par arrêt du 5 février 2018, la cour d'appel d'Orléans a confirmé le jugement quant à la validité du congé et l'a infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de cession de bail.

Par arrêt du 11 juillet 2019, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans en ce qu'il a autorisé M. [D] à céder à son fils, M. [O] [D], le bail consenti par acte du 1er juin 1996, et renvoyé les parties devant la cour d'appel d'Angers. Par arrêt du 2 novembre 2021, la cour d'appel d'Angers a confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande d'autorisation de cession du bail de M. [Y] [D] au profit de son fils M. [O] [D].

Par acte d'huissier en date du 6 juillet 2015, les consorts [P] ont fait assigner Maître [I] devant le Tribunal de Grande Instance de Tours a'n d'obtenir la réparation du préjudice subi du fait de l'erreur de date sur le congé.

Par jugement en date du 14 décembre 2017, le tribunal de grande instance de Tours a constaté les interventions volontaires de la SCP [I]-[C] et de l'EARL [Adresse 15], condamné M. [I] à indemniser le préjudice matériel subi par les consorts [P] et le préjudice résultant du travail effectué en pure perte par M. [Z] [P] dans les vignes en février 2014 et avant dire droit, a désigné un expert aux fins d'évaluer le préjudice économique subi par M. [Z] [P].

Par acte d'huissier de justice en date du 26 mars 2018, M. [Y] [D] a fait signifier aux consorts [P] la cession du bail à son fils M. [O] [D]

Par arrêté du ministère de la justice du 19 juin 2018, la dissolution de la SCP [M] [I] et [T] [C] a été prononcée.

L'expert judiciaire, Mme [X], a déposé son rapport définitif le 12 mars 2020.

Par jugement en date du 7 octobre 2021, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Tours a :

- constate que la SCP [M] [I] et [T] [C] a fait l'objet d'une dissolution par arrêté du 19 juin 2018 ;

- rejeté la demande de contre-expertise ;

- condamné M. [M] [I] à payer à M. [Z] [P] la somme de 97 815 euros en indemnisation du préjudice économique résultant de la perte d'exploitation ;

- débouté M. [Z] [P] du surplus de ses demandes en indemnisation ;

- condamné M. [M] [I] à payer à Mme [B] [P] épouse [V], M. [H] [P] et M. [Z] [P] la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [M] [I] aux dépens comprenant les frais d'expertise ;

- accordé à Maître [Y] [S] le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration en date du 24 décembre 2021, les consorts [P] et l'EARL [Adresse 15] ont interjeté appel du jugement en ce qu'il a : rejeté la demande de contre-expertise ; condamné M. [M] [I] à payer à M. [Z] [P] la somme de 97 815 euros en indemnisation du préjudice économique résultant de la perte d'exploitation ; débouté M. [Z] [P] du surplus de ses demandes en indemnisation ;

Par conclusions du 14 février 2022, les appelants ont demandé à la cour de constater leur désistement partiel à l'égard de la SCP [M] [I] et [T] [C].

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 10 mars 2022, les consorts [P] et l'EARL [Adresse 15] demandent à la cour de :

- les dire et juger recevables et bien fondés en l'ensemble de leurs demandes ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a : constaté la dissolution de la SCP [I]-[C] ; condamné M. [M] [I] au paiement de la somme de 4 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; condamné M. [M] [I] aux entiers dépens de première instance ;

- l'infirmer en ce qu'il a débouté M. [Z] [P] de sa demande de contre-expertise et du surplus de ses demandes indemnitaires ;

Statuant à nouveau,

- ordonner une contre-expertise confiée à tel expert qu'il plaira à la cour avec la mission de :

Se faire communiquer tous documents, bilans, déclaration fiscale et avis d'imposition utiles à l'accomplissement de sa mission, et notamment les analyses effectuées par M. [Z] [P] certifiées cohérentes par l'association AS CEFIGA 37, objets des pièces 18 et 19 des appelants ;

Donner son avis sur la rentabilité des parcelles de vigne et des parcelles de terre que M. [Z] [P] aurait dû reprendre à compter du :

- 31 décembre 2013 à minuit pour les parcelles de vigne,

- 30 septembre 2014 à minuit pour les bâtiments d'habitation,

- 31 octobre 2014 à minuit pour les bâtiments d'exploitation et les parcelles de terre.

Fournir tous renseignements utiles permettant à la juridiction de calculer le préjudice économique subi par M. [Z] [P], du fait de la perte d'exploitation, celui-ci n'ayant pu reprendre ses terres qu'à compter du 31 décembre 2019 pour l'ensemble des biens ;

Préciser si les calculs effectués dans les analyses objets des pièces 18 et 19 peuvent être considérés comme cohérents et dans la négative, expliquer pourquoi ;

Fournir à la cour tous éléments de nature à lui permettre d'appréhender le préjudice économique de M. [Z] [P] ;

Subsidiairement,

Sur la base d'un préjudice subi jusqu'au 31 décembre 2019 :

- dire et juger que la période d'indemnisation s'étend du 31 décembre 2013 au 31 décembre 2019, toute catégorie de biens confondus ;

- fixer à la somme de 365 821 € le préjudice subi par M. [Z] [P] et subsidiairement à la somme de 323 329 € ;

- condamner Maître [M] [I] à payer à M. [Z] [P], en deniers et quittances, la somme 365 821 € et subsidiairement à la somme de 323 329 € à titre de dommages et intérêts ;

Sur la base d'un préjudice subi jusqu'à la date d'effet du second congé selon les catégories de biens :

- fixer à la somme de 189 570 € le préjudice subi par M. [Z] [P] et subsidiairement à la somme de 168 324 € ;

- condamner Maître [M] [I] à payer à M. [Z] [P], en deniers et quittance, la somme 189 570 € et subsidiairement à la somme de 168 324 € à titre de dommages et intérêts ;

En toute hypothèse,

- débouter Maître [M] [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner Maître [M] [I] à payer à Mme [B] [V], M. [Z] [P] et M. [H] [P] ensemble la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Maître [M] [I] aux entiers dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais d'expertise, dont distraction au profit de Maître [S], membre de la SCP Referens, avocat aux offres de droit, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 31 mai 2022, M. [I] demande à la cour de :

- débouter Mme [B] [P] épouse [V], M. [H] [P], M. [Z] [P] et l'EARL [Adresse 15] de leur appel ;

- en conséquence, confirmer purement et simplement la décision du 7 octobre 2021 ;

- constater que l'exécution provisoire a été strictement respectée au regard des sommes versées ensuite de l'exécution de la décision de première instance ;

- déclarer irrecevables toutes prétentions plus amples ou contraires aux présentes, à tout le moins, débouter les appelants de leurs demandes de contre-expertise comme apparaissant totalement injustifiée ;

- débouter les appelants de leurs demandes de revalorisation des postes de préjudices comme étant non fondées et non justifiées ;

En tout état de cause,

- condamner in solidum Mme [B] [P] épouse [V], M. [H] [P], M. [Z] [P] et l'EARL [Adresse 15] à lui payer la somme de 10 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel ;

- accorder à Me Garnier le droit prévu à l'article 699 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

Sur le désistement partiel d'appel

Il convient de constater le désistement partiel des appelants à l'égard de la SCP [M] [I] et [T] [C], qui est parfait.

Sur la demande de contre-expertise

Moyens des parties

Les appelants soutiennent que l'expert judiciaire a commis de nombreuses omissions et insuffisances dans son rapport définitif qui justifient pleinement leur demande de contre-expertise ; que l'expert judiciaire a recherché des références de rendements pouvant s'appliquer aux parcelles litigieuses ; que l'expert judiciaire a pris comme référence les chiffres des Douanes concernant la période de 2012 à 2016 ; que ces années ne correspondent pas exactement à la période d'indemnisation à retenir, du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2019, et les années 2012 et 2013 n'ont pas à être intégrées dans la moyenne puisqu'elles sont antérieures à la date du préjudice ; que le rendement moyen pour les années 2014 à 2019 s'établit à 47,24 hl/ha au lieu de 42,5 hl/ha est établie à partir des chiffres des années 2012 à 2016 ; que sur ce rendement moyen, il n'y a pas lieu de procéder à un abattement en considération du fait que l'exploitation se fera en viticulture biologique contrairement à ce que retient l'expert judiciaire, car le rendement dépend exclusivement de la capacité technique de l'exploitant et des aléas climatiques, et non du mode de culture ; que l'EARL [Adresse 15] qui exploite en bio les parcelles en AOC [Localité 8] a atteint pour la récolte 2018/2019 le rendement maximum autorisé par le cahier des charges de l'appellation, soit 55 hl/ha ; que pour pratiquer un abattement, malgré l'absence d'informations, l'expert est allé chercher des références dans une autre région, bien différente, la Gironde, dont les territoires sont différents de sorte qu'aucune comparaison pertinente ne peut être retenue ; que s'agissant des recettes, l'expert a fait preuve d'une totale incohérence ; qu'à partir de la comptabilité de l'EARL, l'expert détermine le prix de vente à 4,45 € HT, soit 5,34 € TTC, puis retient un prix inférieur, de 4,16 € HT soit 5 € TTC, qui était

le prix allégué par M. [Z] [P] ; qu'en considérant qu'elle ne pouvait pas retenir un prix supérieur à ce qui avait été proposé par M. [Z] [P], l'expert judiciaire s'est créé une limite qui est en contradiction avec le principe et l'intérêt d'une mesure d'expertise judiciaire ; qu'en outre le prix proposé de 5 € TTC correspond aux prix de 2015, alors que depuis cette date les prix ont évolué ; qu'un prix actualisé de 6 € TTC parait tout à fait justifié dans ces circonstances ; que l'expert a totalement négligé de prendre en compte dans les recettes l'aide à la conversion à l'agriculture biologique qui est versée aux exploitants souhaitant opérer cette conversion et à laquelle M. [Z] [P] peut évidemment prétendre ; que dès lors qu'il est admis que M. [Z] [P] reprend l'exploitation en agriculture biologique, et que cet élément est pris en compte par l'expert à titre de facteur de minoration des rendements, il faut intégrer dans le calcul tous les éléments relatifs à cette agriculture, d'une part en retenant le prix de vente correspondant et d'autre part en intégrant l'aide à la conversion ; que parmi les différentes dépenses à prendre en considération pour déterminer la perte d'exploitation, figure le fermage pour lequel l'intimé considère qu'il faudrait reprendre le montant payé par le précédent locataire, M. [D] ; qu'en revanche, ils considèrent pour leur part que le fermage devrait être nouvellement fixé, en conformité avec l'arrêté préfectoral en vigueur puisqu'il s'agit d'un nouveau bail, et cela est d'autant plus justifié que le précédent fermage avait été fixé par référence à l'AOC Touraine, alors que les vignes ne correspondent pas à cette appellation puisqu'il s'agit de vignes en IGP Val de Loire ; que le fermage doit être fixé conformément à l'arrêté préfectoral, par référence à la production effectivement réalisée, et il convient en conséquence de retenir le calcul effectué par l'expert judiciaire sur la base du prix des vins IGP, soit 607 € par an ; qu'ils ne critiquent pas davantage les calculs effectués par l'expert s'agissant des différents coûts à prendre en compte pour déterminer la perte d'exploitation et il convient donc de les confirmer tout en les adaptant, pour certains, au nombre de bouteilles à retenir ; que s'agissant des recettes annuelles, l'expert a retenu pour le blé un prix de 140 €/tonne, sans fournir les statistiques à partir desquelles elle a déterminé ce prix ; que M. [Z] [P] propose de retenir un prix de 160 €/tonne qui parait davantage justifié, ce d'autant que les terres étant d'un bon potentiel agronomique, le blé est souvent mieux payé ; que s'agissant des dépenses, pour déterminer le coût à l'hectare des travaux à façon, l'expert judiciaire a cru devoir exclure de la surface totale exploitée par l'EARL [Adresse 15], la surface déclarée en jachère, ce qui conduit nécessairement à majorer artificiellement le coût à l'hectare des travaux ; que M. [K] a confirmé réaliser tous les travaux sur les parcelles, incluant l'entretien des jachères ; que dès lors que la facturation concerne l'intégralité de la surface exploitée, soit 62 ha 36 a, le coût à l'hectare s'élève non pas à 400 €/HT mais 355 €/HT ; que la preuve de la réalité des charges opérationnelles est impossible à rapporter puisque M. [Z] [P] n'a pas exploité les parcelles ; qu'en revanche, il a été produit devant l'expert puis devant le tribunal judiciaire les preuves du coût à l'hectare des travaux réalisés par l'entrepreneur habituel de M. [Z] [P] établissant un coût de 355 €/ha qui correspond au coût qui aurait été celui de la réalisation

des travaux de culture sur les parcelles de terre si l'huissier de justice n'avait pas commis de faute et si M. [Z] [P] avait pu reprendre l'exploitation des parcelles à la suite du premier congé ; que pour les 5 années culturales non exploitées, il en résulte un préjudice de 66 595 € et subsidiairement sur 3 années de 39 957 € ; que l'expert avait pour mission de fournir au tribunal tous les renseignements utiles permettant de chiffrer le préjudice résultant de l'absence d'exploitation des bâtiments d'habitation et d'exploitation ; qu'en indiquant que ni M. [Z] [P] ni les consorts [P] n'avaient subi un préjudice en raison de l'inexploitation des bâtiments d'habitation et d'exploitation, l'expert judiciaire a dépassé sa mission ; que le refus de M. [Z] [P] de visiter les lieux ne saurait être interprété par l'expert judiciaire comme un aveu de non-utilisation des bâtiments ou de l'absence de préjudice subi sur ces biens ; que l'expert a écarté toute location de la maison d'habitation sans la moindre justification, alors que M. [Z] [P] habitant à proximité des terres, il demeurait libre de sous-louer les bâtiments d'habitation, avec l'accord de ses frères et s'urs, co-bailleurs de sorte que le préjudice est bel et bien existant ; que compte tenu des nombreuses inexactitudes et incohérences de l'expert judiciaire, tant factuelles que juridiques, ainsi que ses omissions sur des éléments de sa mission, ils sont bien fondés à demander d'ordonner une contre-expertise.

L'intimé réplique que l'expertise a été parfaitement réalisée par l'expert judiciaire désigné en première instance ; qu'aucun moyen ne permet de remettre en cause cette expertise parfaitement valide, et qu'en toute hypothèse les arguments développés par M. [Z] [P] prétendant que son expert comptable pourrait valoriser d'une façon différente, ne sauraient être retenus comme étant suffisants et de nature à remettre en cause une expertise judiciaire ; qu'en effet, l'expert comptable des appelants et en particulier de M. [Z] [P] ne saurait s'improviser expert judiciaire et bien entendu, compte-tenu du lien de proximité avec les appelants cette valorisation au titre des postes de préjudice ne peut être retenue par la cour ne serait-ce que pour remettre en cause le rapport d'expertise ; que dès lors, la cour ne pourra que confirmer la motivation parfaitement précise et tout à fait justi'ée de la décision de première instance qui avait décidé de rejeter purement et simplement la demande de contre-expertise ; qu'aucune critique ne peut être formulée à l°encontre de l'expert judiciaire sur les périodes d'indemnisation alors qu'elle n'a fait que s'en tenir à l'exécution de la mission qui avait été très précisément définie par le jugement du 14 décembre 2017 ; qu'il appartenait à M. [Z] [P], pour le cas où il souhaitait que la mission soit modifiée de saisir le juge en charge du contrôle des opérations d°expertise, afin qu'un débat contradictoire puisse s'instaurer sur ce sujet ; que M. [Z] [P] ne peut tenter de pallier sa carence en remettant en cause les diligences de Mme [X] ; que la mission décidée par le tribunal procédait des prétentions exposées par M. [Z] [P] au titre de son préjudice économique qui a lui-même

fixé la limite chronologique de la production de ce préjudice et a accepté le jugement qui est devenu définitif ; que dorénavant M. [Z] [P] soutient qu'il n'a pas pu reprendre l'exploitation des biens à la date prévue par le second congé, mais cela est totalement inopérant puisque cela ne découle pas du manquement retenu par le précédent jugement à son encontre ; que M. [Z] [P] ne peut soutenir que ces contestations survenues à la suite du second congé constitueraient un élément nouveau au regard de la fixation du préjudice découlant du premier ; que le 3 mai 2016, le tribunal paritaire des baux ruraux de Tours avait, avant même la date d'effet du congé et a fortiori du précédent jugement de ce tribunal, déclaré inopposable la cession effectuée par M. [D] ; que la cour d'appel d'Orléans a infirmé ce jugement par arrêt du 5 février 2018 ; qu'en l'état, l'arrêt de la Cour de cassation a cassé celui de la cour d'appel d'Orléans en date du 5 février 2018 validant dès lors le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux en date du 3 mai 2016 ; que cela démontre qu'à défaut de l'aléa inhérent à toute procédure judiciaire le second congé était bien à même de produire ses effets à la date retenue par le précédent jugement de ce tribunal du 14 décembre 2017 ; qu'il ne peut être tenu responsable de cet aléa judiciaire, étant observé qu'à ce jour la cour d'appel d'Angers, cour de renvoi, n'a toujours pas statué à la suite de l'arrêt de cassation ; que la cour ne pourra que confirmer purement et simplement la décision entreprise et débouter les appelants de leur demande de contre-expertise.

Réponse de la cour

Par jugement en date du 14 décembre 2017, le tribunal a notamment :

« Avant dire droit sur le préjudice économique subi par Monsieur [Z] [P] du fait de la perte d'exploitation sur 3 années :

- ordonner une expertise et commet pour y procéder : [X] [E] (1979) [...]

Avec pour mission :

- Se faire communiquer tous documents, bilans, déclaration fiscales et avis d'imposition utiles à l'accomplissement de sa mission, et notamment les analyses effectuées par Monsieur [Z] [P] certifiées cohérentes par l'association AS CEFIGA 37, objets des pièces 18 et 19 des demandeurs,

- Donner son avis sur la rentabilité des parcelles de vigne et des parcelles de terre que Monsieur [Z] [P] aurait dû reprendre à compter du

- 31 décembre 2013 à minuit pour les parcelles de vigne,

- 30 septembre 2014 à minuit pour les bâtiments d'habitation,

- 31 octobre 2014 à minuit pour les bâtiments d'exploitation et les parcelles de terre.

- Fournir tous renseignements utiles permettant à la juridiction de calculer le préjudice économique subi par Monsieur [Z] [P], du fait de la perte d'exploitation, celui-ci n'ayant pu reprendre ses terres qu'à compter du

- 31 décembre 2016 à minuit pour les parcelles de vignes,

- 30 septembre 2017 à minuit pour les bâtiments d'habitation,

- 31 octobre 2017 à minuit pour les bâtiments d'exploitation et les parcelles de terre,

- Préciser si les calculs effectués dans les analyses objets des pièces 18 et 19 peuvent être considérés comme cohérents et dans la négative, expliquer pourquoi.

- Fournir au tribunal tous éléments de nature à lui permettre d'appréhender le préjudice économique de Monsieur [Z] [P] ».

Les appelants critiquent le rapport d'expertise déposé et sollicitent une contre-expertise portant sur les mêmes chefs de mission, sauf à ce que la période du préjudice économique allégué soit étendue jusqu'au 31 décembre 2019.

Il y a lieu de relever que le jugement du 14 décembre 2017 ayant désigné Mme [X] en qualité d'expert judiciaire, avait ordonné une expertise sur le préjudice économique subi par M. [Z] [P] du fait de la perte d'exploitation sur 3 années, soit de 2014 à 2017, de sorte que l'expert judiciaire ne pouvait pas, en l'absence de décision judiciaire étendant sa mission, évaluer le préjudice économique pour la période postérieure à 2017.

Il résulte du rapport d'expertise déposé le 12 mars 2020 que l'expert judiciaire a répondu à tous les chefs de la mission qui lui avait été confiée par le tribunal, y compris sur la perte d'exploitation des bâtiments d'habitation et des bâtiments d'exploitation.

En effet, l'expert a indiqué sur ce point :

« Maître [S] (dire du 8 janvier 2020) estime que le préjudice économique doit également être calculé pour la perte des bâtiments sur la durée de la période d'indemnisation, sur la base de leur valeur locative, en bail d'habitation puisque ces bâtiments étaient censés être libres.

On observe :

- Lors de la réunion d'expertise, Monsieur [P] a indiqué que le siège de son exploitation resterait à [Localité 16].

- En outre, lors de la réunion d'expertise, Monsieur [P] a demandé que nous ne visitions pas les bâtiments et même que nous ne nous rendions pas sur place pour les observer de l'extérieur.

- Les conclusions et les dires de Maître [S] indiquent que Monsieur [P] n'aurait pas besoin d'acquérir du matériel nouveau, que son employé se déplacerait sur les vignes litigieuses et que les travaux des terres seraient faits par entreprise.

- Le congé a été donné à Monsieur [D] pour reprise au profit d'un descendant, notamment. Tout indique que les bâtiments repris seraient loués par bail rural. Rien n'indique que les bâtiments seraient loués par bail d'habitation.

- Cette perte d'exploitation est évoquée pour la première fois en janvier 2020 sans toutefois être chiffrée.

En conclusion, nous estimons que ni Monsieur [Z] [P] ni les consorts [P] n'ont subi, à notre avis, de préjudice en raison de l'inexploitation des bâtiments d'habitation et d'exploitation ».

Quand bien même les appelants sont en désaccord avec la réponse de l'expert, celui-ci a bien fourni des éléments sur le préjudice subi au titre de la perte d'exploitation des bâtiments d'habitation et d'exploitation, étant précisé que la juridiction n'est pas tenue par les conclusions de l'expert judiciaire.

S'agissant du calcul du rendement moyen, les appelants ne démontrent aucune carence ou insuffisance du rapport d'expertise judiciaire, la période définie dans la mission d'expertise ne permettant pas à l'expert de prendre en compte des données postérieures au 31 décembre 2017, outre le fait que l'expert ne peut être critiqué pour avoir calculé un rendement moyen sur plusieurs années y compris antérieures à la période visée dans la mission d'expertise, dès lors que le rendement est variable selon les années de sorte que l'établissement d'une moyenne permet de lisser ces fluctuations pour les besoins de calcul du préjudice économique.

Concernant l'abattement pratiqué sur le rendement en agriculture biologique, il convient de constater que l'expert judiciaire a intégralement répondu au dire des consorts [P] qui soutenaient que l'agriculture biologique n'est pas source de diminution du rendement. La seule insatisfaction d'une partie sur les conclusions de l'expert qui a en outre répondu à l'ensemble des dires d'une partie, ne peut conduire à considérer qu'il existe une insuffisance du rapport d'expertise qui justifierait le prononcé d'une contre-expertise.

Si l'expert a retenu un prix de vente d'une bouteille de vin à 5 euros TTC, après avoir évoqué un prix de vente de 5,34 euros TTC, il convient de relever que ce prix de vente de 5 euros correspond à la demande des consorts [P] au cours des opérations d'expertise, ainsi relatées par l'expert judiciaire :

« - Prix de vente 5 € TTC/bouteille soit 4,17 € HT/bouteille

- Le [Adresse 15] dispose d'un réseau commercial performant qui aurait bénéficié aux vins IGP de [Localité 13], qui s'adresse aujourd'hui uniquement aux CHR (Cavistes, Hôtellerie, Restauration), particuliers et export.

- Les statistiques comptables du [Adresse 15] réalisées entre le 1°' janvier 2017 et le 30 septembre 2018 font ressortir un prix de vente moyen de 5,57 € HT avec un vin de catégorie inférieure (pièce n°57).

- Le prix de 5 € TTC/ bouteille ou 4,17 € HT ne pose aucun problème pour ce domaine réputé ».

Lors d'un dire, les consorts [P] ont expliqué : « Le [Adresse 15] projette le prix de vente des bouteilles produites à partir des vignes litigieuses à 5 € TTC/bouteille. Monsieur [P] produit des factures de l'année 2018 pour prouver qu'il vend dans son domaine les bouteilles de « Fines bulles de tendresse rosé - 75 cl, Vin de France » à 8 € TTC/bouteille ou 6,66 € HT/bouteille. Il fournit cependant un extrait de sa comptabilité montrant le chiffre d'affaires total du 1er 'janvier 2017 au 30 septembre 2018 pour ce vin, au prix moyen de 5,57 € HT/bouteille soit 6,69 € TTC/bouteille ».

L'expert judiciaire a répondu à ce dire en expliquant notamment que les factures de l'année 2018 ne pouvaient pas être retenues, car elles sont postérieures à la période examinée lors des opérations d'expertise, et que les vins « à bulles » tels que les « Fines bulles de tendresse rosé » se vendent un peu plus cher que les vins « tranquilles ». Il n'existe donc aucune insuffisance du rapport d'expertise sur ce point.

Les appelants allèguent que l'expert n'a pas tenu compte des aides à la conversion en agriculture biologique dans les recettes, alors qu'il ne résulte également pas du rapport d'expertise que ce point ait été évoqué par les parties. Il ne peut donc en être déduit une insuffisance du rapport d'expertise sur un point que les parties étaient à même d'évoquer durant les opérations d'expertise et pour lequel les appelants ont fait le choix de ne rien dire devant l'expert pour le soulever devant le tribunal et la cour.

Pour fixe le prix du blé à 140 euros par tonne, l'expert judiciaire a indiqué qu'elle ne connaissait pas les prix moyens de vente de l'exploitation actuelle de M. [Z] [P], qui avançait le prix de 180 euros par tonne sans communiquer les prix de vente obtenus, outre le fait que le prix de 180 euros par tonne semblait très élevé. Le prix du blé a donc été fixé au regard des éléments dont l'expert judiciaire était en possession de sorte qu'il n'existe aucune insuffisance du rapport d'expertise sur ce point.

S'agissant du calcul du coût de travail à hauteur de 355 euros par hectare, l'expert judiciaire a parfaitement répondu au dire des consorts [P] qui demandaient de retenir 400 euros par hectare, et la seule insatisfaction quant à la réponse apportée par l'expert judiciaire ne peut caractériser une insuffisance du rapport d'expertise.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le rapport d'expertise établi par Mme [X] est de nature à éclairer la juridiction sur le préjudice économique subi par M. [Z] [P], étant précisé que la juridiction ne saurait prononcer une contre-expertise dès lors que les conclusions de l'expert ne sont pas conformes aux demandes d'une partie, qui produit en outre elle-même les chiffres qu'elle souhaite voir retenir pour le calcul de son préjudice économique.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de contre-expertise formée par les consorts [P] et l'EARL [Adresse 15].

Sur le préjudice de M. [Z] [P]

Moyens des parties

Les consorts [P] reprennent leurs moyens précédemment exposés concernant leur critique du rapport d'expertise judiciaire et demandent de

condamner Maître [M] [I] à payer à M. [Z] [P], à titre principal la somme de 365 821 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi et subsidiairement la somme de 189 570 € en prenant les hypothèses les plus hautes pour chaque période d'indemnisation, et très subsidiairement la somme de 323 329 € et à titre infiniment subsidiaire la somme de 168 324 €. Ils ajoutent qu'il y a lieu d'étendre la période d'indemnisation jusqu'au 31 décembre 2019, date à laquelle M. [Z] [P] n'a pu reprendre l'exploitation des biens ; que cette reprise tardive est directement liée à la faute commise par Maître [I] dans le premier congé ; qu'en effet, le premier congé était un congé pour reprise fondé sur les dispositions de l'article L.411-58 du code rural et de la pêche maritime, et du fait de l'erreur de l'huissier dans le premier congé, ils ne pouvaient plus délivrer ce congé pour le motif tiré d'une reprise au profit d'un descendant du bailleur qui n'est pas possible en cours de bail et ne peut s'exercer que pour l'échéance normale du bail ; qu'ils ont donc dû faire délivrer un nouveau congé, fondé sur un autre motif, celui de l'âge de la retraite du preneur en place, ouvrant directement droit au preneur, en application de l'article L.411-64 du code rural et de la pêche maritime, la possibilité de demander la cession du bail au profit de son descendant, faculté qui n'est pas ouverte dans le cadre de la délivrance d'un congé pour reprise aux fins d'exploitation par un descendant sur le fondement de l'article L.411-58 du code rural et de la pêche maritime ; que la demande de cession formalisée par le preneur, M. [D], a été rendue possible parce que justement le motif du congé a dû être modifié et qu'au surplus cela a laissé le temps au cédant et au cessionnaire de préparer cette demande de cession ; que l'erreur de l'huissier dans le premier congé est donc nécessairement à l'origine de cette circonstance, qui a conduit à reporter les effets du second congé à une date ultérieure à la date d'effet initiale en raison du contentieux sur la demande de cession ; qu'il s'agit à l'évidence d'un dommage prévisible, que le mandataire doit réparer, en application des dispositions de l'ancien article 1150 du code civil ; que le tribunal judiciaire a rejeté cette demande en considérant que les dispositions du jugement du 14 décembre 2017 étaient définitives pour ne pas avoir été frappées d'appel de sorte que le tribunal était lié par les périodes d'indemnisation visées dans ce jugement ; qu'il ne pouvait pas être reproché à M. [Z] [P] de ne pas avoir interjeté appel du jugement du 14 décembre 2017 pour ce qui concerne la période d'indemnisation alors qu'à cette date, les effets du congé venaient tout juste de se produire pour ce qui concerne une partie des biens et qu'au surplus le tribunal paritaire des baux ruraux de Tours avait validé le congé et débouté M. [D] de sa demande de cession ; qu'à cette date, M. [Z] [P] considérait légitimement qu'il pouvait récupérer l'intégralité des biens pour les exploiter ; que le motif qui justifie aujourd'hui de modifier la période d'indemnisation à retenir est né postérieurement, lorsque par suite de l'appel interjeté par M. [D], la cour d'appel d'Orléans, par un arrêt du 5 février 2018, a autorisé la cession du bail au profit du fils de M. [D], étant rappelé que sans la faute commise par l'huissier de justice, ce contentieux sur la demande de cession n'aurait pas

eu lieu ; que le préjudice subi par M. [Z] [P] n'est donc pas limité à la date d'effet du second congé et correspond à la période pendant laquelle il a été réellement privé de l'exploitation des parcelles, en raison de la faute de l'huissier de justice.

L'intimé indique que le manquement retenu à son égard n'a eu pour conséquence que de priver les M. [Z] [P], de la chance de voir mettre un terme effectif au bail, mais il demeure étranger à la convention et ne peut être débiteur à l'égard de M. [Z] [P] d'une obligation en découlant directement ; qu'en conséquence, l'indemnisation ne pourra qu'être cantonnée à une proportion limitée ; qu'à juste titre le tribunal a débouté l'ensemble des appelants de leurs demandes disproportionnées qui allaient au-delà des conclusions expertales parfaitement bien fondées et sur lesquelles le tribunal s'est basé pour apprécier le préjudice subi ; que la cour ne pourra que confirmer purement et simplement la décision entreprise et débouter les appelants de 'l' de leurs demandes ; que la période retenue ne peut être remise en cause, car il ne peut être tenu responsable de la survenance d'une procédure particulièrement longue ayant donné lieu à des décisions dans des termes contradictoires ; qu'à défaut de l'aléa inhérent à toute procédure judiciaire le second congé était bien à même de produire ses effets à la date retenue par le précédent jugement du 14 décembre 2017 ; que s'agissant des rendements retenus par l'expert, celui-ci a appliqué sa mission en prenant en compte le rendement moyen sur les trois années concernées ; que l'abattement appliqué par l'expert est justifié et ce d'autant plus que M. [Z] [P] inclut dans son calcul de perte la subvention de 350 € accordée pour le passage en agriculture biologique, démontrant que ce passage entraîne une baisse de rendement ; que pour les recettes, l'appréciation ne pourra être faite qu'au vu des documents comptables de l'exploitation et, à titre subsidiaire, il ne pourrait être retenu un montant supérieur à celui proposé par l'expert judiciaire ; que s'agissant des fermages, l'expert précise dans le cadre d'une option qu'elle propose que juridiquement rien ne s'oppose à ce que le fermage soit établi en catégorie AOC et factuellement il aurait pu être considéré opportun de se référer à la catégorie Vins de France ; que s'il convenait de raisonner en termes d'option, cela serait dès lors nécessairement la catégorie AOC qui serait retenue ; que le débat parait inutile puisque la réalité tient dans le constat d'un coût réel qui, au demeurant, ne fait l'objet d'aucune discussion juridique et avait été expressément accepté par les consorts [P] en leur qualité de bailleurs ; qu'il est proposé de se reporter aux éléments purement techniques inclus dans les dires remis à l'expert justifiant de la réalité du coût de main d''uvre à ce titre ; qu'il s'en tient donc à son dire mentionnant une perte de revenus annuelle nette de 16 244 € soit sur trois ans 48 732 €, et ce, avant que ne soit retenue la proportion découlant de la perte de chance ; que s'agissant des charges opérationnelles, il convient de rappeler que les terres sont situées à 25 km du siège de l'exploitation de M. [Z] [P] qui n'exploite pas lui-même ces terres ; qu'il doit nécessairement exposer le coût

des services d'un entrepreneur indépendant ; que les choix de gestion de M. [Z] [P] tant quant à la localisation de l'exploitation que des modalités de culture justifient dès lors des coûts qu'il ne peut prétendre voir réduire ; que concernant la perte de revenus, elle ne peut en réalité être retenue qu'à hauteur de 8 000 € par an, soit 24 000 € pour trois ans, et ce avant que ne soit appliquée la proportion relative à la perte de chance ; que l'expert retient à juste titre que M. [Z] [P] ne peut justifier d'un quelconque préjudice à ce titre ; que si M. [Z] [P] n'a pas pu exploiter ses vignes et terres durant trois ans, il a en contrepartie perçu les fermages durant cette période qui devront venir en déduction du préjudice déterminé par le tribunal, et ce alors même, ici encore qu'ils auraient été perçus par Mme veuve [P] usufruitière ; qu'il a donc été fait sommation à M. [Z] [P] de justifier de l'ensemble des fermages perçus durant la période considérée afin qu'ils puissent être déduits, mais celui-ci s'est refusé de donner suite à cette sommation ; que le préjudice subi ne pourra qu'être apprécié en termes d'une perte de chance, dès lors que le manquement retenu à son égard n'a eu pour conséquence que de priver les consorts [P] dont M. [Z] [P], de la chance de voir mettre un terme effectif au bail, en conséquence de quoi l'indemnisation ne pourra qu'être cantonnée à une proportion limitée.

Réponse de la cour

1-Sur la période indemnisée

L'auteur d'une faute est tenu de réparer l'intégralité du dommage en lien avec celle-ci causé à la victime, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit.

Le dommage doit être évalué par le juge au moment où il rend sa décision, ainsi que l'a d'ailleurs jugé la Cour de cassation (2e Civ., 21 mars 1983, pourvoi n° 82-10.770, Bull. Civ. 2 n° 88).

En l'absence de faute de l'huissier de justice lors de la signification du congé, M. [Z] [P] aurait pu prendre possession des biens donnés à bail à compter du 1er janvier 2014 pour les parcelles de vignes, du 1er octobre 2014 à minuit pour les bâtiments d'habitation, et du 1er novembre 2014 pour les bâtiments d'exploitation et les parcelles de terre.

La faute de M. [I] a conduit à ce que le bail à ferme soit renouvelé jusqu'en 2023. Il s'ensuit que ce n'est qu'en raison de cette faute que les consorts [P] ont été contraints de délivrer un nouveau congé à M. [Y] [D] le 23 juin 2014 fondé sur l'âge de la retraite du preneur, et qu'ils ont dû se défendre dans le cadre d'une action en justice formée par le preneur aux fins de contestation du congé et de cession du bail à son fils M. [O] [D].

L'arrêt de la Cour de cassation du 11 juillet 2019 a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans en ce qu'il a autorisé M. [D] à céder à son fils, [O] [D], le bail consenti par acte du 1er juin 1996, et renvoyé les parties devant la cour d'appel d'Angers qui a irrévocablementt rejeté la demande de cession de bail. M. [Z] [P] n'a donc pu exploiter les parcelles litigieuses qu'au cours de l'année culturale 2020.

Le tribunal a rejeté la demande d'extension de la période d'indemnisation aux motifs que les dispositions du jugement du 14 décembre 2017 sont définitives et qu'il pouvait donc statuer que sur les préjudices arrêtés au 31 décembre 2016 pour les parcelles de vigne, au 30 septembre 2017 pour les bâtiments d'habitation et au 31 octobre 2017 pour les bâtiments d'exploitation et les parcelles de terre, et qu'en application des dispositions de l'ancien article 1150 du code civil, le préjudice résultant de la contestation élevée par le preneur à l'occasion de la délivrance du second congé ne peut être considéré comme un dommage prévisible pour le mandataire.

Il convient de rappeler que l'autorité de chose jugée d'une décision n'a lieu qu'au regard de ce qui est jugé dans son dispositif. En l'espèce, le dispositif du jugement du 14 décembre 2017 mentionne :

« Dit que Maître [M] [I] a commis une erreur lors de la délivrance du congé du 31 janvier 2012, et que cette erreur engage la responsabilité de Maître [M] [I] et de la SCP [I] ' [C],

Dit que les consorts [P] n'ont pas commis de faute,

Condamne en conséquence Maître [M] [I] et de la SCP [I] ' Le Coz à indemniser les consorts [P] de l'intégralité de leur préjudice,

[...]

Avant dire droit sur le préjudice économique subi par Monsieur [Z] [P] du fait de la perte d'exploitation sur 3 années ».

Le dispositif du jugement prévoit donc bien la réparation intégrale du préjudice subi par M. [Z] [P], sans restriction quant à la période concernée. Ce n'est que pour ordonner une expertise que le tribunal a fait référence au préjudice économique subi du fait de la perte d'exploitation sur 3 années, étant précisé qu'il ne pouvait présager que le préjudice économique perdurerait en raison de la contestation du second congé et des décisions judiciaires précitées. En conséquence, le tribunal n'a nullement jugé que le préjudice économique subi par M. [Z] [P] serait limité au 31 décembre 2017.

Le seul fait que la mission d'expertise confiée à Mme [X] portait sur la période antérieure au 31 décembre 2017 ne saurait faire obstacle à la réparation intégrale du préjudice économique subi par M. [Z] [P] jusqu'au 31 décembre 2019.

L'article 1150 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 dispose que le débiteur n'est

tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée.

Lors de la mission confiée à M. [I] aux fins de délivrance d'un congé au preneur à bail, l'huissier de justice ne pouvait ignorer qu'en cas d'irrégularité, le contrat de bail serait renouvelé et que les bailleurs devraient délivrer un nouveau congé en se fondant sur un autre motif, avec le risque de contestation de ce congé, puisque la reprise par un descendant ne peut s'exercer qu'à l'échéance du contrat de bail,

L'impossibilité pour M. [Z] [P] de reprendre les terres à l'expiration du contrat de bail en cas d'irrégularité du congé constituait donc un dommage prévisible pour M. [I] lors de la mission qui lui a été délivrée, étant précisé que, du fait de sa faute, le contrat de bail a été renouvelé jusqu'en 2023, au cours de laquelle la reprise des terres par un descendant redevenait possible aux termes de l'article L.411-58 du code rural et de la pêche maritime.

C'est donc à tort que le tribunal a rejeté la demande d'extension de la période d'indemnisation. En application du principe de réparation intégrale du préjudice, il convient de dire que M. [I] est tenu d'indemniser M. [Z] [P] du préjudice de perte d'exploitation sur la période du 31 décembre 2013 au 31 décembre 2019.

2- Sur la perte d'exploitation de l'activité viticole

Afin de déterminer les rendements des vignes litigieuses, l'expert judiciaire a interrogé l'interprofession des vins du Val de Loire (Interloire) qui lui a communiqué les surfaces et volumes récoltés pour l'IGP Val de Loire des 14 départements des vins du Val de Loire, sur les années 2014 à 2018, dont le rendement moyen ressortait à 59,52 hl/ha sur 5 ans.

L'expert a également consulté la publication de la Direction Générale des Douanes portant sur les surfaces de vignes par département et par appellation ainsi que les quantités de vin produites, et en a déduit un rendement pour les vins IGP Val de Loire de l'Indre-et-Loire de 42,54 hl/ha sur les années 2012 à 2016.

Les parties s'étant opposées, au cours des opérations d'expertise, sur les données à retenir, l'expert a finalement indiqué que les statistiques des Douanes ne sont pas limitées à des exploitations d'environ 100 ha, alors que vignoble IGP d'Indre-et-Loire est réduit, entre 94 et 139 ha sur la période, alors que les statistiques d'Interloire additionnent toutes les surfaces IGP Val de Loire soit au total 4 300 ha en moyenne environ sur 14 départements de sorte que les facteurs propres à chaque terroir et la climatologie de chaque

exploitation sont « fondus » dans le chiffre global. L'expert judiciaire a alors conclu que les statistiques des Douanes sont plus représentatives puisqu'elles portent sur tout le vignoble IGP du seul département d'Indre-et-Loire, ce dont les parties conviennent en cause d'appel.

Les consorts [P] demandent toutefois de réévaluer le rendement retenu par l'expert en prenant en considération les données des douanes pour les années 2014 à 2019. Toutefois, ils ne produisent pas de pièces relatives à ces données qu'ils présentent dans leurs conclusions, de sorte que celles-ci ne peuvent être retenues. Ils demandent également d'écarter les données des douanes pour les années 2012 et 2013. Cependant, l'expert visait à déterminer une moyenne des rendements sur 5 années qui est plus adaptée que sur trois années, de manière à lisser les variations de rendements liés notamment aux aléas climatiques. Il convient donc de retenir un rendement moyen de 42,5 hl/ha tel que retenu par l'expert judiciaire.

M. [Z] [P] a déclaré à l'expert que l'exploitation de l'ensemble des vignes du [Adresse 15] était conduite en agriculture biologique et qu'il entendait convertir les vignes étudiées en agriculture biologique, étant précisé que la conversion dure trois ans. L'expert a considéré que le rendement ne pourrait être optimal pendant ces trois premières années de sorte que le rendement doit être fixé avec un abattement de 15 % pour cette période, soit à 37 hl/ha, ce que contestent les consorts [P].

L'expert judiciaire a répondu aux dires des parties sur ce point comme suit :

« - En ce qui concerne les rendements de l'exploitation de [Localité 16], Monsieur [P] a toujours soutenu viser 40 hl/ha pour optimiser la qualité. Il a vraisemblablement changé de stratégie en 2018-2019 puisque ses rendements (56 hl/ha) ont cru de 175 % par rapport à la moyenne des années précédentes communiquées (32 hl/ha). Monsieur [P] a une grande expérience de la conduite de la vigne en agriculture biologique.

- La conduite de l'exploitation de vignes en agriculture biologique impose un travail complexe qui fait l'objet de recherches sans cesse améliorées depuis une vingtaine d'années.

- Ni les Chambres d'agriculture du Val de Loire ni Interloire ne publient de recherches pour connaître les rendements et les coûts des exploitations conduites en agriculture biologique.

- Dans les autres régions : la Chambre d'agriculture de la Gironde publie tous les ans un référentiel économique du vigneron qui prend comme référence un rendement de 50 hl/ha en agriculture conventionnelle et de 40 à 45 hl/ha en agriculture biologique soit un rendement inférieur de 10 à 20 %.

Au total, nous estimons toutefois que les rendements ne seront pas optimisés au cours des premières années. Nous maintenons donc une baisse de rendement de 10 à 20 % soit en moyenne de 15 % pour les deux premières années soit 37 hl/ha,

puis pour la troisième année, un rendement de 42,5 hl/ha

soit sur les 3 ans une moyenne annuelle à retenir pour notre calcul de 39 hl/ha »

L'expert judiciaire a ainsi constaté l'absence de données précises sur les rendements en zone IGP Val de Loire, et s'est référé à un référentiel d'une autre région qui porte sur les rendements en agriculture conventionnelle et en agriculture biologique, et qui ne précise rien des rendements durant la période de conversion en agriculture biologique. Or, l'expert judiciaire a pratiqué un abattement de 15 % sur les premières années pour revenir au taux moyen de rendement la troisième année, ce qui signifie qu'il n'existerait pas de perte de rendement à l'issue des deux premières années de conversion. En l'absence de données précises sur la perte de rendement pendant les deux premières années de conversion, la proposition de l'expert judiciaire ne peut donc pas être retenue.

En outre, il convient de relever que le rendement moyen de 42,5 hl/ha issu des données des douanes, qui comprend l'ensemble des parcelles exploitées en agriculture biologique et conventionnelle est déjà affecté du moindre rendement supposé des parcelles en agriculture biologique ou pendant la période de conversion. L'expert a également constaté le fort rendement obtenu par l'EARL [Adresse 15] en 2018-2018, sans relever que les terres ne seraient plus exploitées en agriculture biologique, établissant que les rendements en agriculture biologique peuvent être plus élevés que la moyenne, et que M. [Z] [P] disposait d'une expérience en agriculture biologique permettant d'optimiser les rendements.

Au regard de ces éléments, il convient de retenir un rendement moyen de 42,5 hl/ha sur la période indemnisée, de 2014 à 2019. Pour une surface de 4 ha 21 a et 4 ca, le volume récolté et vinifié par an s'élève donc à 178,9 hl/an, soit l'équivalent de 23 853 bouteilles de 75 cl.

Les consorts [P] critiquent le prix de 5 euros TTC par bouteille retenu par l'expert judiciaire, qu'ils avaient initialement demandé de retenir, avant de soutenir que les prix avaient évolué depuis l'introduction de l'instance et que le prix de 6 euros TTC devait être retenu. Ils avaient également produit à l'expert des factures de l'année 2018 établissant la vente de bouteilles de « Fines bulles de tendresse rosé - 75 cl, Vin de France » à 8 euros TTC/bouteille ou 6,66 euros HT/bouteille.

L'expert judiciaire a toutefois relevé que M. [Z] [P] avait communiqué un extrait de sa comptabilité mentionnant chiffre d'affaires total du 1er janvier 2017 au 30 septembre 2018 pour ce vin, au prix moyen de 5,57 euros HT/bouteille soit 6,69 euros TTC/bouteille.

Le rapport d'expertise mentionne également :

« on rappellera :

- les vins « à bulles » tels que les « Fines bulles de tendresse rosé » se vendent un peu plus cher que les vins « tranquilles »,

- les dires de Monsieur [P] lors de la réunion d'expertise, qui souhaite compléter avec les vignes IGP Val de Loire sa gamme de vins avec des vins « faciles », « sur le fruit », par opposition aux cuvées de [Localité 8] complexes du [Adresse 15].

Analyse et conséquences à tirer : [...]

- La fixation d'un prix de vente dépend en partie du coût de production des produits mais aussi d'un positionnement « marketing ». Le [Adresse 15] propose à ses clients une gamme de vin parmi laquelle les vins litigieux auront une image plus basse que les vins AOP [Localité 8], plutôt « vin de copains » avec un prix d'appel plus bas que les [Localité 8].

- Le prix avancé par Maître [S] de 6 € TTC/bouteille aujourd'hui ne saurait être retenu puisqu'il est postérieur à la date de référence et qu'il subit forcément l'inflation générale des prix. Il doit donc être inférieur à 6 € TTC.

- En conséquence, on prend comme base le prix statistique des « Fines bulles de tendresse rosé » au prix de 5,57 € HT/bouteille ou 6,69 € TTC/bouteille et on propose en définitive un prix moyen pour tous les vins à produire, de 20 % inférieur à celui des « Fines bulles de tendresse rosé », soit 5,57 € HT × 0,8 = 4,45 € HT ou 5,34 € TTC,

validant le prix allégué de 5 € TTC ou 4,16 € HT/bouteille, qui nous semble réaliste par rapport à la gamme de prix du [Adresse 15] et des vins de Loire en général. Nous retenons ce prix de vente ».

Si l'expert judiciaire n'a souhaité retenir le prix proposé de 6 euros par bouteille dès lors qu'il concernait une période postérieure à celle de sa mission, il est établi que M. [Z] [P] peut obtenir indemnisation de la perte d'exploitation jusqu'au 31 décembre 2019. Cependant, le prix allégué de 6 euros par bouteille n'est pas justifié aux débats. Il convient donc de s'en ternir aux conclusions de l'expert judiciaire, non contestées sur ce point, aux termes desquelles le prix à retenir doit être inférieur de 20 % à celui des bouteilles « Fines bulles de tendresse rosé », soit un prix de 5,34 euros TTC par bouteille. En revanche, il n'y a pas lieu de réduire ce prix à 5 euros au motif qu'il s'agissait de la position initiale des consorts [P] au début des opérations d'expertise, outre le fait que la période indemnisée est désormais plus étendue que celle examinée par l'expert de sorte que les prix sont plus élevés en 2019 qu'en 2014.

Il convient donc de retenir un prix de 4,45 euros HT par bouteille soit des recettes annuelles de 106 146 euros (4,45 € x 23 853 bouteilles).

M. [Z] [P] sollicite la prise en compte dans les recettes de l'aide à la conversion pour un montant de 1 474 euros par an pour la surface exploitable (soit 350 euros par ha et par an) et justifie de ce montant pour la période indemnisée en cause d'appel. Cette aide est accessible à tout agriculteur qui souhaite s'engager à produire en agriculture biologique, et ce sur une période de 5 années. En conséquence, les appelants sont bien fondés à solliciter l'intégration de cette aide dans le montant annule des recettes de l'activité viticole qui s'élève donc à la somme de 107 620 euros par an (106 146 + 1 474) sur la période 2014-2019.

Concernant les dépenses, le tribunal a justement retenu que l'indemnisation ayant pour but de replacer M. [Z] [P] dans la situation où il se serait trouvé si le dommage ne s'était pas produit, le montant du fermage qui aurait dû être réglé en l'absence du fait dommageable doit être calculé par rapport au cours du fermage pour les vins produits par l'exp1oitation de M. [Z] [P], soit des vins de table, et non par rapport aux vins AOC qui étaient ceux autorisés par le bail initial conclu avec M. [D]. Il sera donc retenu comme coût du fermage la somme de 607 euros par an, conformément aux conclusions de l'expert judiciaire.

L'expert a retenu un coût du travail à la vigne sur la base de 190 heures par hectare, mais l'intimé estime qu'il conviendrait de retenir 201 heures par hectare sur le fondement de la documentation « référentiel économique du vigneron 2015-2016 ».

L'expert judiciaire a répondu à un dire de M. [I] sur ce point en indiquant que cette documentation fait état du temps de travail à la vigne de 3 000 exploitations et conclut à un temps de travail estimé à la vigne est de 120 à180 h par hectare et que dans les domaines à plus forte valorisation, ce temps peut être sensiblement supérieur. La documentation indique également : « Les exploitations en agriculture biologique ont des temps de travail à la vigne plus importants généralement liés à des travaux du sol voire des travaux manuels plus nombreux ainsi qu'à une surveillance accrue du vignoble (globalement de 30 à 50 h/ha de plus) ».

L'expert a indiqué que les résultats de l'étude « référentiel économique du vigneron 2015 2016 » invoquée par M. [I] ne sont pas obtenus en suivant la même méthodologie et que les hypothèses retenues sont réductrices pour le cas d'espèce, de sorte qu'il y a lieu de s'en tenir aux statistiques relatives à l'observation des 3000 exploitations de l'étude « L'enjeu du temps de travail dans les systèmes viticoles du Val de Loire ». En conséquence, il convient de retenir un coût du travail sur la base de 190 heures par hectare, qui résulte d'une étude d'ampleur et qui est plus adaptée au cas d'espèce que les 201 heures mentionnées dans l'étude invoquée par l'intimée fondée sur une hypothèse spécifique.

Les autres points concernant les charges n'étant pas discutées, il y a lieu de retenir les conclusions de l'expert judiciaire sauf à actualiser certains montants en fonction du taux de rendement retenu :

- coût de production : 23 014 €/an sur la base d'un fermage IGP ;

- coût de vinification : 7 404 €/an ;

- coût de conditionnement : 0,76 €/bouteille soit 18 128,28 € (23 853 x 0,76)

- coût de commercialisation : 0,50 €/bouteille soit 11 926,50 € (23 853 x 0,50)

Soit des charges annuelles de 60 472,78 euros.

Le bénéfice marginal annuel s'élève donc à la somme de 47 147 euros (107 620 - 60 472,78).

Le préjudice étant estimé pour M. [Z] [P] et non pour l'EARL [Adresse 15], il convient de retirer les cotisations sociales MSA au taux de 29 % de l'exploitant de l'EARL pour obtenir sa perte de revenus.

La perte de revenus de M. [Z] [P] doit donc être évalué à 33 474 euros par an (47 147 - (29 % x 47 147)), soit la somme de 200 844 euros sur 6 années d'exploitation.

3-Sur la perte d'exploitation des parcelles de terre

L'expert judiciaire a retenu la rotation suivante qui ne nécessite pas d'irrigation pour donner des rendements corrects et qui correspondent aux choix usuels de cultures de M. [Z] [P] :

- 2/3 de blé, sur une surface de 24 ha 55 a 44 ca ;

- 1/6 de colza, sur une surface de 6 ha 13 a 86 ca ;

- 1/6 de tournesol, sur une surface de 6 ha 13 a 86 ca.

Il a également retenu les rendements suivants qui ne sont pas contestés :

- blé tendre 85 q/ha, soit une récole annuelle de 2 087 quintaux ;

- colza 40 q/ha, soit une récole annuelle de 246 quintaux ;

- tournesol 30 q/ha, soit une récole annuelle de 184 quintaux.

S'agissant des prix de vente, l'expert judiciaire a indiqué que les prix de vente des agriculteurs dépendent des cours mais aussi du mode de commercialisation qu'ils choisissent, et que les prix moyens de vente de l'exploitation de M. [Z] [P] n'étaient pas connus. Celui-ci a proposé de retenir un prix de 180 euros / tonne pour le blé tendre mais l'expert a indiqué ce prix semble très élevé par rapport aux statistiques. En cause d'appel, M. [Z] [P] propose de retenir un prix de 160 euros par tonne mais ne produit pas de pièce permettant de corroborer cette évaluation sur la période concernée, de sorte qu'il convient de retenir le prix fixé par l'expert judiciaire à 140 euros / tonne.

Les prix de vente et les recettes annuelles doivent s'établir comme suit :

- blé tendre : 140 €/tonne, soit une vente annuelle de 29 218 euros ;

- colza : 300 €/tonne, soit une vente annuelle de 7 380 euros ;

- tournesol : 310 €/tonne, soit une vente annuelle de 5 704 euros ;

Soit un total de 42 302 euros, soit 1 149 €/ha.

M. [I] a indiqué à l'expert que le chiffre d'affaires moyen par hectare de l'EARL s'élève entre 2013 et 2017 à 793 €/hectare. L'expert a répondu que les terres exploitées par l'EARL dépendent d'une autre région agricole, au sol au potentiel agronomique est bien inférieur pour les grandes cultures, et ne

sont pas comparables aux terres litigieuses, ce qui n'est pas contesté. En conséquence, il sera bien retenu des recettes annuelles d'un montant de 42 302 euros auquel il faut ajouter les primes PAC d'un montant de 7 337 euros.

La recette annuelle s'établit donc à la somme de 49 639 euros (42 302 € + 7 337 €).

S'agissant des charges, les consorts [P] critiquent le rapport d'expertise judiciaire un coût de travail à façon de 400 euros par hectare alors qu'ils considèrent que les pièces produites établissent un coût de 355 euros par hectare. L'expert judiciaire a répondu au dire des consorts [P] en ces termes :

« en réalité, Maître [S] estime le coût de travail à façon à 355 €/ha en prenant la totalité de la surface de terres de Monsieur [P] alors que les prés ne sont pas ou très peu travaillés. On retient notre ratio de 400 €/ha exploité qui est usuel et qui correspond en fait au coût de l'entreprise sous-traitante [K]. Si cette entreprise ne se déplace pas jusqu'à [Localité 13], une autre entreprise peut faire ce travail pour le même coût ».

L'expert judiciaire doit être approuvé sur ce point dès lors qu'il est certain que les prés ne demandent pas le même entretien que les surfaces cultivées, de sorte que le coût du travail à façon doit être fixé à 400 euros par hectare. Le coût total des charges opérationnelles (intrants, travail à façon) s'élève donc à la somme totale de 29 797 euros par an.

Le bail d'origine prévoyait un fermage de 114,90 €/hectare et M. [D] a payé 4 719 € pour 2014. M. [I] a sollicité de ne retenir que le montant réellement payé par M. [D]. Toutefois, la reprise des parcelles donnant lieu à la conclusion d'un nouveau bail, il doit être retenu un fermage tel que fixé conformément à l'arrêté du préfet relatif au statut du fermage. Il convient donc de retenir la valeur locative ainsi déterminée par l'expert judiciaire à la somme de 4 594,38 euros.

Les charges de structures dont le fermage et autres charges non contestées s'élèvent donc à la somme totale de 6 915 euros.

Le bénéfice d'exploitation annuel attendu s'établit donc comme suit :

Recettes de 49 639 euros - charges opérationnelles de 29 797 euros - charges de structure de 6 915 euros = 12 927 euros par an

Après déduction des cotisations MSA de l'exploitant au taux de 29 %, le revenu marginal annuel de M. [Z] [P] doit être évalué à 9 178 euros (12 927 € - 29 %), soit une somme de 55 068 euros sur 6 années d'exploitation.

3- Sur les bâtiments d'exploitation et d'habitation

Si les consorts [P] critiquent le rapport d'expertise au motif que l'expert judiciaire n'a pas fixé la perte d'exploitation des bâtiments d'exploitation et d'habitation en établissant leur valeur locative, il convient de constater qu'ils

ne forment aucune demande d'indemnisation au titre de ce prétendu préjudice. La cour ne peut donc indemniser un préjudice dont l'existence n'est pas alléguée et démontrée.

4- Sur la perte de chance

Aux termes du dispositif de ses conclusions récapitulatives, M. [I] demande de confirmer purement et simplement la décision du 7 octobre 2021, laquelle a indemnisé le préjudice subi par M. [Z] [P] en rejetant le moyen tiré de la perte de chance.

Au demeurant, la faute de l'huissier de justice ayant privé M. [Z] [P] du droit de reprendre les parcelles données à bail à l'échéance de celui-ci, le préjudice subi par M. [Z] [P] est certain et dépourvu d'aléa dès qu'un nouveau congé fondé sur la reprise par un descendant était impossible au cours de la période du bail renouvelé.

Par ailleurs, l'expertise judiciaire réalisée par Mme [X] a permis d'établir la réalité du préjudice économique subi sur le fondement de moyennes de données recueillies sur la base de récoltes effectives et des propres données de l'activité agricole de M. [Z] [P], de sorte que la perte d'exploitation ainsi déterminée constitue un préjudice certain.

M. [I] sera donc condamné à payer à M. [Z] [P] la somme totale de 255 912 euros (200 844 + 55 068) en réparation du préjudice économique causé par sa faute, sur la période du 31 décembre 2013 au 31 décembre 2019.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a condamné M. [I] à payer a M. [Z] [P] la somme de 97 815 euros en indemnisation du préjudice économique résultant de la perte d'exploitation, et débouté M. [Z] [P] du surplus de ses demandes en indemnisation.

Sur les frais de procédure

M. [I] sera condamné aux dépens d'appel avec application de l'article 699 du code de procédure civile. Il sera également condamné à payer à Mme [B] [V], M. [Z] [P] et M. [H] [P] ensemble la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONSTATE le désistement partiel d'appel de Mme [B] [V], M. [H] [P], M. [Z] [P] et l'EARL [Adresse 15] à l'égard de la SCP [M] [I] et [T] [C] ;

INFIRME le jugement en ce qu'il a :

- condamné M. [M] [I] à payer à M. [Z] [P] la somme de 97 815 euros en indemnisation du préjudice économique résultant de la perte d'exploitation ;

- débouté M. [Z] [P] du surplus de ses demandes en indemnisation ;

CONFIRME le jugement en ses autres dispositions critiquées ;

STATUANT À NOUVEAU sur les chefs infirmés et Y AJOUTANT :

CONDAMNE M. [I] à payer à M. [Z] [P] la somme de 255 912 euros en réparation du préjudice économique sur la période du 31 décembre 2013 au 31 décembre 2019 ;

CONDAMNE M. [I] aux entiers dépens d'appel ;

AUTORISE les avocats de la cause à recouvrer directement et à leur profit, contre la partie condamnée aux dépens, ceux dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision ;

CONDAMNE M. [I] à payer à Mme [B] [V], M. [Z] [P] et M. [H] [P] ensemble la somme complémentaire de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Mme Anne-Lise COLLOMP, Présidente de Chambre et Mme Karine DUPONT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/03265
Date de la décision : 23/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-23;21.03265 ?
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