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23/07/2024 | FRANCE | N°19/02738

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Chambre civile, 23 juillet 2024, 19/02738


COUR D'APPEL D'ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E



GROSSES + EXPÉDITIONS : le 23/07/2024

Me Angela VIZINHO-JONEAU

la SELARL JF MORTELETTE



ARRÊT du : 23 JUILLET 2024



N° : - 24



N° RG 19/02738 - N° Portalis DBVN-V-B7D-GABY





DÉCISION ENTREPRISE : Jugement Tribunal de Grande Instance de BLOIS en date du 27 Juin 2019



PARTIES EN CAUSE



APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265241577749312



Monsieur [X] [N]

né le 20 Octobre 1958 à

[Localité 16]

[Adresse 7]

[Localité 8]



représenté par Me Angela VIZINHO-JONEAU, avocat au barreau de BLOIS



Madame [F] [L] épouse [N]

née le 09 Avril 1966 à [Localité 13]

[Adres...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 23/07/2024

Me Angela VIZINHO-JONEAU

la SELARL JF MORTELETTE

ARRÊT du : 23 JUILLET 2024

N° : - 24

N° RG 19/02738 - N° Portalis DBVN-V-B7D-GABY

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement Tribunal de Grande Instance de BLOIS en date du 27 Juin 2019

PARTIES EN CAUSE

APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265241577749312

Monsieur [X] [N]

né le 20 Octobre 1958 à [Localité 16]

[Adresse 7]

[Localité 8]

représenté par Me Angela VIZINHO-JONEAU, avocat au barreau de BLOIS

Madame [F] [L] épouse [N]

née le 09 Avril 1966 à [Localité 13]

[Adresse 7]

[Localité 8]

représentée par Me Angela VIZINHO-JONEAU, avocat au barreau de BLOIS

D'UNE PART

INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265251864607945

Monsieur [R] [I]

né le 10 Août 1948 à [Localité 12]

[Adresse 5]

[Localité 8]

représenté par Me Jean-François MORTELETTE de la SELARL JF MORTELETTE, avocat au barreau de BLOIS

Madame [G] [M] épouse [I]

née le 17 Décembre 1948 à [Localité 18]

[Adresse 5]

[Localité 8]

représentée par Me Jean-François MORTELETTE de la SELARL JF MORTELETTE, avocat au barreau de BLOIS

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 25 Juillet 2019.

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 21 mai 2024

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l'audience publique du 10 Juin 2024 à 14h00, l'affaire a été plaidée devant Madame Anne-Lise COLLOMP, présidente de chambre et Monsieur Laurent SOUSA, conseiller, en l'absence d'opposition des parties ou de leurs représentants.

Lors du délibéré, au cours duquel Madame Anne-Lise COLLOMP, présidente de chambre et Monsieur Laurent SOUSA, conseiller, ont rendu compte des débats à la collégialité, la Cour était composée de:

Madame Anne-Lise COLLOMP, Présidente de chambre,

Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,

Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

GREFFIER :

Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.

ARRÊT :

Prononcé publiquement le 23 juillet 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte authentique du 24 avril 1996, M. [R] [I] et Mme [G] [M] épouse [I] (M. et Mme [I]) ont acquis une parcelle située à [Localité 8] (41) lieudit '[Localité 14]', cadastrée section I n°[Cadastre 10]. Ils ont ensuite fait l'acquisition de la parcelle de terre voisine cadastrée section I n°[Cadastre 11] selon acte authentique du 28 décembre 2000.

Ces parcelles se situent au bord de la Cisse.

Par acte authentique du 6 avril 2010, M. [X] et Mme [F] [N] (M. et Mme [N]) ont fait l'acquisition de la parcelle voisine, cadastrée section I n°[Cadastre 9], contigue de la parcelle I n°[Cadastre 10].

Par jugement du 22 juin 2016, le tribunal d'instance de Blois a ordonné le bornage d'un certain nombre de parcelles, au rang desquelles les parcelles cadastrées I [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11].

M. et Mme [N] ont effectué sur leur parcelle un certain nombre de travaux.

M. et Mme [I] se sont plaints d'une aggravation des inondations affectant leurs parcelles à la suite de ces travaux.

Ils ont sollicité en référé l'instauration d'une mesure d'expertise. Par ordonnance de référé du 7 avril 2015, le président du tribunal de grande instance de Blois a ordonné une expertise et commis pour y procéder M. [Z] [C], qui a déposé son rapport le 17 mars 2016.

Par acte d'huissier du 25 juillet 2016, M. et Mme [I] ont assigné M. et Mme [N] en exécution des travaux propres à mettre fin aux désordres et réparation de leurs préjudices.

Par jugement du 27 juin 2019, le tribunal de grande instance de Blois a :

- débouté M. et Mme [N] de leur demande tendant à voir prononcer la nullité des opérations d'expertise judiciaire,

- dit qu'un fossé devra être exécuté sur le terrain appartenant aux époux [I] sur un endroit dégagé de la plantation, à quelques mètres de la parcelle des époux [N], et devra être de 70 centimètres de profondeur pour retrouver le niveau de la rivière de la 'Cisse', et que M. et Mme [N] régleront le coût de ces travaux, estimé à la somme de 2 000 euros TTC par l'expert judiciaire,

- condamné M. [X] [N] et Mme [F] [L] épouse [N] à payer à M. [R] [I] et Mme [G] [M] épouse [I] les sommes de :

1) 6 000 euros à titre d'indemnisation de leur préjudice de jouissance,

2) 1 000 euros en réparation de la dépréciation de leur terrain,

3) 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit des époux [N],

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,

- condamné M. et Mme [N] aux dépens, en ce compris ceux de la procédure de référé et les frais d'expertise judiciaire.

Par déclaration du 25 juillet 2019, M. et Mme [N] ont relevé appel de tous les chefs de ce jugement sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Par arrêt avant dire droit en date du 17 octobre 2022, la cour d'appel d'Orléans a :

- infirmé la décision en ce qu'elle déboute M. [X] et Mme [F] [L] épouse [N] de leur demande d'annulation des opérations d'expertise de M. [C] ;

Statuant à nouveau ;

- annulé les opérations d'expertise de M. [C] ;

Avant dire droit ;

- ordonné une nouvelle expertise et commet pour y procéder :

M. [E] [S], expert inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel de Bourges

[Localité 17] - Expertises

[Adresse 4]

[Localité 6]

Tél : [XXXXXXXX01]

Port. : [XXXXXXXX02] Mèl : [Courriel 15]

- dit qu'après avoir convoqué les parties et leur conseil, s'être fait remettre tous documents utiles, l'expert remplira la mission suivante :

- se rendre sur les lieux, commune d'[Localité 8], lieudit '[Localité 14]', parcelles cadastrées section I n°[Cadastre 10] et [Cadastre 11], M. [R] [I] et Mme [G] [I], et parcelle cadastrée section I n°[Cadastre 9], M. [X] [N] et Mme [F] [N],

- recueillir les doléances de M. et Mme [I], examiner les désordres allégués sur leurs parcelles et les décrire,

- déterminer l'origine des désordres et rechercher s'ils proviennent de travaux réalisés par M. et Mme [N] sur leur parcelle I n°[Cadastre 9],

- dire s'il existe une servitude d'écoulement des eaux de ruissellement et le cas échéant, dire sa provenance et sa direction,

- dire si les travaux ont aggravé la servitude naturelle d'écoulement des eaux,

- indiquer les travaux propres à mettre un terme aux désordres, en évaluer le coût,

- donner tous éléments permettant d'évaluer le préjudice subi par M. et Mme [I],

- donner à la juridiction permettant à la juridiction saisie de statuer sur les responsabilités et les préjudices ;

- dit qu'en prévision de cette mesure, M. [R] [I] et Mme [G] [M]épouse [I] verseront au greffier régisseur de la cour d'appel d'Orléans une provision de 3 000 euros à valoir sur les honoraires de l'expert, dans les deux mois de la présente décision, la nomination de l'expert devenant caduque à défaut de consignation ;

- rappelé qu'en application de l'article 278 du code de procédure civile, l'expert pourra, en tant que de besoin, prendre l'initiative de recueillir l'avis d'un autre technicien, dans une spécialité distincte de la sienne, à charge pour lui de joindre à son mémoire de frais et honoraires celui de son homologue ;

- dit que l'expert devra communiquer un projet de son rapport aux parties en leur impartissant un délai de trois semaines pour émettre tout dire écrit le cas échéant ;

- dit que l'expert devra communiquer aux parties et déposer au greffe de la cour son rapport définitif comportant réponse aux dires éventuels dans les quatre mois de sa saisine ;

- réservé toute autre demande ;

- sursis à statuer sur les dépens ;

- renvoyé l'affaire à la mise en état du 20 mars 2023 à 10h00.

Par ordonnance en date du 2 octobre 2023, le conseiller de la mise en état a donné injonction aux parties de rencontrer un médiateur, et en cas d'accord des parties à une mesure de médiation d'y procéder. Aucune mesure de médiation n'a pu être réalisée à défaut d'accord conjoint des deux parties à l'instauration d'une telle mesure.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 29 novembre 2023, M. et Mme [I] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Blois en date du 27 juin 2019 en ce qu'il a'dit qu'un fossé devra être exécuté sur le terrain appartenant à M. et Mme [I] sur un endroit dégagé de la plantation, à quelques mètres de la parcelle de M. et Mme [N], et devra être de 70 centimètres de profondeur pour retrouver le niveau de la rivière de la «Cisse», et que M. et Mme [N] règleront le coût de ces travaux, estimé à la somme de 4.536 euros TTC par l'expert judiciaire ; condamné M. et Mme [N] à payer à M. et Mme [I] les sommes de 6 000 euros à titre d'indemnisation de leur préjudice de jouissance, 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a fixé une indemnité limitée à 1.000 euros, valeur estimée des arbres fruitiers perdus ' en réparation de la dépréciation de leur terrain,

Et statuant à nouveau,

- condamner M. et Mme [N] à verser une somme de 7.500 euros au titre de la dépréciation du terrain.

- condamner M. et Mme [N] à verser à titre d'indemnisation de leur préjudice de jouissance une somme complémentaire de 4.000 euros au titre des quatre ans de procédure se rajoutant au 6 ans passés,

- les condamner au règlement des frais de l'expertise judiciaire.

- condamner M. et Mme [N] au règlement d'une somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- les condamner aux entiers dépens.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 4 avril 2024, M. et Mme [N] demandent à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande Instance de Blois en date du 27 juin 2019 en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau,

- dire et juger qu'il n'existe aucune servitude d'écoulement des eaux de ruissellement en provenance des parcelles cadastrées section I n° [Cadastre 10] et [Cadastre 3] appartenant à M. et Mme [I] en direction de la parcelle cadastrée section I n° [Cadastre 9] appartenant à M. et Mme [N].

- constater que la configuration topographique des lieux n'a pas évoluée depuis l'acquisition par M. et Mme [N] de la parcelle cadastrée section I n° [Cadastre 9], ainsi que la direction qui est donnée aux eaux de ruissellement en provenance des parcelles cadastrées section I n° [Cadastre 10] et [Cadastre 11] appartenant à M. et Mme [I].

A titre subsidiaire,

- dire et juger qu'il n'existe aucune aggravation d'une éventuelle servitude naturelle d'écoulement des eaux de ruissellement imputable à M. et Mme [N] en raison des travaux de nettoyage et de curage entrepris en 2010.

En conséquence,

- dire et juger n'y avoir lieu à exécution d'un fossé sur le terrain appartenant à M. et Mme [I].

- débouter M. et Mme [I] de toutes leurs demandes d'indemnisation.

- donner acte à M. et Mme [N] de leur proposition de réaliser un fossé à leurs frais sur leur propre parcelle à l'aplomb de la limite de la parcelle I n° [Cadastre 10] appartenant à M. et Mme [I] et permettant de recueillir les eaux de pluie.

En tout état de cause,

- condamner M. et Mme [I] à verser à M. et Mme [N] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner M. et Mme [I] aux entiers dépens en ce compris ceux de la procédure de référé, ceux de la procédure de première instance, ceux de la procédure d'appel et les frais des deux expertises judiciaires.

- accorder à Maître Angéla Vizinho-Joneau le droit de recouvrement prévu à l'article 699 du code de procédure civile.

- débouter M. et Mme [I] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions contraires.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 mai 2024.

MOTIFS

Sur l'existence d'une servitude d'écoulement des eaux

Moyens des parties

M. et Mme [N] font valoir :

- qu'il n'existe aucune servitude naturelle d'écoulement des eaux de ruissellement, à défaut de pente naturelle entre la parcelle de M. et Mme [I] et la leur ; que l'expert M. [S] se livre à des supputations fondées sur les seules affirmations de M. et Mme [I], à défaut de tout relevé topographique effectué avant 2010 ; que le seul plan topographique produit, qui était joint au rapport de M. [C], montre un sens d'écoulement des eaux de pluie du sud vers le nord et non d'est vers l'ouest comme le retient à tort M. [S] dans son rapport. Ils en déduisent qu'il n'est pas démontré que les eaux de pluie s'écouleraient naturellement, selon un axe est-ouest, du fond de M. et Mme [I] vers le fond de M. et Mme [N]. Ils soutiennent que les eaux de ruissellement des parcelles cadastrées section I [Cadastre 10] et [Cadastre 11], appartenant à M. et Mme [I], ont comme exutoire naturel la Cisse, et non leur terrain. Ils ajoutent que la réalisation d'un fossé jusqu'à la Cisse sur le terrain des époux [I], comme ils le sollicitent, reviendrait à supprimer purement et simplement le droit de passage qui leur a été accordé par arrêt de la cour d'appel en date du 3 février 2020. Ils estiment que tel est d'ailleurs l'objectif de M. et Mme [N].

- à titre subsidiaire, ils font valoir qu'ils n'ont pas modifié l'inclinaison des parcelles :

- les eaux de ruisselement des parcelles cadastrées I80 et I81 ont comme exutoire naturel la Cisse et pas la parcelle [Cadastre 9] ; ils ont effectué des travaux de curage de la mare et de nettoyage du baignon, mais il ne s'agit pas de travaux d'aménagement ou de remblais et ils n'ont pas modifié la topographie du terrain.

- à supposer même qu'il existe une servitude naturelle d'écoulement des eaux au profit de M. et Mme [I], il n'est justifié d'aucune aggravation de cette servitude par une modification de l'usage de ces eaux ou de la direction qui leur est donnée.

- ils font une proposition de règlement du litige, en proposant de réaliser un fossé à leurs frais sur leur propre parcelle, à l'aplomb de la limite de la parcelle I80 appartement à M. et Mme [I].

M. et Mme [I] sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il a ordonné la réalisation d'un fossé sur leur parcelle, aux frais de M. et Mme [N].

Ils font valoir qu'il résulte du rapport d'expertise que les travaux qui ont été effectués sur la parcelle [N] ne consistent pas en un simple curage de la mare et défrichage comme ils l'affirment, mais sont beaucoup plus importants ; que l'expert a constaté que les travaux effectués consistaient en le remodelage d'une partie de la berge du fond de la rivière et un aménagement paysager de la parcelle, que les produits de terrassement ont été mis en dépôt sur la parcelle autour des pièces d'eau, qu'il résulte des remblaiements effectués une élévation altimétrique au-dessus de la pente naturelle, et que ces dépôts empêchent l'écoulement naturel de surface, et font obstable à l'écoulement des crues. L'expert en déduit que la servitude naturelle d'écoulement a été modifiée et aggravée.

Ils soutiennent que la cause en réside surtout dans la disparition du fossé, mais aussi dans le compactage qui empêche tout écoulement souterrain alors qu'à l'origine, le sol était une éponge.

Réponse de la cour

En application de l'article 640 du code civil :

'Les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés, à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l'homme y ait contribué.

Le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement.

Le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur'.

Cet article fait peser sur les fonds inférieurs, c'est-à-dire ceux situés en contrebas d'une pente descendante, l'obligation de subir naturellement l'écoulement de l'eau venant des fonds géographiquement supérieurs à lui.

M. et Mme [N] contestent en premier lieu l'existence d'une servitude naturelle d'écoulement des eaux, à défaut de pente naturelle entre les parcelles de M.et Mme [I] et la leur. Ils estiment que l'exutoire naturel des eaux de ruissellement de M. et Mme [I] est la rivière la Cisse située au nord de ces parcelles, de sorte que le sens de ruissellement des eaux est du sud au nord et non d'est en ouest.

Toutefois, l'expert relève dans son rapport que 'les parcelles [Cadastre 10]-[Cadastre 11] sont situées en amont de la parcelle [Cadastre 9]" (page 5) et la parcelle de M. et Mme [N] en 'aval'.

Il est exact que n'est versé aucun relevé topographique antérieur aux travaux réalisés par M. et Mme [N] en 2010.

Toutefois, l'expert indique, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme [N], que les parcelles des époux [I] sont 'pentées' est-ouest (page 8 dernier alinéa), à l'exception de quelques contrepentes localisées. Il relève que cette pente naturelle du terrain se trouve interrompue au niveau de la parcelle [N].

La parcelle I79 de M. et Mme [N] étant précisément située à l'ouest de la parcelle I80, il en résulte que la pente naturelle va donc des parcelles des époux [I] vers celle des époux [N], et conduit donc les eaux de ruissellement à s'écouler vers la parcelle de M. et Mme [N]. Il est d'ailleurs constant que se trouvaient sur ce terrain, avant les travaux contestés, des aménagements, et notamment une fosse, noue ou baignon, qui permettait de récupérer l'eau de pluie.

Il sera en outre relevé que la rivère La Cisse s'écoule, au nord des parcelles de M. et Mme [I], selon un axe d'est en ouest puisqu'il résulte du relevé topographique annexé au rapport qu'elle présente, au niveau des parcelles de M. et Mme [I], un niveau moins élevé à l'ouest qu'à l'est (respectivement 49,08 et 48,61), ce qui corrobore l'existence d'une pente naturelle selon cet axe.

Aucun élément ne corrobore les allégations de M. et Mme [N] quant au fait que la pente naturelle des parcelles de M. et Mme [I] irait du sud vers le nord et conduirait à un écoulement des eaux de ces parcelles directement dans la Cisse se trouvant au nord de leurs parcelles, alors que les points C1, C2 C3 et C4, au sud des parcelles [I], ont une altimétrie de 49,20, 49,09 ; 49, 24 et 49,49, tandis qu'il y a au nord de la parcelle des points ayant des hauteurs égales ou supérieures (A2 et A3 : 49,33 et 49, 40 ; A4 : 49,40 et 49,43 ; A5 : 49,35 et 49,41). L'existence d'une pente allant du sud vers le nord n'est dès lors pas démontrée.

M. et Mme [N] produisent au demeurant eux-mêmes une attestation dont l'auteur, M. [L], explique s'être rendu sur la parcelle de M. et Mme [N] le 13 août 2014 et avoir constaté 'l'écoulement d'eau provenant de la parcelle voisine en amont, sur leur terrain pour finir ensuite dans la rivère après avoir traversé une partie de leur parcelle'.

L'expert répond d'ailleurs clairement, en réponse à un dire de M. et Mme [N], que l'écoulement des eaux des parcelles [Cadastre 10] et [Cadastre 11] ne chemine pas directement dans la Cisse (page 8, I).

Il est ainsi suffisamment établi que les parcelles de M. et Mme [I] sont situées en amont de celle de M. et Mme [N] et que l'écoulement naturel des eaux des parcelles de M. et Mme [I] se fait non pas directement dans la Cisse située au nord mais sur la parcelle I79 de M. et Mme [N] située à l'ouest, étant précisé qu'à l'ouest de celle-ci passe la Cisse.

Le fait que les parcelles se trouvent en zone humide n'est pas incompatible avec l'existence d'une servitude d'écoulement des eaux, l'eau ayant, même dans une telle zone, vocation à s'écouler.

M. et Mme [N] sont donc tenus, en application de l'article 640 du code civil, à recevoir les eaux qui découlent naturellement des parcelles I80 et I81, sans rien faire qui puisse empêcher l'écoulement naturel des eaux.

Ils soutiennent que les travaux qu'ils ont réalisés sur leur parcelle n'ont pas modifié l'écoulement naturel des eaux.

S'agissant des travaux réalisés par M. et Mme [N] sur leur parcelle, l'expert M. [S] note 'nous nous faisons enfin préciser que les travaux réalisés en 2010 sur la parcelle [Cadastre 9] étaient relatifs au curage de l'étang, y compris agrandissement, à la création d'une mare au niveau d'une noue naturelle d'écoulement d'eau avec système de régulation, ainsi qu'à un aménagement paysagé suite au défrichage de la parcelle' (page 5 de son rapport).

L'expert a constaté (page 5) que la parcelle comprend un étang ainsi qu'une mare, d'une surface de 200 mètres carrés. Il précise que l'étang aurait été aménagé par les nouveaux propriétaires en 2010. Il indique encore que la pente naturelle du terrain est interrompue au niveau de la parcelle [N] suite à des travaux de remblaiement réalisés en 2010. Il considère que ces remblais ont modifié les pentes et freiné l'écoulement des eaux.

S'agissant de la noue naturelle d'écoulement des eaux qui aurait été obstruée à l'occasion de ces travaux, l'expert constate (page 5) que subsiste 'le seul exutoire par buse au droit de la mare de la parcelle [Cadastre 9] et une légère dénivellation sur la parcelle [Cadastre 10]".

M. et Mme [N] indiquent qu'ils ont effectué sur leur parcelle des travaux de nettoyage du baignon et de nettoyage de la mare, sans modifier l'inclinaison des parcelles et la topographie du terrain, et sans créer aucune digue, seule chose interdite par l'article 640 du code civil. Ils contestent en revanche avoir réalisé des travaux d'aménagement et de terrassement. Ils soutiennent que contrairement à ce qu'indique l'expert [S], il n'y a jamais eu de remblais sur leur propriété.

Il résulte des attestations produites par M. et Mme [N] qu'ils ont débrousaillé une partie de la parcelle, abattu et débité quelques arbres, peupliers et saules, dévasé et curé le baignon qui s'y trouvait, baignon qualifié de 'dangereux' comme comportant plusieurs mètres de profondeur de vase (M. [L]), et remplacé par une mare. M. [W] (pièce 14) atteste avoir aidé M. et Mme [N] dans la réalisation de ces travaux, et avoir ainsi abattu et débité quelques arbres. Il confirme que 'l'entrepreneur avec sa pelleteuse a dévasé la fosse, le baignon, retiré les buses en ciment enterrées allant du baignon à la rivière Cisse car celles-ci étaient cassées, puis remplacées par deux noir en PVC' .

Il résulte de l'attestation de M. [D], membre du syndicat de la Cisse (pièce 45) qu'un 'baignon' (résurgence de la nappe phréatique) se situait sur la parcelle I79 au lieudit [Localité 14], sur la parcelle des époux [N], à quelques mètres de la rivière, et qu'après avoir été débrousaillée, nettoyée, cette résurgence ressemble aujourd'hui à une petite mare.

.

Toutefois, il résulte des pièces produites qu'il ne s'agit pas là des seuls travaux qu'ils ont réalisés puisque :

- la Préfecture du Loir-et-Cher leur a adressé le 22 octobre 2010 (pièce n°2) un courrier indiquant qu'un de ses techniciens a constaté, le 5 octobre 2010, la réalisation de travaux de curage sur le cours d'eau 'La Cisse', que le lit de la rivière a été rectifié sur vingt mètres environ (atterrissement au milieu du ruisseau supprimé et matériaux remis en berge en pente douce) ;

- il est mentionné dans ce même courrier 'Concernant le plan d'eau et les travaux de curage avec remblai en lit majeur du cours d'eau, M. [A] reprendra contact avec vous afin de vérifier l'étendue des terrassements (plan d'eau supérieur ou non à 100 mètres carrés, remblais en lit majeur supérieur ou non à 400 mètres carrés) et de connaître leur statut'.

- enfin, la Préfecture du Loir-et-Cher (leur pièce n°7) leur a adressé un courrier dans laquelle elle indique que, suite à une rencontre sur site le vendre 19 avril 2013 'nous avons constaté que vous aviez déjà entrepris des travaux de confortement des berges sur une longueur de 15 mètres au cours des précédentes années'.

Si M. et Mme [N] contestent avoir réalisé des travaux de remblaiement, la présence de remblais et de terrassements est toutefois mentionnée dans ces courriers, qui démontrent que les travaux réalisés n'ont pas consisté en le seul curage du baignon et nettoyage de leur parcelle mais ont revêtu une ampleur plus importante, concernant l'ensemble de la parcelle, jusqu'aux berges de la Cisse et au lit de la rivière. Ils ne précisent pas ce qu'il est advenu de la terre et de la vase retirée à l'occasion des opérations de curage et de creusement qu'ils ont réalisées.

Si l'auteur de M. et Mme [N], M. [P], avait déjà réalisé des travaux en 1977 (pièce n°11 de M. et Mme [N]), il est suffisamment établi par les pièces produites que M. et Mme [N] ont réalisé postérieurement à leur acquisition des travaux ayant modifié l'aménagement de leur parcelle, qu'ils ont supprimé la noue d'écoulement des eaux précédemment existante et l'ont remplacée par une mare, et ont réalisé des travaux de terrassement et de remblaiement.

Or l'expert [S] relève que les remblais ont modifié la pente naturelle du terrain de M. et Mme [N] et freiné l'écoulement des eaux en créant des stagnations lors d'importants épisodes pluvieux.

Si l'expert [S] n'a pas constaté, le jour où il s'est rendu sur les lieux, d'inondation sur le terrain de M. et Mme [I], les pièces qu'ils produisent démontrent que depuis les travaux réalisés par M. et Mme [N], leurs parcelles sont davantage 'inondées'. Ainsi dans son attestation, M. [B] (sans lien de parenté avec M. et Mme [I]), propriétaire de la parcelle I82 et ancien propriétaire de la parcelle I78, certifie n'avoir jamais vu d'eau stagnante sur les parcelles I [Cadastre 10] et [Cadastre 11] avant l'année 2010 (pièce 13 de M. et Mme [I]). Tel est également le cas de Mme [Y] (pièce10), ancienne propriétaire de la parcelle I80, qui indique qu'il n'y a jamais eu d'eau stagnante sur la parcelle I80 tant qu'elle en a été propriétaire jusqu'en 1996, le terrain étant praticable toute l'année. M. et Mme [I] produisent également plusieurs attestations de membres de leur famille, dont il résulte qu'il y a plus souvent qu'avant 2010 de l'eau sur leur terrain, à tel point que l'accès en voiture y est devenu difficile en raison de la présence d'eau stagnante.

La réalité de l'aggravation des épisodes d'inondation est établie par les attestations produites, et notamment par celle de MM. [K] [V] et [U] [I], qui attestent en 2014 qu'avant 2010, ils n'avaient pas constaté de phénomènes d'inondations mais que depuis 3 ans, ils ont constaté la présence d'eau, le terrain étant selon [U] [I] 'inondé durant tout l'hiver et le printemps depuis 3 ans'.

Si la présence d'eau en surface dans cette zone dite humide ne peut être totalement exclue, il résulte de ces éléments une aggravation des phénomènes de rétention et de stagnation d'eau sur les parcelles de M. et Mme [I] depuis la réalisation par M. et Mme [N] des travaux sur leur parcelle.

La preuve est ainsi rapportée par l'ensemble de ces éléments de ce que les travaux réalisés par M. et Mme [N] sur leur parcelle, peu important qu'il ne s'agisse pas d'une digue, ont freiné l'écoulement naturel des eaux, auquel ils ne pouvaient faire obstacle, ce qui génère , sur les parcelles de M. et Mme [I], des inondations plus fréquentes et se maintenant plus longtemps.

Sur les mesures réparatoires

Moyens des parties

M. et Mme [I] sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il a dit qu'un fossé devrait être exécuté sur le terrain appartenant aux époux [I] sur un endroit dégagé de la plantation, à quelques mètres de la parcelle des époux [N], et devrait être de 70 cm de profondeur pour retrouver le niveau de la rivière de la Cisse, à charge pour M. et Mme [N] de régler le coût de ces travaux, estimé à 4536 euros par l'expert judiciaire.

M. et Mme [N] font valoir que le propriétaire du fonds inférieur ne peut être contraint, pour remédier à une aggravation de la servitude naturelle d'écoulement des eaux causée par le propriétaire du fonds supérieur, d'accepter la réalisation d'un ouvrage sur son propre fonds.Ils ajoutent qu'il ne saurait a fortiori être remédié à une prétendue aggravation d'une servitude d'écoulement des eaux de ruissellement par la réalisation d'un ouvrage sur le fonds qui n'est pas le sien.

Ils ajoutent que la réalisation d'un fossé viendrait contredire le droit de passage institué par l'arrêt du 3 février 2020, en faisant obstruction à ce passage, ce que cherchent M. et Mme [I] de façon détournée puisque la servitude de passage serait alors traversée par ce fossé.

Ils proposent, dans l'hypothèse où serait retenue l'existence d'une servitude d'écoulement des eaux, de réaliser un fossé à leurs frais sur leur propre parcelle, à l'aplomb de la limite de la parcelle I n°[Cadastre 10] appartenant à M. et Mme [I], ce qui permettrait de ne pas faire obstacle à leur droit de passage.

Réponse de la cour

M. et Mme [N] sont tenus de ne rien faire qui aggrave la servitude d'écoulement naturel des eaux provenant de la parcelle de M. et Mme [I]. Les travaux qu'ils ont réalisés freinant l'écoulement naturel des eaux, il leur appartient de mettre en oeuvre les mesures propres à rétablir l'écoulement naturel des eaux tel qu'il existait antérieurement.

L'expert préconise, pour permettre d'améliorer l'écoulement des eaux, la réalisation d'un fossé mitoyen, au droit de la limite de propriété entre les parcelles I79 et I80, fossé d'une largeur de 1 mètre, s'écoulant du sud vers le nord avec une pente moyenne de 2%.

Toutefois, deux éléments sont de nature à rendre une telle solution inopportune :

- d'une part la mésentente particulièrement aigue entre les parties, qui a conduit à plusieurs plaintes pénales, rendra très compliquée la réalisation, puis l'entretien, d'un ouvrage mitoyen, à cheval sur l'une et l'autre propriété, et risque de générer de nouveaux contentieux et d'envenimer encore des relations déjà difficiles ;

- d'autre part, M. et Mme [N] font valoir, sans que M. et Mme [I] ne répondent sur ce point, qu'un tel fossé ferait obstacle au droit de passage sur la parcelle de M. et Mme [I], qui leur a été reconnu par l'arrêt de la cour d'appel du 3 février 2020, puisque ce fossé traverserait ce chemin.

Cette solution ne sera donc pas retenue.

Chaque partie propose la réalisation d'un ouvrage sur sa parcelle. Il convient d'examiner ces deux propositions.

M. et Mme [I] proposent la création d'un fossé sur leur parcelle, aux frais de M. et Mme [N].

L'expert indique que cette solution variante peut également être retenue.

Toutefois :

- M. et Mme [N] ne peuvent être condamnés à réaliser un ouvrage sur une parcelle ne leur appartenant pas ; ils ne pourraient donc le cas échéant être condamnés qu'à supporter le coût de tels travaux et donc à verser une somme équivalente à leur montant à M. et Mme [I] ;

- d'autre part, M. et Mme [I] ne donnent aucune indication sur l'emplacement de ce fossé, qui risque en effet d'entraver le droit de passage reconnu aux époux [N], sauf à imposer à M. et Mme [I], tenus de respecter ce droit de passage, de prendre les mesures propres à permettre l'exercice de ce droit de passage, ce qui risque d'augmenter de façon substantielle pour eux le coût des travaux.

Enfin, M. et Mme [N] proposent quant à eux la réalisation d'un fossé sur leur parcelle. Cette solution :

- permet d'éviter la réalisation d'un ouvrage mitoyen ;

- rejoint la proposition de l'expert sauf en ce que cet ouvrage, au lieu d'être mitoyen, sera réalisé sur la parcelle de M. et Mme [N] en limite de propriété avec la parcelle [Cadastre 10], telle que fixée par les opérations de bornage ;

- ce fossé devra rejoindre la rivière La Cisse et il appartiendra à M. et Mme [N] de l'entretenir afin qu'il remplisse son office.

Il convient en outre d'ajouter qu'il n'est pas illégitime que M. et Mme [N], qui sont à l'origine des travaux ayant freiné l'écoulement naturel des eaux, supportent sur leur fonds les mesures propres à rétablir cet écoulement naturel.

Il convient dès lors de condamner M. et Mme [N] à réaliser sur leur parcelle I n°[Cadastre 9], en limite de propriété avec la parcelle I n°[Cadastre 10] soit le long de l'axe X1 - X2 conformément au bornage judiciaire réalisé, un fossé de 75 mètres de longueur et d'un mètre de largeur, avec une pente minimum de 2% du sud vers le nord, allant jusqu'à la rivière La Cisse, à charge pour M. et Mme [N] de l'entretenir afin qu'il remplisse son usage, dans un délai de trois mois à compter de la présente décision.

Sur les demandes d'indemnisation

Moyens des parties

M. et Mme [I] sollicitent la condamnation de M. et Mme [N] à leur verser:

- au titre de leur préjudice de jouissance : une somme 6000 euros par confirmation du jugement, et une somme de 4000 euros au titre de la période postérieure ;

- 7500 euros au titre de la dépréciation du terrain.

Ils font valoir qu'ils ne peuvent plus pique-niquer ni faire de réunion de famille sur leur terrain depuis 2010, que M. [I] a dû abandonner la chasse en groupe et aux canards l'hiver, devant accéder au terrain à pied

depuis la ferme, que l'entretien du terrain est difficile où tout est déposé dans la cabane qui reste inaccessible 8 à 10 mois par an. Ils estiment que leur terrain est impraticable 8 à 10 mois par an.

M. et Mme [N] s'opposent à ces demandes. Ils rappellent que toutes ces parcelles se situent en zone inondable et non constructible, qu'il existait des périodes de rétention d'eau avant que M. et Mme [I] ne fassent l'acquisition de ces parcelles et avant les travaux en cause, qu'ayant un droit de passage sur la parcelle de M. et Mme [I], ils n'ont aucun intérêt à aggraver l'imprégnation de cette zone par l'eau. Ils ajoutent que M. et Mme [I] ont acquis leurs parcelles pour un prix de 1524 euros.

Ils rappellent que les dispositions de l'article 641 du code civil ne prévoient une indemnisation qu'au profit du propriétaire du fonds inférieur, et non du fonds supérieur, de sorte que M. et Mme [I] ne peuvent formuler aucune demande indemnitaire.

Réponse de la cour

M. et Mme [N] soutiennent que l'indemnisation du propriétaire du fonds supérieur n'est pas prévue par l'article 641 du code civil de sorte que M. et Mme [I] ne peuvent demander aucune indemnisation.

Toutefois, l'article 641 du code civil, qui dispose que si l'usage de ces eaux ou la direction qui leur est donnée aggrave la servitude naturelle d'écoulement établie par l'article 640, une indemnité est due au propriétaire du fonds inférieur, concerne le cas dans lequel le propriétaire du fonds supérieur aggrave par son fait la servitude d'écoulement des eaux qui pèse sur le fonds inférieur.

Il n'est nullement interdit au propriétaire du fonds supérieur, qui voit l'écoulement naturel des eaux en provenance de sa parcelle sur le fonds inférieur entravé ou freiné en conséquence de travaux réalisés sur le fonds inférieur, et qui en subit un préjudice, d'en solliciter réparation sur le fondement des principes généraux de la responsabilité civile.

En l'espèce, il est établi que M. et Mme [N], dont le fonds supportait une servitude d'écoulement des eaux, ont réalisé des travaux qui freinent cet écoulement naturel, ce qu'ils ne pouvaient faire. Ils doivent donc réparer le préjudice en résultant le cas échéant pour M. et Mme [I].

S'il est constant que les parcelles de M. et Mme [I] sont situées en zone humide, il n'en demeure pas moins qu'il est établi que le fonds de M. et Mme [I] fait l'objet, plus fréquemment et plus longtemps qu'avant 2010, de phénomènes de rétentions et de stagnations d'eau qui rendent leurs parcelles pour partie impraticables.

Cette aggravation de ces 'inondations', que les précédents propriétaires de leur parcelle affirment n'avoir pas connus, sont à l'origine d'un préjudice de jouissance puisque M. [I] fréquentait très régulièrement son

terrain, M. et Mme [N] confirmant qu'il s'y rendait 'quotidiennement', l'entretenait puisqu'ainsi que le soulignent M. et Mme [N], M. [I] le tondait régulièrement avec son micro-tracteur. Les fils de M. [N] confirment que le terrain était utilisé par la famille lors de pique-nique et parties de pêche dans la rivière, que les petits-enfants y venaient régulièrement avec leur grand-père et que la dégradation de l'état du terrain en a réduit l'accès. Il est encore établi par les attestations produites que M. [I] y pratiquait la chasse et que l'exercice de cette activité a été empêchée par l'imprégnation du terrain en eau une partie de l'année. Il est donc démontré que M. et Mme [I] faisaient de leurs terrains un usage régulier, à des fins personnelles et familiales, l'entretenaient régulièrement et y étaient attachés.

Les phénomènes de stagnation d'eau réduisent pendant une partie de l'année l'accès au terrain, ainsi qu'à la cabane qui se trouve sur leur parcelle, nuisant aux possibilités d'entretien, et réduisent la possibilité d'y pratiquer les diverses activités d'agrément qu'ils y avaient avant la réalisation des travaux par M. et Mme [N] en 2010.

En considération de la durée de ces troubles, et de leurs incidences sur la vie familiale de M. et Mme [I], il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a alloué à M. et Mme [I], une somme de 6000 euros au titre du préjudice de jouissance subi jusqu'à la date du jugement, et d'y ajouter une somme de 1500 euros en réparation du préjudice de jouissance qu'ils continuent à subir depuis.

S'agissant de la demande au titre de la dépréciation de leur terrain, il est constant que la perte d'un certain nombre d'arbres, notamment fruitiers, est de nature à entraîner une perte de valeur de ces parcelles. En revanche, le trouble tenant à l'aggravation des inondations étant réparé par les mesures ordonnées par la présente décision, il n'en résulte aucune perte de valeur du terrain qui a vocation à retrouver, après réalisation des mesures ordonnées, son usage initial. En considération de la valeur de la parcelle, dont M. et Mme [I] estiment qu'elle a une valeur équivalente à la parcelle voisine d'une valeur de 15 000 euros, la somme de 1000 euros allouée à ce titre par le premier juge répare justement ce poste de préjudice et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

Les circonstances de la cause justifient de confirmer le jugement en ses mesures accessoires.

M. et Mme [N] seront tenus aux dépens de la procédure d'appel.

Les circonstances de la cause justifient de les condamner à payer à M. et Mme [I] une somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant par mise à disposition au greffe, publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

RAPPELLE que le jugement a été infirmé par un arrêt avant-dire droit en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation des opérations d'expertise judiciaire :

INFIRME le jugement en ce qu'il dit qu'un fossé devra être exécuté sur le terrain appartenant aux époux [I] sur un endroit dégagé de la plantation, à quelques mètres de la parcelle des époux [N], et devra être de 70 centimètres de profondeur pour retrouver le niveau de la rivière de la 'Cisse', et que M. et Mme [N] régleront le coût de ces travaux, estimé à la somme de 2 000 euros TTC par l'expert judiciaire,

Le CONFIRME pour le surplus des dispositions entreprises ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

DIT qu'il existe une servitude d'écoulement des eaux des parcelles cadastrées I n°[Cadastre 10] et [Cadastre 11] appartenant à M. et Mme [I], sur la parcelle I n°[Cadastre 9] appartenant à M. et Mme [N] ;

CONDAMNE M. et Mme [N] à réaliser, sur leur parcelle située à [Localité 8], lieudit '[Localité 14]', cadastrée I n°[Cadastre 9], en limite de propriété avec la parcelle cadastrée I n°[Cadastre 10] soit le long de l'axe X1 - X2 retenu comme limite par le bornage judiciaire, un fossé de 75 mètres de longueur et d'un mètre de largeur, avec une pente minimum de 2% du sud vers le nord, allant jusqu'à la rivière La Cisse, à charge pour M. et Mme [N] de l'entretenir afin qu'il remplisse son usage, dans un délai de trois mois à compter de la présente décision ;

CODNAMNE in solidum M. et Mme [N] à verser à M. et Mme [I] une somme complémentaire de 1500 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice de jouissance subi depuis le jugement de première instance ;

CONDAMNE in solidum M. et Mme [N] à verser à M. et Mme [I] une somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum M. et Mme [N] aux dépens de la procédure d'appel, en ce compris le coût de la mesure d'expertise ordonnée en appel, confiée à M. [S].

Arrêt signé par Mme Anne-Lise COLLOMP, Présidente de Chambre et Mme Karine DUPONT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 19/02738
Date de la décision : 23/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-23;19.02738 ?
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