La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/07/2024 | FRANCE | N°22/01856

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Chambre sociale, 19 juillet 2024, 22/01856


C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE - A -

Section 1

PRUD'HOMMES

Exp + GROSSES le 19 juillet 2024 à

Me Quentin ROUSSEL

la SELARL MALLET-GIRY, ROUICHI, AVOCATS ASSOCIES



FC



ARRÊT du : 19 JUILLET 2024



N° : - 24



N° RG 22/01856 - N° Portalis DBVN-V-B7G-GT6W



DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ORLEANS en date du 20 Juillet 2022 - Section : ENCADREMENT



ENTRE



APPELANT :



Monsieur [E] [Z]

né le 08 Mai 1961 à

[Adresse 1]

[Localité 3]



représenté par Me Quentin ROUSSEL, avocat au barreau D'ORLEANS





ET



INTIMÉE :



Maître [T] [V]

Membre de la S...

C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE - A -

Section 1

PRUD'HOMMES

Exp + GROSSES le 19 juillet 2024 à

Me Quentin ROUSSEL

la SELARL MALLET-GIRY, ROUICHI, AVOCATS ASSOCIES

FC

ARRÊT du : 19 JUILLET 2024

N° : - 24

N° RG 22/01856 - N° Portalis DBVN-V-B7G-GT6W

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ORLEANS en date du 20 Juillet 2022 - Section : ENCADREMENT

ENTRE

APPELANT :

Monsieur [E] [Z]

né le 08 Mai 1961 à

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Quentin ROUSSEL, avocat au barreau D'ORLEANS

ET

INTIMÉE :

Maître [T] [V]

Membre de la SAS SAULNIER [V] et ASSOCIES

Pris en sa qualité de mandataire judicaire à la liquidication de la société LA GABARE

Dont le siège social est sis [Adresse 5]

[Localité 4]

représentée par Me Christophe ROUICHI de la SELARL MALLET-GIRY, ROUICHI, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau D'ORLEANS

Partie intervenante en intervention forcée

L'UNEDIC Délégation AGS CGEA [Localité 4]

Association déclarée représentée par son représentant légal

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Non représentée non constituée

Ordonnance de clôture : 8 MARS 2024

Audience publique du 14 MARS 2024 tenue par M. Alexandre DAVID, Président de chambre, et par Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller, ce, en l'absence d'opposition des parties, assistés lors des débats de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier.

Après délibéré au cours duquel M. Alexandre DAVID, Président de chambre et Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller, ont rendu compte des débats à la Cour composée de :

Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre, président de la collégialité

Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre

Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller

Assistés lors des débats de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier.

Puis le 19 juillet 2024, Monsieur Alexandre DAVID, président de Chambre, assisté de Monsieur Jean-Christophe ESTIOT, greffier, a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

FAITS ET PROCÉDURE

M. [E] [Z] a été engagé à compter du 19 août 2019 par la S.A.S. La Gabare en qualité de responsable de magasin, statut cadre, niveau C1. Le salarié était soumis au régime du forfait en jours.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale du commerce de détail des fruits et légumes, épicerie et produits laitiers du 15 avril 1988.

Le 17 décembre 2019, l'employeur a adressé à M. [Z] un rappel à l'ordre portant d'une part sur ses carences managériales, d'autre part sur une attitude inadaptée à l'égard des fournisseurs.

Le 27 décembre 2019, une rupture conventionnelle a été conclue entre les parties.

Le 10 janvier 2020, M. [Z] a adressé à l'employeur un courrier de rétractation.

Le 22 janvier 2020, une nouvelle convention de rupture a été conclue fixant la fin du contrat au 6 mars 2020.

Le 28 février 2020, la rupture conventionnelle a été homologuée. La relation de travail a pris fin le 6 mars 2020.

Le 26 mai 2020, M. [Z] a adressé un courrier à l'employeur afin de contester la rupture et afin de solliciter le paiement de diverses heures supplémentaires.

Par requête du 24 septembre 2020, M. [E] [Z] a saisi le conseil de prud'hommes d'Orléans aux fins d'obtenir le prononcé de la nullité de la rupture conventionnelle et de la convention de forfait en jours, un rappel d'heures supplémentaires, de voir reconnaître l'existence d'un travail dissimulé et d'obtenir le paiement de diverses sommes en conséquence.

Par jugement du 20 juillet 2022, auquel il est renvoyé pour un plus ample exposé du litige, le conseil de prud'hommes d'Orléans a :

Déclaré valide la convention de forfait jours.

En conséquence,

Débouté M. [E] [Z] de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires, des congés payés afférents et de l'indemnité de repos compensateur.

Déclaré valide la rupture conventionnelle signée par M. [E] [Z].

En conséquence,

Débouté M. [E] [Z] de sa demande d'indemnité de préavis et des congés payés afférents ainsi que de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Débouté M. [E] [Z] du surplus de ses demandes.

Débouté la SAS La Gabare de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamné M. [E] [Z] aux dépens.

Le 28 juillet 2022, M. [E] [Z] a relevé appel de cette décision.

Par jugement du 25 janvier 2023, le tribunal de commerce d'Orléans a ouvert une procédure de sauvegarde au profit de la société La Gabare.

Par jugement du 24 janvier 2024, le tribunal de commerce d'Orléans a converti la procédure de sauvegarde en liquidation judiciaire, Maître [T] [V], membre de la SAS [V]-Saulnier, étant désigné en qualité de mandataire liquidateur.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les conclusions remises au greffe le 27 octobre 2022 et signifiées le 7 février 2023 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du Code de procédure civile et aux termes desquelles M. [E] [Z] demande à la cour de :

Infirmer la décision entreprise, en ses dispositions suivantes :

Déclaré valide la convention de forfait jours

Débouté M. [E] [Z] de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires, des congés payés afférents et de l'indemnité de repos compensateur,

Déclaré valide la rupture conventionnelle signée par M. [E] [Z],

Débouté M. [E] [Z] de sa demande d'indemnité de préavis et des congés payés afférents ainsi que de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Débouté M. [E] [Z] du surplus de ses demandes,

Condamné M. [E] [Z] aux dépens,

Statuant de nouveau, des chefs infirmés :

Juger M. [E] [Z] recevable et bien fondé en ses demandes,

Fixer la rémunération mensuelle brute de référence à 3078 euros,

Annuler et juger de nul effet la convention de forfait jours,

Prononcer l'inopposabilité de la convention de forfait jours,

Annuler et juger de nul effet la rupture conventionnelle,

Condamner la société La Gabare à verser à M. [E] [Z] les sommes de :

15 270,15 euros brut de rappel de salaires outre 1527,01 euros d'indemnité de congés payés y afférents au titre des heures supplémentaires effectuées,

8899,02 euros d'indemnité de repos compensateur,

18 468 euros d'indemnité pour travail dissimulé en application de l'article L.8223-1 du code du travail,

9234 euros d'indemnité de préavis, outre 923,40 euros d'indemnité compensatrice de congés payés,

3078 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse en application de l'article L.1235-3 du Code du travail,

3000 euros d'indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Juger que les salaires et accessoires de salaire produisent intérêts au taux légal depuis le 2 octobre 2020, date de la réception de la convocation de la société La Gabare à l'audience de conciliation et d'orientation,

Juger que les créances indemnitaires produisent intérêts dès la notification du jugement à intervenir,

Ordonner la capitalisation desdits intérêts par année échue en application de l'article 1343-2 du Code civil,

Condamner la société par actions simplifiée coopérative La Gabare aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions remises au greffe le 2 février 2024 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du Code de procédure civile et aux termes desquelles la S.A.S. Saulnier [V] et Associés prise en la personne de Maître [T] [V] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.S. La Gabare demande à la cour de :

Dire et juger Maître [V], membre de la SAS Saulnier [V], es qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société La Gabare recevable et bien fondé en son appel incident,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

Déclaré valide la convention de forfait jours,

En conséquence,

Débouté M. [Z] de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires, des congés payés afférents et de l'indemnité de repos compensateur,

Déclaré valide la rupture conventionnelle signée par M. [Z],

En conséquence,

Débouté M. [Z] de sa demande d'indemnité de préavis et des congés payés afférents ainsi que de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Débouté M. [Z] du surplus de ses demandes,

Condamné M. [Z] aux dépens,

Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société La Gabare de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Et statuant à nouveau,

Condamner M. [Z] à payer à Maître [V], membre de la SAS Saulnier [V], es qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société La Gabare la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure au titre des frais irrépétibles engagés tant en première instance qu'en appel,

À titre subsidiaire,

Débouter M. [Z] de sa demande de rappel de salaire, de contreparties obligatoires en repos et d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

Dire que la Cour ne pourra que fixer les créances au passif de la liquidation judiciaire,

Limiter l'indemnité compensatrice de préavis à 9000 euros brut outre 900 euros brut au titre des congés payés afférents,

Limiter les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à un euro et en tous les cas, dire qu'ils ne pourront pas excéder 3000 euros brut,

À titre reconventionnel, en cas d'annulation de la rupture conventionnelle,

Condamner M. [Z] à restituer la somme de 321 euros réglée au titre de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle,

En tout état de cause,

Condamner M. [E] [Z], aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'Unedic Délégation AGS CGEA d'[Localité 4], à laquelle la déclaration d'appel et les conclusions de M. [E] [Z] ont été signifiées le 8 février 2024, par acte remis à personne, a adressé un courrier à la cour le 12 février 2024 dans lequel elle a indiqué ne pas constituer avocat.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la validité de la convention de forfait en jours

M. [E] [Z] a été engagé le 19 août 2019 et le contrat de travail a pris fin le 6 mars 2020.

M. [E] [Z] fait valoir que l'accord collectif sur lequel repose la clause de forfait en jours insérée à son contrat de travail ne comporte pas de garanties suffisantes dans la mesure où elle ne contient aucun mécanisme de contrôle réel de la charge de travail ou d'alerte en cas de surcharge particulière de travail. Il s'ensuit que la convention de forfait en jours est nulle, et ce d'autant que l'employeur ne rapporte pas la preuve d'un contrôle de sa charge de travail pourtant conséquente.

La S.A.S. Saulnier [V] et Associés prise en la personne de Maître [T] [V] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.S. La Gabare réplique que la convention de forfait en jours est valable même s'il est mentionné par erreur 218 jours, journée de solidarité incluse au lieu de 217 jours, journée de solidarité non incluse, conformément à l'avenant du 3 mars 2000. Cette convention, incluse dans le contrat de travail, rappelle les règles sur la durée du travail et prévoit, en sus des dispositions conventionnelles, le bénéfice au profit du salarié de 14 jours RTT (au lieu de 10 selon la convention collective). M. [E] [Z] a bénéficié d'un suivi régulier de sa charge de travail. Un prévisionnel permettait d'avoir une vision en amont sur la charge de travail. Un document de contrôle devait être rempli a posteriori. Le salarié a participé aux réunions du conseil d'administration qui avait lieu tous les 15 jours, au cours desquelles était évoquée sa charge de travail. Il n'a jamais fait valoir avant la rupture de son contrat, la moindre difficulté concernant son temps de travail.

Les dispositions de l'article 5.6.3 de l'avenant n°37 du 3 mars 2000 relatif à la réduction du temps de travail annexé à la convention collective nationale du commerce de détail des fruits et légumes, épicerie et produits laitiers du 15 avril 1988, applicable à la relation de travail, prévoient s'agissant des cadres autonomes de niveau 6 que :

«  Il est possible de conclure des conventions de forfait annuel en jours, à la condition que le salarié l'ait accepté dans son contrat de travail ou par avenant à son contrat de travail.

Le nombre de jours travaillés pour cette catégorie de personnels est limité à 217 jours par an. En cas de dépassement de ce plafond, le cadre doit bénéficier au cours du premier trimestre de l'année suivante d'un nombre de jours de repos égal au dépassement constaté. Le plafond annuel de jours de l'année considérée est alors réduit d'autant.

La durée journalière maximale de travail effectif est de 10 heures ; en cas de surcharge exceptionnelle de travail, elle sera au maximum de 12 heures.

En tout état de cause, les règles relatives au repos quotidien, prévues à l'article L. 220-1 du code du travail, et les règles relatives au repos hebdomadaire, prévues à l'article L. 221-4 du code du travail, s'appliquent...[...]. »

Selon l'article L.3121-63 du code du travail, les forfaits annuels en heures ou en jours sur l'année sont mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires (Soc., 5 octobre 2017, pourvois n° 16-23.106 à n° 16-23.111, Bull. 2017, V, n° 173).

Les dispositions de la convention collective, en ne prévoyant aucun mécanisme de nature à permettre à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail des salariés soumis au régime du forfait en jours restent raisonnables et n'assurent pas une bonne répartition, dans le temps, du travail des intéressés. Elles sont, par voie de conséquence, inopposables à M. [E] [Z].

La clause de forfait en jours est donc nulle. Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

A titre superfétatoire, il y a lieu de relever que M. [E] [Z] a sollicité la remise de l'ensemble des informations et données personnelles recueillies au cours de l'exécution du travail par l'employeur et malgré une sommation renouvelée devant la cour, celui-ci n'a pas produit les documents demandés.

Quand bien même des plannings prévisionnels existeraient, ils ne sauraient permettre de rapporter la preuve d'un contrôle effectif de la charge de travail.

Les réunions du conseil d'administration se déroulaient en présence de l'ensemble des salariés et des coopérateurs pour le bon fonctionnement de l'association. Il ne s'agissait pas d'un entretien entre l'employeur et son salarié au cours de laquelle ce dernier pouvait aborder sa situation personnelle et sa charge de travail.

Il résulte de ce qui précède que l'employeur ne rapporte pas la preuve d'un suivi effectif de la charge de travail de son salarié.

Sur la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires

La convention de forfait en jours étant nulle, les heures effectuées au-delà de la durée légale du travail doivent être considérées comme des heures supplémentaires et rémunérées comme telles.

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments (en ce sens, Soc 18 mars 2020, pourvoi n° 18-10.919, PBRI).

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant (Soc., 27 janvier 2021, pourvoi n°17-31046, publié).

À l'appui de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires qu'il chiffre à 15 266,15 €, M. [E] [Z] produit son contrat de travail comportant de multiples missions qui, selon lui, ne pouvaient être accomplies en l'espace de 35 heures hebdomadaires alors qu'il ouvrait et qu'il fermait seul le magasin. Dans ses conclusions (p. 20), il indique arriver chaque lundi à 9 h et repartir au plus tôt à 19 h et qu'il travaillait, du mardi au samedi, en arrivant par le tramway de 6 h 40 pour repartir au plus tôt par le tramway de 21 h 20.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre en produisant ses propres éléments.

L'employeur réplique qu'il ne suffit pas d'alléguer de l'exécution d'heures supplémentaires pour fonder une demande mais bien de présenter au minimum, un décompte suffisamment précis des heures accomplies afin de lui permettre d'y répondre. M. [E] [Z] disposait de multiples collaborateurs : salariés, administrateurs et de 84 coopérateurs bénévoles pour l'accompagner dans ses tâches. Il produit les attestations de plusieurs personnes qui détenaient le code alarme, ouvraient et fermaient le magasin : Mme [G], Mme [W], M.[D] et M. [U].

Il ressort des fiches de clôture de caisse émargées par M. [E] [Z] qu'il n'était pas toujours présent à la clôture de caisse.

Il est en est de même des bons de livraison qui sont régulièrement signés par d'autres personnes que M. [E] [Z]. Ainsi que le souligne l'employeur, en octobre 2019 sur 125 bons de livraison, 8 sont signés par M. [E] [Z]. En novembre 2019, sur 125 bons de livraison, six sont signés par M. [E] [Z]. En décembre 2019, sur 164 bons de livraison, 28 sont signés par M. [E] [Z].

Il ressort des attestations produites par l'employeur que pour de nombreuses tâches entrant dans les missions de M. [E] [Z], des administrateurs ou des coopérateurs se substituaient à lui.

La cour considère au vu des pièces versées aux débats par l'une et l'autre des parties que la créance salariale se rapportant aux heures supplémentaires que M. [E] [Z] a effectuées s'élève à 1800 euros brut outre 180 euros brut au titre des congés payés sur la période considérée du 19 août 2019 au 6 mars 2020.

Il y a lieu de retenir qu'aucune heure de travail n'a été effectuée au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires et de débouter le salarié de sa demande d'indemnité de repos compensateur.

Sur la demande au titre du travail dissimulé

M. [E] [Z] sollicite une indemnité en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du chef de travail dissimulé.

L'article L. 8221-5 du code du travail dispose qu'est réputé travail dissimulé le fait de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.

L'élément intentionnel du travail dissimulé doit être caractérisé, ce qui ne résulte pas automatiquement d'impayés d'heures supplémentaires.

Ainsi qu'il l'a été constaté, M. [E] [Z] a, certes, accompli des heures supplémentaires non rémunérées. Toutefois, ces heures ont été réalisées dans le cadre d'une convention de forfait en jours inopposable.

Certes, l'employeur n'a pas opéré de contrôle suffisant sur les heures de travail effectivement réalisées par le salarié.

Il ne résulte cependant pas des éléments du dossier que l'employeur aurait entendu se soustraire à ses obligations déclaratives et aurait sciemment omis de rémunérer des heures de travail dont il avait connaissance qu'elles avaient été accomplies.

L'élément intentionnel du travail dissimulé n'étant pas caractérisé, M. [E] [Z] est débouté de sa demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé. Il y a lieu de confirmer le jugement déféré sur ce point.

Sur la rupture conventionnelle

Aux termes de l'article L.1237-11 du code du travail, l'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat qui les lie. La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties. Elle résulte d'une convention signée par les parties au contrat.

Si l'existence, au moment de sa conclusion, d'un différend entre les parties au contrat de travail n'affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture conclue en application de l'article L. 1237-11 du code du travail, la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties (Soc., 23 mai 2013, pourvoi n° 12-13.865, Bull. 2013, V, n° 128).

M. [E] [Z] soutient qu'il a été contraint de signer une rupture conventionnelle du fait d'accusations graves de harcèlement moral formulées à son encontre à l'égard d'une salariée conduisant à une menace de licenciement. Il ajoute que l'entretien du 5 novembre 2019 n'était pas un réel entretien en vue d'une rupture conventionnelle mais un entretien disciplinaire. Il fait valoir qu'il n'avait pas d'autre choix qu'entre un licenciement pour harcèlement moral et la conclusion d'une rupture conventionnelle.

L'employeur conteste l'existence de pressions en faisant notamment valoir que le salarié a bénéficié d'un temps de réflexion important entre l'entretien et la conclusion de la convention de rupture.

Une première convention de rupture a été signée le 27 décembre 2019. Elle a été précédée d'un entretien le 5 novembre 2019. M. [E] [Z] s'est rétracté le 10 janvier 2020.

M. [E] [Z] a conclu une nouvelle convention de rupture le 22 janvier 2020, après un entretien ayant lieu le 10 janvier 2020, laquelle a été homologuée par la Direccte.

Il ressort des pièces du dossier que M. [E] [Z] a eu une attitude harcelante envers une salariée, Mme [G], et que celle-ci a été placée en arrêt de travail.

Ce comportement fautif est établi par les attestations de :

- Mme [N] (cogestionnaire en charge de la comptabilité): « J'ai trouvé Mme [G] plusieurs fois en pleurs à bout de nerfs apeurée par les cris de M. [Z] » ;

- M. [B] [S] (coopérateur au sein de La Gabare et directeur d'établissement médico-social) qui atteste avoir assisté à une altercation entre Mme [P] [G] et M. [E] [Z], ce dernier étant intervenu d'une façon agressive en les interrompant soudainement pour demander à Mme [G] de réaliser un autre travail qui lui avait été demandé. Il précise avoir envoyé un compte rendu au responsable de la coopérative en novembre 2019 pour l'alerter sur l'obligation générale de sécurité de tout employeur envers ses salariés. Il conclut que M. [Z] « n'avait pas conscience de l'impact négatif de son mode de communication envers Mme [G] qui subissait un stress de plus en plus important suite aux reproches incessants de son supérieur hiérarchique qui manquait de pédagogie pour lui expliquer comment faire pour améliorer sa pratique professionnelle. » ;

- M. [F] [L] co-fondateur de La Gabare et chef d'entreprise qui relate avoir été témoin « de différents échanges très tendus entre [E] et [P] mais également entre [E] et [J] traduisant de mon point de vue une incompatibilité de travail évidente entre eux. Ce type d'altercation n'a pas sa place en entreprise, sans pour autant être en capacité pour ma part de juger qui que ce soit ».

Selon le compte rendu du conseil d'administration du 28 novembre 2019, Mme [G] a été placée en arrêt maladie, victime de harcèlement moral de la part de M. [E] [Z]. Une médiation menée, avec l'accord des deux salariés concernés, a abouti à la reprise de travail de Mme [G] le 12 novembre 2019. Cependant, à la suite d'un accrochage le jour même avec M. [Z], la salariée a été de nouveau en arrêt de travail. Dans ces conditions, estimant que « l'image même de notre projet [ la gestion d'un supermarché coopératif et la promotion d'une agriculture locale et biologique ] est remise en cause par une attitude qui ne correspond pas à nos valeurs », le conseil d'administration, lors de sa séance du 28 novembre 2019, a « voté le départ de M. [E] [Z] de son poste de directeur du supermarché » (pièce n° 12 du salarié).

Il n'en résulte pas pour autant que des pressions aient été exercées sur le salarié aux fins de le contraindre à conclure une rupture conventionnelle.

A cet égard, il apparaît qu'une première convention de rupture a été conclue le 27 décembre 2019, plus d'un mois après un entretien du 5 novembre 2019.

Il ne ressort pas des éléments du dossier que la rupture du contrat de travail était envisagée le 5 novembre 2019, étant relevé que le salarié était à cette date en période d'essai. Il apparaît au contraire qu'une médiation avait été décidée le 28 octobre 2019 afin de trouver une solution à la situation de tension entre M. [Z] et Mme [G] (pièce n° 4 du salarié).

Malgré la décision prise lors du conseil d'administration du 28 novembre 2019, il n'est pas davantage établi que l'employeur ait entendu rompre unilatéralement le contrat de travail et ait menacé le salarié de le sanctionner disciplinairement ou de mettre en oeuvre une procédure de licenciement.

Ainsi, la lettre du 17 décembre 2019 adressée au salarié s'analyse comme un rappel à l'ordre, l'employeur invitant l'intéressé à « adopter une attitude managériale adaptée vis-à-vis de nos collègues acheteurs et scrupuleuse à l'égard des fournisseurs » (pièce n° 4 du salarié). M. [Z] a répondu point par point à ce courrier le 5 janvier 2020, contestant les reproches formulés mais sans jamais évoquer l'existence d'une menace sur son emploi ou une volonté de l'employeur d'obtenir son départ.

La seconde convention de rupture du 21 janvier 2020 a été conclue après un entretien du 10 janvier 2020 au cours duquel ni l'employeur ni le salarié n'étaient assistés. Il y a lieu de relever qu'il s'est écoulé entre cet entretien et la signature de la convention un délai permettant au salarié de faire un choix mûrement réfléchi.

Il n'est pas établi que des pressions aient été exercées sur le salarié, après qu'il a librement usé de sa faculté de rétractation, afin de l'inciter à conclure une rupture conventionnelle.

A cet égard, le salarié produit, en pièce 17, une lettre datée du 23 avril 2020 émanant de son « comité de soutien » qui ne comporte aucune signature et aucun renseignement sur son auteur ou sur les membres du comité de soutien. Cet écrit, dans lequel il est reproché à l'employeur de n'avoir pas versé 27 mois de salaire à un salarié ayant moins d'un an d'ancienneté à titre d'indemnisation de la rupture, n'emporte pas la conviction de la cour.

Dans son attestation (pièce 16 du dossier du salarié), Mme [C] [A] relate que M. [E] [Z] lui a dit le 21 février 2020 : « Je n'ai pas eu le choix, soit ils me licenciaient pour harcèlement, soit je signais une rupture conventionnelle ». Cette attestation transcrit des propos tenus par l'intéressé après l'expiration du délai de rétractation de la convention de rupture. Elle ne permet pas d'établir l'existence d'une pression exercée sur le salarié au moment de la conclusion de la rupture.

Il y a lieu de retenir que M. [E] [Z] a consenti en pleine connaissance de cause à la rupture de son contrat de travail.

La preuve d'un vice du consentement affectant la validité de la rupture conventionnelle n'étant pas rapportée, il n'y a pas lieu d'en prononcer la nullité.

Le jugement du conseil de prud'hommes est confirmé de ce chef et M. [E] [Z] est débouté de ses demandes au titre de la rupture (indemnité de préavis et indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse).

Sur les intérêts de retard et la demande de capitalisation des intérêts

Les sommes accordées au salarié produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation soit le 13 octobre 2020.

Il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts, dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil (1ère Civ., 5 avril 2023, pourvoi n° 21-19.870).

Il y a lieu de rappeler qu'en application des dispositions des articles L. 622-28 et L 641-3 du code de commerce, le jugement d'ouverture de la procédure collective de la S.A.S. La Gabare a arrêté le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que de tous intérêts de retard et majorations.

Sur la garantie de l'AGS

Le présent arrêt sera déclaré opposable à l'Association pour la Gestion du Régime de Garantie des Créances des Salariés intervenant par l'UNEDIC - CGEA d'[Localité 4], laquelle ne sera tenue à garantir les sommes allouées à M. [E] [Z] que dans les limites et plafonds définis aux articles L. 3253-8 à L. 3253-17, D. 3253-2 et D. 3253-5 du code du travail.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Les dépens de première instance et d'appel seront fixés au passif de la procédure collective de la S.A.S. La Gabare.

Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles.

L'équité ne recommande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant des frais irrépétibles de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

Infirme le jugement rendu le 20 juillet 2022, entre les parties, par le conseil de prud'hommes d'Orléans mais seulement en ce qu'il a déclaré valide la convention de forfait jours, débouté M. [E] [Z] de ses demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires et de congés payés afférents et en ce qu'il l'a condamné aux dépens ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Dit nulle la clause de forfait en jours insérée au contrat de travail de M. [E] [Z] ;

Fixe la créance de M. [E] [Z] au passif de la procédure collective de la S.A.S. La Gabare aux sommes suivantes :

- 1 800 euros brut à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires ;

- 180 euros brut au titre des congés payés afférents ;

Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du 13 octobre 2020 ;

Ordonne la capitalisation des intérêts, dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil ;

Rappelle qu'en application des dispositions des articles L. 622-28 et L 641-3 du code de commerce, le jugement d'ouverture de la procédure collective de la S.A.S. La Gabare a arrêté le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que de tous intérêts de retard et majorations ;

Déclare le présent arrêt opposable à l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés intervenant par l'UNEDIC- C.G.E.A d'[Localité 4], laquelle ne sera tenue de garantir les sommes allouées à M. [E] [Z] que dans les limites et plafonds définis aux articles L. 3253-6 à L. 3253-18, D. 3253-5 et D. 3253-2 du code du travail ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Fixe les dépens de première instance et d'appel au passif de la procédure collective de la S.A.S. La Gabare.

Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre et par le greffier

Jean-Christophe ESTIOT Alexandre DAVID


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/01856
Date de la décision : 19/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-19;22.01856 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award