La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/07/2024 | FRANCE | N°22/02611

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Chambre sociale, 18 juillet 2024, 22/02611


C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE - A -

Section 2

PRUD'HOMMES

Exp +GROSSES le 18 JUILLET 2024 à

la SCP WEDRYCHOWSKI ET ASSOCIES

la SELARL LX POITIERS-ORLEANS



XA







ARRÊT du : 18 JUILLET 2024



MINUTE N° : - 24



N° RG 22/02611 - N° Portalis DBVN-V-B7G-GVUB



DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TOURS en date du 12 Octobre 2022 - Section : ENCADREMENT







APPELANT :
>

Monsieur [X] [W]

né le 09 Septembre 1966 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Ladislas WEDRYCHOWSKI de la SCP WEDRYCHOWSKI ET ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS, ...

C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE - A -

Section 2

PRUD'HOMMES

Exp +GROSSES le 18 JUILLET 2024 à

la SCP WEDRYCHOWSKI ET ASSOCIES

la SELARL LX POITIERS-ORLEANS

XA

ARRÊT du : 18 JUILLET 2024

MINUTE N° : - 24

N° RG 22/02611 - N° Portalis DBVN-V-B7G-GVUB

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TOURS en date du 12 Octobre 2022 - Section : ENCADREMENT

APPELANT :

Monsieur [X] [W]

né le 09 Septembre 1966 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Ladislas WEDRYCHOWSKI de la SCP WEDRYCHOWSKI ET ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS,

ayant pour avocat plaidant Me Johanna BRAILLON, avocat au barreau de PARIS

ET

INTIMÉE :

S.C.S. CHUBB FRANCE CHUBB FRANCE, prise en la personne de son gérant, en exercice, et de tous autres représentants légaux domiciliés ès-qualité audit siège.

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 3]

représentée par Me Sophie GATEFIN de la SELARL LX POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau d'ORLEANS,

ayant puor avocat plaidant Me Corinne BEAUCHENAT de l'AARPI BLM ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

Ordonnance de clôture : le 5 avril 2024

Audience publique du 28 Mai 2024 tenue par Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller, et ce, en l'absence d'opposition des parties, assisté lors des débats de Monsieur Jean-Christophe ESTIOT, Greffier,

Après délibéré au cours duquel Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller a rendu compte des débats à la Cour composée de :

Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,

Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller,

Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, conseiller,

Puis le 18 Juillet 2024, Mme Laurence DUVALLET, présidente de Chambre, présidente de la collégialité, assistée de Monsieur Jean-Christophe ESTIOT, Greffier a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

M.[X] [W] a été engagé par la société Chubb France selon contrat à durée indéterminée à compter du 4 décembre 2000 en qualité d'ingénieur commercial. D'abord affecté à l'agence d'[Localité 4], il a été nommé à l'agence de [Localité 7] à compter du 1er juillet 2019.

Après avoir été mis à pied à titre conservatoire à compter du 5 septembre 2019, puis convoqué, par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 septembre 2019, à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 3 octobre 2019, la société Chubb France lui a notifié par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 octobre 2019 son licenciement pour faute grave, en raison d'un " comportement très déplacé " à l'encontre de deux jeunes collègues, Mme [C] et Mme [E] et de " propos et agissements répétés à connotation sexuelle ".

Par requête enregistrée au greffe le 28 septembre 2020, M.[W] a saisi le conseil de prud'hommes de Tours pour contester son licenciement et obtenir le paiement de diverses indemnités et d'un rappel de salaire pour la période de mise à pied.

Par jugement du 12 octobre 2022 auquel il convient de se reporter pour plus ample exposé des motifs, le conseil de prud'hommes de Tours a :

- Dit et jugé que le licenciement pour faute grave de M.[W] est fondé et repose sur des faits de harcèlement sexuel

- Dit et jugé que le licenciement de M.[W] ne révèle pas de conditions brutales ni vexatoires de la part de la société Chubb France

- Débouté M.[W] de l'ensemble de ses prétentions et de toutes les demandes salariales et indemnitaires liées à son licenciement

- Condamné M.[W] au paiement à la société Chubb France de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamné M.[W] aux entiers dépens de l'instance, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

M.[W] a relevé appel du jugement par déclaration notifiée par voie électronique le 10 novembre 2022 au greffe de la cour d'appel.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 25 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles M.[W] demande à la cour de :

- Juger que le licenciement de M.[W] a été initié tardivement, en violation du principe selon lequel aucun fait fautif ne peut donner lieu à double sanction ;

- Juger que le jugement entrepris du Conseil de Prud'hommes de Tours du 12

octobre 2022 a manifestement violé les dispositions des articles 9 du Code de

procédure civile et L.1235-1 du Code du travail ainsi que plus généralement les

droits de la défense pour caractériser la matérialité des faits reprochés à M.[W] ;

- Juger que le jugement entrepris du Conseil de Prud'hommes de Tours du 12

octobre 2022 a manifestement violé les dispositions de l'article L 1153-1 du Code du travail en retenant des comportements répétés au sens de la loi pour des faits

non avérés qui étaient manifestement isolés ;

- Juger en tout état de cause et en tant que de besoin que la qualification de

faute grave pour justifier du licenciement de M.[W] ne saurait

être retenue alors même qu'il s'agirait de faits isolés reprochés à un salarié

exemplaire durant 19 années ;

- Juger que le jugement entrepris du Conseil de Prud'hommes de Tours du 12

octobre 2022 a manifestement violé les dispositions de l'article L 1232-3 du Code du travail en ne tirant pas les conséquences de l'absence d'exposé au salarié lors de l'entretien préalable des faits retenus dans la lettre de licenciement ;

En conséquence,

- Infirmer le jugement entrepris du Conseil de Prud'hommes de Tours en date

du 12 octobre 2022 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- Juger que le licenciement à M.[W] par la société Chubb France est sans cause réelle et sérieuse ;

- Juger a minima que la qualification de faute grave pour justifier du licenciement

de M.[W] ne saurait être retenue au cas d'espèce ;

- Condamner la société Chubb France à verser à Monsieur [X] [W]

une somme de 8.118,17 € brut au titre de la rémunération que ce dernier aurait

dû percevoir durant sa période de mise à pied à titre conservatoire du 5

septembre 2019 au 15 octobre 2019 ainsi qu'une somme de 811,81 € brut au titre

de l'indemnité de congés payés correspondante ;

- Condamner la société Chubb France à verser à M.[W] une somme de 36.531,78€ brut au titre de l'indemnité de préavis ainsi qu'une somme de 3.653,17 € brut au titre de l'indemnité de congés payés correspondante ;

- Condamner la société Chubb France à verser à M.[W] une somme de 64.440,09€.au titre de l'indemnité de licenciement ;

- Condamner la société Chubb France à verser à M.[W] une somme de 88.285,00€ à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamner la société Chubb France à verser à M.[W] une somme de 42.000,00€ à titre de dommages et intérêts du préjudice par lui subi au regard des conditions brutales et vexatoires du licenciement dont il a fait l'objet ;

- Condamner la société Chubb France à verser à M.[W] la somme de 5.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 3 avril 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles la société Chubb France demande à la cour de :

- Déclarer M.[W] mal fondé en son appel, l'en débouter

- Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Tours le 12 octobre 2022 en ce qu'il a :

. Dit et jugé que le licenciement pour faute grave de M.[W] est fondé

et repose sur des faits de harcèlement sexuel,

. Dit et jugé que le licenciement de M. [W] ne révèle pas de conditions brutales ni vexatoires de la part de la société Chubb France ;

En outre,

- Juger que la mise à pied notifiée à M. [W] le 5 septembre 2019 l'a été à titre conservatoire;

En conséquence,

- Juger que la société Chubb France n'avait pas épuisé son pouvoir disciplinaire ;

- Débouter M. [W] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

- Condamner M. [W] à payer à la société Chubb France la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner M. [W] aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 5 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur le licenciement pour faute grave et le harcèlement sexuel

Il résulte de l'article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.

L'article L.1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Enfin, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis; la charge de la preuve pèse sur l'employeur.

Aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, prévoit qu'aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

L'article L.1153-5 du code du travail prévoit que l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner.

En l'espèce, la société Chubb France a licencié M.[W] en invoquant un signalement de deux apprenties, Mme [E] (18 ans) et de Mme [C] (22 ans) du 22 juillet 2019, sur des propos à caractère sexuel, des regards insistants et des questions indiscrètes de M.[W] à leur égard. Une réunion a été organisée le 23 juillet 2019 avec l'intéressé et successivement chacune des plaignantes, au cours de laquelle M.[W] n'aurait pas nié les faits mais " minimisé leur gravité ". La décision de changer M.[W] de local de travail a été prise. D'autres faits ont été ensuite " remontés " qui ne l'avaient pas été initialement, qui ont conduit l'employeur à signifier à M.[W] une mise à pied à titre conservatoire. Une enquête interne a été diligentée qui a établi " plusieurs faits graves et inadmissibles ", notamment que l'après-midi du 19 juillet 2019, M.[W] n'a " cessé de faire des allers-retours entre les postes de travail de deux jeunes-filles ", en adoptant une " attitude particulièrement intrusive sur (leur) vie personnelle et privée " en les interrogeant sur leurs lieux d'habitation ou l'activité professionnelle de leurs parents, des " réflexions suggestives» sur leur physique, celui de l'une étant qualifié de californien ou norvégien, et l'autre " portant bien les épaules nues ". Mme [E] a été invitée dans la piscine privée de M.[W] et conseillée de se " marier avec quelqu'un qui avait de l'argent ", précisant que " cela se voyait qu'elle aimait les belles choses ", lui demandant une photo de son " petit ami " ou lui indiquant qu'elle " avait des failles " qu'il " souhaitait combler sans qu'elle s'en aperçoive ". Mme [E] et Mme [C] se sont plaintes de ses regards insistants, se plaçant notamment en face de Mme [C]. M.[W] a indiqué à Mme [E] qu'il venait de rencontrer une femme " aussi jolie mais plus vieille " et qu'il avait eu " plein de conquêtes " ; M.[P], collège de travail, devant des " propos vulgaires " en présence des jeunes filles, lui a demandé de la " retenue " , ce à quoi M.[W] aurait répondu en disant que " les jeunes filles de leur âge aiment le sexe sale " et aurait multiplié les propos déplacés. Pendant l'entretien préalable, M.[W] aurait dans un premier temps indiqué qu'il ne souvenait de rien, puis indiqué ne pas avoir remarqué la gêne des jeunes filles.

1 - M.[W] estime avoir été sanctionné une première fois par la mise à pied dont il a été l'objet, ce qui empêchait l'employeur de le sanctionner une seconde fois par un licenciement, comme le prescrit la jurisprudence prohibant, au visa de l'article L.1331-1 du code du travail, qu'un fait fautif fasse l'objet d'une double sanction.

La cour constate, à l'instar de qu'affirme la société Chubb France en réplique, que le délai existant entre la lettre de mise à pied conservatoire, remise en mains propres à l'intéressé le 5 septembre 2019 et la lettre de convocation à entretien préalable adressée le 19 septembre 2019, a été mis à profit pour qu'une enquête interne soit diligentée, qui a permis d'interroger diverses personnes, et qui était nécessaire à une prise de décision réfléchie sur la question délicate posée par le signalement opéré par les deux jeunes employées, de sorte qu'à l'inverse de l'espèce examinée par la cour de cassation, citée par M.[W] ( Soc., 14 avril 2021, pourvoi n°20-12.920), ce délai est bien justifié par les nécessités de cette enquête.

La mise à pied notifiée à M.[W] à titre conservatoire ne constitue donc aucunement une sanction distincte au licenciement qui s'en est suivi et M.[W] n'apparaît pas avoir été sanctionné à deux reprises pour les mêmes faits.

2 - M.[W] soutient par ailleurs que les faits qui lui sont reprochés n'auraient pas fait l'objet d'une discussion lors de l'entretien préalable, au mépris de l'article L.1232-3 du code du travail, qui précise qu'au cours de cet entretien, " l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié ".

Cependant, la circonstance que le grief, énoncé par la lettre de licenciement, n'a pas été indiqué au salarié par l'employeur au cours de l'entretien préalable caractérise une irrégularité de forme, ce qui n'empêche pas le juge de décider que ce grief peut constituer une cause réelle et sérieuse du licenciement ( Soc., 28 mai 1997, pourvoi n° 94-42.835, Bulletin 1997, V, n° 196).

Ce moyen est donc inopérant, dans la mesure où M.[W] ne réclame aucune indemnité spécifiquement liée au non-respect de la procédure de licenciement, la légitimité même de ce licenciement n'étant pas conditionnée au respect par l'employeur de son obligation de révéler au salarié les motifs invoqués.

A titre surabondant, la cour relève que si le délégué syndical énumère un certain nombre de détails sur les signalements recueillis qui n'auraient pas été évoqués lors de l'entretien préalable, deux attestations de témoins soulignent que les motifs de son licenciement ont bien été signifiés à M.[W] lors de l'entretien.

Ce moyen sera donc rejeté.

3 - M.[W] conteste la matérialité des faits reprochés, invoquant la violation par la décision entreprise des droits de la défense et des règles de preuve énoncées par l'article 9 du code de procédure civile, et de l'article L.1235-1 du code du travail, la charge de la preuve pesant sur l'employeur et le doute profitant au salarié. Pendant 19 ans il a reçu aucun reproche, produisant de nombreuses attestations témoignant de son attitude irréprochable vis-à-vis de ses collègues féminines. Aucune médiation ni intervention d'un tiers neutre n'ont été mises en 'uvre. Ses propos seraient sortis de leur contexte et particulièrement parcellaires. Il n'existerait en outre aucun témoin direct. Il estime qu'une présomption de culpabilité a été retenue à son détriment, sur la base des seuls témoignages des prétendues victimes, Enfin, il constate que c'est un fait isolé, survenu le 19 juillet 2019, qui a motivé l'accusation de harcèlement sexuel qui lui est opposé, alors qu'un tel harcèlement suppose des faits répétés.

La société Chubb France réplique que les faits reprochés à M.[W] ne sont pas isolés mais ont été constatés de manière répétée depuis son arrivée à l'agence de [Localité 7] par plusieurs autres salariés en pas seulement par Mme [E] et Mme [C]. Elle produit les compte-rendu des entretiens qui ont été menés, signés des salariés qui ont été entendus.

Mme [E] confirme les faits du 19 juillet 2019, sur les qualifications données par M.[W] sur son physique et les invitations dans sa piscine, les questions sur sa vie privée, précisant : " il insistait beaucoup " ; elle confirme aussi les propos vulgaires et l'intervention de M.[P]. Elle indique qu'avec sa collègues, elles ont décidé " de partir plus tôt car nous étions très mal à l'aise en la présence de M.[W] ".

Mme [C] indique : " à chaque fois que je le vois, il me fait des compliments par exemple sur mes vêtements. C'est quelqu'un de très tactile, il me garde la main longtemps ". Elle indique que le 5 juillet 2019, lors de la réunion de convivialité de l'établissement, il racontait " qu'il avait eu plein de conquêtes ". " il me disait que je devais être très convoitée, il me parle très près du visage, cela me met mal à l'aise ". Elle évoque l'intervention le 19 juillet 2019 de M.[P] après que M.[W] a utilisé le terme, en présence des deux salariées présentes, de " grattage de couilles " et qu'il lui a répondu que " les jeunes filles de (leur) âge aiment le sexe sale et (qu'elles) ne devaient pas être choquées ". Elle confirme également les commentaires de M.[W] sur son physique, qu'il avait " vu une jeune fille aussi jolie (qu'elle) mais plus vieille ", qu'elle " portait bien les épaules nues ", qu'elle avait " les oreilles bizarres ", et que s'il était un " connard, il fixerait (ses) oreilles jusqu'à ce (qu'elle) se sente mal à l'aise ",. Il s'est alors assis devant elle. Elle précise que M.[W] a également " embêté " sa collègue Mme [E]. D'autres propos sont rapportés datant d'avant le 5 juillet 2019, où elle l'avait entendu dire que " les femmes devraient porter une étiquette pour qu'on sache si elles sont célibataires ou non, afin que les hommes sachent s'ils peuvent draguer ". Elle précise qu'elle n'a reçu aucun message ou mail de sa part, ni qu'il ait cherché à la contacter depuis la révélation des faits, et qu'il s'est excusé lors de l'entretien qui a été organisé.

D'autres salariés témoignent du comportement de M.[W], dont la description n'est généralement pas élogieuse. M.[B] témoigne notamment de ce que le 19 juillet 2019, les deux jeunes filles sont parties tôt pour ne pas rester seules avec celui-ci. Il indique qu'il a demandé à M.[W] de modérer ses propos avec une autre employée féminine, M.[W] ayant dit devant elle, à propos d'un autre salarié : " attend, il est en train de penser à la gonzesse qu'il a tirée samedi ". Il témoigne de ce que Mme [C] était en pleurs à l'issue de la réunion organisée le 23 juillet 2019 en présence de M.[W].

M.[L] confirme que M.[W] avait des " propos déplacés ". Il a remarqué qu'il disait bonjour à Mme [C] " en lui passant la main dans le dos ", ce que celle-ci a confirmé. Il indique que s'il n'est " pas méchant, c'est une personnalité à part ", et qu'il parle beaucoup " par sous-entendus ".

Mme [V] a reçu les confidences de Mme [C], et indique que M.[W] lui a fait des remarques sur son " beau sourire ", et qu'elle devait " bien chanter ".

M.[J] confirme que " [X] est une personne qui aime plaisanter sur le sexe. Malheureusement, ces plaisanteries ne peuvent pas être faites à tout le monde, surtout lorsque dans notre entreprise nous avions en charge des jeunes filles en formation de respectivement 18 et 22 ans. Les propos tenus à mes yeux peuvent vite être déplacés ".

M.[Y] évoque des propos " exubérants " et de ce qu'une patronne et une serveuse d'un restaurant où il s'était rendu avec des collègues, dont M.[W], se sont plaintes du comportement " dragueur " de ce dernier. Il précise cependant que si " ses propos sont toujours à double sens ", il n'est " jamais dans la grossièreté ". Il évoque également des propos de M.[W] sur le sexe (" j'ai besoin d'avoir des relations tous les jours ").

Il résulte de ces éléments que les propos et le comportement général de M.[W] avec les femmes, et plus particulièrement à l'égard de Mme [E] et de Mme [C] tels qu'elles les ont dénoncés, sont largement confirmés par les auditions auxquelles l'employeur a procédé avec sérieux, dissipant le doute sur la réalité des faits énoncés, qui pour la plupart ont été constatés par des tiers. Il ne peut être reproché à cet égard à l'employeur de ne pas avoir adopté une forme de neutralité en diligentant une enquête interne, chaque salarié ayant été en mesure de s'exprimer librement. Les faits du 19 juillet 2019 apparaissent paroxystiques à cet égard, dans la continuité d'une attitude adoptée auparavant, de telle sorte qu'ils n'apparaissent pas isolés, la réalité du malaise créé chez les deux apprenties concernées étant établi. M.[W] aurait dû prendre conscience lui-même du caractère inadapté de son comportement, à l'instar de ses collègues masculins qui l'ont remarqué, ce qui les ont conduits à l'inviter à la modération de ses propos.

Les attestations des nombreux anciens collègues de travail de M.[W], notamment féminines, dont aucun n'émane de l'équipe de [Localité 7], qui déclarent n'avoir jamais rencontré de difficulté avec ce dernier ou n'avoir rien constaté de répréhensible dans son comportement, ne peuvent remettre en cause la réalité de faits de harcèlement sexuel commis sur le site de [Localité 7] à l'égard de deux apprenties : en effet, les propos et le comportement général adopté par M.[W], de manière répétée, présentent manifestement un caractère dégradant et humiliant, puisqu'ils portent sur le physique des intéressées, ou sont fait de sous-entendus graveleux ou ouvertement grossiers, de sorte que les victimes ont été placées dans une situation intimidante et offensante pour ces dernières.

C'est pourquoi la poursuite du contrat de travail d'un salarié ayant adopté un tel comportement, constaté au demeurant par plusieurs autres salariés que les victimes elles-mêmes, était rendue impossible et justifiait tant une mise à pied à titre conservatoire qu'un licenciement pour faute grave.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

- Sur la demande reconventionnelle de M.[W] en paiement de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire

M.[W] évoque le caractère brutal et vexatoire de son licenciement et une atteinte à sa réputation auprès de ses collègues et de sa famille.

Il a été jugé que la mise à pied conservatoire de M.[W] était justifiée, compte tenu du contexte de harcèlement sexuel dans lequel elle est intervenue, de même que son licenciement à effet immédiat. Il n'est retenu par ailleurs aucune autre circonstance en faveur d'un procédé vexatoire.

C'est pourquoi M.[W] sera, par voie de confirmation, débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts qu'il forme à ce titre, aucune faute ne pouvant être reprochée à l'employeur qui a au contraire, en agissant de la sorte, a répondu à son obligation de prévention des risques.

- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La solution donnée au litige commande de confirmer la décision entreprise s'agissant de l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et d'y ajouter la condamnation de M.[W] à payer à la société Chubb France la somme supplémentaire de 1500 euros pour les frais irrépétibles engagés par celle-ci en appel.

M.[W] sera débouté de sa propre demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 12 octobre 2022 par le conseil de prud'hommes de Tours en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne M.[X] [W] à payer à la société Chubb France la somme de 1500 euros au titre de ses frais irrépétibles, et le déboute lui-même de ce chef de prétention;

Condamne M.[X] [W] aux dépens d'appel.

Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier

Jean-Christophe ESTIOT Laurence DUVALLET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/02611
Date de la décision : 18/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-18;22.02611 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award