RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL D'ORLÉANS
Rétention Administrative
des Ressortissants Étrangers
ORDONNANCE du 3 JUILLET 2024
Minute N°
N° RG 24/01584 - N° Portalis DBVN-V-B7I-HAP6
(1 pages)
Décision déférée : Juge des libertés et de la détention d'Orléans en date du 1er juillet 2024 à 12h27
Nous, Claire Girard, président de chambre à la cour d'appel d'Orléans, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Hermine Bildstein, greffier, aux débats et au prononcé de l'ordonnance,
APPELANT :
M. X se disant [D] [V]
né le 4 août 1995 à [Localité 3] (Algérie), de nationalité algérienne,
actuellement en rétention administrative dans des locaux ne dépendant pas de l'administration pénitentiaire du centre de rétention administrative d'[Localité 4],
comparant par visioconférence, assisté de Me Mahamadou Kante, avocat au barreau d'Orléans,
en présence de Mme [U] [L], interpète en langue arabe, expert près la cour d'appel d'Orléans, qui a prêté son concours lors de l'audience et du prononcé ;
INTIMÉ :
LA PRÉFECTURE D'EURE-ET-LOIR
non comparante, non représentée ;
MINISTÈRE PUBLIC : avisé de la date et de l'heure de l'audience ;
À notre audience publique tenue en visioconférence au Palais de Justice d'Orléans, conformément à l'article L. 743-8 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), le 3 juillet 2024 à 14 heures ;
Statuant en application des articles L. 743-21 à L. 743-23 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), et des articles R. 743-10 à R. 743-20 du même code ;
Vu l'ordonnance rendue le 1er juillet 2024 à 12h27 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire d'Orléans ordonnant la jonction des procédures de demande de prolongation par la préfecture et de recours contre l'arrêté de placement en rétention administrative par le retenu, rejetant ce dernier, rejetant la demande d'assignation à résidence judiciaire, et ordonnant la prolongation du maintien de M. X se disant [D] [V] dans les locaux non pénitentiaires pour une durée de vingt huit jours à compter du 1er juillet 2024 à 9h00 ;
Vu l'appel de ladite ordonnance interjeté le 1er juillet 2024 à 16h47 par M. X se disant [D] [V] ;
Après avoir entendu :
- Me Mahamadou Kante, en sa plaidoirie,
- M. X se disant [D] [V], en ses observations, ayant eu la parole en dernier ;
AVONS RENDU ce jour, publiquement et contradictoirement, l'ordonnance suivante :
Il résulte de l'article 66 de la Constitution et de l'article L. 743-9 du CESEDA que le juge des libertés doit s'assurer que l'étranger est pleinement informé de ses droits et placé en état de les faire valoir lorsqu'il se trouve placé en rétention administrative.
Aux termes de l'article L. 743-12 du CESEDA, en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui est saisie d'une demande d'annulation ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la main levée de la mesure de placement en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger.
Selon l'article L. 741-3 du CESEDA , « un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps nécessaire à son départ, l'administration étant tenue d'exercer toutes diligences à cet effet, dès le placement en rétention »,
Il convient de considérer que c'est par une analyse circonstanciée et des motifs particulièrement pertinents qu'il y a lieu d'adopter que le premier juge a statué sur l'ensemble des moyens de nullité soulevés devant lui et repris devant la cour, étant observé, au vu des termes de la déclaration d'appel du retenu du 1er juillet 2024 et des moyens repris lors des débats de ce jour :
1. Sur la régularité de la procédure précédant le placement en rétention administrative
Sur l'information du procureur de la République de la mesure de placement, M. [D] [V], qui reprend les moyens de nullité soulevés en première absence, avait soulevé devant le premier juge l'irrégularité de l'avis fait au procureur avant la notification du placement.
Il résulte des dispositions de l'article L. 741-8 du CESEDA que le procureur de la République est informé du placement en rétention du retenu et ce, dès le début de la mesure.
Seule une circonstance insurmontable peut justifier un éventuel retard dans l'information du procureur.
Il est de jurisprudence constante que le défaut d'information du procureur de la République quant au placement en rétention de l'étranger entache la procédure d'une nullité d'ordre public, sans qu'il soit nécessaire de démontrer l'existence d'une atteinte portée à ses droits (1ère Civ. 14 octobre 2020, pourvoi n°19 15.197) et il en est de même pour le retard de cette information (1ère Civ. 17 mars 2021, pourvoi n° 19-22.083).
Toutefois aucun formalisme n'est exigé quant à cette information et rien n'empêche que cet avis soit effectué antérieurement à la décision de placement, pourvu que le magistrat compétent ait été avisé de la mesure dans des conditions lui permettant d'exercer son contrôle.
En l'espèce, la préfecture d'Eure-et-Loir a avisé les parquets de Chartre et d'Orléans, par courriel du 28 juin 2024, en les informant que Monsieur X se disant [V] [D], né le 4 août 1995 à [Localité 3] en Algérie, se déclarant de nationalité algérienne, serait libéré le samedi 29 juin 2024 et placé en rétention administrative ce même jour à 8h30, puis transféré au CRA d'[Localité 4].
Ce faisant, les services préfectoraux n'ont commis aucune erreur et ont donné au parquet des informations claires et précises sur la procédure devant être diligentée à l'encontre de M. [D] [V], ce qui lui permettait d'exercer son contrôle. Le moyen est donc rejeté.
Sur le délai écoulé entre le placement et la levée d'écrou, il ressort des dispositions de l'article L. 741-6 du CESEDA que « la décision de placement en rétention est prise par l'autorité administrative, après l'interpellation de l'étranger ou, le cas échéant, lors de sa retenue aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour, à l'expiration de sa garde à vue, ou à l'issue de sa période d'incarcération en cas de détention. Elle est écrite et motivée. Elle prend effet à compter de sa notification ».
En application des dispositions précitées, le juge doit vérifier la date et l'heure inscrites sur la levée d'écrou et sur la notification du placement en rétention, afin d'apprécier si ces actes ont eu lieu concomitamment ou, à défaut, dans un même trait de temps.
En l'espèce, il ressort des pièces de la procédure que la levée d'écrou de M. [D] [V] est intervenue le 29 juin 2024 à 8h30 et que son arrêté de placement lui a été notifié le même jour de 8h30 à 9h soit immédiatement après la fin de son incarcération. Aucune irrégularité ne peut être relevée à cet égard et le moyen s'en retrouve infondé.
2. Sur le placement en rétention
Sur l'incompétence du signataire de l'arrêté de placement, le conseil de M. [D] [V] considère que la délégation de signature accordée à Mme [Y] [P], secrétaire général de la préfecture d'Eure-et-Loir, signataire de la décision de placement du 25 juin 2024 pris à l'encontre de l'intéressé, est formulée en des termes généraux et n'est donc pas valide.
Toutefois, la cour observe, à la lecture de l'article 4 de la délégation de signature en date du 13 mai 2024, que ce dernier accorde à Mme [Y] [P] une délégation à l'effet de signer tous arrêtés, décisions, mémoires, correspondances et saisines et requêtes en première instance et en appel devant les juridictions de l'ordre administratif et judiciaire, pris en application du CESEDA.
En ces termes, sont expressément visées les dispositions du CESEDA et pour des actes limitativement énumérés. Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que la délégation de signature est rédigée en des termes généraux. Le moyen est rejeté.
Sur le défaut d'examen de la situation personnelle liée à la possibilité d'assigner à résidence, M. [D] [V], reprenant les dispositions combinées des articles L. 731-1, L. 741-1 et L. 612-3 8° du CESEDA, conteste la décision du préfet de prononcer un placement en rétention sans envisager une assignation à résidence. Il affirme notamment bénéficier d'une adresse stable au [Adresse 1]) chez M. [B] [H] et produit des bulletins de paie des mois de mai et juin 2024, ainsi qu'une attestation de demande d'activité auprès du centre de détention de [Localité 2] le 18 juin 2024.
En réponse à ce moyen, la cour rappelle au préalable que le préfet n'est pas tenu, dans sa décision, de faire état de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé dès lors que les motifs positifs qu'il retient suffisent à justifier le placement en rétention, qui est la date à laquelle le juge doit se placer pour apprécier la légalité de la décision de placement.
En l'espèce, le préfet d'Eure-et-Loir a notamment justifié sa décision de placement en rétention du 25 juin 2024 par l'absence de justification d'une adresse exacte malgré la mention d'un hébergement chez sa s'ur à [Localité 5], l'impossibilité pour lui d'acquérir légalement les moyens de quitter le territoire français, étant dépourvu de droit au travail, le défaut de production d'un document de voyage ou d'identité en cours de validité, et la menace qu'il représente pour l'ordre public au regard des sept condamnations inscrites à son bulletin n°2 du casier judiciaire.
Ainsi, le préfet d'Eure-et-Loir a motivé sa décision de placement et n'a commis aucune erreur d'appréciation, l'intéressé présentant un risque non négligeable de fuite au regard de l'absence de garanties de représentation, et de la menace que son comportement représente pour l'ordre public compte tenu notamment de la réitération récente d'infractions ayant justifié quatre condamnations par le tribunal correctionnel de Tours, le 15 mai 2021 à une peine de 8 mois d'emprisonnement avec maintien en détention pour des faits de vol en réunion, le 4 juin 2022 à une peine de trois mois d'emprisonnement avec maintien en détention pour des faits de violation d'une interdiction de paraître dans les lieux où l'infraction a été commise, le 5 août 2022 à une peine de 12 mois d'emprisonnement avec maintien en détention pour des faits de vol par ruse, effraction ou escalade dans un local d'habitation ou un lieu d'entrepôt aggravé par une autre circonstance en récidive et de violences ayant entraîné une incapacité de travail n'excédant pas huit jours, portée à 18 mois d'emprisonnement avec maintien en détention par arrêt de la Cour d'appel d'Orléans du 6 décembre 2022, et le 16 janvier 2023 à une peine de 10 mois d'emprisonnement avec maintien en détention pour des faits de recel de bien provenant d'un vol avec destruction ou dégradation.
S'agissant des pièces produites par M. [D] [V] en vue de l'audience de ce jour, force est de constater que l'attestation d'hébergement n'est pas signée et émane de M. [B] [H] alors que l'intéressé avait indiqué, lors de son audition du 30 novembre 2023 et dans le cadre de la contestation de son arrêté de placement, être hébergé par sa s'ur. Par ailleurs, la production de ses bulletins de paie et de son attestation de demande d'activité ne sont pas de nature à caractériser l'existence de ressources suffisantes pour garantir son rapatriement en Algérie, étant rappelé au demeurant qu'il est dépourvu de droit au travail sur le territoire français, du fait de son séjour irrégulier. Le moyen est donc rejeté.
Sur la demande d'assignation à résidence judiciaire, la demande est insusceptible de prospérer, l'intéressé étant dépourvu de document de voyage en cours de validité et ne disposant pas de garanties effectives de représentation propres à prévenir le risque de soustraction à la mesure d'éloignement dont il fait l'objet, ce qui a déjà été développé ci-dessus. Il ne répond donc pas aux exigences de l'article L. 743-13 du CESEDA. Le moyen est rejeté.
Sur l'absence de prise en compte de l'état de vulnérabilité, M. [D] [V] reprend les dispositions de l'article L. 741-4 du CESEDA et affirme que la préfecture n'a pas fait mention de son état de santé dans sa décision de placement du 29 juin 2024, alors même qu'il souffrirait de douleurs intenses aux dents et au ventre et ferait, pour cette raison, l'objet d'un suivi médical.
Selon les dispositions de l'article L. 741-4 du CESEDA : « La décision de placement prend en compte l'état de vulnérabilité et tout handicap de l'étranger.
Le handicap moteur, cognitif ou psychologique et les besoins d'accompagnement de l'étranger sont pris en compte pour déterminer les conditions de placement en rétention ».
En l'espèce, l'arrêté de placement en rétention du 29 juin 2024 est ainsi motivé : « il ne ressort d'aucun élément du dossier ou de ses déclarations que l'intéresserait présenterait un état de vulnérabilité qui s'opposerait à un placement en rétention ».
Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que la préfète du Loiret n'a pas pris en compte l'état de santé de M. [D] [V], étant par ailleurs observé que ce dernier n'a fourni aucune pièce médicale pour confirmer ses allégations. Il ne ressort pas non plus des pièces de la procédure, ni du registre de rétention qu'il ait sollicité un examen auprès de l'unité médicale du centre de rétention administrative d'[Localité 4].
La Cour lui rappellera dès lors que l'UMCRA est disponible pour lui en tant que de besoin et qu'il peut, en considération des règles fixées par l'instruction du Gouvernement du 11 février 2022 relative à la prise en charge sanitaire des personnes retenues dans les centres de rétention administrative, solliciter une évaluation de son état de santé pour vérifier la compatibilité de ce dernier avec un maintien en rétention. Le moyen est rejeté.
3. Sur les diligences de l'administration
Sur les diligences de l'administration, M. [D] [V] reprend les dispositions de l'article L. 741-3 du CESEDA et estime ces dernières insuffisantes en l'espèce. Toutefois, la cour constate que parmi les pièces associées à la requête préfectorale du 30 juin 2024 figure la saisine des autorités consulaires algériennes par courriel du 29 juin 2024, à laquelle sont joints la lettre consulaire sollicitant un laissez-passer, l'arrêté de placement en rétention et la procédure contradictoire préalable, l'audition administrative de l'intéressé et son interdiction judiciaire du territoire.
Il n'y a pas lieu d'imposer à l'administration de justifier de l'accomplissement de diligences durant la période d'incarcération ayant précédé le placement en rétention de l'étranger (1ère Civ. 17 octobre 2019, pourvoi n° 19-50.002).
Ainsi, l'autorité administrative a effectué des diligences nécessaires et suffisantes à ce stade de la procédure administrative de rétention, s'agissant d'une première demande de prolongation, étant rappelé qu'elle ne détient aucun pouvoir de contrainte ou d'instruction sur les autorités consulaires, de sorte qu'il ne peut lui être reproché le défaut de réponse du consulat. Le moyen est rejeté.
Sur la transmission du dossier pénal de M. [D] [V] aux autorités algériennes, il appert que la préfecture d'Eure-et-Loir a transmis au consulat d'Algérie de Paris l'arrêt correctionnel de la Cour d'appel d'Orléans en date du 6 décembre 2022 confirmant l'interdiction du territoire français pour une durée de 5 ans prise à l'égard de l'intéressé. Cet arrêt, en ce qu'il constitue la mesure d'éloignement dont M. [D] [V] fait l'objet, pouvait effectivement être transmis aux autorités algériennes pour leur permettre de comprendre sa situation et d'être en possession de son dossier complet. Le moyen est donc rejeté.
En l'absence de toute illégalité susceptible d'affecter les conditions, découlant du droit de l'Union, de la légalité de la rétention et à défaut d'autres moyens présentés en appel, il y a lieu de confirmer l'ordonnance attaquée.
PAR CES MOTIFS,
DÉCLARONS recevable l'appel de M. [D] [V] ;
DÉCLARONS non fondés l'ensemble des moyens et les rejetons ;
CONFIRMONS l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 1er juillet 2024 ayant ordonné la prolongation de la rétention administrative pour une durée de vingt huit jours ;
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor ;
ORDONNONS la remise immédiate d'une expédition de la présente ordonnance à la préfecture d'Eure-et-Loir, à M. X se disant [D] [V] et son conseil, et au procureur général près la cour d'appel d'Orléans ;
Et la présente ordonnance a été signée par Claire Girard, président de chambre, et Hermine Bildstein, greffier présent lors du prononcé.
Fait à Orléans le TROIS JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE, à heures
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Hermine BILDSTEIN Claire GIRARD
Pour information : l'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.
Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien la rétention et au ministère public. Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification. Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.
NOTIFICATIONS, le 3 juillet 2024 :
La préfecture d'Eure-et-Loir, par courriel
Monsieur le procureur général près la cour d'appel d'Orléans, par courriel
M. X se disant [D] [V] , copie remise par transmission au greffe du CRA
Me Mahamadou Kante, avocat au barreau d'Orléans, copie remise en main propre contre récépissé
L'interprète L'avocat de l'intéressé