COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE
GROSSE à :
SELEURL [R] [D]
CPAM DU CHER
EXPÉDITION à :
SOCIÉTÉ [4]
Pôle social du Tribunal judiciaire de BOURGES
ARRÊT DU : 2 JUILLET 2024
Minute n°262/2024
N° RG 22/02701 - N° Portalis DBVN-V-B7G-GV2I
Décision de première instance : Pôle social du Tribunal judiciaire de BOURGES en date du 4 Novembre 2022
ENTRE
APPELANTE :
SOCIÉTÉ [4]
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Anne-Laure DENIZE de la SELEURL Anne-Laure Denize, avocat au barreau de PARIS, substituée par Me Raphaël JAMI, avocat au barreau de PARIS
D'UNE PART,
ET
INTIMÉE :
CPAM DU CHER
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Mme [H] [I], en vertu d'un pouvoir spécial
D'AUTRE PART,
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 MAI 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller, chargé du rapport.
Lors du délibéré :
Madame Nathalie LAUER, Président de chambre,
Madame Férréole DELONS, Conseiller,
Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller.
Greffier :
Monsieur Alexis DOUET, Greffier lors des débats et du prononcé de l'arrêt.
DÉBATS :
A l'audience publique le 14 MAI 2024.
ARRÊT :
- Contradictoire, en dernier ressort.
- Prononcé le 2 JUILLET 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- Signé par Madame Nathalie LAUER, Président de chambre et Monsieur Alexis DOUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le Magistrat signataire.
* * * * *
La société [4] a déclaré le 11 décembre 2020 un accident du travail à la demande de son salarié, M. [Y] [X], survenu le 9 décembre 2020. Il est fait état d'une 'douleur alléguée au genou gauche sur état pathologique préexistant ' selon M. [X], en manipulant une palette'. L'employeur a exprimé sur la déclaration les réserves suivantes': 'doutes concernant l'origine professionnelle des lésion - état pathologique préexistant -demandons enquête CPAM'.
Cet accident a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie du Cher au titre de la législation professionnelle par décision du 11 mars 2021.
Par courrier adressé au greffe le 8 septembre 2021, la société [4] a saisi le Pôle social du tribunal judiciaire de Bourges d'un recours à l'encontre d'une décision implicite de la commission de recours amiable, confirmant la prise en charge de cet accident et son opposabilité à l'employeur.
Le tribunal judiciaire de Bourges, par jugement du 4 novembre 2022, a':
- débouté la société [4] de l'ensemble de ses demandes,
- déclaré opposable à la société [4] la décision du 11 mars 2021 de la caisse primaire d'assurance maladie du Cher de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l'accident déclaré par M. [X] survenu le 9 décembre 2020, en toutes ses dispositions financières,
- condamné la société [4] aux dépens.
La société [4] a formé appel de cette décision par déclaration formée par voie électronique au greffe de la Cour le 23 novembre 2022.
La société [4] demande à la Cour de':
- déclarer recevable et bien-fondé l'appel formé par la société [4],
- constater que la caisse primaire d'assurance maladie n'a pas mis en mesure la société [4] de compléter le questionnaire employeur dans le cadre de l'instruction et ne justifie par de la réception du questionnaire par la société [4] de sorte que l'instruction n'a pas été contradictoire à son égard,
- constater que caisse primaire d'assurance maladie ne rapporte pas la preuve par des éléments objectifs de la matérialité de l'accident du travail déclaré par M. [X] le 9 décembre 2020 et l'imputabilité des lésions constatées à un fait accidentel et soudain survenu aux temps et lieux de travail,
- constater que la caisse primaire d'assurance maladie n'a pas assuré loyalement son obligation d'information à l'égard de la société [4] en s'abstenant d'assurer l'effectivité de son offre de consultation des pièces lors de la clôture de l'instruction,
En conséquence,
- infirmer le jugement entrepris ayant maintenu opposable à la société [4] la décision de prise en charge de l'accident du travail déclaré par M. [X],
Statuant à nouveau,
- déclarer inopposable à la société [4] la décision de prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de l'accident du travail du 9 décembre 2020 déclaré par M. [X],
- mettre les dépens à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie du Cher.
La caisse primaire d'assurance maladie du Cher demande à la Cour de':
- débouter le requérant de son appel, fins, moyens et conclusions,
- confirmer le jugement entrepris.
Pour un plus ample exposé des moyens et arguments des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures respectives, comme le permet l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIVATION DE LA DECISION':
- Sur le caractère contradictoire de la décision de prise en charge
L'article R. 441-8 I du Code de la sécurité sociale prévoit':
'I.-Lorsque la caisse engage des investigations, elle dispose d'un délai de quatre-vingt-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d'accident et du certificat médical initial pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident.
Dans ce cas, la caisse adresse un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident à l'employeur ainsi qu'à la victime ou ses représentants, dans le délai de trente jours francs mentionné à l'article R. 441-7 et par tout moyen conférant date certaine à sa réception'.
La société [4] soutient, au visa de ce texte, qu'elle n'a pas été destinataire du questionnaire, qui lui a été adressé en ligne, n'ayant obtenu aucune réponse à sa demande que lui soient communiqués les codes de déblocage pour y accéder. Elle n'a pas été en mesure de formuler des observations. Le relevé informatique produit par la caisse, qui indique que 'la société [4] n'a pas vu le questionnaire', ne justifie en rien de sa réception, dont la preuve n'est pas apportée. Il n'est pas plus démontré de la création d'un compte, aucune date n'étant précisée à cet égard sur le document produit. Au demeurant, elle invoque les dispositions de l'article R. 112-7 du Code des relations entre le public et l'administration pour rappeler que le recours à un procédé électronique de téléservice requiert l'accord exprès des intéressés, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, et ce qui aurait dû conduire la caisse à procéder par voie postale. Enfin, il n'est pas justifié de relances qui lui auraient été adressées.
La caisse primaire d'assurance maladie du Cher réplique que la société [4] a été avisée par courrier du 24 décembre 2020 de ce qu'un questionnaire était mis à disposition sur le site 'Questionnaires-RisquePro', qu'elle avait déjà préalablement créé. Elle ajoute qu'une version papier du questionnaire lui a également été adressée.
La société [4] produit elle-même un courrier du 24 décembre 2020, réceptionné le 29 décembre 2021 selon l'accusé de réception produit par la caisse, sur lequel était mentionné': 'nous vous demandons de compléter sous 20 jours un questionnaire qui est à votre disposition sur le site https//questionnaires-risquepro.ameli.fr'.
Il résulte de ces éléments que la société [4] a été valablement avisée de ce qu'elle était destinataire d'un questionnaire et qu'elle pouvait y répondre, de sorte qu'il lui appartenait de se rapprocher de la caisse primaire d'assurance maladie si elle avait des difficultés à se connecter au site QRP ou si elle souhaitait obtenir une version papier du questionnaire.
Certes, la société [4] produit la copie d'une lettre recommandée avec accusé de réception qu'elle aurait adressée à la caisse primaire d'assurance maladie du Cher le 15 janvier 2021, selon lequel elle signale': 'nous ne sommes pas en mesure de nous inscrire sur votre site questionnaires risques-pro.amelie.fr', demandant un 'code de déblocage' pour y accéder.
La Cour relève en premier lieu que la preuve de la réception de ce courrier n'est pas produite, seule une preuve de dépôt, portant un destinataire illisible, étant versée aux débats.
Quoiqu'il en soit, la caisse produit la trace informatique de ce que la société [4] a bien 'créé un compte QRP' pour l'accident du travail de M. [X] le 9 janvier 2021, mais qu'il 'n'a pas vu le questionnaire'. Si le 'code personnel' faisait défaut, comme l'explique la société, il suffisait de réinitialiser le mot de passe, comme l'explique la caisse, et les explications données par la société [4] sur l'impossibilité pour elle d'accéder au questionnaire apparaissent peu convaincantes, d'autant que le salarié y a bien eu accès de son côté. L'hypothèse d'un dysfonctionnement au préjudice de la société [4] est dont peu plausible. Au demeurant, l'historique du compte de M. [X] mentionne qu'une impression papier a été réalisée pour l'employeur, et que plusieurs relances par emails ont été effectuées dès le 8 janvier 2021, puis le 26 janvier 2021 jusqu'au 2 mars 2021.
C'est pourquoi la caisse établit qu'elle a bien mis en 'uvre les diligences nécessaires pour que la société [4] puisse répondre au questionnaire qui lui était soumis.
Dans ces conditions, la démonstration est faite du respect par la caisse primaire d'assurance maladie du Cher des diligences imposées par l'article R. 441-8 I du Code de la sécurité sociale, et particulièrement de l'envoi d'un questionnaire, et sans qu'il ait été préjudicié à la règle selon laquelle l'accord exprès de l'intéressé à l'utilisation d'un téléservice est requis, énoncée par l'article R. 112-17 du Code des relations entre le public et l'administration, dès lors que la société [4] avait manifestement consenti à ce qu'il soit procédé de la sorte en créant un compte QRP.
Par ailleurs, l'article R. 441-8 II du Code de la sécurité sociale prévoit': 'II.-A l'issue de ses investigations et au plus tard soixante-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d'accident et du certificat médical initial, la caisse met le dossier mentionné à l'article R. 441-14 à la disposition de la victime ou de ses représentants ainsi qu'à celle de l'employeur. Ceux-ci disposent d'un délai de dix jours francs pour le consulter et faire connaître leurs observations, qui sont annexées au dossier. Au terme de ce délai, la victime ou ses représentants et l'employeur peuvent consulter le dossier sans formuler d'observations.
La caisse informe la victime ou ses représentants et l'employeur des dates d'ouverture et de clôture de la période au cours de laquelle ils peuvent consulter le dossier ainsi que de celle au cours de laquelle ils peuvent formuler des observations, par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information et au plus tard dix jours francs avant le début de la période de consultation'.
La société [4] affirme, au visa de ce texte, que pour les mêmes raisons tenant à l'absence de communication de 'code de déblocage', elle n'a pas eu accès au dossier et n'a pas pu, en conséquence, faire valoir ses observations.
Ce moyen sera, pour la même raison que précédemment, rejeté, la société [4] produisant elle-même le courrier qui lui a été adressé le 24 décembre 2020 et qu'elle a réceptionné le 29 décembre 2020, qui mentionne': 'lorsque nous aurons terminé l'étude du dossier, vous aurez la possibilité de consulter les pièces du dossier et de formuler vos observations du 23 février 2021 au 8 mars 2021, directement en ligne, sur le même site internet. Au-delà de cette date, le dossier restera consultable jusqu'à notre décision'.
La société [4] n'établit en rien avoir été techniquement empêchée, comme elle l'affirme, de consulter le dossier, qu'au demeurant elle n'apparaît pas avoir demandé à consulter.
La démonstration est faite du respect par la caisse primaire d'assurance maladie du Cher des diligences imposées par l'article R. 441-8 II du Code de la sécurité sociale.
Les moyens soulevés par l'employeur sur le fondement de ce texte seront, par voie de confirmation, rejetés.
- Sur le fond
Aux termes de l'article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre que ce soit ou en quelque lieu que ce soit pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
Constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.
Dans ses rapports avec l'employeur, c'est à la caisse de rapporter la preuve de la matérialité de l'accident, laquelle ne peut résulter des seules déclarations de la victime, non corroborées par des éléments objectifs ou par des présomptions graves, précises et concordantes.
La société [4] expose que la matérialité des faits n'est pas établie, ce qui l'a conduite à immédiatement formuler des réserves. Aucun fait accidentel particulier n'est décrit, il n'a informé immédiatement personne et il existe un témoin des faits qui n'a pas été questionné. Ce n'est que le lendemain qu'il en a informé l'employeur et le certificat médical ne fait état que de la survenance de douleurs. Enfin, il existe un état pathologique préexistant.
La caisse primaire d'assurance maladie réplique que M. [X] a décrit qu'il a ressenti un douleur au genou en empilant des palettes tombées au sol': en pivotant pour mettre une palette sur la pile, il a indiqué que son genou a 'vrillé'. Le certificat médical a été établi dès le lendemain. Si l'employeur a émis des réserves, c'est en considération d'un état antérieur, mais les faits eux-mêmes n'ont pas été contestés, étant rappelé que lorsque l'accident révèle ou aggrave un état antérieur, sa prise en charge s'impose.
La Cour constate en premier lieu que la société [4] a immédiatement exprimé des réserves sur la prise en charge de cet accident en précisant que la survenance de l'accident n'a été connue que le lendemain des faits. Le certificat médical constatant les lésions n'a été établi également que le lendemain des faits supposés. Dans son questionnaire, le salarié désigne une tierce personne comme 'témoin des faits' ou, 'à défaut', l'une des 'personnes qui pourraient témoigner de votre état de santé avant et/ou après ledit accident'. M. [X] mentionnait l'identité, l'adresse et le numéro de téléphone de ce témoin, M. [P], qui, au vu des pièces produites, n'a pas été interrogé par la caisse. Dès lors, malgré la précision de la description qu'en livre M. [X] dans le questionnaire qu'il a rempli, la caisse aurait dû interroger M. [P] sur le déroulé des faits.
Il en résulte que l'existence de présomptions graves, précises et concordantes venant conforter la réalité de la survenance d'un fait accidentel au temps et sur le lieu du travail, n'est pas établie, alors pourtant que l'enquête réalisée aurait pu confirmer ou infirmer la version des faits qu'en a donnée M. [X], en présence d'un témoin qui n'a pas été interrogé, l'employeur ayant de son côté émis des réserves.
C'est pourquoi la démonstration de la matérialité des faits n'est pas faite par la caisse primaire d'assurance maladie.
Dans ces conditions, le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions, l'accident du travail de M. [X] ne pouvant qu'être déclaré inopposable à la société [4].
La caisse primaire d'assurance maladie du Cher sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS:
Statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 4 novembre 2022 par le Pôle social du tribunal judiciaire de Bourges ;
Statuant à nouveau,
Dit que l'accident du travail du 9 décembre 2020 pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie du Cher au bénéfice de M. [Y] [X] est inopposable à la société [4]';
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie du Cher aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,