RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL D'ORLÉANS
Rétention Administrative
des Ressortissants Étrangers
ORDONNANCE du 25 JUIN 2024
Minute N°
N° RG 24/01511 - N° Portalis DBVN-V-B7I-HALA
(1 pages)
Décision déférée : Juge des libertés et de la détention d'Orléans en date du 23 juin 2024 à 14h05
Nous, Alexandre David, président de chambre à la cour d'appel d'Orléans, agissant par délégation du premier président de cette cour, assisté de Hermine Bildstein, greffier aux débats et au prononcé de l'ordonnance,
APPELANT :
LA PRÉFECTURE DU NORD
représentée pa Me Joyce Jacquard du cabinet Actis Avocats, avocat au barreau du Val-de-Marne ;
INTIMÉ :
M. [C] [R]
né le 25 Septembre 1999 à [Localité 3] (Tunisie), de nationalité tunisienne,
demeurant au [Adresse 1] (59)
convoqué à son domicile par le commissariat de police territoralement compétent,
non comparant, représenté par Me Mélodie Gasner, avocat au barreau d'Orléans ;
MINISTÈRE PUBLIC : avisé de la date et de l'heure de l'audience ;
À notre audience publique tenue en visioconférence au Palais de Justice d'Orléans, conformément à l'article L. 743-8 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), le 25 juin 2024 à 10 heures ;
Statuant en application des articles L. 743-21 à L. 743-23 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), et des articles R. 743-10 à R. 743-20 du même code ;
Vu l'ordonnance rendue le 23 juin 2024 à 14h05 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire d'Orléans constatant l'illégalité du placement en rétention et mettant fin à la rétention administrative de M. [C] [R] ;
Vu l'appel de ladite ordonnance interjeté le 24 juin 2024 à 11h18 par la préfecture du Nord ;
Après avoir entendu :
- Me Joyce Jacquard, en sa plaidoirie ;
- Me Mélodie Gasner, en sa plaidoirie ;
AVONS RENDU ce jour, publiquement et contradictoirement, l'ordonnance suivante :
Il résulte de l'article 66 de la Constitution et de l'article L 743-9 du CESEDA que le juge des libertés doit s'assurer que l'étranger est pleinement informé de ses droits et placé en état de les faire valoir lorsqu'il se trouve placé en rétention administrative.
Aux termes de l'article L. 743-12 du CESEDA, en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, saisie d'une demande d'annulation ou qui relève d'office une telle irrégularité, ne peut prononcer la mainlevée de la mesure de placement en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger.
Selon l'article L. 741-3 du CESEDA, « un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps nécessaire à son départ, l'administration étant tenue d'exercer toutes diligences à cet effet, dès le placement en rétention ».
Sur le moyen tiré du défaut de base légale lié à l'expiration de la mesure d'éloignement, le premier juge, sur le fondement de l'article 2 du Code civil aux termes duquel « la loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif », a retenu que si la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 avait eu pour effet de modifier l'article L. 731-1 du CESEDA en prolongeant le délai exécutoire d'une obligation de quitter le territoire de un à trois ans, elle ne pouvait s'appliquer aux situations définitivement constituées avant son entrée en vigueur. Il en a déduit que le délai d'exécution de l'obligation de quitter le territoire notifiée le 14 janvier 2022 était expiré depuis le 14 janvier 2023 et, par conséquent, que l'arrêté de placement du 21 juin 2024 était privé de base légale.
Une décision d'obligation de quitter le territoire français n'est pas édictée pour une durée limitée. Ainsi, un étranger faisant l'objet d'une telle mesure reste tenu de quitter le territoire, même une fois ce délai d'un an ou de trois ans expiré.
Il s'en déduit qu'en l'espèce, l'obligation de quitter le territoire prise à l'encontre de M. [C] [R] le 14 janvier 2022 est toujours en vigueur, et le restera jusqu'à son retrait, son abrogation ou son annulation.
Le délai pendant lequel l'administration est en mesure de procéder à l'exécution de la mesure d'éloignement est fixé par l'article L. 731-1 du CESEDA applicable à l'assignation à résidence et, par renvoi à ce dernier, par l'article L. 741-1 applicable au placement en rétention.
Les dispositions de ces textes ont été modifiées par l'article 72 2° du VI de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024. En application de la nouvelle loi, l'autorité administrative peut placer en rétention administrative l'étranger faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins de trois ans auparavant et non plus un an, lorsque le délai de départ volontaire est expiré.
Cette disposition est d'application immédiate, l'article 72 2° ne figurant pas parmi la liste l'article 86, IV des dispositions qui entreront en vigueur après la publication d'un décret en Conseil d'Etat ou, au plus tard, le premier jour du septième mois suivant l'adoption de la loi.
La nouvelle norme s'applique par conséquent aux situations en cours, c'est-à-dire les situations nées dans le passé mais se poursuivant postérieurement à son entrée en vigueur, soit après le 28 janvier 2024.
En l'espèce, M. [C] [R] a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire du 14 janvier 2022. A partir de cette décision est née une situation juridique lui imposant de quitter le territoire français.
Cette situation juridique est restée inchangée jusqu'à aujourd'hui, puisque cette obligation de quitter le territoire n'a jamais été remise en cause ni exécutée.
L'applicabilité immédiate de la loi du 26 janvier 2024 permettait donc l'application des articles L. 741-1 et L. 731-1, dans leur nouvelle rédaction, à cette situation.
Il s'en déduit qu'en l'espèce, l'arrêté de placement litigieux, notifié le 21 juin 2024 à un étranger faisant l'objet d'une OQTF prise moins de trois ans auparavant, en la personne de M. [C] [R], contraint de quitter le territoire depuis le 14 janvier 2022, n'était pas dépourvu de base légale. L'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 23 juin 2024 sera donc infirmée sur ce point.
À titre surabondant, il y a lieu de statuer sur les moyens soulevés par M. [R] devant le premier juge :
Sur l'avis fait au procureur de la République du placement en rétention administrative, il ressort des pièces de la procédure que l'intéressé s'est vu notifier un placement au centre de rétention administrative le 21 juin 2024 de 16h à 16h10, et que les procureurs de la République près le tribunal judiciaire d'Orléans et de Valenciennes en ont été avisés le même jour à 16h18. Ce délai de 8 minutes répond à l'exigence d'immédiateté de l'article L .741-8 du CESEDA. Le moyen est rejeté.
Sur le défaut de motivation de l'arrêté de placement, M. [C] [R] reproche à l'administration d'avoir privilégié la décision de placement à l'assignation à résidence, en évoquant l'adresse stable chez sa compagne et la présence de sa famille en France.
Sur ce point, la cour rappelle au préalable que le préfet n'est pas tenu, dans sa décision, de faire état de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé dès lors que les motifs positifs qu'il retient suffisent à justifier le placement en rétention, qui est la date à laquelle le juge doit se placer pour apprécier la légalité de la décision de placement.
En l'espèce, le préfet du Nord a notamment justifié sa décision de placement en rétention du 21 juin 2024 par le maintien de M. [C] [R] en situation irrégulière sur le territoire français malgré l'obligation de quitter le territoire français prise et notifiée à son encontre le 14 janvier 2022, ce qui traduit le refus de l'intéressé de retourner dans son pays d'origine, et par le défaut de document d'identité ou de voyage.
La domiciliation de M. [C] [R] sur la commune d'[Localité 2] (Nord) a effectivement été relevée et prise en compte par le préfet, qui a estimé, à juste titre qu'à lui seul cet élément n'était pas de nature à caractériser l'existence de garanties effectives de représentation. Il s'ensuit que le préfet du Nord a motivé sa décision au regard du risque de soustraction à la mesure d'éloignement et a justement conclu à l'insuffisance d'une assignation à résidence, rien ne permettant de considérer qu'en l'espèce, l'intéressé engagera lui-même les démarches nécessaires pour l'obtention d'un document de voyage et l'organisation matérielle de son voyage hors du territoire national.
Enfin, les arguments tenant à sa vie privée et familiale, concernant notamment sa compagne, les liens qu'il entretient avec les enfants de cette dernière et sa future paternité, sont inopérants en ce qu'ils reviennent en réalité à critiquer la mesure d'éloignement dont il fait l'objet, cette compétence appartenant au juge administratif. Le moyen est donc rejeté.
Sur la demande d'assignation à résidence judiciaire, la demande est insusceptible de prospérer, l'intéressé étant dépourvu de document de voyage en cours de validité et ne disposant pas de garanties effectives de représentation propres à prévenir le risque de soustraction à la mesure d'éloignement dont il fait l'objet, ce qui a déjà été développé ci-dessus. Il ne répond donc pas aux exigences de l'article L. 743-13 du CESEDA. Le moyen est rejeté.
À titre superfétatoire sur le moyen tiré de l'état de santé, M. [C] [R] a évoqué devant le premier juge des problèmes cardiaques et, lors de son audition du 21 juin 2024, de la tachycardie et des soucis d'estomac, mais « pas de maladie particulière ». Il n'avait d'ailleurs pas souhaité porter à la connaissance de l'administration des éléments relatifs à un éventuel état de santé ou à un handicap particulier.
Dans ces conditions, et en l'absence de tout document médical susceptible de corroborer ses déclarations en audition, il ne saurait être considéré que le placement en rétention administrative est une décision disproportionnée, où qu'il existe une incompatibilité entre l'état de santé de M. [C] [R] et son maintien dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire.
À l'appui de la contestation de l'arrêté de placement en rétention administrative, l'intéressé a produit un justificatif d'un rendez-vous de consultation, qui ne permet d'établir, en l'état, que l'existence de réactions anxieuses auxquelles l'intéressé serait sujet. Ce seul élément n'est pas de nature à justifier la mainlevée de la rétention, étant précisé qu'il n'avait pas été porté à la connaissance du préfet du Nord à la date de la décision de placement.
C'est donc à tort que le premier juge a rejeté la requête en prolongation adressée par le préfet du Nord et mis fin à la rétention administrative de M. [C] [R]. Étant observé qu'en cause d'appel la requête du préfet tendant à la prolongation motivée tant en droit qu'en fait a été réitérée, il convient, après avoir infirmé la décision de première instance, de statuer comme précisé au dispositif ;
PAR CES MOTIFS :
DÉCLARONS l'appel du préfet du Nord recevable ;
INFIRMONS l'ordonnance ;
STATUANT À NOUVEAU :
DÉCLARONS recevable la requête en prolongation du préfet du Nord ;
ORDONNONS la prolongation de la rétention de M. [C] [R] dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire pour une durée de vingt-huit jours à compter du 23 juin 2024 ;
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor ;
ORDONNONS la remise immédiate d'une expédition de la présente ordonnance au préfet du Nord et son conseil, à M. [C] [R] et son conseil, et au procureur général près la cour d'appel d'Orléans ;
Et la présente ordonnance a été signée par Alexandre David, président de chambre, et Hermine Bildstein, greffier présent lors du prononcé.
Fait à Orléans le VINGT CINQ JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE, à heures
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Hermine BILDSTEIN Alexandre DAVID
Pour information : l'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.
Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien la rétention et au ministère public. Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification. Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.
NOTIFICATIONS, le 25 juin 2024 :
La préfecture du Nord, par courriel
Monsieur le procureur général près la cour d'appel d'Orléans, par courriel
M. [C] [R] , par LRAR
Me Joyce Jacquard, avocat au barreau de Val-de-Marne, copie remise en main propre contre récépissé
Me Mélodie Gasner, avocat au barreau d'Orléans, copie remise en main propre contre récépissé
L'avocat de la préfecture L'avocat de l'intéressé