C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE - A -
Section 1
PRUD'HOMMES
Exp +GROSSES le 25 JUIN 2024 à
la SELAS BARTHELEMY AVOCATS
la SELARL 2BMP
AD
ARRÊT du : 25 JUIN 2024
MINUTE N° : - 24
N° RG 22/00853 - N° Portalis DBVN-V-B7G-GRWG
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TOURS en date du 04 Avril 2022 - Section : INDUSTRIE
APPELANTE :
Société LE FOURNIL DU VAL DE LOIRE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Alexis DEVAUCHELLE, avocat au barreau d'ORLEANS
ayant pour avocat plaidant Me Damien CHENU de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
ET
INTIMÉ :
Monsieur [X] [F]
né le 23 Août 1980 à Maroc
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par Me Guillaume PILLET de la SELARL 2BMP, avocat au barreau de TOURS
Ordonnance de clôture : le 30 janvier 2024
Audience publique du 9 Avril 2024 tenue par M. Alexandre DAVID, Président de chambre, et ce, en l'absence d'opposition des parties, assisté lors des débats de Monsieur Jean-Christophe ESTIOT, Greffier.
Après délibéré au cours duquel M. Alexandre DAVID, Président de chambre a rendu compte des débats à la Cour composée de :
Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre, président de la collégialité,
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre,
Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller
Puis le 25 Juin 2024, Monsieur Alexandre DAVID, président de Chambre, assisté de Monsieur Jean-Christophe ESTIOT, Greffier a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
La SASU Le Fournil du Val de Loire est spécialisée dans la fabrication industrielle et la distribution de pain de mie et de viennoiseries
Elle a engagé M. [X] [F], suivant contrat de travail à durée indéterminée à effet du 11 septembre 2017 et avec reprise d'ancienneté au 11 septembre 2012, en qualité de technicien de maintenance, catégorie technicien, niveau TA1, profil A de la convention collective des activités industrielles de boulangerie et pâtisserie.
Courant mai 2019, la société Le Fournil du Val de Loire a proposé à M. [X] [F] d'occuper le poste de technicien de maintenance en équipe suppléance, destiné à assurer la maintenance des appareils de l'entreprise durant les week-ends (12 heures le samedi et 12 heures le dimanche). Cette proposition a fait l'objet d'un courrier en date du 31 mai 2019 qui stipulait notamment une rémunération brute mensuelle de 1 436,49 euros pour un temps de travail mensuel de 99,59 heures.
M. [X] [F] a signé et retourné ce courrier à la société Le Fournil du Val de Loire.
Le 3 juin 2019, les parties ont signé un avenant au contrat de travail les liant, avenant mentionnant notamment que M. [X] [F] percevrait une rémunération mensuelle de base de 1 609,02 euros pour un horaire mensuel de 99,59 heures.
La société Le Fournil du Val de Loire arguant d'une erreur matérielle affectant cet avenant quant au montant de la rémunération de M. [X] [F], a proposé à ce dernier de régulariser un avenant rectificatif de celui signé le 3 juin 2019. M. [X] [F] a refusé de signer ce nouvel avenant.
A compter du 1er décembre 2019, la société Le Fournil du Val de Loire a réglé à M. [X] [F] son salaire sur la base de 1 436,49 euros brut par mois.
Le 26 mars 2020, M. [X] [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Tours d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur ainsi que de diverses demandes en paiement.
A effet du 1er octobre 2021, la société Le Fournil du Val de Loire a modifié les horaires de travail de M. [X] [F]. Selon cette modification M. [X] [F] devait travailler le dimanche de 18 h à 6 h au lieu de 11 h à 23 h.
Le 11 février 2022, M. [X] [F] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Au dernier état de ses prétentions devant le conseil de prud'hommes de Tours, M. [X] [F] réclamait, sous le bénéfice de l'exécution provisoire du jugement à intervenir, de voir:
- condamner la société Le Fournil du Val de Loire à lui payer les sommes suivantes:
- 4 313,25 euros à titre de rappel de salaire à parfaire outre 431,32 euros au titre des congés payés afférents;
- 1 609,02 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés à parfaire;
- 35 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- 6 763,28 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 676,32 euros au titre des congés payés y afférents;
- 6 411,03 euros à titre d'indemnité de licenciement;
- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail;
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;
- ordonner à la société Le Fournil du Val de Loire de lui remettre des bulletins de paie, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail, ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document.
Par jugement du 4 avril 2022, le conseil de prud'hommes de Tours a:
- condamné la société Le Fournil du Val de Loire à payer à M. [X] [F] les sommes suivantes, sur la base d'un salaire de référence fixé à 2 009,21 euros:
- 6 411,03 euros net à titre d'indemnité de licenciement;
- 4 018,42 euros brut à titre d'indemnité de préavis;
- 401,84 euros brut au titre des congés payés afférents;
- 2009,21 euros net à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail;
- 12 000 euros net à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- 4 830,48 euros brut à titre de rappel de salaire de décembre 2019 au 4 avril 2022;
- 483,05 euros brut au titre des congés payés afférents;
- 1 300 euros net au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
- débouté M. [X] [F] de sa demande au titre de I'indemnité compensatrice de congés payés;
- ordonné le remboursement par la société Le Fournil du Val de Loire à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [X] [F], dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, en application de l'article L 1235-4 du Code du travail;
- ordonné à la société Le Fournil du Val de Loire de remettre à M. [X] [F] les documents suivants, conformes à sa décision:
- un bulletin de salaire,
- une attestation Pôle Emploi,
- un certificat de travail,
- un solde de tout compte, et ce sous astreinte de 30 euros par jour de retard et par document à compter de la notification de sa décision;
- dit que le conseil se réservait la liquidation de l'astreinte;
- débouté la société Le Fournil du Val de Loire de sa demande sur le fondement de I'article 700 du Code de procédure civile;
- condamné la société Le Fournil du Val de Loire aux entiers dépens.
Le 7 avril 2022, la société Le Fournil du Val de Loire a relevé appel de cette décision en ce qu'elle:
- l'avait condamnée à payer à M. [X] [F] les sommes suivantes, sur la base d'un salaire de référence fixé à 2 009,21 euros:
- 6 411,03 euros net à titre d'indemnité de licenciement;
- 4 018,42 euros brut à titre d'indemnité de préavis;
- 401,84 euros brut au titre des congés payés afférents;
- 2009,21 euros net à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail;
- 12 000 euros net à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- 4 830,48 euros brut à titre de rappel de salaire de décembre 2019 au 4 avril 2022;
- 483,05 euros brut au titre des congés payés afférents;
- 1 300 euros net au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
- avait ordonné le remboursement par elle à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [X] [F], dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, en application de l'article L 1235-4 du Code du travail;
- lui avait ordonné de remettre à M. [X] [F] les documents suivants, conformes à sa décision::
- un bulletin de salaire,
- une attestation Pôle Emploi,
- un certificat de travail,
- un solde de tout compte, et ce sous astreinte de 30 euros par jour de retard et par document à compter de la notification de sa décision;
- l'avait déboutée de sa demande sur le fondement de I'article 700 du Code de procédure civile;
- l'avait condamnée aux entiers dépens;
- l'avait déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions reçues au greffe le 7 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la SASU Le Fournil du Val de Loire demande à la cour:
- d'annuler la décision rendue par le conseil de prud'hommes de Tours en date du 5 avril 2022, en toutes hypothèses, de la réformer et de l'infirmer en ce qu'elle:
- l'a condamnée à payer à M. [X] [F] les sommes suivantes, sur la base d'un salaire de référence fixé à 2 009,21 euros:
- 6 411,03 euros net à titre d'indemnité de licenciement;
- 4 018,42 euros brut à titre d'indemnité de préavis;
- 401,84 euros brut au titre des congés payés afférents;
- 2009,21 euros net à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail;
- 12 000 euros net à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- 4 830,48 euros brut à titre de rappel de salaire de décembre 2019 au 4 avril 2022;
- 483,05 euros brut au titre des congés payés afférents;
- 1 300 euros net au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
- a ordonné le remboursement par elle à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [X] [F], dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, en application de I'article L 1235-4 du Code du travail;
- lui a ordonné de remettre à M. [X] [F] les documents suivants, conformes à sa décision:
- un bulletin de salaire,
- une attestation Pôle Emploi,
- un certificat de travail,
- un solde de tout compte, et ce sous astreinte de 30 euros par jour de retard et par document à compter de la notification de sa décision;
- l'a déboutée de sa demande sur le fondement de I'article 700 du Code de procédure civile;
- l'a condamnée aux entiers dépens;
- par conséquent:
- sur la demande au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail:
- de rejeter la demande de M. [F] tendant à faire reconnaître l'existence de manquements suffisamment graves de la société et de nature à entraîner la rupture de son contrat de travail;
- en conséquence:
- de débouter M. [F] de l'intégralité de ses demandes;
- à titre subsidiaire:
- sur l'indemnité sollicitée au titre de la rupture du contrat de travail :
- de fixer à une bien plus faible valeur le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, faute pour M. [F] de rapporter la preuve d'un préjudice;
- sur l'indemnité sollicitée au titre de la prétendue exécution déloyale du contrat de travail:
- de débouter M. [F] de sa demande à ce titre;
- à titre reconventionnel:
- de la recevoir en sa demande formée à titre reconventionnelle;
- de condamner M. [F] à lui verser la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;
- de condamner M. [F] aux éventuels dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions reçues au greffe le 26 décembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, M. [X] [F] demande à la cour:
- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Tours du 4 avril 2022 en ce qu'il a jugé que la société s'était rendue coupable de graves manquements dans l'exécution du contrat de travail et en ce qu'il a condamné la société Le Fournil du Val de Loire à lui verser:
- 6 411 euros net à titre d'indemnité de licenciement;
- 4 018,42 euros brut à titre d'indemnité de préavis;
- 401,84 euros brut au titre des congés payés afférents;
- 1 300 euros net au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
- d'infirmer la décision critiquée pour le surplus et, statuant à nouveau, de dire et juger que la prise d'acte intervenue produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- de condamner la société Le Fournil du Val de Loire à lui verser:
- 35 000 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- 3 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail;
- 4 485,78 euros à titre de rappel de salaire;
- 448,57 euros au titre des congés payés afférents;
- d'ordonner sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir la remise des bulletins de paie afférents aux créances salariales ainsi que d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à Pôle Emploi;
- de se réserver la faculté de liquider ladite astreinte;
- de condamner la société Le Fournil du Val de Loire, aux entiers dépens qui comprendront les frais éventuels d'exécution et au paiement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée le 19 janvier 2024 et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 30 janvier 2024 à 9 h 30, puis à l'audience du 9 avril 2024 pour y être plaidée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la demande formée par M. [X] [F] tendant à voir juger que sa prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ses demandes consécutives:
Au soutien de son appel, la société Le Fournil du Val de Loire expose en substance:
- que l'avenant signé le 3 juin 2019 a repris les dispositions convenues le mois précédent à l'exception d'une erreur portant sur la stipulation du montant de la rémunération de M. [X] [F];
- qu'elle a souhaité qu'un avenant rectificatif de cette erreur soit signé mais que M. [X] [F] s'y est opposé;
- que face à ce refus de M. [X] [F] elle a procédé à la rectification de l'erreur matérielle à compter du 1er décembre 2019;
- que cette modification ne constituait pas une modification unilatérale du contrat de travail de M. [X] [F];
- que le montant de salaire mentionné par erreur dans l'avenant du 3 juin 2019 correspondait au salaire d'un agent de maîtrise maintenance, ce qui n'était pas la qualification de M. [X] [F];
- que de même le changement des horaires de travail de M. [X] [F], passés de 11 h - 23 h à 18 h - 6 h , ne constituait pas une modification du contrat de travail qui aurait nécessité l'accord de ce dernier mais une simple modification de ses conditions du travail qu'elle pouvait lui imposer puisque relevant de son pouvoir de direction;
- que le contrat de travail de M. [X] [F] ne fixait pas ses horaires de travail et prévoyait la possibilité d'effectuer un travail de nuit et qu'en modifiant ses horaires de travail elle n'a pas porté atteinte à son droit au respect de sa vie personnelle et familiale;
- que ce n'est qu'en février 2022 que M. [X] [F] l'a informée qu'il souhaitait revenir à ses horaires initiaux et qu'alors le planning des équipes a été modifié afin que ce dernier travaille de 8 h à 20 h comme demandé;
- qu'elle n'a donc commis aucun manquement justifiant la résiliation du contrat de travail ou la prise d'acte de la rupture de ce contrat à ses torts;
- subsidiairement, que M. [X] [F] ne justifie pas d'un préjudice au soutien de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et que, contrairement à ce que prétend ce dernier, l'article L 1235-3 du Code du travail doit bien trouver à s'appliquer comme l'a jugé la Cour de cassation.
En réponse, M. [X] [F] objecte pour l'essentiel:
- que la rémunération est un élément essentiel du contrat de travail et ne peut être modifiée ni dans son montant ni dans sa structure sans l'accord du salarié;
- qu'une telle modification s'analyse en effet en une modification du contrat de travail;
- qu'en l'espèce, il est constant que l'avenant à son contrat de travail qu'il a signé le 3 juin 2019 stipulait une rémunération mensuelle de 1 609,02 euros pour 12 heures de travail le samedi et 12 heures de travail le dimanche;
- qu'en signant l'avenant du 3 juin 2019 et en paraphant chacune de ses pages, la société Le Fournil du Val de Loire a exprimé sa volonté claire et non équivoque et ne peut donc prétendre avoir commis une erreur matérielle portant sur son salaire;
- que de plus, du mois de juin au mois de novembre 2019 inclus, la société Le Fournil du Val de Loire lui a effectivement réglé son salaire à ce montant de 1609,02 euros;
- que c'est donc en contravention avec les règles légales et jurisprudentielles que la société Le Fournil du Val de Loire lui a imposé une diminution de sa rémunération, ce qu'il avait refusé expressément à plusieurs reprises;
- qu'en outre la société Le Fournil du Val de Loire lui a imposé un changement de ses horaires de travail, lui imposant ainsi de travailler en horaire de nuit chaque dimanche, ce à compter du mois de septembre 2021;
- que ce changement a provoqué un bouleversement très important de ses conditions de travail et n'était en outre pas compatible avec sa vie de famille et les horaires de travail de sa conjointe et constituait une modification de son contrat de travail qui supposait son accord express, ce qui n'a pas été le cas;
- que les modifications unilatérales de son contrat de travail constituaient des manquements suffisamment graves pour avoir rendu impossible la poursuite de son contrat de travail et justifiaient donc sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur;
- que, pour l'appréciation du montant de l'indemnité qui doit lui être accordée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour doit écarter l'application de l'article L 1235-3 du code du travail dont les dispositions ne sont pas conformes au droit international du travail.
Il résulte de la combinaison des articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.
En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.
Il appartient au salarié ayant pris acte de la rupture de son contrat de travail d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.
L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige, et il convient d'examiner tous les manquements de l'employeur invoqués par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.
En l'espèce, dans le but de rapporter la preuve des manquements qu'il impute à la société Le Fournil du Val de Loire et de la gravité de ces manquements, M. [X] [F] produit les pièces suivantes:
- sa pièce n°3: il s'agit de l'avenant au contrat de travail ayant lié les parties, avenant régularisé par celles-ci le 3 juin 2019 et dans lequel il était notamment stipulé : « Monsieur [F] [X] percevra une rémunération mensuelle de base de 1 609,02 euros pour un horaire mensuel de 99,59 heures » ;
- sa pièce n°5: il s'agit d'un courrier en date du 25 novembre 2019 que la société Le Fournil du Val de Loire a adressé à M. [X] [F] et dans lequel l'employeur écrivait notamment: '....nous vous informons que nous procéderons à la modification unilatérale de votre contrat de travail conformément aux dispositions légales et jurisprudentielles en vigueur... Cette modification unilatérale résultant de votre refus de signer un avenant correctif à votre contrat de travail malgré la constatation par les parties d'une erreur matérielle manifeste sur l'avenant qui vous a été présenté le 3 juin 2019....... A compter du 1er décembre 2019, votre rémunération mensuelle de base sera donc la suivante: Une rémunération mensuelle de base de 1 436,49 euros, pour un horaire de 99,59 heures.....'.
Il ressort de ces pièces que la société Le Fournil du Val de Loire a procédé unilatéralement, à effet du 1er décembre 2019, à la modification à la baisse du montant de la rémunération de M. [X] [F].
Or le contrat de travail est un accord de volonté qui tient lieu de loi aux parties et qui par conséquent ne peut être modifié unilatéralement.
Il est de principe qu'il y a modification du contrat de travail lorsque la modification imposée par l'employeur porte soit sur un élément essentiel du contrat tel le lien de subordination juridique, les fonctions, la rémunération, et ce que la modification soit importante ou minime, soit sur un élément du contrat de travail contractualisé par les parties.
La société Le Fournil du Val de Loire ne peut utilement invoquer une erreur sur le montant de la rémunération qui figurait dans l'avenant du 3 juin 2019, cet avenant ayant été rédigé par ses propres services, puis porté par elle à la connaissance de M. [X] [F] après qu'elle l'avait signé et enfin exécuté durant plusieurs mois comme cela ressort notamment des bulletins de paie qu'elle a établis au profit de M. [X] [F] entre juin et novembre 2019.
Aussi il y a lieu de retenir qu'en ayant imposé la modification à la baisse du montant de la rémunération de M. [X] [F], en outre au mépris de l'opposition manifestée par ce dernier, la société Le Fournil du Val de Loire a procédé à une modification unilatérale du contrat de travail qui le liait au salarié et ainsi a commis un manquement suffisamment grave pour avoir empêché la poursuite de ce contrat, ce dont il se déduit que la rupture du contrat s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes d'indemnité de rupture
Les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls, le barème ainsi institué n'est pas applicable, permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi.
Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail.
M. [X] [F] a acquis une ancienneté de neuf années complètes au moment de la rupture dans la société employant habituellement au moins onze salariés. Le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est compris entre 3 et 9 mois de salaire brut.
Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 21-14.490, FP-B+R).
Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à retrouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'elles résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de condamner l'employeur à payer à M. [X] [F] la somme de 12 000 euros brut à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement est confirmé, sauf en ce qu'il a fixé en net le montant de cette indemnité.
Par ailleurs, la cour condamne la société Le Fournil du Val de Loire à payer à M. [X] [F] les sommes suivantes:
- 6 411,03 euros à titre d'indemnité de licenciement;
- 4 018,42 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis;
- 401,84 euros brut au titre des congés payés afférents, confirmant en cela le jugement entrepris.
Enfin la cour confirme le jugement entrepris en ce qu'il a:
- ordonné le remboursement par la société Le Fournil du Val de Loire à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [X] [F], dans la limite de six mois d'indemnités, en application de l'article L 1235-4 du Code du travail;
- ordonné à la société Le Fournil du Val de Loire de remettre à M. [X] [F] les documents suivants, conformes à sa décision:
- un bulletin de salaire,
- une attestation Pôle Emploi,
- un certificat de travail,
Il n'y a pas lieu d'assortir cette obligation d'une astreinte.
- Sur la demande en paiement d'un rappel de salaire formée par M. [X] [F]
Au soutien de cette demande, M. [X] [F] fait valoir que la société Le Fournil du Val de Loire est redevable à son égard de la différence entre sa rémunération contractuellement prévue et celle fixée unilatéralement pour la période ayant couru entre décembre 2019 et le 11 février 2022.
En modifiant unilatéralement à effet du 1er décembre 2019 le contrat de travail, la société Le Fournil du Val de Loire a privé M. [X] [F] d'une partie de sa rémunération (1 609,02 - 1 436,49) soit 172,53 euros par mois entre cette date et celle de la rupture de la relation de travail, le 11 février 2022, soit au total de la somme de 4 485,78 euros brut.
Aussi la cour condamne la société Le Fournil du Val de Loire à payer cette somme à M. [X] [F], outre celle de 448,57 euros brut au titre des congés payés afférents, infirmant en cela le jugement entrepris sur les montants.
- Sur la demande en paiement d'une indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail formée par M. [X] [F]:
Au soutien de son appel, la société Le Fournil du Val de Loire expose en substance que M. [X] [F] ne rapporte pas la preuve qu'une pression aurait été exercée à son encontre ni qu'il aurait subi un préjudice quelconque.
En réponse, M. [X] [F] objecte pour l'essentiel qu'en ayant modifié son contrat de travail sans son accord à deux reprises, la société Le Fournil du Val de Loire a manqué à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat.
L'existence d'un préjudice dont fait état le salarié et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond et il appartient au salarié qui demande réparation d'un préjudice d'en justifier (Soc., 13 avril 2016, pourvoi n° 14-28.293, publié).
M. [X] [F] ne verse aux débats aucun élément de nature à permettre à la cour de retenir qu'il a subi, du fait de manquements de la société Le Fournil du Val de Loire, un préjudice quelconque, étant observé à cet égard que les effets de la modification unilatérale de son contrat de travail à effet du 1er décembre 2019 sont réparés par la condamnation de la société Le Fournil du Val de Loire à lui payer une somme égale au montant de sa perte de salaire au cours de la période ayant couru entre cette date et celle de sa prise d'acte.
En conséquence, la cour déboute M. [X] [F] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, infirmant en cela le jugement entrepris.
- Sur les dépens et les frais irrépétibles:
Les prétentions de M. [X] [F] étant pour partie fondées, la société Le Fournil du Val de Loire sera condamnée aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.
En outre, il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [X] [F] l'intégralité des frais par lui exposés et non compris dans les dépens. Aussi, la société Le Fournil du Val de Loire sera condamnée à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel, la cour confirmant par ailleurs le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Le Fournil du Val de Loire à verser à M. [X] [F] la somme de 1 300 euros sur ce même fondement au titre des frais irrépétibles de première instance. L'employeur est débouté de ses demandes à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe :
Infirme le jugement rendu le 4 avril 2022, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Tours sauf en ce qu'il a condamné la SASU Le Fournil du Val de Loire à payer à M. [X] [F] les sommes de 2009,21 euros net à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, de 4 830,48 euros brut à titre de rappel de salaire pour la période ayant couru de décembre 2019 au 4 avril 2022 et de 483,05 euros brut au titre des congés payés afférents, en ce qu'il a ordonné une astreinte et en ce qu'il a fixé en net le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Condamne la SASU Le Fournil du Val de Loire à payer à M. [X] [F] les sommes de 4 485,78 euros brut à titre de rappel de salaire pour la période ayant couru du 1er décembre 2019 au 11 février 2022 et de 448,57 euros brut au titre des congés payés afférents ;
Dit que le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alloué par le conseil de prud'hommes doit être exprimé en brut ;
Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;
Déboute M. [X] [F] de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
Condamne la SASU Le Fournil du Val de Loire à payer à M. [X] [F] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande à ce titre ;
Condamne la SASU Le Fournil du Val de Loire aux dépens de l'instance d'appel.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre et par le greffier
Jean-Christophe ESTIOT Alexandre DAVID