COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE
GROSSE à :
DEPARTEMENT DU CHER
SELARL ALCIAT-JURIS
Me [G] [S]
CPAM DU CHER
EXPÉDITION à :
[X] [P]
Pôle social du Tribunal judiciaire de BOURGES
ARRÊT du : 25 JUIN 2024
Minute n°239/2024
N° RG 22/00577 - N° Portalis DBVN-V-B7G-GRDS
Décision de première instance : Pôle social du Tribunal judiciaire de BOURGES en date du 14 Janvier 2022
ENTRE
APPELANT :
DEPARTEMENT DU CHER
[Adresse 1]
[Adresse 8]
[Localité 2]
Représentée par M. [H] [A], en vertu d'un pouvoir spécial
D'UNE PART,
ET
INTIMÉS :
Monsieur [X] [P]
[Adresse 4]
[Localité 9]
Représenté par Me Bertrand COUDERC de la SELARL ALCIAT-JURIS, avocat au barreau de BOURGES
AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
[Adresse 5]
[Adresse 10]
[Localité 6]
Représenté par Me Johan HERVOIS, avocat au barreau d'ORLEANS
CPAM DU CHER
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représentée par Mme [C] [E], en vertu d'un pouvoir spécial
D'AUTRE PART,
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
L'affaire a été débattue le 16 AVRIL 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant la Cour composée, en double rapporteur, de Madame Nathalie LAUER, Président de chambre et Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller.
Lors du délibéré :
Madame Nathalie LAUER, Président de chambre,
Madame Brigitte RAYNAUD, Président de chambre,
Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller.
Greffier :
Monsieur Alexis DOUET, Greffier lors des débats et du prononcé de l'arrêt.
DÉBATS :
A l'audience publique le 16 AVRIL 2024.
ARRÊT :
- Contradictoire, en dernier ressort.
- Prononcé le 25 JUIN 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Nathalie LAUER, Président de chambre, et Monsieur Alexis DOUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Par arrêt du 28 novembre 2023 auquel il est expressément référé pour l'exposé complet des faits et de la procédure, la Cour a :
- rejeté la demande de l'agent judiciaire de l'État d'irrecevabilité des prétentions du département du Cher dirigées contre l'agent judiciaire de l'État,
- rejeté la demande de M. [P] d'irrecevabilité des demandes en appel du département du Cher tendant à la réformation du jugement,
- confirmé le jugement rendu le 14 janvier 2022 par le Pôle social du tribunal judiciaire de Bourges en ce qu'il a :
* dit que l'accident du travail de M. [X] [P] en date du 27 mars 2019 est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur, le département du Cher,
* dit que le capital ou la rente éventuellement servie par la caisse primaire d'assurance maladie du Cher en application de l'article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale sera majorée au montant maximum,
* débouté M. [X] [P] de sa demande de provision,
* dit que les sommes allouées seront versées directement par la caisse primaire d'assurance maladie du Cher à M. [X] [P],
*dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Cher pourra recouvrer le montant de ces indemnisations à l'encontre de l'employeur de M. [X] [P], le département du Cher,
* condamné le département du Cher à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie du Cher les sommes versées en application des articles L. 452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale,
avant dire droit sur la liquidation des chefs de préjudices subis par M. [X] [P],
* ordonné une expertise médicale et désigné le docteur [V] [B] pour y procéder,
* fixé les termes de la mission d'expertise,
* dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Cher fera l'avance des frais d'expertise et devra verser à l'expert après que ce dernier a accepté sa mission une somme de 800 euros à valoir sur ses frais et honoraires,
Pour le surplus,
- ordonné la réouverture des débats à l'audience du mardi 16 avril 2024 à 9h30,
- invité les parties à conclure sur la compétence de la juridiction de sécurité sociale pour statuer sur le recours en garantie contre l'État formé par le département du Cher,
- réservé le surplus des demandes ainsi que les dépens,
- dit que la notification de la présente décision vaudra convocations régulières des parties à cette audience.
Par conclusions soutenues oralement à cette audience, le département du Cher demande à la Cour de :
- admettre la compétence de la juridiction de sécurité sociale pour statuer sur le recours en garantie du département du Cher à l'endroit de l'État,
- condamner l'État à garantir le département du Cher en remboursement des sommes qui lui seront réclamées au titre des articles L. 452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale, y compris en ce qui concerne l'expertise médicale qui a été ordonnée, consécutivement à l'arrêt n° RG 22/00577 du 28 novembre 2023 rendu par la Cour d'appel d'Orléans,
- condamner chaque partie à supporter la charge de ses dépens.
Par conclusions soutenues oralement à l'audience, l'agent judiciaire de l'État demande de :
Vu l'article 38 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955,
Vu les articles L. 213-2, L. 213-2-1, L. 421-23 et R. 421-10 du Code de l'éducation,
Vu l'article 75 du Code de procédure civile,
Vu les pièces du dossier et la jurisprudence applicable,
- rejeter le recours en garantie contre l'État formé par le département du Cher comme présenté devant une juridiction incompétente pour en connaître et renvoyer le département du Cher à mieux se pourvoir,
- dire que la juridiction compétente serait le tribunal administratif d'Orléans,
- confirmer le jugement rendu le 14 janvier 2022 par le tribunal judiciaire d'Orléans (Pôle social) en ce qu'il a condamné le département du Cher à payer à l'agent judiciaire de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Y ajoutant,
- condamner le département du Cher à verser à l'agent judiciaire de l'État la somme de 1 957 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour l'instance d'appel,
- statuer ce que de droit sur les dépens.
SUR CE, LA COUR
Le département du Cher soutient que la cour d'appel d'Orléans est compétente pour connaître de son recours en garantie contre l'État. À l'appui, il fait valoir que ce recours est fondé l'action oblique prévue à l'article 1341-1 du Code civil (Civ., 1ère 8 mai 2002, n° 00-11.049 ; CA Orléans 26 mars 2024, n° 20/01616) ; que par ailleurs, il ressort de la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, notamment rendue au visa de l'article 561 du Code de procédure civile, que par l'effet dévolutif, une cour d'appel est saisie de l'ensemble du litige constitué de l'action du salarié en reconnaissance d'une faute inexcusable et de l'action de l'employeur en responsabilité contre le tiers tiers ; qu'elle a 'le pouvoir et le devoir de garder la connaissance de l'affaire et d'apporter à celle-ci une solution au fond', la cour d'appel étant tant juridiction d'appel du tribunal judiciaire que du Pôle social (Civ., 2ème 7 novembre 2013 n° 12-16.461, 7 mai 2014 n° 13-14.381, 13 février 2014 n° 12-28.975 ; CA Orléans 26 mars 2024, n° 20/01616) ; qu'en l'espèce, sa demande en garantie découle de la demande en reconnaissance de faute inexcusable formulée par M. [P] contre son employeur ; qu'il résulte de la procédure que cette demande a été soutenue en première instance puis en appel.
L'Etat, pris en la personne de l'agent judiciaire de l'État, réplique que la Cour d'appel d'Orléans n'est pas compétente ; qu'il est constant que l'État n'était pas l'employeur de M. [P] ; que le département du Cher ne saurait invoquer utilement le principe selon lequel la cour d'appel est investie de la plénitude de juridiction, tant en matière civile qu'en matière de sécurité sociale, alors qu'en l'espèce, le recours en garantie formé contre l'État ne pourrait relever que de la compétence du tribunal administratif d'Orléans ; qu'en effet, M. [P] participait à l'exécution du service public de l'éducation nationale (article L. 213-2-1 du Code de l'éducation), service public à caractère administratif et ce au sein d'un établissement public local d'enseignement ; que la convention conclue entre le département du Cher et le collège public de [Localité 9] ne peut être regardée elle-même que comme un contrat administratif.
Appréciation de la Cour
L'article 76 du Code de procédure civile dispose : 'L'incompétence peut être prononcée d'office en cas de violation d'une règle de compétence d'attribution lorsque cette règle est d'ordre public'.
L'article 211-16 du Code de l'organisation judiciaire prévoit que :
'Des tribunaux judiciaires spécialement désignés connaissent :
1° Des litiges relevant du contentieux de la sécurité sociale défini à l'article L. 142-1 du code de la sécurité sociale, à l'exception de ceux mentionnés au 7° du même article L. 142-1 ;
2° Des litiges relevant de l'admission à l'aide sociale mentionnés à l'article L. 134-3 du code de l'action sociale et des familles et des litiges relatifs aux décisions prises en application du chapitre Ier du titre VI du livre VIII du code de la sécurité sociale ;
3° Des litiges relevant de l'application de l'article L. 4163-17 du code du travail ;
4° Des litiges relatifs aux décisions individuelles prises par l'organisme mentionné au premier alinéa de l'article L. 133-5-10 du code de la sécurité sociale en application des articles L. 133-5-12 et L. 133-8-5 à L. 133-8-8 du même code'.
L'article L. 142-1 du Code de la sécurité sociale dispose :
'Le contentieux de la sécurité sociale comprend les litiges relatifs :
1° A l'application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole ;
2° Au recouvrement des contributions, versements et cotisations mentionnés au 5° de l'article L. 213-1 ;
3° Au recouvrement des contributions, versements et cotisations mentionnés aux articles L. 1233-66, L. 1233-69, L. 3253-18, L. 5212-9, L. 5422-6, L. 5422-9, L. 5422-11, L. 5422-12 et L. 5424-20 du code du travail ;
4° A l'état ou au degré d'invalidité, en cas d'accident ou de maladie non régie par le livre IV du présent code, et à l'état d'inaptitude au travail ;
5° A l'état d'incapacité permanente de travail, notamment au taux de cette incapacité, en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle ;
6° A l'état ou au degré d'invalidité, en cas d'accidents ou de maladies régies par les titres III, IV et VI du livre VII du code rural et de la pêche maritime, à l'état d'inaptitude au travail ainsi que, en cas d'accidents du travail ou de maladies professionnelles régies par les titres V et VI du même livre VII, à l'état d'incapacité permanente de travail, notamment au taux
de cette incapacité ;
7° Aux décisions des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail et des caisses de mutualité sociale agricole concernant, en matière d'accidents du travail agricoles et non agricoles, la fixation du taux de cotisation, l'octroi de ristournes, l'imposition de cotisations supplémentaires et, pour les accidents régis par le livre IV du présent code, la détermination de la contribution prévue à l'article L. 437-1 ;
8° Aux décisions de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées mentionnées au premier alinéa de l'article L. 241-9 du code de l'action sociale et des familles ;
9° Aux décisions du président du conseil départemental mentionnées à l'article L. 241-3 du même code relatives aux mentions 'invalidité' et 'priorité'.
Par ailleurs, la loi des 16 et 24 août 1790 dispose que les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions.
En l'espèce, le département du Cher souhaite exercer un recours à l'encontre de l'État, en la personne du chef d'établissement du collège public [11] de [Localité 9] et de son adjointe, ses préposés. Il s'agit donc d'un recours entre deux personnes de droit public. Il n'existe non plus aucune disposition législative particulière donnant compétence aux tribunaux de l'ordre judiciaire pour connaître de ce type de litige. Ce litige ressortit donc à la compétence du tribunal administratif d'Orléans.
Le département du Cher invoque notamment un arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 2013 (n° 12-16.461). Dans cet arrêt, la haute juridiction rappelle que l'action contre le tiers dont la faute aurait concouru à la réalisation du dommage du salarié victime d'un accident du travail n'est ouverte devant la juridiction de la sécurité sociale qu'à ce dernier ou ses ayants droits et à la caisse, à l'exclusion de l'employeur qui n'a que la possibilité, pour obtenir la réparation du préjudice personnellement subi par lui, de rechercher la responsabilité du tiers sur le fondement du droit commun devant les juridictions compétentes ; si elle juge également qu'une cour d'appel, saisie de l'ensemble de ce litige par l'effet dévolutif de l'appel et des conclusions des parties sur la compétence et sur le fond est investie de la plénitude de juridiction, en tant que juridiction d'appel du tribunal de grande instance et du tribunal des affaires de sécurité sociale, a, en tout état de cause le pouvoir et le devoir de regarder la connaissance de l'affaire et d'apporter à celle-ci une solution au fond, à supposer, que l'effet dévolutif de l'appel soit invocable en l'espèce, ce qui n'est pas démontré, force est de constater que la Cour d'appel d'Orléans n'est pas juge d'appel du tribunal administratif de Bourges.
Par ailleurs, précisément, dans l'arrêt de la Cour d'appel d'Orléans du 26 mars 2024, n° 20/01616, celle-ci a décliné sa compétence au profit du tribunal de commerce, s'agissant d'un recours entre deux commerçants et retenu que l'action oblique ne pouvait pas fonder sa compétence, le salarié victime en l'espèce n'étant en rien débiteur du tiers commerçant mis en cause.
En conséquence, il convient de se déclarer incompétent pour connaître du recours en garantie du département du département du Cher contre l'État, pris en la personne de l'agent judiciaire de l'État.
Conformément à l'article 81 du Code de procédure civile, les parties sont renvoyées à mieux se pourvoir.
Le département du Cher, en sa qualité de partie perdante, supportera les entiers dépens de première instance et d'appel de sorte que le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions accessoires.
En cause d'appel, il versera à M. [P] la somme de 1 500 euros et à l'agent judiciaire du Trésor une indemnité complémentaire de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
Statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a mis l'Etat hors de cause ;
Et statuant à nouveau de ce chef,
Dit que la Cour d'appel d'Orléans n'est pas compétente pour connaître du recours en garantie du département du Cher contre l'État pris en la personne de l'agent judiciaire de l'État ;
Dit que les demandes du département du Cher contre l'Etat doivent être examinées au fond par le tribunal administratif d'Orléans ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Confirme le jugement rendu le 14 janvier 2022 par le Pôle social du tribunal judiciaire de Bourges en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Et, y ajoutant,
Condamne le département du Cher à payer à M. [X] [P] la somme complémentaire de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne le département du Cher à payer à l'État pris en la personne de l'agent judiciaire de l'État une indemnité complémentaire de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne le département du Cher aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,