COUR D'APPEL D'ORLÉANS
C H A M B R E C I V I L E
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 11/06/ 2024
la SELARL LEROY AVOCATS
Me Johan ROUSSEAU-DUMARCET
ARRÊT du : 11 JUIN 2024
N° : - 24
N° RG 21/02507 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GOBQ
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal Judiciaire d'ORLEANS en date du 02 Avril 2021
PARTIES EN CAUSE
APPELANTS :
- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265265709703416
Monsieur [E] [C]
né le 21 Juin 1952 à [Localité 19]
[Adresse 4]
[Localité 19]
représenté par Me Marie-Odile COTEL de la SELARL LEROY AVOCATS, avocat au barreau d'ORLEANS
Madame [O] [V] épouse [C]
née le 27 Août 1950 à [Localité 19]
[Adresse 4]
[Localité 19]
représentée par Me Marie-Odile COTEL de la SELARL LEROY AVOCATS, avocat au barreau d'ORLEANS
D'UNE PART
INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265271099907668
Monsieur [A] [L]
né le 28 Janvier 1933 à [Localité 20]
[Adresse 1]
[Localité 19]
représenté par Me Johan ROUSSEAU-DUMARCET, avocat au barreau de TOURS
Madame [R] [U] épouse [L]
née le 03 Décembre 1932 à [Localité 18]
[Adresse 1]
[Localité 19]
représentée par Me Johan ROUSSEAU-DUMARCET, avocat au barreau de TOURS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 29 Septembre 2021.
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 19 Février 2024
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats à l'audience publique du 02 Avril 2024 à 14h00, l'affaire a été plaidée devant M. Laurent SOUSA, Conseiller, en l'absence d'opposition des parties ou de leurs représentants.
Lors du délibéré, au cours duquel M. Laurent SOUSA, Conseiller a rendu compte des débats à la collégialité, la Cour était composée de:
Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,
Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
GREFFIER :
Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.
ARRÊT :
Prononcé publiquement le 11 juin 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
***
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant acte authentique en date du 29 juillet 1972, M. [Z] [C] et Mme [S] [B] ont acheté un bien immobilier situé [Adresse 4], à [Localité 19] cadastré section AO n° [Cadastre 16], lequel était relié au tout à l'égout [Adresse 21]. Par l'effet d'une donation, M. [E] [C] est ensuite devenu propriétaire de ce bien en 1986.
Par acte authentique en date du 27 avril 1973, M. et Mme [L] ont acquis un bien immobilier sis [Adresse 1] à [Localité 19] cadastré section AO n° [Cadastre 6].
Par acte d'huissier en date du 28 novembre 2018, M. et Mme [L] ont fait assigner M. [E] [C] et son épouse Mme [O] [V] devant le tribunal de grande instance d'Orléans aux fins de solliciter la suppression du raccordement sur une canalisation d'eaux usées passant sous leur propriété.
Par jugement en date du 2 avril 2021, le tribunal judiciaire d'Orléans a :
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. et Mme [C] et déclaré l'action par M. et Mme [L] par assignation en date du 28 novembre 2018 et les demandes formulées à l'encontre de M. et Mme [C] recevables ;
- dit qu'il n'est pas établi de servitude urbaine d'écoulement des eaux usées sur le fonds appartenant à M. et Mme [L] et bénéficiant au fonds appartenant à M. et Mme [C] ;
- fait injonction à M. et Mme [C] de supprimer au droit des parcelles leur appartenant, cadastrées AO [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 17], sises [Adresse 4] à [Localité 19], le raccordement à la canalisation passant sous la parcelle cadastrée AO [Cadastre 6], sise [Adresse 1] à [Localité 19] (45), propriété de M. et Mme [L] ;
- débouté M. et Mme [L] de leur demande aux fins d'ordonner à M. et Mme [C] de justifier de l'exécution de cette injonction de faire à première requête dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement, sous astreinte définitive de 150 euros par jour passé ce délai ;
- condamné in solidum M. et Mme [C] à payer à M. et Mme [L] la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens en application de l'article 700 du code procédure civile ;
- condamné M. et Mme [C] aux entiers dépens de l'instance ;
- dit n'y avoir lieu à accorder la société Arcole, avocats au barreau d'Orléans, sa demande aux fins de bénéficier de l'article 699 du code de procédure civile à l'encontre de M. et Mme [L] ;
- accordé à la société Celce-Vilain, avocats au barreau d'Orléans, le droit de recouvrer directement auprès de M. et Mme [C] ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision ;
- rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties.
Par déclaration en date du 29 septembre 2021, M. et Mme [C] ont interjeté appel de l'intégralité des chefs de ce jugement sauf en ce qu'il a débouté M. et Mme [L] de leur demande aux fins d'ordonner à M. et Mme [C] de justifier de l'exécution de cette injonction de faire à première requête dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement, sous astreinte définitive de 150 euros par jour passé ce délai et dit n'y avoir lieu à accorder la société Arcole, avocats au barreau d'Orléans, sa demande aux fins de bénéficier de l'article 699 du code de procédure civile à l'encontre de M. et Mme [L].
Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 5 février 2024, M. et Mme [C] demandent à la cour de :
- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel ;
- infirmer en toutes ses dispositions, le jugement entrepris en date du 2 avril 2021 ;
- déclarer M. et Mme [L] irrecevables en raison de la prescription, et en tout cas mal fondés en toutes leurs demandes, fins et conclusions et les en débouter ;
- rejeter toutes les demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires autant irrecevables que mal fondées ;
- les condamner solidairement à leur verser une indemnité de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, abus de droit d'ester en justice et abus du droit de propriété et en réparation de leur préjudice moral et des tracas occasionnés ;
- les condamner sous la même solidarité à leur verser une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
- condamner les mêmes, dans les mêmes conditions, aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 31 janvier 2024, M. et Mme [L] demandent à la cour de :
- déclarer M. et Mme [C] irrecevables et en tout état de cause mal fondés en leur appel et leurs demandes, et les en débouter ;
- confirmer la décision entreprise ;
Y ajoutant,
- condamner in solidum M. et Mme [C] à leur verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.
MOTIFS
Sur la prescription des demandes
Moyens des parties
Les appelants expliquent que les parcelles cadastrées AO [Cadastre 16], AO [Cadastre 5] et AO [Cadastre 7] sont raccordées au tout à l'égout et donc au réseau de la ville par une canalisation commune partant d'un regard situé sur la parcelle cadastrée AO [Cadastre 15], et passant sous le terrain des époux [L] ; qu'ainsi, les eaux pluviales et usées des propriétés des époux [C] (AO [Cadastre 16]), de M. [I] (AO [Cadastre 5]), du ou des propriétaires de la parcelle qui appartenait à M. [T] (AO [Cadastre 7]), convergent dans un regard commun situé sur la parcelle cadastrée AO [Cadastre 15], passent ensuite dans une seule et même canalisation partant de ce regard et traversant le tréfonds du terrain des intimés (AO [Cadastre 6])
pour être dirigées vers le réseau public situé [Adresse 21] ; qu'il en résulte que ce n'est pas seulement leur propriété qui est raccordée à la canalisation commune traversant la propriété des époux [L], mais également les parcelles cadastrées AO [Cadastre 5] et AO [Cadastre 7] ; que le litige est né après qu'ils ont vendu à la société La fabrique d'appart un hangar, desservi par aucun réseau, situé sur les parcelles cadastrées AO [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12] et [Cadastre 13], situées au [Adresse 2] ; que le projet de construction de La fabrique d'appart prévoyait que le réseau d'évacuation des eaux usées de la nouvelle construction passerait par le terrain des appelants pour rejoindre le collecteur situé [Adresse 22] qui n'existait pas lorsque le réseau d'évacuation des eaux usées et pluviales des parcelles cadastrées AO [Cadastre 16], AO [Cadastre 5] et AO [Cadastre 7]
a été réalisé, et non le collecteur situé [Adresse 21] ; qu'afin de permettre le
passage de ce réseau nécessaire à l'habitabilité des cinq logements à édifier, ils ont accordé à La fabrique d'appart une servitude de passage des réseaux usées et des eaux de ruissellement, étant précisé que la parcelle située au [Adresse 4], cadastrée AO [Cadastre 17], dont ils sont restés propriétaires, était instituée fonds servant au profit des parcelles vendues à La fabrique d'appart ; qu'en parallèle, M. [L] a écrit à l'agglomération d'[Localité 19] afin d'obtenir des éléments concernant l'évacuation des eaux usées, dans la cadre de la réalisation du projet immobilier situé [Adresse 4] à [Localité 19] ; que la réponse de l'agglomération confirme que les eaux usées des futurs lots du projet immobilier seront dirigées vers le collecteur public existant situé [Adresse 22] et non vers le collecteur situé [Adresse 21], et que les effluents générés par ce programme immobilier ne seront donc en aucun cas dirigés vers le branchement privé en servitude situé sur l'emprise de la parcelle des époux [L] ; que la construction de ces cinq logements n'a pas pu aggraver les risques sur la canalisation passant sous l'ensemble immobilier des époux [L] ; que les époux [L] avaient connaissance du projet pour avoir consulté le plan de l'architecte de La fabrique d'appart, ainsi que de la servitude existante au profit de leur fonds, de sorte qu'ils sont mal venus à la remettre en cause aujourd'hui ; que les époux [L] ont demandé, au seul motif de l'absence de servitude dans leur titre et tout en reconnaissant que plus de 30 années s'étaient écoulées depuis la création du réseau en 1956, de supprimer le branchement à la canalisation passant par leur propriété ; que cependant, ils ne pouvaient dévoyer leur réseau d'évacuation des eaux usées vers le réseau de La fabrique d'appart, car celui-ci était enfoui à une profondeur bien moins importante que leur réseau ; qu'il est acquis qu'aux termes du rapport [J] en date du 16 décembre 1981 et du jugement du tribunal de grande instance en date du 21 septembre 1982, les époux [L] ont eu une parfaite connaissance de la canalisation reliant notamment le fonds des époux [C] au réseau public, sans pouvoir prétendre ignorer la servitude de raccordement dont était grevé leur propriété ; que l'action des époux [L] s'analyse comme une action réelle immobilière soumise à la prescription de l'article 2227 du code civil qui prévoit que les actions réelles immobilières se prescrivent par 30 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu, ou aurait dû connaître, les faits lui permettant de l'exercer, soit au plus tard ici le 21 septembre 1982, jour du jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Orléans les ayant condamnés à rétablir la canalisation au raccordement au tout à l'égout commun, notamment au fond [L], de telle sorte que leur action visant à supprimer la canalisation traversant leur propriété aurait dû être engagée au
plus tard le 21 septembre 2012 ; qu'en saisissant le tribunal le 28 novembre 2018, les époux [L] étaient largement prescrits en leur action ; que la présence d'un regard et de l'orifice de départ du collecteur général visible depuis ce regard démontrent que la servitude était apparente et qu'elle était parfaitement connue des intimées depuis 1973, date de l'achat de leur bien ; que dès lors, les demandes des époux [L] se heurtent à l'acquisition de la servitude au profit des époux [C] par prescription trentenaire ; que la cour ne pourra qu'infirmer la décision entreprise et déclarer les demandes des époux [L] irrecevables.
M. et Mme [L] répliquent que quand bien même plus de 30 ans se sont écoulés, ils sont bien fondés à contester ce passage de canalisation dans le tréfonds de leur propriété en l'absence de preuve de l'existence d'une servitude légale ou établie par le fait de l'homme ; qu'en indiquant que les servitudes continues non apparentes et les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes ne peuvent s'établir que par titre, ces dispositions imposent à celui qui entend se prévaloir de l'existence d'une servitude de présenter le titre qu'il établit étant rappelé qu'il s'agit de dispositions relatives aux servitudes établies par le fait de l'homme ; qu'il revient à M. et Mme [C] d'établir que cette servitude existait avant la signature de leur acte d'achat pour avoir été établie par titre opposable aux acquéreurs, ce qu'ils ne font pas ; qu'en application des dispositions des articles 691 et 692 du code civil, pour bénéficier de l'usucapion ou de la destination du père de famille, il convient que la servitude ait un caractère continu et apparent ; qu'il a été jugé que des canalisations enterrées ne pouvaient être considérées comme un ouvrage apparent, même si les extrémités des canalisations étaient visibles ; que dans ces conditions, les canalisations n'ayant ni caractère apparent, ni caractère continu, la servitude alléguée par M. et Mme [C] ne peut être établie que par titre et, en l'absence d'un tel titre, ils ne peuvent se prévaloir de l'existence d'une servitude ; que M. et Mme [C] évoquent désormais l'existence d'une servitude d'écoulement des eaux pluviales dans la canalisation située sur la propriété de M. et Mme [L] sans l'établir ; que le rapport établi par l'expert de M. et Mme [C] ne saurait établir l'existence ni d'une servitude d'écoulement des eaux usées ni même d'une servitude d'écoulement des eaux pluviales dans la canalisation dont s'agit.
Réponse de la cour
Il résulte des pièces versées aux débats qu'en 1981, un litige est survenu entre les parties à raison de mauvaises odeurs et de refoulement d'eaux usées subies par M. et Mme [C] suite à des travaux d'agrandissement réalisés par M. et Mme [L].
Une expertise judiciaire a été réalisée par M. [J] dont il résulte que les travaux réalisés sur la propriété de M. et Mme [L] ont conduit à une coupure de la canalisation passant sous la propriété de ceux-ci, dont les eaux provenaient notamment du fonds appartenant à M. et Mme [C].
L'expert judiciaire en a déduit l'existence des préjudices suivants :
« - M. [Z] [C] et le Colonel [N], propriétaires respectifs des [Adresse 3], du fait que selon le volume d'eaux vannes, usées et pluviales s'évacuant dans le collecteur obstrué, des refoulements se produisent et provoquent des odeurs nauséabondes dans leur immeuble.
- M. [L] qui ['] a perçu et doit continuer de percevoir les odeurs de l'effluent de l'égout cassé, la fouille pour recherche n'ayant pas été complètement rebouchée. »
Il convient de relever que, devant l'expert judiciaire, M. [E] [C] avait déclaré « que l'égout évacuant les eaux (pluviales, vannes et usées) de la propriété de ses parents M. et Mme [Z] [C] sise [Adresse 4], vers la [Adresse 21] est engorgé provoquant de ce fait gêne, odeurs et par moment des refoulements ».
Il est donc établi par l'expert judiciaire et reconnu par M. [E] [C] que la propriété de celui-ci est raccordée à la canalisation passant sous la propriété de M. et Mme [L] pour l'écoulement des eaux usées.
Aux termes de l'article 688 du code civil, les servitudes discontinues sont celles qui ont besoin du fait actuel de l'homme pour être exercées.
L'article 691 du code civil dispose que les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes, ne peuvent s'établir que par titres.
La servitude d'écoulement des eaux usées, dont l'exercice exige le fait de l'homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription, ainsi que l'a d'ailleurs jugé la Cour de cassation (3e Civ., 21 janvier 2021, pourvoi n° 19-16.993).
Par ailleurs, la canalisation à usage mixte, eaux usées et eaux pluviales, est soumise au régime applicable à la servitude d'évacuation des eaux usées et non des eaux pluviales et ne peut pas s'acquérir par prescription (3e Civ., 9 juin 2015, pourvoi n° 14-11.400 ; 3e Civ., 10 novembre 2009, pourvoi n 08-20.446).
En l'espèce, quand bien même la canalisation litigieuse recueille également les eaux pluviales de la propriété de M. et Mme [C], la servitude d'écoulement d'eaux usées ne peut s'acquérir par prescription. Il s'ensuit que les demandes de M. et Mme [L] ne sont pas atteintes par la prescription et doivent être déclarées recevables. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a statué en ce sens.
Sur la suppression du raccordement
Moyens des parties
Les appelants soutiennent qu'il résulte de leur titre de propriété datant du 27 avril 1973, que les époux [L] ont acheté un lot dépendant d'un ensemble immobilier plus vaste et qu'ils devaient faire leur affaire personnelle de toutes servitudes administratives ou légales pouvant grever l'immeuble qui leur a été vendu ; que si leur titre de propriété ne visait pas expressément cette servitude de raccordement des parcelles situées au sud-est de leur propriété au collecteur public de la [Adresse 21], il est incontestable qu'aux termes du rapport d'expertise de M. [J] et du jugement de 1982, cette servitude s'est révélée à eux et qu'ils ont donc pu identifier l'une des servitudes
passives apparentes ou occultes, continues ou discontinues, telles que visées à l'acte de vente, qui grevait leur bien lorsqu'ils l'ont acheté ; que M. et Mme [L] ont accepté expressément la servitude au terme de leur titre de propriété et, par la suite, lors de la survenance des dommages, lors de l'installation de leur citerne ou à tout le moins au plus tard lors de la réunion d'expertise judiciaire du 10 juillet 1981 ; que les clauses du titre de propriété de M. et Mme [L], complétées par le jugement du 21 septembre 1982, font obstacle à ce que leur action puisse prospérer comme se heurtant à l'une des servitudes qu'ils ont acceptées et qu'ils ont pu précisément identifier avec le jugement précité ; que de plus, cette servitude de raccordement dérivait de l'état des lieux ; que le réseau public de tout à l'égout n'existait que du côté de la [Adresse 21] et il n'y avait donc pas d'autre solution pour relier les fonds enclavés que de traverser leur propriété pour rejoindre le collecteur public ; que les intimés ne pouvaient ignorer non plus la présence du regard décrit par l'expert judiciaire, visible de tous, qui collectait effectivement les eaux usées des différents fonds dominants pour les jeter dans la canalisation commune traversant leur propriété ; que comme le prévoit l'article 694 du code civil, une telle servitude ne pouvait que continuer d'exister après la division du fonds [X] [G] et l'acquisition d'une partie de ce fonds par les époux [L] ; qu'ils sont dès lors réputés avoir accepté ladite servitude ; qu'en acceptant et en concourant au rétablissement de la canalisation brisée en 1981, les intimés ont ratifié la servitude implicitement visée dans leur titre de propriété en date du 27 avril 1973 ; que le tribunal, en 1982, a reconnu leurs droits et les époux [L] en ont accepté le principe, de sorte que leur demande se heurte aujourd'hui à leur titre et au jugement de 1982 et, en tout état de cause, à la renonciation expresse à leur droit puisqu'ils n'ont pas contesté ladite servitude ; qu'ils sont bien fondés à se prévaloir subsidiairement des règles relatives aux servitudes par destination du bon père de famille, visées aux articles 692 et suivants du code civil ; que la cour ne pourra qu'infirmer le jugement entrepris et débouter les époux [L] de toutes leurs demandes ; qu'enfin, la canalisation commune dessert également les autres parcelles cadastrées AO [Cadastre 5] et AO [Cadastre 7] et leurs propriétaires n'ont pas été appelés à la cause ; que le tribunal ne pouvait ordonner la suppression de la canalisation, car elle dessert également les
parcelles d'autres propriétaires sans qu'ils ne soient attraits à la cause ; qu'ils ne peuvent pas se raccorder au réseau mis en place par la société La fabrique d'appart, car d'une part, leur réseau est enterré à une profondeur beaucoup plus importante, et d'autre part, le réseau de La fabrique d'appart est de type séparatif, c'est-à-dire que les eaux usées et les eaux pluviales ne se rejoignent pas dans une même canalisation mais sont évacuées distinctement, alors que dans leur réseau, réalisé en 1956, les eaux usées et les eaux pluviales se déversent dans une même canalisation.
M. et Mme [L] font valoir qu'ils sont bien fondés à contester ce passage de canalisation dans le tréfonds de leur propriété en l'absence de preuve de l'existence d'une servitude légale ou établie par le fait de l'homme ; que pour bénéficier de la destination du père de famille, il convient que la servitude ait
un caractère continu et apparent, ce qui n'est pas le cas ; que les canalisations n'ayant ni caractère apparent, ni caractère continu, la servitude alléguée par M. et Mme [C] ne peut être établie que par titre et, en l'absence d'un tel titre, ils ne peuvent se prévaloir de l'existence d'une servitude ; que leur titre de propriété ne fait mention d'aucune servitude de passage de canalisation.
Réponse de la cour
L'acte d'acquisition du bien immobilier de M. et Mme [L], en date du 27 avril 1973 comporte la clause selon laquelle l'acquéreur « souffrira des servitudes passives, apparentes ou occultes continues ou discontinues qui peuvent grever les biens vendus, y compris celles résultant de la situation naturelle des lieux, de leur alignement, des projets d'aménagement communaux et d'urbanisme, sauf à s'en défendre et à profiter de celles actives, le tout à ses risques et périls sans recours contre le vendeur et sans que la présente clause puisse donner à qui que ce soit plus de droits qu'il n'en aurait en vertu de titres réguliers non prescrits ou de la loi ».
Cependant, cette clause ne mentionne aucune servitude existante au profit du fonds voisin et ne concerne que les rapports entre le vendeur et les acquéreurs, de sorte que M. et Mme [C] ne peuvent s'en prévaloir. En outre, ces derniers omettent que cette clause est suivie de celle-ci :
« À cet égard, le vendeur déclare qu'à sa connaissance, les biens vendus ne sont grevés d'aucune servitude autre que celles pouvant résulter de la situation naturelle des lieux, des plans d'urbanisme ou de la loi ».
Ainsi, l'acte d'acquisition de M. et Mme [L] ne mentionne aucune servitude d'écoulement des eaux usées au profit du fonds appartenant aux consorts [C], et ne peut constituer le titre constitutif de la servitude alléguée par les appelants.
S'agissant du jugement du tribunal de grande instance d'Orléans du 27 septembre 1982, qui fait suite à l'expertise judiciaire réalisée par M. [J], il n'a nullement reconnu l'existence d'une servitude de passage, mais a statué sur les troubles anormaux de voisinage causés aux consorts [C] par le bris de la canalisation passant sous la propriété de M. et Mme [L] et sur la responsabilité du constructeur à l'origine de la rupture de la canalisation. Le jugement du 27 septembre 1982 n'est donc pas un titre constitutif de la servitude d'écoulement des eaux usées.
À la suite de ce jugement, M. et Mme [L] ont réalisé les travaux de réparation de la canalisation d'eaux usées passant sous leur propriété, et les appelants soutiennent qu'ils auraient en conséquence « accepté » la servitude d'écoulement des eaux usées.
Or, l'aveu extrajudiciaire n'est admissible que s'il porte sur des points de fait et non sur des points de droit tel que l'existence d'une servitude, ainsi que l'a
jugé la Cour de cassation (3e Civ., 27 avril 1988, pourvoi n° 86-17.472). Il ne peut donc être considéré que M. et Mme [L] auraient reconnu l'existence d'une servitude d'écoulement des eaux usées au profit de M. et Mme [C] en réparant la canalisation enfouie sous leur parcelle, alors que ces derniers ne justifient pas d'un titre constitutif de ladite servitude.
Surtout, l'article 695 du code civil dispose que le titre constitutif de la servitude, à l'égard de celles qui ne peuvent s'acquérir par la prescription, ne peut être remplacé que par un titre récognitif de la servitude, et émané du propriétaire du fonds asservi.
Il s'ensuit que le titre de la servitude discontinue d'eaux usées ne peut être remplacé que par un titre récognitif de la servitude et émané du propriétaire du fonds asservi, de sorte qu'il ne peut être admis que le fait d'avoir réalisé des travaux de canalisation puisse constituer un aveu non équivoque de la constitution de la servitude suppléant la carence d'un titre écrit (3e Civ., 7 avril 2004, pourvoi n° 03-10.047).
L'appelant se prévaut de l'existence d'une servitude par destination du bon père de famille régie par les articles 692 et suivants du code civil, au motif que les parcelles concernées par le litige procédaient antérieurement d'une seule et unique propriété.
L'article 692 du code civil dispose que la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes continues et apparentes. Il n'est donc pas applicable à une servitude discontinue d'écoulement d'eaux usées, objet du présent litige.
L'article 694 du code civil dispose que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné.
Cette disposition exige donc, même dans le cas d'une servitude discontinue, l'existence d'un signe apparent de servitude. Or, en l'espèce, les canalisations étaient enfouies sous les parcelles litigieuses de sorte qu'elles n'étaient pas visibles par les différents propriétaires des parcelles divisées. S'il existe un regard sur la voie publique située devant la parcelle cadastrée section AO n° [Cadastre 6], aucun élément ne permettait au propriétaire de celle-ci de savoir d'une part qu'il concernait le réseau d'eaux usées et d'autre part que les eaux usées en provenance du fonds de M. et Mme [C] étaient collectées dans ce réseau après s'être écoulées sous la parcelle cadastrée section AO n° [Cadastre 6]. Le caractère apparent de la servitude n'est donc pas établi de sorte que les appelants sont mal fondés à se prévaloir d'une servitude par destination du père de famille.
Enfin, le litige étant relatif au raccordement de l'écoulement des eaux usées de la propriété de M. et Mme [C] dans la canalisation passant sous la propriété de M. et Mme [L], et non sur la suppression de ladite canalisation, les appelants sont mal-fondés à reprocher aux intimés à ne pas avoir attrait à la procédure les autres propriétaires qui seraient également raccordés à ladite canalisation, qui sont étrangers au présent litige, outre le fait que ceux-ci peuvent être titulaires d'un titre constitutif de servitude, et que M. et Mme [L] sont libres d'agir également à leur encontre à défaut de titre.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'à défaut de titre constitutif de servitude ou de titre récognitif, M. et Mme [C] sont mal-fondés à se prévaloir d'une servitude d'écoulement d'eaux usées sur le fonds de M. et Mme [L] et l'impossibilité prétendue de se raccorder à un autre endroit du réseau d'eaux usées ne saurait pallier l'absence de titre.
En conséquence, le jugement sera confirmé en tous ses chefs relatifs à la servitude d'écoulement des eaux usées, et notamment en ce qu'il a fait injonction à M. et Mme [C] de supprimer au droit des parcelles leur appartenant, cadastrées AO [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 17], sises [Adresse 4] à [Localité 19], le raccordement à la canalisation passant sous la parcelle cadastrée AO [Cadastre 6], sise [Adresse 1] à [Localité 19] (45), propriété de M. et Mme [L].
Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts
Moyens des parties
Les appelants soutiennent que les demandes des époux [L], présentées 45 ans après l'achat de leur fonds en 1973 et 38 ans après le jugement les condamnant, seront jugées abusives ; qu'il est en effet incompréhensible qu'ils aient attendu autant de temps pour agir, étant rappelé que l'argument
tiré de la prétendue aggravation du risque de dommages par la construction, en 2018, de 5 logements sur les parcelles vendues à La fabrique d'appart est dénué de toute justification, car le réseau d'évacuation des eaux usées et des eaux pluviales de ces logements est indépendant ; que dès lors, l'action des époux [L] n'a d'autre finalité que de nuire à leurs intérêts, d'autant que les eaux des deux autres fonds cadastrés AO [Cadastre 5] et AO [Cadastre 7], continueront de s'évacuer par la canalisation passant sous le terrain des époux [L] pour rejoindre le collecteur public situé dans la [Adresse 21] ; qu'ils se verront donc allouer une indemnité de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire, en réparation également de leur préjudice moral et des tracas qu'ils ont dû endurer ; que la demande d'indemnisation découlant de la procédure initiée par Mme et M. [L], il s'agit d'un accessoire ou d'un complément à leurs prétentions visant au rejet des demandes principales des intimés ; qu'il ne peut donc s'agir d'une demande nouvelle au sens de l'article [Cadastre 6] du code de procédure civile, de sorte que cette demande est donc parfaitement recevable ; que les intimés tentent de justifier leur action par la soi-disant crainte qu'ils avaient eu en regard du
projet immobilier de la société La fabrique d'appart, alors que la lettre de l'agglomération confirmait que le réseau d'évacuation des eaux usées des nouveaux logements ne sera pas raccordé au réseau passant par la propriété des intimés.
M. et Mme [L] indiquent que M. et Mme [C] n'avaient pas formulé de demande indemnitaire devant le tribunal de sorte qu'il s'agit de prétentions nouvelles qui doivent par conséquent être déclarées irrecevables sur le fondement de l'article [Cadastre 6] du code de procédure civile ; que l'abus de droit évoqué n'est toutefois aucunement caractérisé ; qu'il ne leur appartient pas de prouver l'existence d'une quelconque gêne pour demander la suppression du raccordement et en tout état de cause l'absence de gêne n'ouvre pas un droit au maintien du raccordement de M. et Mme [C] sur la canalisation ; qu'il revient aux appelants de prouver l'intention de nuire ce qu'ils ne font pas ; que s'ils ont évoqué les projets d'aménagement immobilier de la société La fabrique d'appart, c'est non seulement pour faire valoir les craintes qu'ils avaient eu à cet égard mais également qu'il apparaissait au regard de ces informations que les époux [C] pouvaient désormais se raccorder sur le nouveau réseau mis en place pour cet aménagement, lui-même raccordé sur le collecteur de la rue des Murlins ; que le rapport versé aux débats évoquant l'impossibilité pour M. et Mme [C] de se raccorder au réseau de La fabrique d'appart, n'a aucun caractère probant et ne permet aucunement de caractériser un quelconque abus de droit.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 567 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles sont recevables en appel. En l'espèce, la demande de dommages et intérêts formée par M. et Mme [C], défendeurs en première instance, est une demande reconventionnelle, de sorte qu'elle est recevable en cause d'appel.
La servitude d'écoulement des eaux usées ne se prescrivant pas, les appelants sont mal-fondés à invoquer le délai écoulé entre la connaissance du raccordement litigieux et sa demande de suppression par M. et Mme [L].
L'écoulement des eaux usées sur le fonds de M. et Mme [L] sans bénéficier d'un titre constitutif de servitude constitue une charge indue sur le fonds des intimés, de sorte que les propriétaires n'ont pas à produire d'autre justification à leur action. La demande de suppression du raccordement litigieux ne peut être constitutif d'un abus de droit.
Il convient donc de débouter M. et Mme [C] de leur demande reconventionnelle de dommages et intérêts.
Sur les frais de procédure
Le jugement sera confirmé en ses chefs statuant sur les dépens et les frais irrépétibles.
M. et Mme [C] seront condamnés in solidum aux entiers dépens d'appel. Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions critiquées ;
Y AJOUTANT :
DÉCLARE la demande reconventionnelle de dommages et intérêts formée par M. et Mme [C] recevable ;
DÉBOUTE M. et Mme [C] de leur demande de dommages et intérêts à l'encontre de M. et Mme [L] ;
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum M. et Mme [C] aux entiers dépens d'appel.
Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de Chambre et Mme Karine DUPONT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT