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07/05/2024 | FRANCE | N°23/01193

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Chambre sécurité sociale, 07 mai 2024, 23/01193


COUR D'APPEL D'ORLÉANS



CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE







GROSSE à :

SELARL [11]

SELAS [12]

CPAM D'INDRE ET LOIRE

CPAM DE LA VIENNE

EXPÉDITION à :

[B] [I]

SAS [13]

Pôle social du Tribunal judiciaire de TOURS



ARRÊT du : 7 MAI 2024



Minute n°172/2024



N° RG 23/01193 - N° Portalis DBVN-V-B7H-GZDZ



Décision de première instance : Pôle social du Tribinal judiciaire de TOURS en date du 27 Mars 2023



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Monsieur [B] [I]

[Adresse 7]

[Localité 5]



Représenté par Me Abed BENDJADOR de la SELARL ABED BENDJADOR, avocat au barreau de TOURS





D'UNE PART,



ET



INTIMÉES :



SAS [13]

[Adres...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE

GROSSE à :

SELARL [11]

SELAS [12]

CPAM D'INDRE ET LOIRE

CPAM DE LA VIENNE

EXPÉDITION à :

[B] [I]

SAS [13]

Pôle social du Tribunal judiciaire de TOURS

ARRÊT du : 7 MAI 2024

Minute n°172/2024

N° RG 23/01193 - N° Portalis DBVN-V-B7H-GZDZ

Décision de première instance : Pôle social du Tribinal judiciaire de TOURS en date du 27 Mars 2023

ENTRE

APPELANT :

Monsieur [B] [I]

[Adresse 7]

[Localité 5]

Représenté par Me Abed BENDJADOR de la SELARL ABED BENDJADOR, avocat au barreau de TOURS

D'UNE PART,

ET

INTIMÉES :

SAS [13]

[Adresse 2]

[Localité 10]

Représentée par Me Thomas HUMBERT de la SELAS ÆRIGE, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Julie DELATTRE, avocat au barreau de PARIS

CPAM D'INDRE ET LOIRE

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Mme [W] [C], en vertu d'un pouvoir spécial

CPAM DE LA VIENNE

[Adresse 6]

[Localité 9]

Représentée par Mme [W] [C], en vertu d'un pouvoir spécial

D'AUTRE PART,

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats :

L'affaire a été débattue le 20 FEVRIER 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant la Cour composée, en double rapporteur, de Madame Nathalie LAUER, Président de chambre et Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller.

Lors du délibéré :

Madame Nathalie LAUER, Président de chambre,

Madame Brigitte RAYNAUD, Président de chambre,

Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller.

Greffier :

Monsieur Alexis DOUET, Greffier lors des débats et du prononcé de l'arrêt.

DÉBATS :

A l'audience publique le 20 FEVRIER 2024.

ARRÊT :

- Contradictoire, en dernier ressort.

- Prononcé le 7 MAI 2024, après prorogation du délibéré, par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Nathalie LAUER, Président de chambre, et Monsieur Alexis DOUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

M. [B] [I] a été victime le 21 septembre 2012 d'un accident du travail qui a fait l'objet d'un refus initial de prise en charge de la part de la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne selon une décision du 30 novembre 2012.

M. [I] a contesté cette décision devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Poitiers qui, selon un jugement du 7 juin 2016, confirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Poitiers du 25 avril 2018, a reconnu l'origine professionnelle de cet accident, qui est consécutif à l'explosion de son véhicule de service en raison de la présence à l'intérieur d'une bouteille d'acétylène et de bidons d'essence, causant un polytraumatisme et une amputation de la jambe gauche.

M. [I], déclaré consolidé le 31 octobre 2018, a reçu des indemnités journalières jusqu'au 30 octobre 2018 et bénéficie d'un taux de d'incapacité permanente de 100 %, selon une décision de la caisse primaire d'assurance maladie du 11 décembre 2018.

M. [I] a saisi le Pôle social du tribunal judiciaire de Tours par requête déposée le 21 octobre 2021 d'une demande visant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Le tribunal judiciaire de Tours, par jugement du 27 mars 2023, a déclaré M. [I] irrecevable en son action comme prescrite, rejeté le surplus des prétentions des parties et condamné M. [I] aux dépens.

M. [I] a relevé appel de ce jugement, notifié par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 29 mars 2023, selon déclaration formée par voie électronique le mardi 2 mai 2023.

M. [I] demande la Cour de :

- déclarer non prescrite l'action de M. [I]

- déclarer M. [I] recevable et bien fondé en ses demandes

- déclarer que l'accident du travail en date du 21 septembre 2012 est dû à la faute inexcusable de la société [13], employeur de M. [I]

- ordonner que la majoration de l'indemnité à laquelle a droit M. [I] conformément à l'article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale, qu'elle soit sous forme de capital ou de rente, le soit à son taux maximum,

- ordonner que M. [I] bénéficiera de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale au titre du taux d'incapacité évalué à 100%,

- condamner la société [13] à indemniser M. [I] de la réparation de l'ensemble des préjudices qu'il a subi tel que déterminé après le dépôt du rapport d'expertise,

Avant dire droit,

- ordonner une expertise médicale judiciaire, afin qu'il puisse être statué sur ses préjudices,

- désigner un expert pour y procéder, avec une proposition de mission précisée de manière détaillée dans ses écritures,

- ordonner que les frais d'expertise seront à la charge de la société [13],

- ordonner qu'en application des dispositions des articles L. 452-2 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire procédera à la majoration de la rente et/ou du capital, ainsi qu'à l'avance des frais d'expertise et de la provision à valoir sur la réparation de ses préjudices, à charge pour l'organisme de sécurité sociale d'en récupérer les montants auprès de l'employeur,

- déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire et de la Vienne,

- condamner la société [13] à lui verser la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouter la société [13] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- débouter la caisse primaire d'assurance maladie de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

La société [13] demande à la Cour de :

A titre principal,

- déclarer prescrite l'action de M. [I],

En conséquence,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Tours le 27 mars 2023 en toutes ses dispositions et débouter M. [I] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [I] à verser à la société [13] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

- juger que M. [I] ne démontre pas l'existence de la faute inexcusable qu'il invoque,

- juger que la société [13] n'a commis aucune faute inexcusable,

En conséquence,

- débouter M. [I] de son recours en reconnaissance de faute inexcusable,

- condamner M. [I] à verser à la société [13] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

A titre infiniment subsidiaire,

- ordonner une expertise médicale afin d'évaluer les souffrances morales de M. [I] sur une échelle de 0 à 7,

- dire et juger qu'il appartiendra à la caisse primaire d'assurance maladie de faire l'avance des sommes allouées à M. [I] en réparation de l'intégralité de ses préjudices,

- juger que la décision de refus de prise en charge de la caisse primaire d'assurance maladie du 'Val-de-Marne' du 30 novembre 2012 est définitive à l'égard de la société [13], de sorte que la décision de prise en charge prise après la procédure de contestation introduite par M. [I] lui est inopposable,

- juger qu'il ne pourra être fait application des dispositions de l'article L. 452-3-1 du Code de la sécurité sociale à l'encontre de la société [13], et que la caisse primaire d'assurance maladie conservera à sa charge les compléments de rente et indemnités qu'elle aurait à verser en cas de reconnaissance de faute inexcusable.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne a demandé sa mise hors de cause, M. [I] étant désormais rattaché à la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire.

La caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire, sans contester être l'organisme social dont dépend M. [I], s'en est rapportée à justice sur la faute inexcusable mais a maintenu son action récursoire.

Pour un plus ample exposé des moyens et arguments des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures respectives telles que développées oralement à l'audience, en application de l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR QUOI LA COUR :

- Sur la prescription de l'action de M. [I]

L'article L. 431-2 du Code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, prévoit que 'les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à dater :

1°) du jour de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière' et que 'en cas d'accident susceptible d'entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la prescription de deux ans opposable aux demandes d'indemnisation complémentaire visée aux articles L. 452-1 et suivants est interrompue par l'exercice de l'action pénale engagée pour les mêmes faits ou de l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident'.

En l'espèce, en présence d'une action judiciaire en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, l'action de M. [I] était donc soumise à deux délais distincts de prescription biennale :

- Le premier débutait au jour de la cessation du versement des indemnités journalières, soit de manière constante au 31 octobre 2018, et expirait donc le 31 octobre 2020, avant la saisine par M. [I] du Pôle social du tribunal judiciaire de Tours le 21 octobre 2021.

- Le second débutait le jour où l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers confirmant le caractère professionnel de l'accident du travail, daté du 25 avril 2018, devenait irrévocable.

Cet arrêt, selon M. [I], ne lui a pas été signifié.

Les dossiers soumis à la cour ne contiennent pas l'éventuel acte de notification de cet arrêt à chacune des parties.

M. [I] en conclut que le délai de pourvoi n'expirait dès lors que le 25 avril 2020, en vertu de l'article 528-1 du Code de procédure civile applicable au pourvoi en cassation, puisque ce n'est qu'à cette date que l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers confirmant le caractère professionnel de l'accident est devenu irrévocable, et que le délai de prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur a commencé de courir, de sorte qu'en saisissant le tribunal judiciaire en ce sens le 21 octobre 2021, il n'était pas prescrit en son action.

La société [13] réplique qu'aucun pourvoi n'ayant été exercé par aucune des parties à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel de Poitiers, le délai de prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable a commencé de courir à compter de cet arrêt.

La Cour relève qu'en application du texte précité, le délai de prescription de cette action est interrompu jusqu'à ce que la date de la décision statuant sur le caractère professionnel de l'accident soit devenu irrévocable, de sorte que le délai biennal de prescription est de deux ans après cette date.

En l'espèce, à défaut de démonstration de la date à laquelle l'arrêt de la Cour d'appel de Poitiers du 25 avril 2018 a été notifié aux parties, il pourrait être retenu que le pourvoi en cassation demeurait possible jusqu'au 25 avril 2020, date à laquelle seulement cet arrêt est devenu irrévocable, puisqu'un pourvoi en cassation demeurait possible, comme le soutient avec raison M. [I].

Cependant, le délai de pourvoi peut avoir été interrompu avant cette date par l'acquiescement des parties, et c'est ce qu'en l'espèce le jugement entrepris à retenu.

L'article 409 du Code de procédure civile prévoit en effet que l'acquiescement emporte soumission aux chefs du jugement et renonciation aux voies de recours.

A cet égard, la cour constate qu'il n'est pas contesté par M. [I] que la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne a exécuté l'arrêt d'appel et a payé les indemnités journalières afférentes à l'accident du travail litigieux, et que M. [I] a accepté de les recevoir, jusqu'au 30 octobre 2018.

Cependant, le pourvoi en cassation n'est, en la matière, pas suspensif.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne n'avait dès lors pas d'autre choix que de mettre à exécution spontanément l'arrêt rendu et de verser les indemnités journalières à M. [I] au titre de son accident du travail.

Aussi l'exécution de l'arrêt par la caisse primaire d'assurance maladie, ne vaut pas acquiescement, sa volonté de se soumettre à l'arrêt d'appel rendu étant équivoque. Dans ces conditions, il n'est pas permis d'en tirer la conséquence d'une renonciation de la caisse à intenter un pourvoi en cassation, qui demeurait possible jusqu'au 25 avril 2020, en l'absence de justificatif de la date à laquelle l'arrêt a été notifié.

C'est la date qui doit donc être retenue pour déterminer celle à laquelle le délai biennal imparti à M. [I] pour engager une procédure visant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur a recommencé de courir, après la période pendant laquelle il a été interrompu.

Ce délai n'était pas expiré lorsque M. [I] a saisi le tribunal judiciaire de Tours en ce sens, le 21 octobre 2021 et il était à cette date parfaitement recevable à intenter son action.

C'est pourquoi le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a déclaré M. [I] prescrit en son action.

Les parties ayant conclu au fond, la cour entend user de son droit d'évocation dans le souci d'une bonne administration de la justice, comme le lui permet l'article 568 du Code de procédure civile.

- Sur la faute inexcusable

Il résulte des articles L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (Civ., 2ème 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-25.021 ; Civ., 2ème 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-26.677). Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie survenue au salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage (Cass. Ass. plen, 24 juin 2005, pourvoi n° 03-30.038).

Il appartient au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (Civ., 2ème 8 juillet 2004, pourvoi n° 02-30.984, Bull II n° 394 ; Civ., 2ème 22 mars 2005, pourvoi n° 03-20.044, Bull II n° 074). Cette preuve n'est pas rapportée lorsque les circonstances de l'accident dont il a été victime sont indéterminées. (Soc., 11 avril 2002, pourvoi n° 00-16.535).

M. [I] soutient qu'en l'espèce, la présence de bidons d'essence et d'une bouteille d'acétylène dans l'habitacle, non aéré, de son véhicule de service, ce qui a causé son explosion, était connue de l'employeur qui l'avait autorisé à utiliser ce véhicule pour rentrer chez lui, pour gagner du temps pour un chantier prévu le lundi matin suivant les faits, ce qui relevait au surplus d'une pratique habituelle. Aucune consigne contraire n'a selon lui été émise par l'employeur. Il conteste toute faute de sa part qui puisse exonérer la société [13] de sa responsabilité au titre de sa propre faute inexcusable.

La société [13] réplique que s'il était d'usage de transporter des bidons d'essence, c'est M. [I] qui a pris l'initiative d'emporter également une bouteille d'acétylène, ce qui n'était jamais survenu auparavant, et conteste toute pratique courante à cet égard et toute autorisation donnée dans ce sens par l'employeur. Au contraire il existait une procédure spécifique pour le transport des bouteilles de gaz qui a été régulièrement rappelée aux salariés. M. [I] avait donc conscience d'enfreindre une règle de sécurité, qui consistait à utiliser un camion plateau qui était disponible pour le chantier auquel la bouteille d'acétylène était destinée. M. [I] aurait donc commis une faute intentionnelle d'une gravité suffisante pour constituer un faute inexcusable imputable au salarié, l'exposant à une risque qu'il n'ignorait pas, compte tenu de son ancienneté, des formations qu'il avait reçues et des consignes qui lui avaient été données.

La cour constate qu'aucune des parties ne remet en cause les circonstances de l'accident telles que relatées par les services d'enquête de la gendarmerie nationale : M. [I] est rentré chez lui d'un chantier le vendredi 21 septembre 2013 vers 5h30 du matin, a garé son véhicule sur la voie publique avant de décider de le rentrer dans sa cour vers 14h30, allumant le contact en restant debout pour ensuite se diriger vers le portillon, lorsque le véhicule a explosé. Il est tout aussi constant que le véhicule contenait, outre plusieurs litres d'essence destinée au chantier ferroviaire prévu le lundi suivant, une bouteille d'acétylène, comme il l'a déclaré lors de son audition, ce qui a causé l'explosion du véhicule.

Aucun élément n'établit que ce soit le transport de carburant qui soit en cause, mais seulement celui de la bouteille de gaz, d'une contenance de 50 litres selon ce qu'a indiqué un salarié de l'entreprise lors de l'enquête qui a été réalisée.

Il est tout aussi constant que les règles de sécurité relatives au transport d'un tel gaz, qui démontrent que l'employeur, qui les invoque, avait conscience du danger que cela représentait, n'ont pas été respectées.

La fiche technique produite par l'employeur, mentionne en effet qu'il est nécessaire notamment de 'ventiler le véhicule' et 'd'arrimer les bouteilles solidement en position verticale', étant précisé : 'ne pas laisser séjourner dans votre coffre ou dans un endroit non ventilé'.

Tous les salariés auditionnés apparaissent avoir eu connaissance de ces consignes :

Mme [D], supérieure hiérarchique de M. [I], fait état la tenue de 'formations sur le transport de matières dangereuses que les personnels sont amenés à manipuler', une explication étant donnée sur les fiches de produits.

M. [H] confirme qu'une formation en juin 2012 avait été assurée pour sensibiliser les salariés sur le transport des bouteilles de gaz lors d'un 'quart d'heure sécurité'. Il fait état de ce que les bulletins de livraison des bouteilles de gaz mentionnaient les précautions à prendre.

M. [Y], ouvrier subordonné à M. [I], indique dans sa déposition qu'il savait que M. [I] ramenait chez lui le week-end ce type de produits, 'parce qu'il se chargeait de faire le plein des bidons et des bouteilles'.

M. [I] indique lui-même, dans sa déposition, à la lecture d'une fiche de sécurité qui lui est présentée, et d'un email émanant de M.[H], chef de centre de l'agence de [Localité 4], mentionnant la nécessité de transporter les bouteilles de gaz non allongées et sanglées, dans un véhicule ventilé, ne pas se souvenir d'en avoir pris connaissance, mais que 'ce que je vois écrit dessus m'est connu, je connais toutes les règles de sécurité'.

Le non-respect de ces règles de sécurité par M. [I] quant au transport du gaz acétylène est donc à l'origine manifeste de l'explosion du véhicule de M. [I].

Ce dernier a d'ailleurs notamment reconnu, dans sa déposition, qu'il avait conscience que le véhicule 'Berlingo' qu'il utilisait n'était pas prévu pour ce type de transport, car 'il n'est pas ventilé'.

M. [I] a également indiqué que s'il était d'usage que les salariés transportent du carburant pour approvisionner les chantiers, c'était la " première fois " que cela lui arrivait s'agissant du gaz.

M. [H] et Mme [D] confirment d'ailleurs qu'un camion plateau était à disposition pour transporter les bouteilles de gaz.

Mme [D] explique également qu'il n'était pas normal que M. [I] ait transporté cette matière dangereuse et qu'elle l'ignorait.

L'existence d'une imprudence de M. [I] est donc établie, ce qui peut d'ailleurs expliquer qu'il ait indiqué que c'était la 'première fois''

Cependant, une imprudence du salarié n'exonère pas l'employeur des conséquences de sa propre faute.

Par ailleurs un salarié, M.[Y], témoigne que la pratique était courante que des bouteilles de gaz étaient véhiculées dans un véhicule non adapté, aucun élément du dossier n'établissant d'ailleurs la réalité d'un location d'un camion plateau par la société [13], comme l'affirme la responsable de M. [I], Mme [D]. M. [Y] indique qu'il ne se souvient pas 'de consignes internes sur le stockage ou le transport'.

Il apparaît surtout que M. [I] a pu utiliser un véhicule de service non adapté pour se rendre à son domicile pendant le week-end, dans le cadre d'une 'dérogation', selon ce qu'indique M. [H], créant ainsi un risque que le salarié concerné effectue un transport dans des conditions de sécurité douteuses. Enfin, aucune interdiction particulière relative à un tel transport n'apparait avoir été donné par l'employeur, la dispense de simples consignes positives sur les modalités du transport de gaz acétylène ne pouvant suffire à éviter que le salarié, par imprudence, les enfreigne.

Il résulte de ces éléments que bien qu'il ne soit pas démontré que l'employeur ait eu connaissance, le jour même, du transport par son salarié d'une bouteille de gaz dans des conditions inadaptées, la société [13] n'apparaît pas avoir pris les mesures suffisantes à préserver son salarié du risque, manifestement important, inhérent au transport de ce type de produit.

La faute inexcusable de l'employeur, dans ces conditions, est avérée.

Le jugement entreprise sera infirmé en conséquence.

- Sur les demandes consécutives à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur

En premier lieu, il sera rappelé au dispositif que M. [I] bénéficiera de la majoration de la rente prévue par l'article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale et de l'indemnité forfaitaire, prévue par l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, allouée au bénéfice des victimes auxquelles un taux d'incapacité permanente partielle de 100 % a été accordé.

Par ailleurs, il convient de désigner avant dire droit un expert pour examiner M. [I] sachant que depuis une décision du conseil constitutionnel du 18 juin 2010, le caractère limitatif de la liste des préjudices énumérés par l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale est remis en cause, de telle sorte qu'il convient de fixer le plus largement possible la mission de l'expert, comme mentionné au dispositif de l'arrêt.

- Sur la demande subsidiaire de la société [13] relative à l'action récursoire de la caisse primaire d'assurance maladie

La caisse primaire d'assurance maladie s'estime fondée, en application des articles L. 452-2 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, à récupérer auprès de l'employeur le montant des majorations de rente et indemnités allouées à la victime et à ses ayants droit en raison de la faute inexcusable de ce dernier.

La société [13] soutient que la prise en charge de l'accident du travail dont M. [I] a été victime, ordonnée par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Poitiers et la cour d'appel de Poitiers, ne lui est pas opposable, dans la mesure où la caisse primaire d'assurance maladie avait initialement pris une décision de refus de prise en charge, pour des raisons de fond, qui est définitivement acquise pour l'employeur. En conséquence, elle demande à la Cour de dire et juger que la caisse primaire d'assurance maladie ne pourra pas récupérer auprès de la société [13] les sommes versées à M. [I] consécutivement à la reconnaissance de sa faute inexcusable, à savoir la majoration de la rente et les préjudices complémentaires.

La société [13] rappelle en effet que l'action récursoire de la caisse ne peut pas s'exercer dans le cas où une décision de justice passée en force de chose jugée a reconnu, dans les rapports entre la caisse et l'employeur, que l'accident ou la maladie n'avait pas de caractère professionnel (Civ., 2ème 15 février 2018 pourvoi n°17-12.567).

Il résulte des éléments de la cause, tels que rappelés par le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Poitiers du 7 juin 2016 et l'arrêt confirmatif de la Cour d'appel de Poitiers du 25 avril 2018, que la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne avait initialement refusé de prendre en charge l'accident du travail dont M. [I] avait été victime au motif que 'l'accident n'était pas en lien direct avec le travail'.

Cependant, si ces juridictions ont jugé du contraire sans que l'employeur soit appelé à la procédure, aucune décision de justice passée en force de chose jugée n'a pour autant reconnu, dans les rapports entre la caisse et l'employeur, que la maladie de M. [I] n'avait pas de caractère professionnel, la seule circonstance de ce que la caisse avait initialement refusé la prise en charge au titre de la législation professionnelle étant insuffisante, à elle seule, à écarter l'action récursoire de la caisse contre l'employeur (en ce sens : Civ., 2ème 9 mai 2019 ; n° 18-14.515).

L'arrêt de la Cour de cassation cité par la société [13] n'a donc pas lieu de s'appliquer dans le cas présent.

Dès lors, il doit être jugé que la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire pourra exercer son action récursoire à l'encontre de la société [13], tel que prévue par les articles L. 452-2 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale.

- Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens

Enfin, il convient de réserver la demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.

PAR CES MOTIFS:

Statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 27 mars 2023 par le Pôle social du tribunal judiciaire de Tours en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et ajoutant,

Dit que la maladie professionnelle dont M.[B] [I] est atteint est due à la faute inexcusable de son employeur, la société [13] ;

Fixe au maximum la majoration de la rente allouée à M. [I], et dit que celui-ci bénéficiera de l'indemnité forfaitaire, prévue par l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, allouée au bénéfice des victimes auxquelles un taux d'incapacité permanente partielle de 100 % a été accordé ;

Dit que cette majoration sera avancée par la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire ;

Dit que, la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire pourra récupérer auprès de la société [13] les majorations de rente et indemnités allouées à M. [I] ;

Avant dire droit sur le montant de la réparation des préjudices causés par la faute inexcusable de l'employeur,

Ordonne une expertise médicale de M. [I] ;

Commet pour y procéder le docteur [N] [M], [Adresse 8], [XXXXXXXX01], [Courriel 14], avec pour mission, la date de consolidation étant acquise au 15 mars 2006, de :

- convoquer l'ensemble des parties et leurs avocats, recueillir les dires et doléances de la victime, se procurer tous documents, médicaux ou autres, relatifs à la présente affaire et procéder en présence des médecins mandatés par les parties, avec l'assentiment de la victime, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime ;

- à partir des déclarations de la victime, au besoin de ses proches et de tout sachant, et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités de traitement, en précisant le cas échéant, les durées exactes d'hospitalisation et pour chaque période d'hospitalisation, la nature des soins ;

- déterminer, décrire, qualifier et chiffrer s'il y a lieu les chefs de préjudices expressément énumérés par l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, à savoir :

* les souffrances endurées (sur une échelle de 1 à 7),

* le préjudice esthétique (sur une échelle de 1 à 7),

* le préjudice d'agrément, défini comme l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs,

* la perte ou la diminution des possibilités de promotion professionnelle,

* le préjudice sexuel,

* la nécessité de l'aménagement du logement et celle d'un véhicule adapté,

* le déficit fonctionnel temporaire,

* le déficit fonctionnel permanent,

* s'il y lieu, la nécessité de recourir à une tierce personne avant la consolidation ;

Rappelle que M. [I] devra répondre aux convocations de l'expert et qu'à défaut de se présenter sans motif légitime et sans en avoir informé l'expert, l'expert est autorisé à dresser un procès-verbal de carence et à déposer son rapport après deux convocations restées infructueuses ;

Ordonne la consignation par la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire auprès du Régisseur de la Cour d'appel d'Orléans, dans les 60 jours à compter de la notification du présent arrêt, de la somme de 1 200 euros à valoir sur la rémunération de l'expert ;

Dit que l'expert devra donner connaissance de ses premières conclusions aux parties et répondre à toutes observations écrites de leur part dans le délai qu'il leur aura imparti avant d'établir son rapport définitif ;

Dit que l'expert devra de ses constatations et conclusions rédiger un rapport qu'il adressera au greffe de la chambre de la sécurité sociale de la cour ainsi qu'aux parties dans les 4 mois après qu'il aura reçu confirmation du dépôt de la consignation ;

Dit que l'expert pourra en tant que de besoin être remplacé par simple ordonnance du président de la chambre de la sécurité sociale ;

Renvoie l'affaire à une audience ultérieure à fixer après le dépôt du rapport d'expertise ;

Réserve les demandes au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Chambre sécurité sociale
Numéro d'arrêt : 23/01193
Date de la décision : 07/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-07;23.01193 ?
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