COUR D'APPEL D'ORLÉANS
C H A M B R E C I V I L E
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 07/05 /2024
Me Jean Michel LICOINE
la SCP LAVAL - FIRKOWSKI - DEVAUCHELLE AVOCATS ASSOCIES
ARRÊT du : 7 MAI 2024
N° : - 24
N° RG 21/01508 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GL3L
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ORLEANS en date du 12 Mai 2021
PARTIES EN CAUSE
APPELANTES :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265271744421840
S.A. MMA.IARD ASSURANCES MUTUELLES , immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés du Mans sous le n° 775 652 126, prise en la personne de son Représentant légal domicilié au siège social
[Adresse 2]
[Localité 9]
représentée par Me Jean-Michel LICOINE, avocat au barreau d'ORLEANS
SAS TERRA NOTAIRES, venant aux droits de la SOCIETE CIVILE PROFESSIONNELLE [X] ET ASSOCIES, société par actions simplifiée au capital de 326 240,88 euros, immatriculée au RCS d'ORLEANS sous le n° 326 330 776, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 8]
[Localité 6]
représentée par Me Jean-Michel LICOINE, avocat au barreau d'ORLEANS
D'UNE PART
INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265277479295610
Monsieur [E] [G]
né le [Date naissance 5] 1974 à [Localité 12] ALLEMAGNE
[Adresse 10]
[Localité 4] ALLEMAGNE
ayant pour avocat postulant Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI - DEVAUCHELLE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS,
ayant pour avocat plaidant Me Christophe KUHL de la SDE QIVIVE RECHTSANWALTSGESELLSCHAFT mbh, avocat au barreau de PARIS
Monsieur [C] [G]
né le [Date naissance 3] 1971 à [Localité 15] ALLEMAGNE
[Adresse 11]
[Localité 1]
ayant pour avocat postulant Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI - DEVAUCHELLE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS,
ayant pour avocat plaidant Me Christophe KUHL de la SDE QIVIVE RECHTSANWALTSGESELLSCHAFT mbh, avocat au barreau de PARIS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du :03 juin 2021
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 22 janvier 2024
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, du délibéré :
Mme Anne-Lise COLLOMP, Présidente de chambre,
M. Laurent SOUSA, Conseiller,
Mme Laure-Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, en charge du rapport.
Greffier :
Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.
DÉBATS :
Les débats ont eu lieu à l'audience publique du 11 mars 2024.
ARRÊT :
Prononcé le 7 mai 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
***
FAITS ET PROCÉDURE
[R] [M] est décédée le [Date décès 7] 2014 à [Localité 14], 92, laissant pour lui succéder, aux termes d'un testament en date du 10 mai 2014, enregistré le 24 juillet 2014 en l'étude de la SCP Angot et associés, aux droits de laquelle se trouve la SAS Terra notaires, huit légataires particuliers parmi lesquels MM. [E] et [C] [G], de nationalité allemande.
Par courriers en date du 1er septembre 2014, la société [X] & associés a informé MM. [G] des dispositions testamentaires prises par la défunte, leur a demandé diverses informations sur leur état civil et leur éventuel lien de parenté avec celle-ci et les a prévenus de ce que, 'Le droit français prévoit en matière successorale que la déclaration de succession doit être faite dans les six mois du décès.'
MM. [G] ont donné pouvoir de représentation à la société [X] & associés.
La société [X] & associés a déposé la déclaration de succession de [R] [M] le 15 juin 2017, enregistrée le 21 juillet 2017 avec le paiement des droits de chacun des successeurs selon certificat d'acquittement de l'administration fiscale en date du 21 juin 2017.
Par courriers datés du 11 septembre 2017, l'administration fiscale a adressé aux successeurs de la défunte une lettre de motivation de l'intérêt de retard et des majorations pour dépôt tardif d'une déclaration fiscale, dans laquelle il est indiqué que la date légale de dépôt de la déclaration de la succession était le 5 janvier 2015, ce qui justifiait une majoration de 10% et des intérêts de retard décomptés du 1er février 2015 au 30 juin 2017, soit pour MM. [G] la somme de 32 593 euros chacun dont 15 089 euros au titre de la majoration de 10% et 17 504 euros au titre des intérêts de retard.
Par courrier en date du 4 décembre 2017, suite à la demande gracieuse de remise des pénalités présentée par le notaire, l'administration fiscale a appliqué un dégrèvement total sur les majorations de retard de telle sorte que seul le montant de 17 504 euros correspondant aux intérêts de retard restait à la charge de MM. [G].
Par acte d'huissier en date du 18 octobre 2019, MM. [G] ont fait assigner la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles devant le tribunal de grande instance d'Orléans en réparation de leur préjudice.
Par jugement en date du 12 mai 2021, le tribunal judiciaire d'Orléans a :
- dit que la responsabilité professionnelle de la société [X] & associés est engagée à l'égard de MM. [G] en raison de ses manquements dans le cadre du règlement de la succession de Mme [M] décédée le [Date décès 7] 2014 ;
- condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [E] [G] la somme de 17 504 euros en réparation de son préjudice financier ;
- condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [C] [G] la somme de 17 504 euros en réparation de son préjudice financier ;
- condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [E] [G] la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [C] [G] la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [E] [G] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [C] [G] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté la demande de la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles aux dépens de l'instance ;
- dit n'y avoir lieu à accorder à Maître Licoine, leur, conseil, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile tel qu'il en fait la demande ;
- débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires ;
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration d'appel en date du 3 juin 2021, la société MMA Iard assurances mutuelles et la société [X] & associés ont relevé appel de l'intégralité des chefs de ce jugement.
La société Terra notaires est venue aux droits de la société [X] & associés.
Les parties ont constitué avocat et ont conclu.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 janvier 2024.
Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 19 janvier 2024, les sociétés MMA Iard assurances mutuelles et Terra notaires demandent à la cour de :
- recevoir la société Terra notaires, venant aux droits de la société [X] & associés, et la société MMA Iard assurances mutuelles en leur appel contre le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Orléans le 12 mai 2021 et y faire droit.
- infirmer les dispositions du jugement qui ont dit que la responsabilité professionnelle de la société [X] & associés est engagée à l'égard de MM. [G] en raison de ses manquements dans le cadre du règlement de la succession de Mme [M] décédée le [Date décès 7] 2014 ; condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [E] [G] la somme de 17 504 euros en réparation de son préjudice financier ; condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [C] [G] la somme de 17 504 euros en réparation de son préjudice financier ; condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [E] [G] la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral ; condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [C] [G] la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral ; condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [E] [G] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [C] [G] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté la demande de la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles aux dépens de l'instance ; dit n'y avoir lieu à accorder à Maître Licoine, leur, conseil, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile tel qu'il en fait la demande.
Statuant à nouveau,
- débouter MM. [G] de leurs demandes tendant à voir condamner in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles, à leur verser chacun :
- la somme de 17 504 euros au titre de leur préjudice financier.
- la somme de 7 500 euros au titre de leur préjudice moral.
- la somme de 2 248,03 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens
- la somme de 830,68 euros au titre de l'émolument prélevé par l'étude d'huissiers requis par eux.
- condamner MM. [G] à payer à la société Terra notaires, venant aux droits de la société [X] & associés, et à la société MMA Iard assurances mutuelles la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner MM. [G] aux dépens et faire application au bénéfice de Me Licoine, avocat, des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 19 janvier 2024, MM. [G] demandent à la cour de :
- recevoir MM. [E] et [C] [G] dans leur appel incident et y faire droit ;
Sur la faute civile professionnelle de la société [X] & associés et le préjudice financier de MM. [G],
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire d'Orléans du 12 mai 2021 en ce qu'il a dit que la responsabilité professionnelle de la société [X] & associés est engagée à l'égard de MM. [G] en raison de ses manquements dans le cadre du règlement de la succession de Mme [M] décédée le [Date décès 7] 2014 ; condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [E] [G] la somme de 17 504 euros en réparation de son préjudice financier ; condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [C] [G] la somme de 17 504 euros en réparation de son préjudice financier,
Sur le préjudice moral,
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire d'Orléans du 12 mai 2021 en ce qu'il a condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [E] [G] la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral et condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [C] [G] la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral,
Et statuant à nouveau,
- condamner in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles au paiement de la somme de 10 000 euros à M. [E] [G] au titre de son préjudice moral,
- condamner in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles au paiement de la somme de 10 000 euros à M. [C] [G] au titre de son préjudice moral,
Sur les frais irrépétibles au stade de la première instance,
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire d'Orléans du 12 mai 2021 en ce qu'il a condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [E] [G] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamné in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [C] [G] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Et statuant a nouveau,
- condamner in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [E] [G] la somme de 3 084,54 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [C] [G] la somme de 3 084,55 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Au stade de l'appel,
- dire que la malice et la résistance abusive de la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles sont constitutives d'une faute civile susceptible d'engager leur responsabilité, contribuant au préjudice moral enduré par MM. [E] et [C] [G],
- condamner in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles, au paiement de la somme de 830,68 euros à M. [E] [G] au titre de l'émolument prélevé par l'étude d'huissiers Leleon Requis,
- condamner in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles, au paiement de la somme de 830,69 euros à M. [C] [G] au titre de l'émolument prélevé par l'étude d'huissiers Leleon Requis,
- condamner in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles, son assureur responsabilité civile professionnelle, au paiement de la somme de 4 000 euros à M. [E] [G] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles, son assureur responsabilité civile professionnelle, au paiement de la somme de 4 000 euros à M. [C] [G] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la faute du notaire
Moyens des parties
La SAS Terra notaires et la société MMA Iard assurances mutuelles, ci-après nommées le notaire, indique que sans réponse à son courrier du 1er septembre 2014, par lequel il a réclamé aux intimés des informations sur leur état civil, leur lien de parenté avec la défunte et les a informés du délai 6 mois à compter du décès pour déposer la déclaration de succession, il leur a adressé une relance le 25 septembre 2014 pour leur rappeler ce délai, mais n'a eu une réponse que le 20 septembre 2014 ; par lettre du 5 novembre 2014, il a de nouveau interrogé les héritiers, pièce n°5.
Il fait plaider que les liquidités dépendant de la succession ne permettaient pas de pouvoir procéder au règlement des droits de succession sans vente préalable de l'appartement parisien, l'ensemble des héritiers, soit huit personnes, étant taxé au taux de 60 % sans possibilité pour aucun du moindre abattement et aucun d'eux ne disposait d'un patrimoine leur permettant de pouvoir régler les droits de succession très importants sur leurs propres fonds ; ce n'est qu'après la vente de l'appartement parisien intervenue à la fin de l'année 2016 au prix de 514 000 €, que Maître [X] était en capacité de pouvoir déposer la déclaration de succession ; il adressait à chacun des héritiers le projet de déclaration en février 2017, et après avoir recueilli l'accord de l'ensemble des héritiers, procédait au dépôt de cette déclaration le 15 juin 2017, il accompagnait ce dépôt du règlement de l'ensemble des droits de succession représentant une somme de 486 649 €, ce qui, rapporté au montant du prix de vente généré par l'appartement parisien à savoir 514 000 €, rend manifeste que ce n'est qu'une fois que cette vente est intervenue que les droits de succession ont pu être réglés ; suite à ce dépôt, l'administration fiscale a appliqué à l'encontre de chacun des héritiers des pénalités de retard et des intérêts de retard, MM. [G] s'étant vus réclamer une somme totale de 32 593 euros se décomposant en majorations de retard pour 15 089 euros et intérêts de retard pour 17 504 euros.
Il indique que, répondant à sa demande de remise des majorations et intérêts de retard du 24 novembre 2017, l'administration fiscale a considéré que les explications fournies, à savoir, 5 héritiers, sur 8, résidant à l'étranger et ne comprenant pas le français et que seule la vente de l'appartement permettait de régler les droits de succession, étaient valables et a appliqué un dégrèvement total sur les majorations de retard, seul l'intérêt de retard restant dû.
Il reproche au tribunal d'avoir énoncé, pour retenir sa faute, que s'il a bien informé les héritiers de la défunte du délai de six mois pour déposer la déclaration de succession, en revanche il ne les a pas informés de ce qu'en cas de dépôt de la déclaration hors le délai de six mois, les droits de succession à leur charge pourraient être majorés de pénalités et d'intérêts de retard et d'avoir également considéré que le retard pris dans le dépôt de la déclaration de succession lui était entièrement imputable ; alors que si l'administration fiscale a appliqué dans un premier temps des pénalités de retard en raison du dépôt tardif de la déclaration de succession, elle est revenue ensuite sur sa décision et a accordé un dégrèvement total sur les pénalités après réception de sa note exposant les raisons qui ne lui ont pas permis de déposer la déclaration dans le délai légal de six mois à compter du décès, précisant qu'en août 2014, il avait demandé à tous les héritiers de lui fournir un certain nombre d'éléments d'informations lui permettant de pouvoir régler cette succession dans les meilleurs délais, mais qu'à l'exception d'un seul, aucun ne lui a répondu, l'obligeant ainsi à leur adresser une relance. Suite à ces explications, l'administration fiscale a bien considéré que les éléments d'extranéité affectant ce dossier avaient pu retarder le dépôt de la déclaration de succession, ce qui privait ce retard de tout caractère fautif.
Il ajoute que si les intimés lui reprochent de n'avoir pas demandé un délai pour déposer la déclaration de succession en se prévalant de l'élément d'extranéité, alors qu'il est constant qu'une telle demande ne peut être présentée qu'en présence d'une contestation des droits successoraux et sous la triple condition qu'il s'agisse d'une contestation en justice, portant sur la dévolution successorale et introduite dans les 6 mois du décès, ce qui n'est pas le cas.
MM. [G] reprochent au notaire de n'avoir pas respecté ses obligations en n'effectuant aucune démarche au cours des 6 mois ayant suivi le décès de [R] [M], alors qu'il lui appartenait de réunir les premières informations permettant le dépôt d'une déclaration de succession provisoire ou le versement d'acomptes au regard des liquidités disponibles dans l'actif successoral, soit 280 717,81 euros, d'autant qu'il avait sollicité un mandat spécial lui permettant d'accomplir toutes les démarches utiles auprès de l'administration fiscale. Ils considèrent qu'en présence d'héritiers de nationalité étrangère ne maîtrisant pas la langue française et peu informés des règles en matière de succession, le notaire, qui avait une obligation d'information et de conseil renforcée, a engagé sa responsabilité professionnelle.
Ils font valoir que dans son courrier du 1er septembre 2014, le notaire les a informés du délai dans lequel devaient être effectuées les formalités obligatoires de succession en France, mais sans précision sur ce que constitue la déclaration de succession et les conséquences d'un non respect du délai ; le 20 septembre 2014, ils lui ont fourni les fiches de renseignement demandées ; dans un courriel du 8 décembre suivant, ils se sont inquiétés de l'absence de diligence ; n'ayant pas de réponse, par courriel du 19 décembre 2014, ils ont indiqué n'avoir pas eu de réponse à leur précédent courriel et ont demandé au notaire de les informer des prochaines étapes ; par courriel du 23 janvier 2015, soit plus de deux semaines après l'expiration du délai de déclaration, le notaire a fait savoir qu'il n'était pas nécessaire de réaliser une procédure d'envoi en possession et sollicitait la signature d'un mandat spécial, leur adressant un pouvoir pour représentation à succession à signer, ce qui prouve qu'il n'avait pas réalisé la moindre démarche auprès de l'administration fiscale pour respecter le délai ; début février, ils ont transmis au notaire les mandats de représentation ; ayant établi l'acte de notoriété le 11 juillet 2015, le 20 avril 2016, le notaire leur a adressé une procuration, à signer, aux fins de vendre un appartement à [Localité 13] dépendant de la succession ; le 15 juin 2017, il déposait la déclaration de succession.
Ils nient avoir reçu les courriers des 25 septembre 2014 et 5 novembre 2014, pièces n°4 et 5 du notaire, leur nom n'y figurant d'ailleurs pas.
En réponse au notaire, ils ne contestent pas la complexité de la succession, au regard du nombre d'héritiers de différentes nationalités, mais lui reprochent de n'en avoir pas averti l'administration fiscale pour déposer une déclaration provisoire ou solliciter un délai supplémentaire ; ils affirment que les liquidités disponibles en France permettaient largement le paiement d'acomptes et, de plus, le notaire ne leur a jamais demandé s'ils disposaient de liquidités pour régler les droits de succession avant la vente du bien immobilier ou verser un acompte ; l'application de pénalités ne constitue jamais une fatalité et est toujours évitable ; le notaire ne saurait se dédouaner en soulignant qu'il a soumis une demande de remise gracieuse, accordée partiellement, alors que c'est en raison de son retard et de son absence de diligence que des pénalités ont été appliquées ; le dégrèvement accordé ne peut effacer la responsabilité du notaire, qui reste seul à l'origine de l'application des pénalités.
Réponse de la cour
Il est constant que la responsabilité notariale s'apprécie au visa de l'article 1382 du Code civil, devenu l'article 1240 depuis l'entrée en vigueur le 1er octobre 2016 de l'ordonnance n° 2016-131, du 10 février 2016, énonçant que Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Conformément au droit commun de la responsabilité civile, trois conditions sont nécessaires pour mettre en oeuvre la responsabilité notariale : il faut une faute un dommage et un lien de causalité entre la faute et le dommage.
Lorsqu'en raison d'un dépôt tardif de la déclaration de succession et du paiement des droits, un successeur qui se voit appliquer des pénalités de retard met en cause la responsabilité du notaire chargé du règlement de la succession, c'est à ce dernier qu'incombe la preuve, au visa de l'article 1315, devenu 1353 du code civil, de l'exécution de son obligation d'information et de conseil envers les successeurs.
A l'énoncé de l'article 641 du code général des impôts, Les délais pour l'enregistrement des déclarations que les héritiers, donataires ou légataires ont à souscrire des biens à eux échus ou transmis par décès sont : De six mois, à compter du jour du décès, lorsque celui dont on recueille la succession est décédé en France métropolitaine.
Ce délai s'applique à tous les décès survenant en France, même lorsque les héritiers ou certains d'entre eux sont résidents à l'étranger et il est acquis que le notaire ne pouvait demander une prorogation du délai, celui-ci étant reporté à compter de la décision judiciaire validant le testament uniquement en cas de contestation des droits du légataire (BOI-ENR-DMTG-10-60-50, 30 oct. 2014, § 50 à 70), ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Le notaire ne pouvait donc demander à l'administration un délai supplémentaire pour déposer la déclaration de succession.
Il est cependant certain que la faute du notaire doit être retenue pour n'avoir pas rempli son obligation d'information, puisqu'il ne prouve pas avoir averti les intimés des sanctions fiscales encourues au titre de la méconnaissance de ce délai de 6 mois dans lequel la déclaration de succession devait être souscrite.
Le notaire devait procéder à la déclaration de succession auprès de l'administration fiscale au plus tard le 5 janvier 2015, soit 6 mois après le décès de [R] [M] le [Date décès 7] 2014, et il ne l'a fait que le 15 juin 2017 alors qu'aucune inertie ne peut être reprochée à MM. [G] qui ont répondu le 20 septembre 2014 à son courrier du 1er septembre 2014 en lui fournissant les renseignements demandés.
En revanche, aucune déclaration provisoire ne pouvait être souscrite, la déclaration de succession déposée au service des impôts devant en principe être complète et comprendre la totalité des biens laissés par le défunt.
Par ailleurs, s'il est certain qu'en application l'article 1701 du code général des impôts, les droits de mutation par décès sont payés avant l'exécution de l'enregistrement, le notaire ne les leur a pas réclamés et, surtout, il ne les a pas prévenus de ce que l'administration accepte le versement d'acomptes, sauf à procéder à l'enregistrement lors du paiement du solde. Eu égard au montant des sommes figurant sur les comptes bancaires de la défunte, 280 717,81 euros, alors que, selon le notaire, les droits s'élevaient à 486 649 euros, le versement d'un acompte pouvait intervenir et aurait permis aux redevables de diminuer le montant de l'intérêt de retard pour paiement tardif, l'intérêt de retard portant sur le montant des droits de mutation dus, sous déduction des acomptes versés au Trésor dans les délais légaux.
En ne conseillant pas à MM. [G] de verser un acompte, le notaire n'a donc pas rempli son obligation de conseil.
Le notaire a donc commis des fautes dans l'exécution de sa mission.
Sur le préjudice de MM. [G]
- Le préjudice financier
Moyens des parties
Le notaire soutient que seul constitue un préjudice, ouvrant droit à réparation, la perte certaine et définitive d'un droit ou d'un avantage qui ne se serait pas produite sans la faute reprochée à l'auteur du dommage ; l'intérêt de retard appliqué par l'administration fiscale n'a pas pour objet de sanctionner un comportement fautif, mais uniquement de compenser le manque à gagner subi par le Trésor Public ; le versement d'un acompte correspondant aux avoirs bancaires n'aurait permis de régler que 58% des droits de succession, de sorte que les héritiers se seraient vus appliquer à minima des intérêts de retard sur 42 % des droits soit pour chacun des frères [G] la somme de 7 351 euros ; au demeurant, quand bien même la déclaration de succession aurait-elle pu être déposée dans les délais, cela n'aurait pas permis à MM. [G] d'échapper au paiement de l'intérêt de retard, aucun des héritiers ne disposant de fonds propres ou d'un patrimoine propre lui permettant de pouvoir régler les droits de succession auxquels ils étaient soumis au taux de 60 %, sans attendre la vente de l'appartement parisien, seul moyen pour eux de les régler ; si ceux-ci ne justifient pas de leur situation de fortune, ils indiquent dans leurs conclusions d'intimés qu'ils ne disposent pas d'un patrimoine conséquent et que des frais de procédure qu'ils ont dû engager, chiffrés provisoirement à la somme de 10.665 euros, ne sont pas anodins pour eux.
Il considère qu'ils ne démontrent pas qu'ils auraient pu régler les droits sans attendre la réalisation des actifs de la succession, d'autant que s'ils avaient disposé de liquidités, ils n'auraient pu bénéficier des revenus générés par celles-ci et que, par ailleurs, la vente de l'appartement parisien dans le délai de 6 mois les aurait obligés à vendre à un prix inférieur au marché.
Il en déduit que la preuve d'un préjudice n'est pas rapportée.
MM. [G] répondent qu'ils n'ont tiré aucun avantage financier du paiement tardif des droits de succession, le notaire ayant conservé l'entière possession et gestion de l'actif successoral, ces actifs n'ayant produit aucun intérêt profitant aux héritiers ; la prétendue hausse de la valorisation de l'appartement parisien n'est pas démontrée.
Réponse de la cour
Le notaire ne peut être responsable que si sa faute a causé un dommage et il appartient au demandeur de rapporter la preuve du préjudice qu'il invoque et d'établir la relation de cause à effet entre la faute commise et le préjudice subi.
MM. [G] ne justifiant pas avoir été en mesure de s'acquitter de l'intégralité des droits de succession quand bien même ils auraient été informés des conséquences fiscales d'une déclaration tardive, il n'est pas établi que le défaut d'information du notaire les a privés d'une chance de ne pas avoir à s'acquitter d'intérêts de retard et ne leur a donc pas causé de préjudice.
En revanche, le notaire qui omet d'informer les héritiers de la possibilité de verser un acompte sur les droits commet une faute en relation causale avec le dommage subi par les héritiers, condamnés au versement d'intérêts de retard, les majorations de retard ayant fait l'objet d'un dégrèvement par l'administration fiscale.
Ainsi que le soutient le notaire, il est certain que MM. [G] n'étaient pas en mesure de régler les droits de succession, d'un montant de 486 649 euros, puisqu'ils indiquent, page 21 de leurs conclusions, à propos des frais d'avocat qu'ils ont réglé, soit 6 169,29 euros en première instance et 6 421,97 euros aux fins d'exécution du jugement et au titre de la procédure d'appel, qu'il 's'agit de personnes physiques, qui ne disposent nullement d'un patrimoine conséquent et ces sommes ne sont pas anodines.
En revanche, si le notaire leur avait conseillé le versement d'un acompte sur les droits de succession, à prélever sur les liquidités de la succession, il indique lui-même que les avoirs bancaires auraient permis de régler 58% de ces droits, ce qui aurait évité à MM. [G] d'avoir à supporter des intérêts de retard dans cette proportion. La faute du notaire les a donc privés de la possibilité de s'acquitter, dans les délais, des droits de succession dans une proportion de 58%, et donc de ne pas être tenus au paiement des intérêts de retard sur cette somme. En conséquence, la faute du notaire est à l'origine d'un préjudice égal à 58% X 17 504 soit 10 152,32 euros.
Seul ce préjudice étant certain et en lien avec le défaut de conseil commis par le notaire peut être réparé. En conséquence, infirmant le jugement, le notaire sera condamné à leur payer, à chacun ladite somme à titre de dommages-intérêts.
- Le préjudice moral
Moyen des parties
Le notaire considère que MM. [G] ne justifient d'aucun préjudice moral et, si la succession a pu leur causer un certain tracas, ce n'est pas à raison de son manquement inexistant mais des circonstances particulières, notamment, en raison des éléments d'extranéité qui l'ont affectée.
MM. [G] répondent que de nationalité allemande pour [E], finlandaise pour [C], ils ne maîtrisent pas le français et ne pouvaient que s'en remettre aux informations et conseils donnés par le notaire ; ils se sont trouvés dans un désarroi certain pour faire valoir leurs droits et justifier de leur bonne foi ; à défaut d'une exécution volontaire, ils ont dû solliciter un huissier pour faire exécuter le jugement.
Réponse de la cour
Il est certain que le notaire a manqué à ses obligations d'information et de conseil dans le règlement de la succession, causant un préjudice moral à MM. [G].
Le premier juge ayant fait une juste évaluation de leur préjudice, sa décision sera confirmée.
Sur les demandes annexes
- Sur l'émolument dû à l'huissier de justice
MM. [G] demandent que l'émolument proportionnel de 1 661,37 euros dû à l'huissier de justice pour sa prestation de recouvrement des sommes dues soit supporté par le notaire puisque s'il n'avait pas résisté abusivement à l'exécution du jugement, ils n'auraient pas eu à faire appel à un huissier.
Le notaire répond que cet émolument est à la charge du créancier par application de la loi.
La rémunération de l'huissier de justice, devenu commissaire de justice, repose sur deux émoluments proportionnels, l'un à la charge du débiteur, l'autre à celle du créancier, ce dernier étant prévu à l'article A. 444-32 du Code de commerce.
Aucun texte ne permettant de renverser la charge de cet honoraire de résultat, proportionnel au montant des sommes recouvrées, MM. [G] doivent être déboutés de leur demande.
- Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les appelantes qui succombent principalement seront condamnées in solidum, en application de l'article 696 du code de procédure civile, à supporter les dépens d'appel, elles-mêmes étant déboutées de toute demande de ce chef.
Il y a lieu de les condamner à verser à MM. [G], à chacun, une indemnité de procédure de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les parties seront déboutées de toute autre demande.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort ;
Constate l'intervention volontaire de la SAS Terra notaires, aux droits de la SCP [X] & associés ;
Confirme le jugement, sauf en ce qu'il :
- condamne in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [E] [G] la somme de 17 504 euros en réparation de son préjudice financier ;
- condamne in solidum la société [X] & associés et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [C] [G] la somme de 17 504 euros en réparation de son préjudice financier ;
L'infirme de ces chefs ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant ;
Condamne in solidum les sociétés MMA Iard assurances mutuelles et Terra notaires à payer à MM. [E] et [C] [G], chacun, la somme de 10 152,32 euros au titre de leur préjudice financier ;
Condamne in solidum les sociétés MMA Iard assurances mutuelles et Terra notaires aux entiers dépens d'appel et à payer à MM. [E] et [C] [G], chacun, une indemnité de procédure de 2 000 euros ;
Déboute les parties de toute autre demande.
Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Présidente de Chambre et Mme Karine DUPONT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT