N° RG 22/01491 - N° Portalis DBVN-V-B7G-GTDQ
Copies le :
à
la SELARL ANDREANNE SACAZE
Me Estelle GARNIER
Grosse le
ORDONNANCE D'INCIDENT
N° /24
Le 6 mai 2024,
NOUS, Anne-Lise COLLOMP, Présidente de chambre chargée de la mise en état, assistée de Karine DUPONT, Greffier,
dans l'affaire
ENTRE :
Madame [L] [P] [U] épouse [T]
née le [Date naissance 4] 1953 à [Localité 11]
Élisant domicile au Cabinet de Maître Andréanne SACAZE
[Adresse 5]
[Localité 6]
ayant pour avocat postulant Me Andréanne SACAZE de la SELARL ANDREANNE SACAZE, avocat au barreau d'ORLEANS,
ayant pour avocat plaidant Me Christine BAUDE TANNENBAUM, avocat au barreau de PARIS
DEMANDERESSE à L'INCIDENT - APPELANTE
d'un Jugement en date du 05 Avril 2022 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOURS
D'UNE PART,
ET :
Monsieur [N] [P] [U]
né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 11]
[Adresse 3]
[Localité 7]
ayant pour avocat postulant Me Estelle GARNIER, avocat au barreau d'ORLEANS
ayant pour avocat plaidant Me Martine BLANCK DAP de la SCP LEFEVRE PELLETIER ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS,
Madame [X] [P] [U] épouse [S]
née le [Date naissance 2] 1944 à [Localité 11]
[Adresse 10]
[Localité 8]
ayant pour avocat postulant Me Estelle GARNIER, avocat au barreau d'ORLEANS
ayant pour avocat plaidant Me Martine BLANCK DAP de la SCP LEFEVRE PELLETIER ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS,
DÉFENDEURS à L'INCIDENT - INTIMÉS
D'AUTRE PART,
Après avoir entendu les conseils des parties présents à notre audience du 8 avril 2024, il leur a été indiqué que l'ordonnance serait prononcée, par mise à disposition au greffe, le 6 mai 2024
FAITS ET PROCEDURE
Le 17 juin 2022, Mme [L] [P] [U] épouse [T] a interjeté appel d'un jugement rendu le 5 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Tours.
Par conclusions d'incident signifiées le 8 février 2024, elle a saisi le conseiller de la mise en état afin de voir prononcer l'irrecevabilité de toutes les demandes formées par Mme [X] [P] [U] épouse [S] pour le compte du légataire universel, [N] [P] [U].
Par conclusions signifiées le 2 avril 2024, elle demande au conseiller de la mise en état de :
- débouter [N] [U] et [X] [S] de l'ensemble de leurs
demandes, fins et conclusions ;
- se déclarer compétent pour connaître de la fin de non-recevoir évoquée par [L] [T].
- prononcer l'irrecevabilité de toutes les demandes formées par [X] [S] pour le compte d'[N] [U], légataire universel.
- réserver les dépens.
Par conclusions signifiées le 4 avril 2024, M. [N] [P] [U] et Mme [X] [P] [U] épouse [S] demandent au conseiller de la mise en état de :
- se déclarer incompétent au profit de la Cour pour connaître de la fin de non-recevoir que Madame [L] [T] prétend soulever devant le Conseiller de la Mise en Etat,
- déclarer madame [L] [P] [U] épouse [T] irrecevable en son incident ; la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Subsidiairement,
- débouter madame [L] [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
En toutes hypothèses,
- condamner madame [L] [P] [U] épouse [T] aux dépens de l'incident.
MOTIFS
Sur la fin de non-recevoir soulevée par Mme [L] [P] [U]
Moyens des parties
Mme [L] [P] [U] soulève l'irrecevabilité, sur le fondement de l'article 122 du code de procédure civile, pour défaut de qualité ou d'intérêt à agir, des demandes formées par Mme [X] [P] [U] pour le compte d'[N] [P] [U]. Elle rappelle que le conseiller de la mise en état est compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir par application de l'article 789 du code de procédure civile.
Elle relève que le juge de la mise en état ne s'est pas prononcé sur cette question, qui résulte de la décision de première instance qui a jugé que seul [N] [U] est légataire à titre universel de sa mère. Le juge de la mise en état n'a donc pas, par définition, pu trancher la question de la qualité et/ou de l'intérêt à agir de [X] [P] [U] devant la cour d'appel. Elle ajoute que cette question ne risque nullement de remettre en cause ce qui a été jugé par le tribunal judiciaire de Tours.
M. [N] [P] [U] et Mme [X] [P] [U] soutiennent en premier lieu :
- que le conseiller de la mise en état n'est pas compétent pour connaître des fins de non-recevoir qui ont été tranchées en première instance, comme c'est le cas ici puisqu'en première instance, le juge de la mise en état, dans une ordonnance du 27 mai 2021, a déjà statué sur la question. En outre, le tribunal lui-même a nécessairement tranché la question de la qualité et de l'intérêt à défendre de Mme [X] [P] [U]. Ils en déduisent que seule la cour a compétence pour statuer au fond sur l'intérêt et la qualité à défendre de Mme [X] [P] [U].
- que le conseiller de la mise en état n'est pas compétent pour trancher des fins de non-recevoir relevant de l'appel, seules celles relevant de la procédure d'appel relevant de sa compétence, selon l'Avis de la Cour de cassation du 3 juin 2021. Or la recevabilité des demandes de Mme [X] [P] [U] relève de l'appel, et non de la procédure d'appel.
A titre subsidiaire, ils font valoir que la fin de non-recevoir soulevée par Mme [T] doit être rejetée. Ils exposent que Mme [S] n'agit pas dans le cadre de cette instance pour le compte de son frère. Etant elle même héritière de leur mère, elle a qualité et intérêt à défendre à la procédure initiée par Mme [T] pour la fixation de sa créance. Ils rappellent que l'indépendance procédurale entre les cointéressés à l'instance ne fait pas obstacle à ce qu'ils adoptent la même stratégie, ni à ce qu'ils soient représentés par le même conseil s'il en sont d'accord, conformément à l'article 7 du décret du 30 juin 2023 portant Code de déontologie des avocats. Rien n'interdit donc à un cohéritier d'adopter la même défense qu'un autre, a fortiori en vue de voir débouter un autre de ses prétentions exorbitantes.
Réponse du conseiller de la mise en état
* sur la compétence du conseiller de la mise en état pour connaître de cette fin de non-recevoir
En application de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande,
sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
C'est sur ce fondement que Mme [L] [P] [U] entend voir déclarer irrecevables les demandes de Mme [X] [P] [U], pour défaut d'intérêt et:ou de qualité à former des demandes pour le compte de son frère.
En application de l'article 123 du code de procédure civile, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages et intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.
En application de l'article 907 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état statue dans les conditions prévues par les articles 780 à 807, 'sous réserve des dispositions qui suivent'.
L'article 789 du code de procédure civile, auquel renvoie cet article, dispose que le juge de la mise en état est compétent, jusqu'à son dessaisissement, pour statuer sur les fins de non-recevoir.
A l'instar de ce qui est prévu en première instance, il peut donc être statué à deux moments du procès civil d'appel sur une fin de non-recevoir :
- durant la mise en état,
- après la mise en état, par la juridiction de jugement.
La question a été posée à la Cour de cassation de savoir si le conseiller de la mise en état est autorisé à statuer sur une fin de non-recevoir déjà tranchée en première instance par le juge de la mise en état ou par le tribunal.
La Cour de cassation (Avis de la Cour de cassation, 3 juin 2021, n° 21-70.006) n'a pas limité son avis à cette question, mais l'a étendu au cas des fins de non-recevoir non tranchées en première instance.
Sur ce dernier point, elle estime que :
'Le conseiller de la mise en état ne peut connaître ni des fins de non-recevoir qui ont été tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n'ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge'.
En l'espèce, dans son ordonnance du 27 mai 2021, le juge de la mise en état, devant qui était soulevé l'irrecevabiltié des demandes formées par M. [P] [U] et par Mme [X] [P] [U] au motif que leurs 'écritures ne permettent pas de déterminer quelles sont les demandes formées par M. [N] [P] [U] et celles formées par Mme [X] [P] [U]', a répondu :
'Toutefois, elle ne développe aucune argumentation de nature à démontrer que les défendeurs à l'incident n'auraient ni intérêt, ni qualité à contester la mesure de séquestre qu'elle sollicite, se bornant à leur reprocher de ne pas avoir 'individualisé' leurs demandes.
La fin de non-recevoir soulevée par Mme [L] [P] [U] sera donc rejetée'.
Le juge de la mise en état n'a donc statué sur la question de la recevabiltié des demandes de Mme [X] [P] [U] qu'au regard de la mesure de séquestre dont il était saisi.
Il ne saurait dès lors être considéré qu'il a tranché la question soulevée en l'espèce par Mme [L] [P] [U] tenant à la 'recevabilité des demandes que [X] forme pour le compte de son frère', à hauteur d'appel.
Il ne résulte pas davantage des termes du jugement entrepris que le premier juge a été saisi d'une demande d'irrecevabilité des demandes formées par Mme [X] [P] [U].
Il ne peut dès lors être considéré qu'il a été statué en première instance sur la fin de non-recevoir soulevée en l'espèce par Mme [L] [P] [U].
En second lieu, si la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt ou de qualité à agir de Mme [X] [P] [U] était accueillie par le conseiller de la mise en état statuant sur incident, il n'est pas justifié que cela remettrait en cause ce qui a été jugé par le premier juge, ce d'autant que le défaut d'intérêt ou de qualité à agir soulevé par Mme [L] [P] [U] concerne exclusivement la défense de Mme [X] [P] [U] dans le cadre de la procédure d'appel.
Il sera enfin relevé que les dispositions nouvelles issues du décret du 29 décembre 2023, évoquées par [N] et [X] [P] [U], ne sont pas encore entrées en vigueur.
Le conseiller de la mise en état apparaît donc compétent pour trancher cette fin de non-recevoir.
* sur le bien-fondé de la fin de non-recevoir soulevée par Mme [L] [P] [U]
Il convient de constater que dans leurs conclusions au fond, [N] et [X] [P] [U] sollicitent la confirmation du jugement et le rejet des demandes de [L] [P] [U], outre le paiement d'une indemnité de procédure.
Mme [L] [P] [U] demande à la cour d'appel, au terme de ses conclusions d'appelante, de :
'Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :
' jugé qu'en application de l'article 1076 alinéa 2 du Code civil, l'acte du 29
décembre 1979 suivi, d'une part, de l'acte de donation du 28 décembre 1999 et,
d'autre part, des deux actes notariés datant du 28 décembre 2020, constitue une
donation-partage par [V] [U] à ses trois enfants, [N] [U]
[U], [X] [S] et [L] [T],
' jugé que l'occupation par [N] [U] de l'appartement situé [Adresse 3]
[Adresse 3] à [Localité 7] ne constitue pas une donation indirecte,
' débouté en conséquence [L] [T] de sa demande tendant à voir dire qu'[N] [U] a bénéficié d'une donation indirecte par mise à
disposition gratuite d'un appartement et d'un studio sis [Adresse 3] à
[Localité 7],
' débouté [L] [T] de sa demande de dommages et intérêts,
' désigné Maître [Z] [R], Notaire à [Localité 14], membre de la SELARL
Etude [R], [Adresse 9], pour procéder au calcul du
montant de l'indemnité de réduction après avoir déterminé, en tenant compte des
divers actes de donations intervenus et du testament, et ce eu égard au montant de
la quotité de la défunte [V] [O] veuve [U] pouvait
disposer,
' dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du Code de procédure civile,
' dit que les dépens seront pris en frais privilégiés de partage,
' et dit n'y avoir lieu à distractions des dépens ;
Statuant à nouveau,
Juger qu'en application de l'article 1076 alinéa 2 du code civil que la donation-partage du 29 décembre 1979 établie par Maître [M], Notaire à [Localité 13], doit être déqualifiée et requalifiée en donation simple avec toutes conséquences de droit,
A titre subsidiaire, en cas de confirmation de la décision entreprise sur la validité de la donation-partage, ordonner que la valeur des biens objet de la donation-partage sera fixée à la valeur vénale réelle au jour de la donation,
Juger que Monsieur [N] [U] a bénéficié d'une donation indirecte de sa mère à l'occasion de la mise à la disposition gratuite d'un appartement et d'une chambre indépendante situés [Adresse 3] à [Localité 7] du 29 décembre 1979 au 17 septembre 2017 pour une valeur estimée au jour du décès à la somme de 1.236.967,00 €,
Ordonner que ce don indirect sera rapporté à la masse successorale pour le calcul des droits de l'appelante en sa qualité d'héritière réservataire créancière du légataire
universel,
Fixer à la somme de 1.594.343,00 € la créance de l'appelante au titre du solde de sa créance réservataire,
Condamner [N] [U] au versement de la somme de 1.594.343,00 € entre les mains de l'appelante outre intérêts légaux à compter du 17 septembre 2017,
Condamner [N] [U] à verser des intérêts capitalisés sur ce montant à compter du 17 septembre 2018,
Condamner [N] [U] au versement d'une somme de 30.000,00 € au titre des dommages et intérêts pour préjudice moral,
Condamner [N] [U] au versement d'une indemnité de 25.000,00 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Mme [X] [P] [U], étant elle-même partie à la succession de leur mère défunte, a tout-à-fait qualité et intérêt pour solliciter de la cour d'appel qu'elle confirme le jugement de première instance en ce qu'il :
- qualifie de donation-partage l'acte de donation du 29 démcebre 1979 par [V] [P] [U] à ses trois enfants, puisqu'elle est partie à cet acte et est donc parfaitement en droit de soutenir qu'il s'agissait d'une donation-partage ;
- débouté [L] [P] [U] de sa demande d'expertise de la valeur des biens objets de la donation-partage, pusique Mme [X] [P] [U] est partie à cete acte et a parfaitement qualité pour s'opposer à une telle demande d'expertise,
- dit et juge que l'occupation par [N] [P] [U] de l'appartement situé à [Localité 12] ne constitue pas une donation indirecte et débouté [L] [P] [U] de sa demande en ce sens, puisque cette disposition a une incidence sur le règlement de la succession dans laquelle elle est intéressée, de sorte qu'elle a qualité pour soutenir qu'il ne s'agit pas d'une donation indirecte ;
- débouté [L] [P] [U] de sa demande de dommages et intérêts, puisque cette demande était formée contre [X] [P] [U] également,
- désigné Maître [R] pour procéder au calcul du montant de l'indemnité de réduction, puisqu'elle est intéressée à la succesion,
- a statué sur les demandes accessoires (dépens et indemnté de procédure), qui la concernaient également.
Elle a également tout-à-fait qualité et intérêt pour solliciter le rejet des demandes de Mme [L] [P] [U] tendant à voir fixer sa créance à la somme de 1 594 343 euros puisqu'étant comme sa soeur créancière de M. [N] [P] [U], la détermination de la créance réservataire de sa soeur ne sera pas sans incidence sur la détermination du montant de la sienne.
Elle a donc parfaitement qualité et intérêt pour s'opposer aux demandes de sa soeur concernant la qualification d'un acte de donation ou l'existence de donations indirectes au profit de leur frère, ainsi qu'à la demande relative à la fixation du montant de la créance de Mme [L] [P] [U] , qui aura une incidence sur la détermination de ses propres droits.
Ses demandes tendant à la confirmation du jugement et au rejet des demandes de Mme [L] [P] [U], qui s'inscrivent dans le cadre du règlement d'une succession à laquelle elle est partie et qui auront donc des conséquences sur la détermination de ses propres droits, ne le sont pas 'pour le compte de M. [N] [P] [U]' comme soutenu par l'appelante, mais pour son propre compte. Mme [X] [P] [U] a en effet qualité et intérêt à faire valoir sa position dans le cadre du règlement de celle-ci, en ce compris, ce qui ne lui est pas interdit, à soutenir une position identique à celle de son frère.
Les demandes formées par Mme [X] [P] [U] à hauteur d'appel sont dès lors parfaitement recevables.
Il convient en conséquence de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par Mme [L] [P] [U].
Sur les mesures accessoires
Mme [L] [P] [U] sera tenue aux dépens de l'incident.
PAR CES MOTIFS
Le conseiller de la mise en état,
SE DECLARE compétent pour connaître de la fin de non-recevoir soulevée par Mme [L] [P] [U] ;
REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par Mme [L] [P] [U] et déclare recevables les demandes formées par Mme [X] [P] [U] à hauteur d'appel ;
CONDAMNE Mme [L] [P] [U] aux dépens de l'incident.
ET la présente ordonnance a été signée par la présidente de chambre, chargée de la mise en état, et par le greffier
Karine DUPONT Anne-Lise COLLOMP