C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE - A -
Section 2
PRUD'HOMMES
Exp + GROSSES le 28 MARS 2024 à
la SCP LAVAL - FIRKOWSKI
CREUGNY Gilles
XA
ARRÊT du : 28 MARS 2024
N° : - 24
N° RG 22/01166 - N° Portalis DBVN-V-B7G-GSMN
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BLOIS en date du 26 Avril 2022 - Section : INDUSTRIE
ENTRE
APPELANT :
Monsieur [E] [N]
né le 17 Janvier 1962 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par M. [T] [Y] (Délégué syndical ouvrier)
ET
INTIMÉE :
Société SAGANA Prise en la personne de son représentant légal domicilié en
cette qualité audit siège social
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI, avocat au barreau d'ORLEANS
Ayant pour avocat plaidant Me Eric BERTHOME de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de BLOIS
Ordonnance de clôture : 08 décembre 2023
A l'audience publique du 18 Janvier 2024
LA COUR COMPOSÉE DE :
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,
Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, conseiller,
Assistés lors des débats de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier.
Puis ces mêmes magistrats ont délibéré dans la même formation et le 28 MARS 2024, Mme Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier, a rendu l'arrêt par mise à disposition au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
M. [E] [N] a été engagé à compter du 6 juin 1983 par la S.A. Sagana en qualité d'opérateur dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée qui s'est poursuivi en un contrat de travail à durée indéterminée.
La relation de travail était régie par la convention collective de la métallurgie du Loir-et-Cher.
Dans le dernier état des relations contractuelles, M. [N] occupait le poste de régleur producteur.
M. [N] était titulaire de différents mandats de représentation du personnel dans une entreprise de moins de cinquante salariés, et dernièrement membre du comité social et économique et délégué syndical.
Par requête du 28 janvier 2021, M. [E] [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Blois aux fins de voir reconnaître l'existence d'un harcèlement moral, d'une discrimination syndicale entre 2006 et 2020, ainsi que le paiement de diverses sommes en conséquence.
Le 31 janvier 2022, le contrat de travail a été rompu avec le départ en retraite de M. [N].
Par jugement du 26 avril 2022 auquel il est renvoyé pour plus ample exposé du litige, le conseil de prud'hommes de Blois a :
- Débouté M. [E] [N] de l'ensemble de ses demandes,
- Débouté la société Sagana de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamné M. [E] [N] aux dépens.
Par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au greffe de la cour le 12 mai 2022, M. [E] [N] a relevé appel de cette décision.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 29 juillet 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du Code de procédure civile et aux termes desquelles M. [E] [N] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de prud'hommes de Blois en ce qu'il a débouté M. [E] [N] de l'ensemble de ses demandes et condamné M. [E] [N] aux dépens.
Statuant à nouveau
- Dire et juger de la reconnaissance de la discrimination syndicale, du harcèlement moral, du non-respect des dispositions de l'article L.4121-1 du code du travail et du non-respect des dispositions de l'article L.1222-6 du code du travail.
En conséquence,
Condamner la société Sagana à payer à M. [N] des :
-Dommages-intérêts pour la reconnaissance d'un préjudice financier résultant de la discrimination syndicale sur le fondement des articles L.1132-1, L1134-1, L.1134-5 et L.2141-5 du code du travail pour la période de janvier 2006 à décembre 2020 : 25 103,79 euros
-Dommages-intérêts pour la reconnaissance d'un préjudice moral résultant de la discrimination syndicale sur le fondement des articles L.1132-1, L.1134-1, L1134-5 et L.2141-5 du code du travail 10 000 euros
-Dommages-intérêts pour la reconnaissance d'un préjudice moral résultant du harcèlement moral sur le fondement de l'article L.1152-1 du code du travail : 36575,25 euros
-Dommages-intérêts pour la reconnaissance d'un préjudice moral résultant du harcèlement moral sur le fondement de l'article L.1152-4 du code du travail : 5000 euros
-Dommages-intérêts pour la reconnaissance d'un préjudice moral résultant du non-respect des dispositions de l'article L.4121-2 du code du travail : 5 000 euros
-Dommages-intérêts pour le non-respect des dispositions de l'article L.1222-6 du code du travail : 5 000 euros
- Débouter la société Sagana de toutes demandes, fins et conclusions contraires aux présentes.
- Condamner la société Sagana au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 17 octobre 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du Code de procédure civile et aux termes desquelles la S.A. Sagana demande à la cour de :
- Confirmer le jugement entrepris par le Conseil de prud'hommes de Blois en ce qu'il a débouté M. [E] [N] de l'ensemble de ses demandes
- et condamné M. [E] [N] aux dépens,
- Infirmer le jugement entrepris par le Conseil de prud'hommes de Blois en ce qu'il a débouté la société Sagana de sa demande formulée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Statuant à nouveau :
- Débouter M. [E] [N] en l'ensemble de ses demandes,
En tout état de cause,
- Débouter M. [E] [N] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner M. [E] [N] à verser à la société Sagana la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, pour les frais d'appel,
- Condamner M. [E] [N] à verser à la société Sagana la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais de 1ère instance,
- Condamner M. [E] [N] aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 décembre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la discrimination syndicale en matière salariale
L'article L.1132-1 du code du travail prohibe toute mesure de licenciement en raison notamment en raison de ses activités syndicales.
L'article L.1134-1 du code du travail prévoit que lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance de ces dispositions, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.
Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
L'article L.2141-5 du code du travail prévoit également qu'il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.
M.[N] soutient qu'en raison de ses activités syndicales, il a subi une absence d'évolution de carrière et un retard dans l'évolution de sa rémunération, depuis l'année 2006.
- sur la prescription et les effets du désistement de M.[N] de sa première procédure engagée sur le fondement de la discrimination syndicale
Selon l'article L.1134-5 du code du travail, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.
M.[N] affirme que l'existence de la discrimination salariale en raison de son activité syndicale lui a été révélée à l'occasion d'un rendez-vous avec l'inspecteur du travail le 6 janvier 2021 et qu'il a alors réuni tous les éléments nécessaires pour l'établir, ce qui l'élément faisant courir le délai de prescription de son action.
A cet égard, la société Sagana réplique que M.[N] ne peut avoir connu l'existence d'une telle discrimination qu'à la date du 6 janvier 2021, dans la mesure où il s'en était déjà plaint à l'occasion d'une précédente procédure engagée devant le conseil de prud'hommes, qui a donné lieu à un désistement de sa part en 2015, comme l'a relevé le jugement entrepris, qui a considéré que pour ce motif, M.[N] ne pouvait prétendre à des dommages-intérêts au titre d'une discrimination syndicale pour la période antérieure à 2015.
M.[N] indique que cette procédure a donné lieu de sa part à un simple désistement d'instance et non à un désistement d'action.
La cour rappelle que selon l'article 398 du code de procédure civile, le désistement d'instance n'emporte pas renonciation à l'action, mais seulement extinction de l'instance. Il résulte par ailleurs de l'article 2243 du code civil que l'interruption de la prescription résultant de la demande en justice est non avenue si le demandeur de désiste de sa demande. En conséquence, tous les actes de procédure accomplis depuis la demande sont anéantis, et leurs effets sont rétroactivement effacés, notamment les effets interruptifs de prescription.
En l'espèce, il est constant que M.[N] a engagé en 2013 une procédure devant le conseil de prud'hommes portant, selon ce qu'il indique, " notamment sur une discrimination syndicale " (numéro de rôle : 13/583). Il demandait déjà une " rappel de salaire sur la discrimination salariale " selon ce que mentionnaient alors les conclusions de l'employeur. M.[N] s'est désisté de cette demande, le jugement du 9 juin 2015 constatant ce désistement mentionnant expressément qu'il est " donné acte à M.[N] de son désistement d'instance ".
Il en résulte que M.[N] n'a dès lors aucunement renoncé à son action, et demeurerait recevable à l'intenter dans le cadre d'une nouvelle procédure.
Par ailleurs, il est démontré que M.[N] a pris conscience de l'existence d'une éventuelle discrimination salariale, liée à son activité syndicale, bien avant le 6 janvier 2021, puisqu'il a saisi le conseil de prud'hommes une première fois en 2013 sur ce fondement, sans qu'il puisse opposer une interruption du délai de prescription liée à cette procédure compte tenu de son désistement d'instance.
Cependant, si le salarié fait état d'une discrimination syndicale ayant commencé sur une période couverte par la prescription, et fait valoir que cette discrimination s'est poursuivie tout au long de sa carrière, de sorte qu'il se fondait sur des faits qui n'avaient pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription, son action n'est pas prescrite. ( Soc., 31 mars 2021, pourvoi n° 19-22.557).
C'est le cas en l'espèce puisque M.[N] se fonde sur son évolution salariale entre 2006 et 2020. Ainsi, son action n'est pas prescrite.
- sur le fond
M.[N] compare sa situation sur celle de Messieurs [Z] et [G], qui bénéficiaient d'un coefficient identique au sien (240) et exerçaient les mêmes fonctions. Il évoque l'absence d'évaluations professionnelles et la diminution de ses attributions, ayant abouti à une rétrogradation, notant notamment la réalisation en un seul entretien de l'entretien professionnel et de l'entretien d'évaluation, au mépris des dispositions de l'article L.6315-1 du code du travail.
Il produit un tableau comparatif entre sa rémunération et le salaire moyen et le salaire maximum dont bénéficiait ses collègues de même niveau, entre 2006 et 2020.
S'il reconnaît qu'il a régulièrement bénéficié d'augmentations de salaire au cours de cette période, son taux horaire est demeuré invariablement inférieur à celui de ses collègues.
Ces éléments laissent supposer l'existence d'une discrimination syndicale.
La société Sagana ne conteste en rien cette réalité, se contentant de souligner que M.[N] aurait bénéficié du niveau de prime le plus important entre 2009 et 2020. Cependant, le tableau qu'il produit fait état d'un montant de primes inférieur au sien pour M.[Z] seulement, son collègue [G] ayant bénéficié de primes d'un montant supérieur au sien.
Il en est de même de l'évolution de la rémunération de M.[N], de +11,99 % entre 2009 et 2020, tandis que M.[Z] n'a bénéficié que de + 9,14 %, et M.[G] de + 12 %. Cependant, quand bien même M.[N] aura effectivement bénéficié d'augmentations régulières, la société Sagana ne démontre en rien que M.[N] ait rattrapé le niveau de ses collègues sur le salaire de base, qui est demeuré inférieur au sien.
La société Sagana, qui se contente de contester contre toute évidence l'existence d'un inégalité de salaire au préjudice de M.[N], n'explique en rien les raisons pour lesquelles ses deux collègues ont été favorisés, et échoue donc à démontrer que les faits dénoncés par M.[N] sont justifiés par des faits objectifs étrangers à toute discrimination syndicale.
C'est pourquoi, en son principe, la demande de M.[N] de dommages-intérêts afférents sera, par voie d'infirmation, accueillie.
S'agissant du quantum des dommages-intérêts à allouer au titre du préjudice financier, M.[N] l'a calculé sur la base de sa perte de revenus, augmentée d'une majoration de 30 % en raison de la minoration corrélative de sa pension de retraite. Ce calcul n'est pas discuté par la société Sagana qui n'a pas proposé de décompte. C'est pourquoi celle-ci sera condamnée à payer à M.[N] la somme de 25 103,79 euros, outre 2000 euros au titre du préjudice moral qu'il invoque parallèlement.
- Sur la demande de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L.1222-6 du code du travail
Ce texte prévoit que lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L. 1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception.
La lettre de notification informe le salarié qu'il dispose d'un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. Le délai est de quinze jours si l'entreprise est en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire.
A défaut de réponse dans le délai d'un mois, ou de quinze jours si l'entreprise est en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée.
Par ailleurs, il résulte des articles L. 1221-1, L. 1231-1 et L. 2411-1 du code du travail qu'aucune modification du contrat de travail ou changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé.
L'employeur peut en revanche procéder à des changements marginaux dès lors que les tâches demandées entrent dans les attributions du salarié et qu'elles ne constituent pas une modification des conditions de travail du salarié.
En l'espèce, M.[N] affirme qu'il travaillait, en sa qualité d'opérateur / régleur, au service " ébavurage-reprise et contrôle ", mais que M.[B], responsable logistique, qui selon lui n'était pas son supérieur hiérarchique, lui aurait demandé d'effectuer des missions qui ne relevaient pas de ses fonctions, à savoir, comme le lui a demandé M.[B] dans plusieurs emails fin septembre 2020, " finir la scie ", " finir les retours machine " et " ranger des barres à la réception ". M.[N] considère ces travaux comme dévalorisants et difficiles physiquement, de sorte que cela représenterait selon lui une modification de ses conditions de travail.
La cour constate que M.[N] fait état de son refus ponctuel d'exécuter les tâches décrites, sans que son affectation, mentionnée sur les organigrammes de l'entreprise, au service " ébavurage-reprise et contrôle " ait été remise en cause. Seul l'organigramme du 1er juin 2020, le dernier en date qu'il produit, mentionne que M.[N] est désormais affecté, sous la responsabilité de M.[B], au service " reprise-conditionnement ", tandis qu'il décrit lui-même ses fonctions premières comme relevant du " secteur reprise ". Le service " ébavurage-reprise et contrôle " n'est plus mentionné. M.[N] décrit ses fonctions de la manière suivante : " opérations de reprise de pièces provenant de la production (') contrôle de celles-ci après reprise ou contrôle de la production directement après lavage en vue d'être encartonnées par ses soins puis déposées au magasin expédition ", ce qui établit que ses fonctions n'étaient pas exemptes de tâches de conditionnement. Le changement d'organigramme ne permet donc pas d'en conclure à une modification des conditions de travail puisqu'il apparaît toujours avoir accompli d'une part, des tâches de reprise et de contrôle, et d'autre part des tâches de conditionnement.
Aucun des salariés interrogés dans le cadre de l'enquête qui a été diligentée ne fait d'ailleurs état d'une telle modification. Il ne produit aucune attestation dans ce sens. Seul son supérieur hiérarchique a changé, ce qui relève du pouvoir de direction de l'employeur.
M.[N] ne démontre en rien une modification de ses conditions de travail au prétexte d'une sollicitation ponctuelle pour accomplir des tâches qui, selon lui, ne lui étaient pas dévolues auparavant, ce qui au surplus n'est pas établi.
Dans ces conditions, aucun manquement de l'employeur à ce titre ne peut être relevé et M.[N] sera, par voie de confirmation, débouté de la demande de dommages-intérêts qu'il forme à ce titre.
- Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il appartient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
M.[N] invoque l'existence de nombreux faits d'entrave à l'exercice de son mandat par le comité social et économique en l'illustrant de nombreuses carences de l'employeur quant à son information sur la marche de l'entreprise, des difficultés quant aux points mis à l'ordre du jour des réunions, des manquements quant aux convocations à ces réunions, notamment des suppléants, ou à l'heure de convocation, d'omissions sur les compte-rendu de réunions, d'erreurs ou d'oublis sur le registre unique du personnel.
La cour relève que malgré les critiques ainsi opposées par M.[N], ce dernier a pu participer régulièrement aux réunions du comité social et économique et exprimer son mécontentement sur les conditions dans lesquelles ce comité exerçait son mandat, et formulé des remarques et des questions auxquelles l'employeur a répondu, comme cela relève des procès-verbaux et compte-rendus produits.
Quoi qu'il en soit, ces éléments, si tant est qu'ils soient avérés, démontrent le sérieux avec lequel M.[N] a exercé son mandat de membre du comité social et économique, lequel n'exclut pas une forme de confrontation avec l'employeur, mais ne laissent en rien supposer l'existence d'un harcèlement moral exercé à son encontre.
M.[N] se plaint par ailleurs de ne pas avoir disposé du temps suffisant pour exercer son mandat de " responsable de la sécurité " en application de l'article L.4644-1 du code du travail. Il reproche à l'employeur de lui avoir enjoint de limiter à 3 heures par mois le temps affecté à cette fonction, ce qu'il considérait comme insuffisant. M.[N] indique avoir fini par démissionner de cette fonction. Un email de l'employeur du 28 août 2020 relève que ce temps " semble raisonnable au regard de la taille de l'entreprise ", qui emploie en effet 9 salariés ; par ailleurs le bureau et le PC " de maintenance " lui était mis à disposition. M.[N] a protesté dans un courrier du même jour.
Ce différend sur le temps imparti à M.[N] pour accomplir cette mission ne laisse pas supposer l'existence d'un harcèlement moral alors, qu'en le désignant comme référent sécurité, comme le prévoit le texte précité, la société Sagana lui a, au contraire, exprimé une forme de confiance . La mission de mettre à jour le document unique de prévention des risques lui a été confiée, avec un délai d'un an pour accomplir cette tâche. Il n'est pas établi que les conditions dans lesquelles il a exercée cette fonction soient critiquables au regard du temps qui lui a été imparti et du délai qui lui a été donné pour la mener à bien.
M.[N] fait par ailleurs état de menaces verbales ou écrites qu'il aurait reçues du directeur de l'entreprise, M.[M], quant à son " déroulement de carrière".
Il affirme qu'il a été placé contre son gré au magasin " réception-matière ", ce qui serait dévalorisant et éprouvant physiquement. Il souligne qu'on lui a demandé d'accomplir des tâches telles que travailler sur la scie ou ranger les fardots de barre qui selon lui, relevaient de la seule compétence de M.[B] en sa qualité de " magasinier ", puisque ce dernier était responsable logistique alors que M.[N] s'occupait de la production.
Le 4 septembre 2020, M.[M] lui écrivait en lui demandant de " faire preuve de respect et d'effectuer les tâches demandées par (sa) hiérarchie ", évoquant des actes d'insubordination commis au préjudice de son supérieur, M.[B]. Le 16 novembre 2020, une " lettre de mise en garde " lui était adressée afférent à son refus des " consignes de travail " qui lui étaient données par ce dernier. Le 30 juillet 2021, un avertissement lui était adressé lui reprochant de multiples reprises en cause de la légitimité de son supérieur hiérarchique, M.[B].
La cour constate que M.[N], qui ne demande pas l'annulation de cet avertissement, a reconnu dans un courrier daté du 29 juillet 2021 qu'il ne considérait effectivement pas M.[B] comme son supérieur, Aucune pièce n'illustre par ailleurs l'affirmation selon lequel des tâches dévalorisantes lui auraient été imposées dans le cadre d'une rétrogradation. A cet égard, il a déjà été établi que le fait pour M.[B] de lui demander de réaliser ces tâches ne constituait pas une modification de ses conditions de travail. Il résulte de ces éléments que les faits d'insubordination qui lui sont reprochés sont établis puisqu'il lui avait été à plusieurs reprises demandé de répondre aux sollicitations de M.[B], désigné comme son supérieur, ce qui relève du seul pouvoir de direction de l'employeur et que M.[N] a manifesté de l'opposition à ce que ce dernier lui demandait d'accomplir : A l'occasion d'une enquête interne diligentée par la direction après qu'un droit d'alerte du comité social et économique sur la situation de M.[N], plusieurs salariés ont constaté que ce dernier s'opposait effectivement à l'autorité de M.[B] et refusait d'exécuter certaines tâches, ce qui se reportait sur les autres collaborateurs.
Ces éléments n'établissement l'existence d'aucune " menace " mais illustre l'exercice légitime par l'employeur de son pouvoir de direction et à son pouvoir disciplinaire, ce qui ne saurait être invoqué à l'appui d'une demande tendant à la reconnaissance d'un harcèlement moral.
Aucune pièce ne permet d'établir au demeurant que des menaces sur la carrière de M.[N] aient été formulées.
Ce grief, opposé par M.[N] à son employeur, sera dès lors rejeté.
Par ailleurs, M.[N] affirme que les préconisations qu'il a émises en sa qualité de " responsable sécurité " n'ont pas été suivies lors de la crise Covid, un responsable ayant laissé un salarié dépourvu de masque, l'identité d'un autre salarié tombé malade ayant été révélée et la désinfection des locaux ayant été refusée, sans produire de pièce susceptible néanmoins d'établir que l'employeur ait été fautif dans les mesures de prévention, M.[N] relatant au contraire que les salariés portaient un masque, qu'un thermomètre infrarouge a été acheté et que l'information sur le salarié malade a été légitimement diffusée, ce qui constituait une mesure de protection des salariés.
Ces éléments sont sans rapport avec l'existence éventuelle d'un harcèlement moral exercé spécifiquement à l'encontre de M.[N].
Enfin, il est fait état de " menaces permanentes de licenciement ", ce qui ne résulte d'aucun élément.
M.[N] produit les plaintes qu'il a déposées le 6 novembre 2020 auprès du procureur de la République et de l'inspection du travail, déjà avisée par un courrier du 7 octobre 2020, que ce soit sur le supposé délit d'entrave, l'irrégularité du registre unique du personnel et le harcèlement moral dont il s'estimait victime.
Aucune suite n'a été donnée à ces plaintes.
Dans ce contexte, les arrêts de travail que M.[N] produit, établis à compter du 11 janvier 2021, jusqu'au 12 mars 2021, puis à compter du 24 août 2021, ainsi que le certificat médical de son médecin traitant qui indique le 12 mars 2021 que ce dernier est arrêté pour un syndrome anxiodépressif réactionnel, n'établissent pas que les conditions de travail de M.[N] soient à l'origine de cette pathologie. Ce même praticien, le 10 novembre 2020, évoquait certes l'hypothèse d'un " épuisement professionnel " et de ce que M.[N] lui a fait part de sa " souffrance au travail ". Aucun élément émanant de la médecine du travail n'est cependant produit.
Aucun fait précis n'est susceptible d'être relié avec la pathologie relevée par le médecin de M.[N].
L'enquête interne diligentée par l'employeur tend à démontrer le contraire, l'ensemble des salariés n'ayant rien constaté de particulier, M.[Z] indiquant même : " en refusant la collaboration avec ses collègues, M.[N] a choisi de s'isoler ". M.[N] a, selon les conclusions de l'enquête, d'ailleurs préféré de ne pas y participer, ne serait-ce que par questionnaire compte tenu de son absence.
Les éléments invoqués par le salarié, pris dans leur ensemble, même en tenant compte des documents médicaux produits, ne laissent en rien supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail, la réalité des faits allégués par le salarié n'étant pas établie.
C'est pourquoi, par voie de confirmation, M.[N] sera débouté de ses demandes de dommages-intérêts formées à ce titre.
- Sur la demande de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L.4121-1 du code du travail
Ce texte met à la charge de l'employeur une obligation de sécurité de ses salariés.
M.[N] reproche à la société Sagana de ne pas avoir diligenté d'enquête sur les faits de harcèlement moral qu'il dénonçait avant que le comité social et économique s'en saisisse et déclenche une telle enquête.
Cependant, dès le 13 octobre 2020, l'employeur répondait à M.[N] sur l'ensemble des griefs qu'il avait dénoncés le 29 septembre 2020 ; l'enquête interne a bien été diligentée sur demande du comité social et économique datée du 20 novembre 2020.
La société Sagana apparaît donc avoir réagi avec diligence aux doléances exprimées par M.[N], étant rappelé que l'ensemble des prétentions qu'il exprimait quant à sa qualité de victime d'un harcèlement moral ont finalement été rejetés par le conseil de prud'hommes, puis par la cour.
Il ne peut donc être reproché aucune faute de l'employeur quant au respect de son obligation de sécurité.
Par voie de confirmation, M.[N] sera débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts à ce titre.
- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
La solution donnée au litige commande ne commande pas de prononcer une condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile, chacune des parties succombant partiellement en ses prétentions.
La société Sagana sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu le 26 avril 2022 par le conseil de prud'hommes de Blois mais seulement en ce qu'il a débouté M.[N] de ses demandes de dommages-intérêts pour discrimination syndicale ;
Le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant ,
Condamne la société Sagana à payer à M.[E] [N] les sommes suivantes :
- Dommages-intérêts pour discrimination syndicale, préjudice financier : 25 103,79 euros ;
- Dommages-intérêts pour discrimination syndicale, préjudice moral : 2000 euros;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne la société Sagana aux dépens de première instance et d'appel.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier
Fanny ANDREJEWSKI-PICARD Laurence DUVALLET