COUR D'APPEL D'ORLÉANS
C H A M B R E C I V I L E
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 26/03/2024
la SCP LAVAL - FIRKOWSKI
la SCP THAUMAS AVOCATS ASSOCIES
ARRÊT du : 26 MARS 2024
N° : - 24
N° RG 21/02574 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GOGI
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOURS en date du 13 Juillet 2021
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265265853494373
S.A.R.L. BARREYRE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 5]
[Localité 2]
ayant pour avocat postulant Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI, avocat au barreau d'ORLEANS,
ayant pour avocat plaidant Me Julien BERBIGIER de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
D'UNE PART
INTIMÉES : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265 2783 9575 5878
S.E.L.A.R.L. ARCA LOIRE NOTAIRES SELARL immatriculée sous le numéro 814 784 344 du registre du commerce et des sociétés de TOURS, agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés au siège,
[Adresse 6]
[Localité 3]
représentée par Me Sofia VIGNEUX de la SCP THAUMAS AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de TOURS
Compagnie d'assurance MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES société d'assurances mutuelles immatriculée sous le numéro 775 652 126 du registre du commerce et des sociétés de LE MANS, agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés au siège
[Adresse 1]
[Localité 4],
représentée par Me Sofia VIGNEUX de la SCP THAUMAS AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de TOURS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du :7 octobre 2021
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 8 janvier 2024
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, du délibéré :
Mme Anne-Lise COLLOMP, Présidente de chambre,
M. Laurent SOUSA, Conseiller, en charge du rapport,
Mme Laure-Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.
Greffier :
Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.
DÉBATS :
Les débats se sont tenus à l'audience publique du 5 février 2024,
ARRÊT :
Prononcé le 26 mars 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
***
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte du 29 août 2003 passé devant Maître [C], notaire, la société Barreyre a acquis un bien immobilier comprenant, notamment, une maison d'habitation située à [Localité 7] (37). Par acte du 5 septembre 2014, la société Barreyre a revendu une partie de ce bien, comprenant notamment une maison, puis par acte du 23 septembre 2016, reçu par Maître [C] et associés, la société Barreyre a cédé à la société Pierre Immobilier Touraine l'autre partie du bien constitué d'un terrain à bâtir. Ce dernier acte précisait que le terrain n'avait pas déjà ouvert droit à déduction de la taxe à la valeur ajoutée (TVA) lors de son acquisition par le vendeur qui n'était pas une personne assujettie.
La société Barreyre a fait l'objet d'une vérification de sa comptabilité par l'administration 'scale qui a considéré que la vente du terrain était assujettie à la TVA, et lui a réclamé un rappel de droits s'élevant à 26 253 euros au titre de la TVA éludée, des intérêts de retard et d'une majoration de 40 %.
La société Barreyre a alors fait assigner l'office notarial Arca Loire Notaires et son assureur la société Mma Iard assurances mutuelles devant le tribunal de grande instance de Tours aux fins de réparation du préjudice subi.
Par jugement en date du 13 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Tours a :
- débouté la SARL Barreyre de ses demandes en responsabilité et dommages-intérêts formées contre la SELARL Arca Loire Notaires et la Mma lard Assurances Mutuelles ;
- débouté la SARL Barreyre, la SELARL Arca Loire Notaires et la Mma lard Assurances Mutuelles de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
- abandonné à chaque partie ses dépens ;
- rejeté toute demande plus ample ou contraire à la motivation.
Par déclaration en date du 7 octobre 2021, la société Barreyre a interjeté appel de tous les chefs du jugement.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 10 novembre 2022, la société Barreyre demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes et a laissé à chaque partie la charge de ses frais ;
Et, statuant à nouveau,
- juger son action recevable et fondée ;
- juger que la SELARL Arca Loire a commis une faute en ne l'éclairant pas sur les incidences fiscales de l'acte auquel elle a prêté son concours ;
- juger que la SELARL Arca Loire n'a pas assuré la sécurité juridique de son acte ;
- juger que la faute de la SELARL Arca Loire lui a causé un préjudice consistant au paiement au titre de pénalités et de majorations de retard, de frais d'assistance, outre un préjudice moral ;
- condamner in solidum la SELARL Arca Loire et la Mma Iard assurances mutuelles, assureur de la responsabilité professionnelle de la SELARL Arca Loire au paiement de la somme de 7 920 € au titre des pénalités et majorations de retard, au paiement de la somme de 1 882,80 € au titre des frais d'assistance en matière fiscale ainsi qu'au paiement de la somme de 2 000 € au titre du préjudice moral subi ;
- débouter la SELARL Arca Loire et la Mma Iard assurances mutuelles de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
- condamner in solidum la SELARL Arca Loire et la Mma Iard assurances mutuelles au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner in solidum la SELARL Arca Loire et la Mma Iard assurances mutuelles aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 18 mars 2022, la société Arca Loire Notaires et la société Mma Iard assurances mutuelles demandent à la cour de :
- déclarer irrecevable l'appel de la SARL Barreyre ou à tout le moins mal fondé :
- débouter la SARL Barreyre de l'ensemble de ses demandes ;
En conséquence,
- confirmer, le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
- débouter toute demande plus ample ou contraire à leur encontre ;
- condamner la SARL Barreyre au paiement d'une somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SARL Barreyre aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.
MOTIFS
Sur la responsabilité du notaire
Moyens des parties
L'appelante soutient que le notaire a manifestement méconnu son devoir d'information et de conseil, ainsi que son obligation d'assurer la sécurité juridique de l'acte qu'il reçoit, dans la mesure où il ne l'a pas éclairée sur la nécessité de s'acquitter de la TVA, compte tenu de la cession de terrain à bâtir à intervenir ; qu'aux termes de l'article 256 du code général des impôts, la livraison de biens et prestations de services effectués à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel est soumise à la TVA et que celle-ci doit être acquittée par le vendeur, conformément aux dispositions de l'article 283 du code général des impôts ; que la vente d'un terrain à bâtir est soumise à TVA et le vendeur en est le redevable de sorte qu'il aurait dû être indiqué à l'acte qu'elle se devait de l'acquitter pour éviter toute pénalité de retard, frais et intérêts ; que toute tentative de régularisation ultérieure de la part du notaire ne l'exonère pas de sa responsabilité ; que l'obligation de conseil doit être assurée au moment de la conclusion de l'acte en cause de sorte que tous les échanges dont le notaire se prévaut sont largement postérieurs à l'acte de vente ; qu'il est parfaitement inopérant pour le notaire de se prévaloir d'une proposition d'acte rectificatif qui d'une part, n'a jamais été suivie d'effet, et d'autre part, n'aurait pas pu éviter le redressement litigieux ; que la Cour de cassation a retenu que le refus de l'acquéreur de régulariser un acte rectificatif, lorsque l'erreur dans un acte notarié de vente sur la charge du paiement de la TVA est imputable au notaire, ne pouvait lui être reproché ; qu'en procédant ainsi, le notaire instrumentaire a admis avoir commis une faute dans l'établissement de l'acte notarié de vente en date du 23 septembre 2016, puisqu'à défaut, aucune rectification n'aurait ainsi été nécessaire ; que le tribunal a reconnu, à bon droit, l'existence de cette faute, mais par une appréciation manifestement erronée des faits de l'espèce, l'a déboutée de ses demandes indemnitaires, en niant soit l'existence de la causalité soit de ses préjudices ; que ses préjudices sont directement imputables au notaire, puisque le redressement fiscal ne serait pas intervenu si l'acte notarié avait tenu compte dès l'origine, de l'assujettissement du vendeur à la TVA ; que le tribunal a repris les motifs invoqués par l'administration fiscale pour exclure le lien causal entre la faute du notaire et l'application de la majoration de 40 %, alors que les éléments retenus par l'administration fiscale sont parfaitement impropres à caractériser un manquement délibéré de sa part ; qu'elle n'est pas professionnelle de la fiscalité et du droit, et que la réglementation relative à la TVA, bien qu'elle soit spécifiquement destinée à s'appliquer à une vente d'immeuble, relève de connaissances qu'elle n'a pas ; que cela est d'autant plus vrai que le notaire, professionnel de l'immobilier et du droit, n'a pas été en mesure de la conseiller sur la réglementation applicable, et n'était pas d'accord avec l'analyse d'un professionnel fiscaliste ; que s'agissant de l'inscription de la TVA au passif de son bilan, le tribunal a omis une partie des faits, puisque sa comptabilité était réalisée par la société Fiducial Expertise qui a procédé, au nom et pour son compte, à la déclaration de TVA, en considérant à bon droit que celle-ci devait s'appliquer, opinion qui n'était pas partagée par le notaire qui a rédigé son acte en excluant cette TVA ; qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir procédé à cette déclaration alors même qu'il s'est ultérieurement avéré que cette position était exacte et devait être retenue ; qu'elle n'a commis aucun manquement délibéré en faisant apparaître, par l'intermédiaire de son expert-comptable, la TVA au passif de son bilan et elle aurait commis une faute si elle s'en abstenait, tout en ayant parfaitement conscience que la taxe était finalement due, élément dont elle a eu connaissance six mois après la régularisation de l'acte de vente ; que le tribunal s'est abstenu de motiver sa décision sur ce qui permettait au notaire de s'exonérer de sa responsabilité ; que le notaire étant à l'origine de l'erreur ayant justifié le redressement fiscal, il doit être tenu d'indemniser l'intégralité des préjudices subis.
Les intimées répliquent que la question de la soumission de la vente à la TVA a été abordée entre les parties tant lors de la régularisation de l'acte définitif qu'en suite de la signature de l'acte ; que le sujet de l'assujettissement de la vente à la TVA a été largement débattu entre l'expert-comptable de la société Barreyre, le cabinet d'expertise comptable Fiducial et Maître [C], de sorte que le tribunal ne peut affirmer que le vendeur n'était pas assisté de professionnels du chiffre lors des négociations ; que le 11 avril 2017, le notaire a fait part de l'analyse et de la longue discussion avec le cabinet Fiducial sur l'assujettissement à la TVA de la vente du terrain et a proposé de procéder à un acte rectificatif en proposant de prendre à sa charge les droits d'enregistrement ; que dès le 20 avril 2017, soit 6 mois avant l'engagement du contrôle fiscal, le notaire avait formalisé son obligation de conseil et avait averti l'ensemble des parties de la solution à mettre en place pour éviter tout redressement fiscal ; que peu importe que cela intervienne après la conclusion de l'acte de vente dans la mesure où, à cette date, la société Barreyre ne souffrait d'aucun préjudice et que la solution proposée par le notaire permettait de se prémunir d'un éventuel redressement fiscal, d'autant que les parties étaient d'accord pour la mettre en 'uvre ; qu'il est patent que la société Barreyre fait montre de mauvaise foi pour tenter d'actionner la responsabilité du notaire qui n'a commis aucune faute.
Réponse de la cour
L'article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
Le notaire est tenu d'informer et d'éclairer les parties sur la portée et les effets, notamment quant à ces incidences fiscales, de l'acte auquel il prête son concours (1re Civ., 17 mai 2023, pourvoi n° 21-17.290), et, le cas échéant, de leur déconseiller, sans que leurs compétences personnelles ni la présence d'un conseiller à leur côté ne le dispensent de son devoir de conseil, ainsi que l'a jugé la Cour de cassation (1re Civ., 13 décembre 2005, pourvoi n° 03-11.443, Bull. 2005, I, n° 496).
Par ailleurs, les compétences et connaissances personnelles du client ne libèrent pas le notaire de son devoir de conseil (1re Civ., 10 octobre 2018, pourvoi n° 16-16.548).
En l'espèce, l'acte authentique de vente établi par Me [C] stipule, au titre de l'impôt sur la mutation :
« Le terrain présentement vendu n'a pas déjà ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée lors de son acquisition par le VENDEUR qui n'est pas une personne assujettie au sens de l'article 256-A du Code général des impôts.
L'ACQUÉREUR demande à bénéficier du régime spécial des achats effectués en vue de la revente en application des articles 1115 et 1020 du Code général des impôts.
Il déclare à cet effet :
- Être une personne assujettie au sens de l'article 256-A du Code général des impôts.
- Qu'il s'engage à revendre le bien acquis dans le délai maximum de cinq ans de ce jour.
- Qu'en sa qualité d'assujetti habituel, il effectue le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée sur imprimés CA3. Cette taxe est acquittée auprès de la Recette des Impôts de TOURS »
Le 15 septembre 2017, l'administration fiscale a notifié à la société Barreyre une proposition de rectification suite à une vérification de comptabilité concernant notamment la TVA due jusqu'au 31 décembre 2016, rédigée comme suit :
« Conformément aux dispositions de l'article 257-I du Code Général des Impôts (CGI), « les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée.
2. Sont considérés :
1° Comme terrain à bâtir ; les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application d'un plan d'urbanisme, d'un autre document d'urbanisme en tenant lieu, d'une carte communale ou de l'article L. 111-1-2 du Code de l'urbanisme ».
Est considéré comme livraison d'un bien, le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme propriétaire (CGI, art. 256 Il-1°).
Sont assujetties à la TVA les personnes qui effectuent de manière indépendante, une activité économique, quel que soit le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. Par ailleurs, cette activité doit revêtir un caractère de permanence (CGI, art 256 A).
Par suite, la vente d'un terrain à bâtir par un assujetti agissant en tant que tel est imposable à la TVA sur le prix de vente total lorsque l'acquisition a ouvert droit à déduction, ou à la marge lorsque l'acquisition n'a pas ouvert droit à déduction en amont.
L'article 266 du CGI dispose que la cession de terrain à bâtir par un assujetti agissant en tant que tel est soumise à la TVA sur la marge lorsque l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction lors de son acquisition initiale.
Toutefois, « la mise en 'uvre de ce régime dérogatoire au principe selon lequel la TVA est calculée sur le prix de vente total, suppose nécessairement que le bien revendu soit identique au bien acquis quant à ses caractéristiques physiques et sa qualification juridique. Ainsi, dans le cas d'un lot revendu comme terrain à bâtir ayant été acquis connue terrain d'assiette d'un immeuble bâti et comme tel assimilé à ce dernier, l'identité entre le bien acquis et le bien revendu n'est pas vérifiée. Il en résulte que la revente du terrain doit être soumise à la TVA sur le prix de vente total [...] »
Au cas particulier, le terrain cédé avait été acquis globalement avec une maison d'habitation. Cette maison d'habitation et son emprise de terrain ont donc été acquises sans division parcellaire préalable, qui est intervenue le 29 août 2003.
Compte tenu des précisions apportées supra, la TVA doit être appliquée sur le prix de vente total du terrain à bâtir.
Par ailleurs, le redevable légal de la taxe est la personne qui réalise l'opération, c'est-à-dire le vendeur (article 283-1 du CGI).
Enfin, le fait générateur et l'exigibilité de la TVA correspondent a la date de l'acte de transfert de propriété, soit le 23 septembre 2016. »
L'administration fiscale a alors réputé le prix de la vente du 23 septembre 2016 TTC sur la base de 110 000 euros, et a considéré que la TVA collectée sur la vente du terrain à bâtir par la société Barreyre aurait donc due être déclarée par celle-ci sur la déclaration de TVA du mois d'exigibilité de la taxe (date de l'acte), soit sur la déclaration du mois de septembre 2016. À défaut, l'administration fiscale a procédé à un rappel de rappel de droits en matière de TVA de 18 333 euros au titre de l'exercice clos en 2016.
Il résulte de ces éléments que le notaire a porté des mentions erronées sur l'incidence de la vente au titre de la TVA pour le vendeur, dans l'acte authentique de vente, ainsi que le notaire l'a d'ailleurs reconnu en proposant à la société Barreyre, par courrier électronique du 11 avril 2017, d'établir un « acte rectificatif » afin de placer la vente immobilière passée sous le régime de la TVA.
Il importe peu que le vendeur ait pu être assisté, lors de la vente, par un conseiller fiscaliste, ce qui n'est d'ailleurs pas établi, dès lors que le devoir de conseil a un caractère absolu à l'égard des parties à l'acte auquel il prête son concours.
Pour s'exonérer de sa responsabilité, le notaire évoque les conseils prodigués postérieurement à la vente et l'acte rectificatif qu'il a proposé d'établir. Cependant, le changement de position du notaire, par ailleurs provoqué par la volonté du comptable de la société Barreyre de procéder à la déclaration de la vente au titre de la TVA à l'administration fiscale afin de se conformer à ses obligations, ne saurait effacer le fait qu'il a manqué à son devoir de conseil à l'égard de la société Barreyre lors de la vente du 23 septembre 2016.
Surtout, le notaire a proposé au vendeur d'établir un acte rectificatif le 11 avril 2017, alors que la TVA sur la vente aurait due être déclarée sur la déclaration de TVA du mois de septembre 2016, date d'exigibilité de ladite taxe. Il s'ensuit que le projet d'acte rectificatif établi par le notaire n'est nullement susceptible d'anéantir sa faute commise le 23 septembre 2016 mais également le dommage existant dès la déclaration de TVA du mois de septembre 2016. En effet, l'établissement d'un acte rectificatif en avril 2017 n'était pas de nature à supprimer le retard dans la déclaration et le paiement de la TVA à l'administration fiscale.
Il s'ensuit qu'il est établi que la responsabilité de la société Arca Loire Notaires est engagée à l'égard de la société Barreyre de sorte qu'elle doit réparer intégralement le préjudice causé à celle-ci.
Sur l'indemnisation du préjudice
Moyens des parties
L'appelante soutient qu'elle est fondée à obtenir l'indemnisation de ses préjudices ; qu'elle a dû acquitter des pénalités et des majorations de retard à hauteur de 7 920 €, outre des frais d'assistance en matière fiscale pour un montant de 1 882,80 € ; que le tribunal a considéré, à tort, qu'elle ne subissait aucun préjudice dans la mesure où elle avait obtenu le règlement de la TVA de la part de l'acquéreur à hauteur de 22 000 € ; que l'on peine à comprendre le raisonnement des premiers juges sur ce point, d'autant que la somme de 22 000 € venait en règlement de la TVA, et non des majorations et pénalités de retard qui ont été appliquées en sus de cette somme par l'administration fiscale ; qu'il a été par ailleurs dûment justifié qu'elle avait intégralement reversé à l'administration fiscale la somme de 22 000 €, et non la somme de 18 333 €, ce qui exclut même qu'elle ait conservé un reliquat entre ces deux montants ; qu'elle a bien avancé la somme déclarée à l'administration fiscale, soit 22 000 €, et les pénalités et majorations calculées de 7 920 € ; qu'elle a, en outre, subi un préjudice moral compte tenu du redressement fiscal intervenu et du stress en résultant, lequel peut être réparé par l'allocation d'une somme forfaitaire de 2 000 euros ; que les premiers juges ont considéré qu'elle ne pouvait se prévaloir d'aucun préjudice pour les raisons retenues par l'administration fiscale afin de justifier la majoration de l'article 1729 du code général des impôts ; que le tribunal n'explique en aucun cas en quoi ces circonstances démontreraient qu'elle n'a subi aucun préjudice moral, d'autant qu'elle n'a jamais soutenu qu'elle n'était pas une professionnelle de l'immobilier mais seulement qu'elle n'était pas tenue de connaître la réglementation fiscale applicable en matière de vente immobilière ; que l'administration fiscale a seulement fait remarquer une divergence entre l'inscription de la TVA au passif de son bilan alors que l'acte de vente ne mentionnait aucune TVA, ce qui au demeurant ne résulte en rien d'une attitude frauduleuse ; que le préjudice moral sera donc réparé et le jugement infirmé en ce qu'il a rejeté ses demandes ; que l'assureur du notaire fait valoir qu'il ne saurait être condamné solidairement avec son assuré, mais seulement être tenu à garantie, alors qu'il n'appartient pas à la société Barreyre de solliciter la garantie de la Mma Iard assurances mutuelles, recours qui n'appartient qu'à son assurée ; que l'assureur peut toujours être condamné solidairement avec son assuré dans les limites de sa garantie et l'assureur ne peut être poursuivi sur le même fondement que l'auteur du dommage, puisqu'il est tenu sur le fondement des dispositions de l'article L.113-1 et suivants du code des assurances, de sorte que le moyen soulevé sera rejeté.
Les intimées répliquent qu'il n'est pas démontré l'existence d'un préjudice indemnisable ; que si les parties n'ont pas régularisé l'acte rectificatif qui était proposé en avril 2017 par le notaire instrumentaire c'est en raison du fait que le vendeur n'était pas en mesure de payer la TVA et d'en faire l'avance entre les mains du notaire pour l'établissement de son acte rectificatif ; que les pénalités de retard ainsi appliquées sur le montant de la TVA qui sera finalement réglé par la société Barreyre entre les mains de l'administration fiscale sont donc parfaitement sans lien avec les conseils prodigués par le notaire instrumentaire, mais sont au contraire uniquement liées aux problèmes de trésorerie rencontrés par le vendeur qui n'était pas en mesure de payer la TVA, et à l'acquéreur qui n'était pas en mesure d'en faire l'avance ; que s'agissant de la majoration de 40 % d'un montant de 7 333 € pour manquement délibéré prévu à l'article 1729 du code général des impôts, il est justifié aux débats que le contrôle effectué par l'administration fiscale porte sur les exercices clos en 2014, 2015 et la TVA jusqu'au 31 décembre 2016, de sorte qu'il ne peut être soutenu que le redressement fiscal ne serait pas intervenu si l'acte notarié avait tenu compte dès l'origine de l'assujettissement du vendeur à la TVA ; que ce simple élément permet de constater qu'il n'existe aucun lien de causalité entre l'acte notarié et le prétendu préjudice invoqué par l'appelante ; qu'alors que l'option fiscale qui avait été prise par les parties était le non-assujettissement de la vente à la TVA, la société Barreyre déduira pourtant au passif de son bilan la TVA au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2016, TVA qui ne sera en réalité collectée et à déduire qu'en novembre 2017 ; que ce n'est nullement l'acte instrumenté par le notaire qui a déclenché l'application de la majoration de 40 % puisqu'aucune TVA n'était due à l'époque de la vente, mais bien le fait que la société Barreyre a déduit au passif de son bilan une TVA au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2016, qui ne sera en réalité collectée et facturée par la société Barreyre qu'au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2017 ; que c'est bien la discordance entre l'acte instrumenté en septembre 2016 d'une part, la comptabilité établie par la société Barreyre dans le cadre de l'exercice clos au 31 décembre 2016 et l'émission des factures qui n'interviendront qu'en 2017 d'autre part, qui a généré le calcul de cette majoration de 40 % ; que le notaire instrumentaire ne saurait être tenu pour responsable des pénalités, intérêts et majorations appliquées par l'administration fiscale à la société Barreyre ; qu'à titre subsidiaire, l'assureur responsabilité civile professionnelle Mma du notaire instrumentaire ne saurait être condamné in solidum avec son assuré ; que toute condamnation qui serait prononcée à son encontre ne saurait être qu'une condamnation à garantir le paiement des condamnations qui seraient prononcées à l'encontre de son assuré ; que ne peuvent être tenus in solidum que les coauteurs du dommage, ce qui n'est évidemment pas le cas de l'assureur, tenu pour sa part sur un fondement autre que celui de sa responsabilité personnelle ; que la somme de 26 253 € a été mise en recouvrement par l'administration fiscale au titre d'une TVA calculée d'un montant de 18 333 € et des pénalités et majorations calculées sur la somme de 7 920 € ; que la société Barreyre a perçu de son acheteur une TVA de 22 000 € de sorte que c'est une somme de 4253 € (26 253 ' 22 000), qui a réellement été avancée par la société Barreyre, alors qu'elle sollicite une somme de 7 920 € ; que la société Barreyre ayant reversé à l'administration fiscale une somme de 22 000 € au lieu et place de la somme qui lui était demandée de 18 333 €, ce n'est pas au notaire de supporter la charge de la différence ; qu'elles ne sauraient prendre en charge la facture du conseil juridique de la société Barreyre qui a tenté de remettre en cause le paiement de la majoration de retard appliquée au taux de 40 % dans la mesure où elle n'aurait jamais dû inscrire à son bilan, par anticipation, une TVA qui ne sera en réalité nullement due en 2016 mais due et payée en 2017 ; qu'elles ne sauraient être tenues au paiement d'une indemnité au titre d'un préjudice moral de la société Barreyre qui reste une personne morale aguerrie au stress des affaires commerciales en sa qualité de marchands de biens ; que si une condamnation était prononcée, elle devrait être limitée à la somme de 4 253 €.
Réponse de la cour
Il est établi que le redressement fiscal consécutif au manquement du notaire à son obligation d'information constitue un préjudice entièrement consommé et non une simple perte de chance (1re Civ., 9 décembre 2010, n° 09-16.531, Bull. civ. I, n° 254).
Si le paiement des droits éludés auquel le redevable était légalement tenu ne constitue pas un préjudice indemnisable, il en est différemment des conséquences financières d'un rappel de droits effectué par l'administration fiscale.
En l'espèce, l'administration fiscale a notifié à la société Barreyre, du fait du manquement du notaire à son devoir d'information de conseil, un avis de recouvrement portant sur la somme totale de 26 253 euros dont 18 333 euros au titre de la TVA éludée, 587 euros au titre des intérêts de retard, et 7 333 euros de majoration.
Les conséquences financières du rappel de droits n'auraient pas été supportées par la société Barreyre si le notaire l'avait correctement informée du fait qu'elle était tenue au paiement de la TVA sur le prix de la vente immobilière. Contrairement au moyen soulevé par les intimés, la société Barreyre n'a nullement exercé une option fiscale lors de la vente, la proposition de rectification fiscale mentionnant de manière certaine que la TVA était due sur le prix de vente et aurait due être déclarée dans le mois de son exigibilité, soit en septembre 2016.
La proposition du notaire d'établir un acte rectificatif en avril 2017, postérieurement, au mois de septembre 2016, au cours duquel la société Barreyre était tenue à déclaration de la TVA sur le prix de vente, est donc sans effet sur le dommage subi par la société Barreyre résultant des conséquences financières du rappel portant sur la TVA de l'année 2016.
L'administration fiscale a appliqué au montant de la TVA éludée, une majoration de 40 % pour manquement délibéré de la société Barreyre aux motifs que le caractère intentionnel de soustraction à l'impôt exigible était établi par le fait qu'en qualité de professionnelle de l'immobilier la société Barreyre ne pouvait ignorer que la cession d'un terrain à bâtir devait être soumise à la TVA, et qu'au surplus, le montant de cette TVA était inscrit à son passif.
Cependant, les motifs retenus par l'administration fiscale pour appliquer la majoration de 40 % ne sauraient ôter à la somme de 7 333 euros le caractère de préjudice indemnisable résultant de la faute du notaire. En effet, la non-déclaration et le non-paiement de la TVA sur le prix de vente par la société Barreyre résultent directement du manquement du notaire à son devoir d'information et de conseil, dès lors qu'informée de son assujettissement à la TVA, la société Barreyre aurait déclaré la TVA, par l'intermédiaire de son expert-comptable. C'est d'ailleurs sur l'intervention de celui-ci que la société Barreyre a pris conscience, postérieurement à la vente, que la TVA était due sur le prix de vente. En effet, il est justifié des échanges entre la société Fiducial et le notaire en avril 2017, qui ont conduit le notaire à réviser sa position et à envisager l'établissement d'un « acte rectificatif ».
Afin d'éviter de commettre une faute engageant sa responsabilité, l'expert-comptable a donc procédé à une déclaration de TVA sur le prix de vente en 2017, ce qui a créé une discordance entre la date d'exigibilité de la TVA (septembre 2016) et la date de la déclaration. La déclaration de TVA à laquelle l'expert-comptable a procédé ne caractérise donc nullement une faute de la société Barreyre qui ferait obstacle à l'indemnisation de son préjudice, mais révèle au contraire sa volonté de se soumettre aux règles fiscales en vigueur, une fois connu le manquement du notaire à ses obligations.
Enfin, dans les rapports avec le notaire, il ne peut être tenu compte de qualité de la société Barreyre de professionnelle de l'immobilier, tel que retenu par l'administration fiscale, dès lors que le devoir d'information et de conseil du notaire s'applique quelles que soient les compétences de la partie qui a recours à ses services. Le tribunal ne pouvait donc se référer aux motifs retenus par l'administration fiscale pour appliquer la majoration de 40 % pour juger que le dommage en résultant serait sans lien de causalité avec la faute du notaire.
Si la société Barreyre a perçu de l'acquéreur une somme de 22 000 euros au titre de la TVA, s'expliquant par le fait que le notaire a calculé la TVA sur le prix de vente de 110 000 euros (soit 132 000 TTC) alors que l'administration fiscale avait considéré que le prix de vente de 110 000 euros était TTC, elle a entièrement reversé cette somme à l'administration fiscale au seul titre de la TVA et non au titre des intérêts de retard et de la majoration.
Il n'est ni allégué ni justifié que l'administration fiscale ait remis en cause l'avis de recouvrement rendant la société Barreyre redevable, outre la TVA éludée, des intérêts de retard de 587 euros et une majoration de 7 333 euros, qui constituent le préjudice financier subi par la société Barreyre en lien avec la faute du notaire.
La société Barreyre justifie avoir eu recours aux services d'un conseil suite à la proposition de rectification fiscale du 15 septembre 2017, notamment aux fins de demande de prorogation du délai de réponse et demande de remise gracieuse de la majoration pratiquée par l'administration fiscale, et pour les échanges avec le notaire, pour un coût de 1 882,80 euros. Cette dépense n'a été engagée qu'en raison de la rectification fiscale notifiée par suite de la faute du notaire lors de la vente litigieuse. En conséquence, il convient également d'indemniser la société Barreyre à hauteur de 1 882,80 euros au titre de ce poste de préjudice.
En revanche, la société Barreyre qui allègue avoir subi « un stress » résultant du redressement fiscal, ne justifie pas du préjudice moral subi par la société et non par ses dirigeants qui seuls peuvent avoir subi un stress. En conséquence, la demande d'indemnité au titre du préjudice moral sera rejetée.
La société Arca Loire Notaires sera donc condamnée à payer à la société Barreyre la somme de 7 920 euros (7333 + 587) au titre des intérêts de retard et de la majoration, et la somme de 1 882,80 euros au titre des frais d'assistance en matière fiscale.
Le domaine de l'obligation in solidum n'est pas limité aux coauteurs d'un même dommage, mais s'applique également, au domaine de l'assurance de responsabilité civile, à la demande de condamnation au paiement d'une indemnité formée par la victime d'un dommage. Ainsi, l'action directe de la victime contre l'assureur de l'auteur du dommage constituant un droit propre à l'indemnité due en vertu du contrat d'assurance, dès lors que la victime le demande, l'assureur doit être tenu in solidum avec l'assuré dans les limites de la somme garantie par le contrat, ainsi que l'a jugé la Cour de cassation (1re Civ., 14 novembre 1995, pourvoi n° 92-18.200, Bulletin 1995 I N° 406).
En conséquence, la société Mma Iard assurances mutuelles sera condamnée in solidum avec la société Arca Loire Notaires au paiement des sommes précitées.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté la société Barreyre de ses demandes en responsabilité et dommages-intérêts formées contre la société Arca Loire Notaires et la société Mma lard Assurances Mutuelles.
Sur les frais de procédure
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a laissé les dépens à la charge de chacune des parties et débouté la société Barreyre de sa demande fondée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il convient de condamner in solidum la société Arca Loire Notaires et la société Mma lard Assurances Mutuelles aux entiers dépens de première instance et d'appel, et à payer à la société Barreyre une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La demande des intimées fondée sur cette même disposition sera rejetée.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME le jugement en ce qu'il a :
- débouté la SARL Barreyre de ses demandes en responsabilité et dommages-intérêts formées contre la SELARL Arca Loire Notaires et la Mma lard Assurances Mutuelles ;
- débouté la SARL Barreyre de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
- abandonné à chaque partie ses dépens ;
CONFIRME le jugement en ses autres dispositions critiquées ;
STATUANT À NOUVEAU sur les chefs infirmés et Y AJOUTANT :
DÉCLARE la société Arca Loire Notaires entièrement responsable au préjudice subi par la société Barreyre ;
CONDAMNE in solidum la société Arca Loire Notaires et la société Mma lard Assurances Mutuelles à payer à la société Barreyre la somme de 7 920 euros au titre des intérêts de retard et de la majoration, et la somme de 1 882,80 euros au titre des frais d'assistance en matière fiscale ;
DÉBOUTE la société Barreyre de sa demande indemnitaire au titre du préjudice moral ;
DÉBOUTE la société Arca Loire Notaires et la société Mma lard Assurances Mutuelles de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum la société Arca Loire Notaires et la société Mma lard Assurances Mutuelles à payer à la société Barreyre la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum la société Arca Loire Notaires et la société Mma lard Assurances Mutuelles aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Présidente de Chambre et Mme Karine DUPONT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT