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10/07/2023 | FRANCE | N°20/02422

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Chambre civile, 10 juillet 2023, 20/02422


COUR D'APPEL D'ORLÉANS



C H A M B R E C I V I L E





GROSSES + EXPÉDITIONS : le 10/07/2023

Me Anne CARROGER

la SCP MERLE-PION-ROUGELIN





ARRÊT du : 10 JUILLET 2023



N° : - N° RG : 20/02422 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GHZU



DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de MONTARGIS en date du 24 Septembre 2020



PARTIES EN CAUSE



APPELANTES :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265252777390555



Madame [T] [V] [L] [P] divorcée [

R]

née le 12 Décembre 1952 à [Localité 24]

[Adresse 11]

[Localité 16]



comparante en personne, assistée de Me Marie MANDEVILLE de la SCP TERRAJURIS AVOCATS, avocat plaidant a...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 10/07/2023

Me Anne CARROGER

la SCP MERLE-PION-ROUGELIN

ARRÊT du : 10 JUILLET 2023

N° : - N° RG : 20/02422 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GHZU

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de MONTARGIS en date du 24 Septembre 2020

PARTIES EN CAUSE

APPELANTES :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265252777390555

Madame [T] [V] [L] [P] divorcée [R]

née le 12 Décembre 1952 à [Localité 24]

[Adresse 11]

[Localité 16]

comparante en personne, assistée de Me Marie MANDEVILLE de la SCP TERRAJURIS AVOCATS, avocat plaidant au barreau de BOURGES et ayant pour avocat postulant Me Anne CARROGER du barreau d'ORLEANS,

Madame [I] [W] [Z] [P] divorcée [G]

née le 02 Octobre 1956 à [Localité 24]

[Adresse 21]

[Localité 2])

ESPAGNE

ayant pour avocat postulant Me Anne CARROGER du barreau d'ORLEANS et représentée par Me Marie MANDEVILLE de la SCP TERRAJURIS AVOCATS, avocat plaidant au barreau de BOURGES

D'UNE PART

INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265264813337280

Monsieur [D] [P]

né le 01 Septembre 1958 à [Localité 24]

[Adresse 1]

[Localité 17]

ayant pour avocat postulant Me Julie PION de la SCP MERLE-PION-ROUGELIN, avocat au barreau de MONTARGIS et représenté par Me Jean-Christophe TREBOUS de la SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS, avocat plaidant au barreau de BOURGES

Monsieur [S] [P]

né le 28 Juillet 1963 à [Localité 24]

[Adresse 7]

[Localité 18]

ayant pour avocat postulant Me Julie PION de la SCP MERLE-PION-ROUGELIN, avocat au barreau de MONTARGIS et représenté par Me Jean-Christophe TREBOUS de la SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS, avocat plaidant au barreau de BOURGES

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 25 Novembre 2020.

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 20 mars 2023

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats, affaire plaidée sans opposition des avocats à l'audience publique du 09 Mai 2023, à 14 heures, devant Madame Laure-Aimée GRUA, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles en vertu de l'ordonnance N° 92/2020, Magistrat Rapporteur, par application de l'article 786 et 910 alinéa 1 du Code de Procédure Civile.

Lors du délibéré :

Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,

Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,

Madame Laure Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.

ARRÊT :

L'arrêt devait initialement être prononcé le 26 juin 2023, à cette date le délibéré a été prorogé au 03 juillet 2023, puis au 10 juillet 2023.

Greffier :

Madame Fatima HAJBI, Greffier lors des débats et du prononcé.

Prononcé le 10 JUILLET 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

[N] [J] [H] [M] [B], décédée le 25 avril 1974, et [F] [P], décédé le 10 août 2012, ont laisser pour leur succéder les quatre enfants issus de leur mariage, [T], [I], [D] et [S] [P].

Par acte d'huissier de justice du 23 janvier 2018, Mmes [T] et [I] [P] ont assigné leurs frères, [D] et [S] en ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des successions cumulées de leurs parents et rapport des différents avantages indirects et dettes dus par eux.

Par jugement du 24 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Montargis a :

- Ordonné qu'il soit procédé aux opérations de compte, liquidation et partage de des successions,

- Désigné la SCP [Y] et Associés, notaire à Saint Benoit Sur Loire pour procéder à ces opérations,

- Renvoyé les parties devant le notaire qui aura pour mission d'établir un état liquidatif et de procéder au partage après avoir estimé la valeur des biens, les parties pouvant en référer au juge commis,

- Enjoint aux parties d'apporter, dès le premier rendez-vous auprès du notaire, tous les documents et pièces nécessaires,

- Dit que le notaire commis devra dresser un projet d'état liquidatif dans le délai d'un an à compter de sa nomination,

- Dit que le notaire commis pourra s'adjoindre, si la valeur ou la consistance des biens le justifie, un expert, notamment foncier ou géomètre, choisi d'un commun accord entre les parties ou, à défaut, désigné par le juge commis,

- Désigné le juge chargé des expertises pour surveiller le déroulement des opérations en qualité de juge commis, avec lequel les échanges se feront par lettre simple adressée en copie par LRAR aux avocats des parties,

- Dit qu'en cas de difficulté, le notaire désigné consignera les dires des parties en référera au juge commis pour suivre les opérations,

- Dit qu'en cas d'empêchement du notaire ou du magistrat commis, il sera procédé à son remplacement par ordonnance du président du tribunal rendue sur simple requête,

- Rejeté les demandes de rapport à la succession des avantages indirects formulées par Mmes [I] et [T] [P],

- Rejeté les demandes en paiement d'indemnités d'occupation sans titre formulées par celles-ci,

- Réservé les demandes de fixation de l'actif, de liquidation des droits et d'attribution préférentielle formulées,

- Rejeté les demandes plus amples ou contraires,

- Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, et rejeté les demandes formulées à ce titre par les parties,

- Dit que les dépens seront partagés par moitié entre les parties et employés en frais privilégiés de partage.

Selon déclaration au greffe le 25 novembre 2020, Mmes [P] ont relevé appel de cette décision.

Les parties ont conclu. L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 mars 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Les dernières conclusions, remises les 17 mars 23 par Mmes [P], 6 mars 2023 par MM. [P], auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.

Les appelantes demandent de :

- Les déclarer recevables et bien fondées en leur appel,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

- Ordonne l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage des successions,

- Désigne pour y procéder la SCP [Y] et Associés,

- Infirmer le jugement pour le surplus,

Statuant de nouveau,

- Prendre acte de ce que M. [D] [P] reconnaît n'avoir réglé aucun loyer entre les mains de son père pour l'occupation de la maison de [Localité 17] entre le mois de janvier 1983 et le 10 août 2012, date du décès de [F] [P],

- Prendre acte de ce que M. [D] [P] a reconnu être redevable d'une indemnité d'occupation pour l'occupation gratuite, pendant toutes ces années, de la maison de [Localité 17] dans le cadre du projet de partage, daté du 29 juillet 2015,

- Fixer la créance de l'indivision à l'encontre de M. [D] [P] au titre de l'occupation gratuite de la maison à usage d'habitation, située commune de [Localité 17] et cadastrée B [Cadastre 5], à hauteur de 177 500 euros,

- Condamner M. [D] [P] à rapporter à la succession la somme de 177 500 euros,

- Fixer la créance de l'indivision à l'encontre de MM. [D] et [S] [P], correspondant à l'avantage indirect au titre de l'occupation gratuite du hangar situé commune de [Localité 17], à hauteur de 152 400 euros,

- Condamner in solidum MM. [D] et [S] [P] à rapporter à la succession la somme de 152 400 euros,

- Fixer la créance de l'indivision à l'encontre de M. [S] [P], correspondant à l'avantage indirect dont il a bénéficié au titre du non-paiement des fermages dus pour le bail conclu le 29 août 1995, à hauteur de 5 869,27 euros,

- Condamner M. [S] [P] à rapporter à la succession la somme de 5 869,27 euros,

- Fixer la créance de l'indivision à l'encontre de MM. [D] et [S] [P], correspondant à l'avantage indirect dont ils ont bénéficié au titre de l'occupation gratuite des parcelles en nature de terre situées commune de [Localité 17], à hauteur de 17 607,81 euros,

- Condamner in solidum MM. [D] et [S] [P] à rapporter à la succession la somme de 17 607,81 euros,

- Fixer la créance de l'indivision à l'encontre de MM. [D] et [S] [P] au titre du non remboursement des cessions de créance à la somme de 24 391,84 euros,

- Condamner in solidum MM. [D] et [S] [P] à rapporter à la succession la somme de 24 391,84 euros,

- Fixer la créance de l'indivision à l'encontre de M. [D] [P] au titre du trop-perçu de salaires différés à la somme de 6 974,46 euros,

- Condamner M. [D] [P] à rapporter à la succession la somme de 6 974,46 euros,

- Fixer la créance de l'indivision à l'encontre de M. [S] [P] au titre du trop-perçu de salaires différés à la somme de 10 729,77 euros,

- Condamner M. [S] [P] à rapporter à la succession la somme de 10 729,77 euros,

- Fixer la créance de l'indivision à l'encontre de M. [D] [P] au titre du financement par [F] [P] de l'acquisition de parcelles de terres à la somme de 39 940 euros,

- Condamner M. [D] [P] à rapporter à la succession la somme de 39 940 euros,

- Fixer la créance de l'indivision à l'encontre de M. [D] [P] au titre de l'usage privatif d'une maison à usage d'habitation, située commune de [Localité 17] et B [Cadastre 5], dépendant de l'indivision post-successorale, à la somme de 64 000 euros,

- Condamner M. [D] [P] à verser à l'indivision post-successorale la somme de 64 000 euros,

- Fixer la créance de l'indivision à l'encontre de Messieurs [D] et [S] [P] au titre de l'usage privatif du hangar situé commune de [Localité 17] dépendant de l'indivision post-successorale, s'élève à la somme de 153.600 euros,

- Condamner in solidum MM. [D] et [S] [P] à verser à l'indivision post-successorale la somme 153 600 euros,

- Fixer la créance de l'indivision à l'encontre de M. [S] [P] à au titre du non-paiement des fermages dus pour le bail conclu le 29 août 1995 à hauteur de 5 869,27 euros,

- Condamner M. [S] [P] à verser à l'indivision post-successorale la somme de 5 869,27 euros,

- Fixer la créance de l'indivision à l'encontre de MM. [D] et [S] [P] au titre de l'usage privatif des parcelles en nature de terres, situées commune de [Localité 17], dépendant de l'indivision post-successorale, à la somme de 17 607,81 euros,

- Condamner in solidum MM. [D] et [S] [P] à verser à l'indivision post-successorale la somme de 17 607,81 euros,

- Fixer la créance de l'indivision à l'encontre de MM. [D] et [S] [P] au titre des factures acquittées par [F] [P] et l'indivision à la somme de 30 164,86 euros,

- Condamner in solidum MM. [D] et [S] [P] à verser la somme de 30 164,86 euros,

- Fixer l'actif des successions cumulées d'[N] [B], épouse [P], et de [F] [P] à la somme de 1 254 715,85 euros,

- Fixer la quote-part des droits de Mme [T] [P] dans les successions cumulées d'[N] [B], épouse [P], et de [F] [P] au ¿ en pleine propriété,

- Fixer la quote-part des droits de Mme [I] [P] dans les successions cumulées d'[N] [B], épouse [P], et de [F] [P], au ¿ en pleine propriété,

- Fixer les droits de Mme [T] [P] dans les successions cumulées d'[N] [B], épouse [P], et de [F] [P] à la somme de 313 678,96 euros,

- Fixer que les droits de Mme [I] [P] dans les successions cumulées d'[N] [B], épouse [P], et de [F] [P] à la somme de 313 678,96 euros,

- Attribuer à Mme [T] [P] 05 ha 95 a 61 ca des parcelles de terres dépendant des successions cumulées d'[N] [B], épouse [P], et de [F] [P],

- Attribuer à Mme [I] [P] 03 ha 89 a 65 ca des parcelles de terres dépendant des successions cumulées d'[N] [B], épouse [P], et de [F] [P],

- Attribuer en nature à Mme [T] [P] « la partie Nord » de la parcelle ZI [Cadastre 6], située commune de [Localité 17], « à prendre à l'angle de la [Adresse 23] et du [Adresse 22] »,

- Attribuer en nature à Mmes [T] et [I] [P] la parcelle cadastrée ZI [Cadastre 6], située sur la commune de [Localité 17], soit 08 ha 23 a 90 ca,

- Attribuer en nature à Mmes [T] et [I] [P] 01 ha 61 a 36 ca de terres sur la parcelle mitoyenne de la ZI [Cadastre 6],

- Attribuer en nature à Mmes [T] et [I] [P] les parcelles cadastrées ZA, n°[Cadastre 8] et [Cadastre 9] sur la commune des [Localité 20],

- Attribuer en nature à Mme [T] [P] les parcelles cadastrées section B, n°[Cadastre 3] et [Cadastre 4] sur la commune de [Localité 17],

- Désigner tel géomètre qu'il plaira à l'effet de procéder aux divisions cadastrales et au bornage des parcelles à revenir aux soeurs [P],

- Attribuer à Mmes [T] et [I] [P] les liquidités dépendant de la succession,

- Condamner in solidum MM. [D] et [S] [P] à verser à Mmes [T] et [I] [P] la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Rejeter la demande d'expertise visant à évaluer les plantations et aménagements qui ont fait l'objet d'un apport au GAEC [P],

- Juger que les dépens seront employés en frais privilégiés de compte, liquidation et partage.

Les intimés demandent, au visa des articles 720, 815 et suivants, 843 et suivants, 1875 et suivants et 2224 du code civil, et L 411-1 du code rural, de:

- Confirmer le jugement entrepris,

Sauf à le réformer en y ajoutant,

- Fixer l'actif des successions d'[N] [B] et [F] [P] avant évaluation des sommes dues au GAEC pour les installations et plantations sises sur les parcelles à partager :

- L'ensemble des bâtiments dépendant de ces deux successions à 158 977 €,

- L'ensemble des terres agricoles dépendant de ces deux successions à 70 095,00 €,

- L'ensemble des terrains à bâtir dépendant de ces deux successions à 134 337,00 €,

-Le solde du prix de vente de la maison vendue, non partagé, à 87 398,23 €,

-Une créance sur le GAEC [P] de fermages impayés sur 6 ans à 3 811 € /an soit 22 866,00 €,

- Fixer la quote-part des droits des copartageants dans la masse à partager au 1/4, soit 118 418 € avant évaluation des sommes dues au GAEC pour les installations et plantations sises sur les parcelles à partager,

- Attribuer indivisément à MM. [P] [D] et [S], les parcelles B [Cadastre 14] en partie et [Cadastre 15] en partie (600 m²), le hangar agricole sur parcelles B [Cadastre 13], [Cadastre 14] et [Cadastre 12] et la parcelle ZH [Cadastre 19] (0ha 62a 20ca),

- Ordonner le partage des autres terrains agricoles, à l'exception des terrains compris dans le périmètre du contrat de foretage, à égalité de surface entre les 4 copartageants,

- Ordonner que le partage à intervenir tienne compte de la propriété du GAEC [P] sur les édifices et superficies que constituent les plantations et aménagements présents sur les parcelles agricoles à partager,

- Attribuer à M. [D] [P] la maison qu'il habite à [Localité 17],

- Attribuer aux copartageants les terrains à bâtir (parcelle ZA [Cadastre 10] pour 76 387 € et parcelles B [Cadastre 13] et [Cadastre 14] pour 22 950 €) ainsi que les liquidités de façons à équilibrer les lots entre les 4 copartageants pour éviter les soultes,

- Rejeter l'ensemble des demandes contraires de Mmes [T] et [I] [P],

En tout état de cause,

- Rejeter l'ensemble des demandes de Mmes [T] et [I] [P] de condamner MM. [D] et [S] [P] à rapporter des sommes aux successions de leurs parents,

- Rejeter l'ensemble des demandes de fixation d'indemnités dues par MM. [D] et [S] [P] à l'indivision post-successorale et l'ensemble des demandes de condamnation à payer lesdites sommes à l'indivision,

- Condamner solidairement Mmes [T] et [I] [P] à payer à MM. [S] et [D] [P] la somme de 10 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner solidairement Mmes [T] et [I] [P] aux entiers dépens d'instance et d'appel,

- Ordonner que les dépens soient employés en frais privilégiés de comptes, liquidation et partage.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A l'énoncé de l'article 843 du code civil, 'Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.'

Sur les demandes de rapport de donations indirectes

Le premier juge ayant considéré que la preuve de l'intention libérale de [F] [P] n'était pas rapportée, les appelantes font plaider que cette preuve serait rapportée par :

- l'appauvrissement considérable de leur père, au bénéfice d'un enrichissement corrélatif de ses fils [D] et [S] [P],

- l'attachement particulier de [F] [P] envers son fils [D],

- la volonté claire du défunt de transmettre son exploitation préférentiellement à ses fils, au détriment de ses filles, laquelle volonté ressort tant des témoignages fournis que des faits et des dires des intimés,

- la multiplication des avantages et donations indirects accordés par leur père à ses fils,

- l'âge de leur père au moment de la concession de ses avantages, qui ne pouvait raisonnablement espérer être remboursé par ses fils mais avait donc nécessairement l'intention de leur accorder une remise de dettes, sans contrepartie.

Elles considèrent que c'est animé d'une intention libérale manifeste que leur père a consenti les donations suivantes :

- transmission d'un droit d'habitation à titre gratuit au bénéfice de [D] sur la maison d'habitation (2),

- transmission d'un droit d'usage privatif, à titre gratuit, du hangar agricole à MM. [D] et [S] [P] en tant qu'associés gérants du GAEC [P] (3),

- renonciation aux fermages pour le bail conclu au bénéfice de M. [S] [P],

- mise à disposition à titre gratuit de divers terrains agricoles au bénéfice de MM. [D] et [S] [P] en tant qu'associés gérants du GAEC [P] (5),

- renonciation au paiement d'une partie du prix d'une cession de créances consenties à MM. [D] et [S] [P] (6),

- surestimation du montant des salaires différés payés par donation de comptes courants d'associés du GAEC [P] (7),

- donation de sommes d'argent à M. [D] [P] pour l'acquisition de terres agricoles (8),

- donation de sommes d'argent à MM. [D] et [S] [P] par paiement de factures d'eau et d'électricité dans le cadre de leur activité professionnelle (9).

Il est constant que seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l'intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession (Cass. 1re civ., 24 janv. 2018, n° 16-26.971) ; c'est à celui qui invoque l'existence d'une donation d'en rapporter la preuve (Cass. 1re civ., 16 déc. 2020, n° 19-18.472) et que dès lors qu'il se fonde sur le rapport des donations, le juge doit constater l'intention libérale des donateurs (Cass. 1re civ., 21 oct. 2015, n° 14-24.847).

Si la preuve de l'intention libérale peut être rapportée par tous moyens, notamment à l'aide d'un testament révoqué d'où résulte la volonté du de cujus de soumettre le successible ayant bénéficié de l'avantage gratuit au rapport ou d'une lettre missive, cette preuve ne peut résulter de l'attachement particulier du père à son fils [D], d'autant que [S], prétendument bénéficiaire d'avantages, n'est pas concerné par cet attachement, de la multiplicité des avantages consentis ou de l'âge du père, alors qu'il n'est pas prétendu que le père ne jouissait pas de toutes ses facultés mentales lorsqu'il a consenti l'avantage.

- l'occupation de la maison d'habitation par [D]

Les appelantes indiquent qu'il occupe la maison d'habitation située à [Localité 17], cadastrée B [Cadastre 5] depuis le mois de janvier 1983. Elles considèrent que l'absence de tout versement d'indemnité jusqu'au décès de son père a constitué un appauvrissement et un manque à gagner pour ce dernier, le prêt à usage étant exclu, la mise à disposition emportant transfert de l'usus ; l'intention libérale est selon elles caractérisée.

Cependant, l'occupation gratuite d'une habitation ne donne pas lieu à rapport dès lors que l'intention libérale et l'élément matériel de la donation ne sont pas démontrés. Une telle occupation s'analyse comme un prêt à usage. Or, ce dernier ' constitue un contrat de service gratuit, qui confère seulement à son bénéficiaire un droit à l'usage de la chose prêtée mais n'opère aucun transfert d'un droit patrimonial à son profit, notamment de propriété sur la chose ou ses fruits et revenus, de sorte qu'il n'en résulte aucun appauvrissement du prêteur' (Cass. 1re civ., 11 oct. 2017, n° 16-21.419).

La décision qui a débouté les appelantes de leur demande de rapport doit être approuvée.

- l'occupation d'un hangar par [D] et [S]

Les appelantes relatent que le 1er septembre 1995, leur père a cédé à ses fils [S] et [D] l'intégralité de ses parts sociales dans le GAEC [P] et fils ; depuis au moins janvier 2002, [D] et [S] ont occupé, pour le stockage et la vente de fruits, à titre gratuit, le hangar de 1.200 m², situé dans le centre bourg de [Localité 17]. Elles soutiennent que le versement d'une contrepartie pour l'occupation du hangar aurait nécessairement permis à leur père d'améliorer son train de vie et ensuite, de financer sa maison de retraite, cet appauvrissement ayant pour corollaire l'enrichissement dont a bénéficié ses fils pendant toutes ces années, correspondant à la possibilité de réemployer ces sommes économisées pour d'autres projets notamment l'acquisition de nouvelles terres.

Les parties s'opposent sur la qualification à donner à l'occupation du hangar, les intimés prétendant qu'il s'agit d'un bail rural verbal, et sur le titulaire du droit d'en user, les intimés prétendant que c'est le GAEC qui aurait bénéficié de cet avantage.

Cependant, cette occupation gratuite par les fils du défunt, comme pour la maison d'habitation, ne donne pas lieu à rapport, faute par les appelantes de démontrer l'existence de l'intention libérale ayant pu animer leur père lors de la mise à disposition, la décision les déboutant de leur demande doit être confirmée.

- Les fermages impayés

Les appelantes indiquent que suivant acte authentique en date du 29 août 1995, leur père a consenti à [S] un bail rural à long terme d'une durée de 18 années et 4 mois entières et consécutives, commençant à courir le 1er juillet 1995 pour expirer le 1er novembre 2013, sur diverses parcelles en nature de terre, d'une contenance totale de 04 ha 72 a 50 ca, moyennant le paiement d'un fermage annuel de 3 500 francs ou 533,57 euros. Le 1er septembre 1995, ce bail a été mis à disposition par [S] [P] au profit du GAEC [P]. Or, depuis au moins 2002, ni [S] [P], ni le GAEC [P] pourtant solidairement tenu au titre de la mise à disposition, ne se sont acquitté des fermages dus à [F] [P] ou à l'indivision [P] et se dispensent en outre de planter et de cultiver les terres en totale contravention avec leurs obligations de preneurs à bail.

Elles considèrent que la non réclamation du paiement des fermages est un avantage accordé à MM. [D] et [S] [P], la mise à disposition au profit du GAEC [P] étant totalement indifférente.

Si les intimés ne contestent pas que la totalité des fermages n'a pas été réglée, il n'en demeure pas moins que le défaut de réclamation du paiement ne peut caractériser une libéralité indirecte faute de preuve de l'intention libérale du défunt.

La décision qui déboute les appelantes de leur demande de rapport des sommes correspondantes sera confirmée de ce chef.

- l'occupation de parcelles de terre

Les appelante indiquent que leurs frères, et le GAEC, exploitent sans titre et sans verser la moindre indemnité, des parcelles situés à [Localité 17] d'une superficie de 12ha 92a 10ca. Elles considèrent que l'absence de règlement en contrepartie de la jouissance des parcelles constitue, une fois encore, un avantage indirect constitutif d'une donation dont ils doivent rapport à la succession.

Faute de preuve de l'intention libérale de leur père, la demande de rapport ne peut être accueillie.

- le non règlement d'une cession de créances

Les appelantes relatent que le 1er septembre 1995, [F] [P] a cédé à ses fils [S] et [D] l'intégralité de ses parts sociales. A l'occasion de cette cession de parts sociales, il a également cédé, à chacun de ses fils, la moitié de son compte courant d'associé soit 125 000 francs chacun, soit 250 000 francs au total, à charge pour ses deux enfants de lui rembourser annuellement la somme de 50 000 francs. Or, s'ils se sont effectivement acquittés, entre les mains de leur père, de la somme de 90 000 francs (en quatre remboursements de 50 000 francs, 20 000 francs, 10 000 francs et 10 000 francs entre le 1er janvier 1999 et le 19 avril 2000), MM. [S] et [D] [P] se sont abstenus, en revanche, de régler le solde de 160 000 francs, soit 24 391,84 euros.

Elles considèrent que l'abandon des créances par [F] [P] constitue de toute évidence une libéralité portant sur un prix de cession qui aurait dû légitimement être porté à l'actif de son patrimoine mais dont il s'est privé.

Cependant l'absence de réclamation d'un paiement ne suffit pas à prouver l'intention libérale du créancier.

La décision qui a débouté les appelantes de leur demande de rapport sera confirmée.

- le trop-perçu au titre de créances de salaires différés

Les appelantes prétendent qu'aux termes d'une étude approfondie, le cabinet d'Expertise comptable Leprince Expert SARL a mis en évidence que [D] et [S] [P] avaient perçu au titre de leurs créances de salaires différés, des sommes supérieures à leurs droits. S'étant abstenus de rembourser la somme de 17 704,23 euros, elles considèrent que ce trop perçu est constitutif d'une donation dont ils doivent rapport à la succession, ajoutant qu'en choisissant de verser à ses fils des sommes plus importantes au titre des salaires différés, leur père entendait nécessairement les gratifier, cette seule constatation faisant ressortir qu'il était animé d'une intention libérale en versant, en connaissance de cause, des sommes indues à ses fils.

S'il n'est donné aucune explication sur le tableau établi par le cabinet précité, il n'en demeure pas moins qu'aucun rapport ne peut être ordonné sans preuve de l'intention libérale.

En conséquence, la décision qui les déboute de leur demande sera approuvée.

- le financement d'achat de terres au profit de [D]

Les appelantes prétendent qu'aux termes de deux reçus dressés par Maître [Y] les 29 avril et 8 juillet 1992 et d'une lettre explicite de [F] [P], il apparaît que ce dernier a financé le prix d'acquisition de terres d'une contenance d'environ 8 hectares appartenant à M. [X] [A] pour le compte de son fils [D] [P] à hauteur de 39 940 euros. Elles considèrent que leur père, animé d'une intention libérale, a donc fait donation à son fils [D] de sommes d'argent en lui achetant des biens immobiliers. Cette donation constitue une libéralité rapportable.

Faute de prouver que le financement a été fait avec une intention libérale, le rapport ne peut être ordonné.

- le paiement de factures d'eau et d'électricité pour le compte des intimés

Les appelantes font plaider que leur père et l'indivision post-successorale se sont acquittés, pour le compte de [D] et [S] de différentes factures d'eau et d'électricité pour un montant total de 30 164,86 euros. Elles considèrent que le non remboursement des factures doit s'analyser en une donation indirecte rapportable à la succession en raison de l'appauvrissement de leur père et de son intention libérale.

Le rapport est exclu, faute d'intention libérale et elles seront déboutées de leur demande, étant précisé qu'il appartient au notaire d'établir le compte de l'indivision.

Sur les autres demandes

- l'occupation privative de la maison d'habitation par [D]

Il est certain que l'article 815-9 du code civil rend l'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise redevable d'une indemnité.

Cependant, l'indemnité d'occupation mise à la charge de l'indivisaire doit être déterminée en ayant égard à la valeur locative des biens, l'enrichissement procuré à l'indivision par les dépenses effectuées par cet indivisaire pour la conservation et l'amélioration du bien occupé par lui étant compensé par l'indemnité fixée selon l'article 815-13. Inversement, l'indivisaire répond des dégradations et détériorations qui ont diminué la valeur des biens indivis par son fait ou par sa faute.

Les appelantes ne produisant aucun document établi contradictoirement permettant de déterminer le montant de l'indemnité pouvant être mise à la charge de ses frères pour l'occupation des immeubles successoraux, c'est à raison que le premier juge a renvoyé au notaire, lequel donnera son avis sur le montant des indemnités, après recours, si besoin, à un expert.

Il faut préciser que [D] [P] ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 1879 du code civil stipulant que les engagements qui se forment par le prêt à usage passent aux héritiers de celui qui prête. En effet, depuis le décès de ses parents, étant propriétaire indivis des immeubles, il cumulerait alors les qualités de prêteur, en succédant à ses parents, et d'emprunteur. Il ne fait donc aucun doute qu'en sa qualité d'indivisaire, il est redevable de l'indemnité prévue à l'article 815-19.

- l'occupation par [D] et [S] du hangar agricole

Les appelantes demandent la fixation de l'indemnité d'occupation à un montant de 1 200 euros par mois x 128 mois (du mois d'août 2012 au mois de février 2023) = 153 600 euros.

Il n'est pas possible de faire droit à une telle demande en l'absence d'éléments permettant la fixation de la valeur locative du hangar.

L'indemnité d'occupation étant due pour l'occupation privative de ce hangar, il sera fait renvoi au notaire, lequel donnera son avis sur le montant des indemnités, après recours, si besoin, à un expert.

- les parcelles de terres occupées par [D] et [S]

Les appelantes demandent de condamner in solidum MM. [D] et [S] à verser à l'indivision post-successorale la somme de 17 607,81 euros.

Pour les raisons sus-indiquées, il ne peut être fait droit à cette demande.

L'indemnité d'occupation étant due, il sera fait renvoi au notaire, lequel donnera son avis sur le montant des indemnités, après recours, si besoin, à un expert.

- la liquidation des droits des parties et les demandes d'attribution préférentielles

Les forces de la succession n'étant pas déterminées, la cour n'est pas en mesure de se prononcer sur le montant de la part de chacun ou sur les attributions préférentielles.

Il sera fait renvoi au notaire pour la poursuite des opérations de liquidation et la formation des lots, la juridiction ne statuant que sur les éventuelles difficultés figurant au procès-verbal.

Sur les demandes annexes

Les appelantes qui succombent seront condamnées in solidum au paiement des entiers dépens d'appel et à verser aux intimés une indemnité de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort ;

CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il rejette les demandes en paiement d'indemnités d'occupation sur la maison, le hangar et les terres formées par Mmes [T] et [I] [P] ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

PRECISE que MM. [D] et [S] [P], indivisaires, ne peuvent se prévaloir d'un prêt à usage sur les biens devenus indivis ;

DIT MM. [D] et [S] [P] redevables d'une indemnité d'occupation pour l'occupation de la maison, du hangar et des terres;

FAIT renvoi au notaire, lequel donnera son avis sur le montant des indemnités dues, après recours, si besoin, à un expert.

REJETTE les demandes plus amples ou contraires;

CONDAMNE in solidum Mmes [T] et [I] [P] au paiement des entiers dépens d'appel et d'une indemnité de procédure de 1000 euros à MM. [D] et [S] [P]

Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Président à la Cour d'Appel d'ORLEANS et Madame Fatima HAJBI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 20/02422
Date de la décision : 10/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-10;20.02422 ?
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