COUR D'APPEL D'ORLÉANS
C H A M B R E C I V I L E
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 10/07/2023
la SCP SIMARD VOLLET OUNGRE CLIN
la SELARL MOUREU ASSOCIES
ARRÊT du : 10 JUILLET 2023
N° : - N° RG : 20/01226 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GFIG
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ORLEANS en date du 13 Mai 2020
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265251310566255
Madame [N] [U]
née le 06 Octobre 1947 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 3]
comparante
assistée de Me Daniel OUNGRE de la SCP SIMARD VOLLET OUNGRE CLIN, avocat au barreau d'ORLEANS
D'UNE PART
INTIMÉE : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265253567247975
S.A. L'OREAL, société anonyme immatriculée au RCS de PARIS sous le n° 632012100, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 1]
[Localité 4]
ayant pour avocat postulant Me Bénédicte GREFFARD - POISSON, avocat au barreau d'ORLEANS et représentée par Me Audrey ALLAIREsubstituant Me Xavier LEBRASSEUR de la SELARL MOUREU ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS,
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 07 Juillet 2020.
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 03 avril 2023
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, affaire plaidée sans opposition des avocats à l'audience publique du 23 Mai 2023, à 14 heures, devant Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller, Magistrat Rapporteur, par application de l'article 786 et 910 alinéa 1 du Code de Procédure Civile.
Lors du délibéré :
Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller
Madame Laure Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
ARRÊT :
L'arrêt devait initialement être prononcé le 03 juillet 2023, à cette date le délibéré a été prorogé au 10 juillet 2023,
Greffier :
Madame Fatima HAJBI, Greffier lors des débats et du prononcé.
Prononcé le 10 JUILLET 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [U] s'est fait pratiquer une coloration des cheveux dans un salon de coiffure en septembre 2013.
Estimant que cette coloration lui avait causé des dommages et que le produit utilisé émanait de la société L'Oréal, elle a fait assigner celle-ci devant le tribunal de grande instance d'Orléans aux fins d'indemnisation.
Par jugement du 13 mai 2020, le tribunal judiciaire d'Orléans a':
- dit Mme [U] irrecevable en ses demandes';
- débouté la société L'Oréal de sa demande de dommages-intérêts au titre d'une procédure abusive';
- condamné Mme [U] à payer à la société L'Oréal la somme de 1'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';
- condamné Mme [U] aux dépens de l'instance.
Pour statuer ainsi, le tribunal a notamment considéré qu'à défaut de justifier de la fourniture par la défenderesse du produit dont le défaut est allégué, la demanderesse est irrecevable en sa demande en l'absence d'intérêt à agir.
Par déclaration du 7 juillet 2020, Mme [U] a interjeté appel de tous les chefs du jugement.
Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 17 mars 2023, Mme [U] demande de':
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions';
- condamner la société L'Oréal à lui payer la somme de 40'000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 2018, date de l'acte introductif d'instance de première instance';
- condamner la société L'Oréal à lui payer la somme de 5'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
- condamner la société L'Oréal aux entiers dépens de première instance et d'appel';
- débouter la société L'Oréal de toutes demandes contraires ou plus amples.
Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le, 30 novembre 2020, la société L'Oréal demande de':
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré l'action et les demandes de Mme [U] irrecevables';
Statuant à nouveau':
- condamner Mme [U] à lui payer la somme de 5'000 euros à titre de dommages et intérêts';
- condamner Mme [U] à lui payer la somme de 3'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens';
A titre subsidiaire,
- juger que Mme [U] ne démontre pas l'existence d'un défaut sur le produit de la société L'Oréal';
- juger que Mme [U] ne démontre pas l'existence d'un dommage';
- juger que Mme [U] ne démontre pas l'existence d'un lien de causalité entre le dommage subi par elle et le défaut du produit de la société L'Oréal';
En conséquence,
- rejeter les demandes présentées à son encontre sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux';
- débouter Mme [U] de l'ensemble de ses demandes sur ce fondement';
- condamner Mme [U] à lui payer la somme de 5'000 euros à titre de dommages et intérêts';
- condamner Mme [U] à lui payer la somme de 3'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens';
A titre très subsidiaire,
- ramener l'indemnisation des préjudices subis par Mme [U] à de plus justes proportions, dans la limite d'une indemnisation totale de 2'300'€.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'action
Moyens des parties
L'appelante soutient que l'attestation de Mme [R] établit qu'elle s'est vu appliquer le produit litigieux dans le salon Gautrey Coiffure et que son action à l'encontre du fabricant dudit produit est donc fondée'; qu'elle produit le ticket de carte bleue à l'en-tête du salon Gautrey Coiffure en date du 14 septembre 2013 correspondant aux prestations de coiffure/coloration réalisées à cette date sur sa personne'; qu'elle justifie donc de ses prétentions de sorte que le jugement entrepris devra être infirmé en ce qu'il l'a déclarée irrecevable en son action.
L'intimée réplique que la requérante ne démontre, pas plus qu'en première instance, l'existence d'un intérêt à agir à son encontre'; qu'à défaut de justifier de la fourniture par la partie mise en cause du produit dont la défectuosité est alléguée, la partie adverse est irrecevable en sa demande'; qu'aucun élément probant ne la relit à Mme [U] qui ne produit aucun élément de nature à démontrer l'existence d'une traçabilité du produit prétendument utilisé'; que Mme [U] ne semble même pas être certaine de la date de la prétendue application du produit, puisque dans son assignation elle vise le 14 septembre 2013, mais sa pièce n°1 mentionne que la coloration a été effectuée le 13 septembre 2013'; que le certificat d'évaluation de dommage corporel, établi près d'un an après les faits, ne fait que retranscrire les seules déclarations de Mme [U]'; qu'elle produit une attestation qui devra être écartée des débats en l'absence de conformité à l'article 202 du code de procédure civile, établie plus de cinq ans après les faits allégués, qui vient faire état de prétendus problèmes de brûlures après application d'un éclaircissant Majiblond, sans toutefois indiquer que cela aurait été le cas pour Mme [U]'; que l'identification du produit prétendument utilisé ne ressort d'aucune pièce versée aux débats de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré l'action irrecevable.
Réponse de la cour
L'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention.
L'intérêt à agir d'une personne existe lorsque l'action qu'elle exerce tend à statuer sur une question de droit dont les conséquences juridiques sont de nature à lui conférer un avantage.
L'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action, ainsi que l'a d'ailleurs jugé la Cour de cassation (2e Civ., 6'mai 2004, n°'02-16.314, Bull. civ., II, n°'205'; 1re Civ., 2'novembre 2005, pourvoi n°'02-17.697, Bull. civ., I, n°'394'; 2e Civ., 23 janvier 2020, pourvoi n° 18-24.432).
En l'espèce, Mme [U] allègue et justifie avoir bénéficié d'une prestation dans un salon de coiffure, et avoir subi postérieurement des dommages corporels. En conséquence, elle dispose d'un intérêt à agir de sorte que son action ne peut être déclarée irrecevable au motif qu'elle ne démontrerait pas que la responsabilité de la société L'Oréal est susceptible d'être engagée.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a dit Mme [U] irrecevable en ses demandes.
Sur le bien-fondé de l'action
Moyens des parties
L'appelante soutient que la responsabilité de la société L'Oréal est engagée sur le fondement des articles 1245 et suivants du code civil'; que le 13 septembre 2013, au salon Gautrey Coiffure de [Localité 6] (45), elle a reçu une coloration réalisée avec le produit Majiblond 900S (30 vol.) commercialisé par la société L'Oréal'; que l'utilisation de ce produit a eu deux séries de conséquences imprévues et dommageables': une décoloration permanente des racines de ses cheveux, désormais grises'; des démangeaisons marquées du cuir chevelu'; qu'elle justifie que dix ans après l'utilisation du produit, elle est toujours soignée pour son cuir chevelu'; que le certificat médical du Dr [L] a été soumis à une discussion contradictoire, et dispose d'une valeur probante puisque la société L'Oréal en analyse les différents éléments sans remettre en cause l'authenticité des constatations et appréciations du médecin'; que le défaut du produit est établi au regard des effets dommageables sur elle et sur d'autres utilisateurs'; que le lien de causalité se déduit de l'utilisation du produit incriminé sur elle et de la survenance consécutive d'un dommage'; que les dommages subis persistent tant dans sa vie professionnelle que dans sa vie privée, justifiant l'allocation d'une somme de 40'000 euros.
L'intimée réplique que l'appelante ne démontre ni le dommage, ni le défaut et a fortiori le lien de causalité entre le défaut et le dommage'; que Mme [U] n'a pas jugé utile de l'associer à l'expertise non judiciaire dont la force probante est douteuse'; que les faits du 13 septembre 2013 tels que mentionnés dans le certificat ne résultent que des simples dires de Mme [U] sans qu'aucun élément de preuve ne permette de vérifier sa version des faits et encore moins l'utilisation d'un produit de la marque L'Oréal'; que les attestations produites, non-conformes aux exigences formelles du code de procédure civile, n'établissent pas l'existence objective d'un dommage'; que Mme [U] ne démontre pas subir un préjudice professionnel qui serait lié au dommage allégué ce d'autant que le Dr [L] n'a retenu aucun préjudice esthétique permanent, qui lui serait éventuellement préjudiciable dans ses rapports avec la clientèle'; que Mme [U] ne rapporte pas la preuve de l'usage d'un produit L'Oréal, et son implication dans la survenance du dommage'; que la défectuosité du produit n'étant pas démontrée, celle du lien de causalité entre le défaut et le dommage ne l'est pas non plus.
Réponse de la cour
Le fait dommageable allégué datant du 14 septembre 2013, seules les dispositions du code civil dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°'2016-131 du 10 février 2016 peuvent s'appliquer.
L'article 1386-1 du code civil, dans sa version applicable, dispose que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
L'article 1386-9 du code civil, dans sa version applicable, dispose que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
En l'espèce, Mme [U] produit des certificats médicaux et ordonnances établissant qu'elle souffre d'un eczéma de contact au niveau du cuir chevelu depuis au moins le mois d'avril 2014, pour lequel elle est toujours soignée. Les attestations produites indiquent que ces problèmes cutanés sont apparus en septembre 2013 postérieurement à une prestation dans un salon de coiffure. Ces différents éléments démontrent que Mme [U] subit des souffrances physiques et morales depuis plusieurs années à raison de l'eczéma de contact lui causant notamment des démangeaisons.
Il lui appartient cependant d'établir l'utilisation du produit incriminé, le défaut de celui-ci et le lien de causalité entre ce défaut et le dommage subi.
Mme [U] produit un ticket de caisse en date du 14 septembre 2013 mentionnant les prestations suivantes réalisées au salon de coiffure Gautrey Coiffure de [Localité 6]': «'Brushing chx courts'» pour le prix de 13,60 euros TTC, et un shampooing pour le prix de 4,10 euros TTC.
Ce document n'établit donc pas que Mme [U] a fait réaliser une décoloration dans ce salon de coiffure ni qu'un produit de marque L'Oréal aurait été utilisé.
L'appelante produit une attestation établie de manière manuscrite par Mme [O] [R], rédigée en ces termes':
«'Déclare par la présente lettre avoir exercé le métier de coiffeuse au salon Gautrey, où Madame [U] était cliente. J'ai rencontré les mêmes problèmes de brûlures dans la nuque, sur ma personne, après l'application du super éclaircissant Majiblond (900S) avec l'oxydant crème 30 volume de la marque L'Oréal le 14 septembre 2013 au salon Gautrey à Travers'».
Ce témoignage qui ne précise pas les dates auxquelles Mme [R] a été employée au salon de coiffure, ne mentionne nullement qu'un produit éclaircissant de marque L'Oréal aurait été utilisé sur Mme [U], lors de son passage au salon de coiffure le 14 septembre 2013.
L'appelante, qui n'allègue pas avoir tenté d'engager la responsabilité du salon de coiffure, ne produit aucun élément propre à démontrer que ce salon utilisait le produit incriminé et qu'il aurait été utilisé sur sa personne le 14 septembre 2013, nonobstant l'absence de précision sur le ticket de caisse d'une prestation de décoloration au moyen d'un produit éclaircissant.
En outre, Mme [U] n'a pas sollicité une expertise judiciaire dans les mois suivants l'apparition de son eczéma de contact qui aurait permis d'éclairer de manière objective la juridiction sur l'origine des troubles subis et sur son imputabilité éventuelle à un produit de coiffure déterminé, ou à ses conditions d'utilisation par le salon de coiffure. Le prononcé d'une expertise judiciaire au stade de la cour d'appel, par ailleurs non sollicitée, est désormais exclu en raison de l'ancienneté des troubles, des traitements déjà subis, et du fait que la composition chimique du produit incriminé a pu substantiellement évoluer au cours des années.
Il résulte de ces éléments que la preuve du lien de causalité entre le dommage et l'utilisation d'un produit de marque L'Oréal n'est pas établie, de sorte que Mme [U] doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes.
Sur la demande de dommages pour procédure abusive
La société L'Oréal ne rapporte pas la preuve que le droit fondamental d'agir en justice aurait été abusivement exercé par Mme [U]. En outre, il convient de rappeler que le jugement est infirmé en ce qu'il a déclaré les demandes de Mme [U] irrecevables sans statuer au fond. En conséquence, la société L'Oréal sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée en cause d'appel.
Sur les dispositions accessoires
Si le jugement doit être confirmé en ce qu'il a laissé la charge des dépens à Mme [U], il n'est pas conforme à l'équité de la condamner au paiement d'une quelconque somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Le jugement sera donc infirmé de ce chef, et il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME le jugement en ce qu'il a':
- dit Mme [U] irrecevable en ses demandes';
- condamné Mme [U] à payer à la société L'Oréal la somme de 1'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';
LE CONFIRME pour le surplus';
STATUANT À NOUVEAU sur les chefs infirmés et Y AJOUTANT':
DÉCLARE les demandes formées par Mme [U] recevables';
DÉBOUTE Mme [U] de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la société L'Oréal';
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';
CONDAMNE Mme [U] aux entiers dépens d'appel.
Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Président à la Cour d'Appel d'ORLEANS et Madame Fatima HAJBI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT