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22/06/2023 | FRANCE | N°21/01212

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Chambre sociale, 22 juin 2023, 21/01212


C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE - A -

Section 2

PRUD'HOMMES

Exp + GROSSES le 22 JUIN 2023 à

la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS

la SELARL A.K.P.R.





LD

ARRÊT du : 22 JUIN 2023



N° : - 23



N° RG 21/01212 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GLFL



DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTARGIS en date du 18 Mars 2021 - Section : ENCADREMENT



ENTRE



APPELANT :



Monsieur [S] [Z]>
[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]





représenté par Me Isabelle TURBAT de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau d'ORLEANS,

ayant pour avocat plaidant Me Benjamin ...

C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE - A -

Section 2

PRUD'HOMMES

Exp + GROSSES le 22 JUIN 2023 à

la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS

la SELARL A.K.P.R.

LD

ARRÊT du : 22 JUIN 2023

N° : - 23

N° RG 21/01212 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GLFL

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTARGIS en date du 18 Mars 2021 - Section : ENCADREMENT

ENTRE

APPELANT :

Monsieur [S] [Z]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Isabelle TURBAT de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau d'ORLEANS,

ayant pour avocat plaidant Me Benjamin RENAUD de la SELARL RENAUD AVOCATS, avocat au barreau de LYON

ET

INTIMÉE :

S.A. HUTCHINSON

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Christophe BORÉ de la SELARL A.K.P.R., avocat au barreau de VAL-DE-MARNE

Ordonnance de clôture : 23 fevrier 2023

A l'audience publique du 16 Mars 2023

LA COUR COMPOSÉE DE :

Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,

Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller,

Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, conseiller,

Assistés lors des débats de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier.

Puis ces mêmes magistrats ont délibéré dans la même formation et le 22 juin 2023, délibéré initialement prévu le 25 mai 2023, Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier, a rendu l'arrêt par mise à disposition au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

M.[S] [Z] a été engagé du par la société Hutchinson (S.A.) en qualité d'ingénieur de recherche dans le cadre d'une convention industrielle de formation par la recherche pour une durée de trois ans entre le 21 novembre 2005 au 20 novembre 2008. La relation de travail s'est poursuivie par contrat à durée indéterminée, M. [Z] étant engagé en qualité de chef de projet.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale du caoutchouc du 6 mars 1953.

Dans le dernier état de la relation de travail et depuis le 1er août 2017, M.[Z] a occupé le poste de responsable de laboratoire.

Le 11 octobre 2018, la société a mis à pied à titre conservatoire M. [Z] et l'a convoqué le 25 octobre 2018 à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement qui s'est déroulé le 7 novembre 2018.

Le 12 novembre 2018 la société a notifié, à M. [Z], son licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Le 27 novembre 2018, M. [Z] a sollicité des précisions sur son licenciement auquel l'employeur y a répondu le 11 décembre 2018.

Par requête du 12 novembre 2019, Monsieur [S] [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Montargis aux fins de reconnaître l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, de prendre acte de la sommation faite à la société de produire l'intégralité des auditions réalisées dans le cadre de son enquête ainsi que le paiement de diverses sommes en conséquence.

Par jugement du 18 mars 2021, auquel il est renvoyé pour un plus ample exposé du litige, le conseil de prud'hommes de Montargis a :

Dit que le licenciement de Monsieur [S] [Z] est fondé sur une cause réelle et

sérieuse ;

Dit que le licenciement de Monsieur [S] [Z] est exempt de mesure vexatoire;

Débouté Monsieur [S] [Z] de l'ensemble de ses demandes ;

Condamné Monsieur [S] [Z] à verser la somme de 1 500.00 euros à la SA Hutchinson au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Débouté les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires ;

Condamné Monsieur [S] [Z] aux entiers dépens.

Le 14 avril 2021, Monsieur [S] [Z] a relevé appel de cette décision.

***

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions remises au greffe le 8 juillet 2021 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du Code de procédure civile et aux termes desquelles Monsieur [S] [Z] demande à la cour de :

Déclarer M. [Z] bien fondé en son appel,

Y faisant droit,

Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Montargis en ce qu'il a

« Dit que le licenciement de Monsieur [S] [Z] est fondé sur une cause réelle et sérieuse

Dit que le licenciement de Monsieur [S] [Z] est exempt de mesure vexatoire

Débouté Monsieur [S] [Z] de l'ensemble de ses demandes

Condamné Monsieur [S] [Z] à verser la somme de 1 500 euros à la SA Hutchinson au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Débouté les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires

Condamné Monsieur [S] [Z] aux entiers dépens »

Et, statuant à nouveau, de

Juger sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [Z]

Juger que le licenciement de M. [Z] est intervenu dans des circonstances vexatoires

Par conséquent,

Condamner la société Hutchinson au paiement des sommes suivantes :

- Dommages et intérêts pour licenciement abusif 69 693 euros

- Dommages et intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement 12 120 euros

Juger que les sommes produiront intérêts de droit à compter de la demande en justice,

Condamner la société Hutchinson à verser à M. [Z] la somme

de 3.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile ;

Condamner la même aux entiers dépens

***

Vu les dernières conclusions remises au greffe le 6 octobre 2021 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du Code de procédure civile et aux termes desquelles la S.A. Hutchinson demande à la cour de :

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions

Y ajoutant

Condamner Monsieur [S] [Z] à payer la société Hutchinson SA la somme de

3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.

Le condamner aux dépens d'appel

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 23 février 2023.

MOTIFS DE LA DECISION:

-Sur la nature de la mise à pied et l'existence d'une double sanction

M. [Z] fait valoir que le délai tardif de quatorze jours, sans motif légitime, entre la notification de sa mise à pied conservatoire et le licenciement entraîne la requalification de la mesure en une mise à pied à titre disciplinaire. Il poursuit en faisant valoir que le licenciement contrevient dès lors au principe de «non bis in idem» et qu'il ne pouvait pas faire l'objet d'une seconde sanction pour les mêmes faits.

Il est constant que le 11 octobre 2018, la société a remis, en main propre, à M. [Z] un courrier dans lequel elle lui notifie une mise à pied à titre conservatoire, pour un temps à durée indéterminée, afin de mener des investigations sur les faits graves qui ont été portés à sa connaissance et dans l'attente des suites qui pourraient être données aux dits faits.

Le 25 octobre 2018, M. [Z] a été convoqué, par courrier recommandé avec accusé de réception, à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement, entretien qui s'est déroulé le 7 novembre 2018.

Ce délai de quatorze jours qui s'est écoulé entre la notification de la mise à pied à titre conservatoire et la convocation à l'entretien préalable à un éventuel licenciement, qui caractérise l'engagement de la procédure de licenciement, a été utilisé par la société Hutchinson pour procéder à une enquête à la suite à l'alerte effectuée mi-septembre par le médecin du travail pour des faits rapportés par des salariés concernant des problèmes relationnels et organisationnels en rapport avec le management de M. [Z], alerte réitérée par écrit le médecin relatant une situation de souffrance au travail et demandant à la société d'intervenir.

Si l'enquête n'a pas fait l'objet d'un compte rendu écrit, il apparaît que la société Hutchinson a procédé à des auditions et recueils de témoignages sur les faits objets du signalement auprès du personnel affecté au laboratoire dont M. [Z] avait la responsabilité. Elle produit, en ce sens, de nombreuses attestations accréditant la réalisation d'une enquête. La réalité de l'enquête est, par ailleurs, confirmée par les pièces de M. [Z], particulièrement le témoignage de M.[M], autre salarié, qui confirme avoir été entendu le 12 octobre 2018 par Mme [Y], directrice d'établissement et directrice des ressources humaines, précisant qu'il n'avait pas rencontré de difficulté particulière avec M. [Z].

La cour considère que le délai, qui n'apparaît pas excessif, a permis à l'employeur de prendre la pleine mesure de la réalité des faits dénoncés par le médecin du travail et lui a permis de donner la suite qu'il estime justifiée au regard des éléments recueillis durant la phase d'investigation.

Ce délai est , en outre, justifié par l'intérêt -même du salarié mis en cause pour des faits graves.

La procédure de licenciement a rapidement été mis en oeuvre à l'issue de l'enquête interne.

Ainsi, il ne peut être valablement soutenu que la mise à pied dont M. [Z] a fait l'objet revêt un caractère disciplinaire et qu'il aurait ainsi déjà été sanctionné pour les mêmes faits lorsque le licenciement a été prononcé.

Ce moyen tendant à dire que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse sera écarté.

- Sur le délai tardif de notification du licenciement

M. [Z] fait valoir que le licenciement est intervenu plus d'un mois après la mise à pied prononcée à titre conservatoire.

Selon les dispositions de l'article L.1332-2 du code du travail, l'employeur ne peut prendre de sanction moins de deux jours ouvrables après l'entretien préalable et doit notifier le licenciement disciplinaire dans le délai d'un mois à compter dudit entretien.

Ce délai d'un mois ne court pas à compter de la mise à pied conservatoire.

Au cas d'espèce, la cour relève que M. [Z] a été licencié le 12 novembre 2018 après avoir été convoqué à un entretien préalable en vue d'un licenciement qui s'est tenu le 7 novembre 2018. Ainsi, un délai de cinq jours s'est écoulé entre l'entretien préalable et la notification du licenciement ; ce qui apparaît conforme aux règles précitées.

Le moyen tiré d'une notification tardive du licenciement sera écarté.

- Sur la motivation de la lettre de licenciement :

Selon l'article L. 1232-6 du code du travail, 'lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec accusé de réception. Cette lettre comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur. '

Selon une jurisprudence constante, la lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables, l'employeur étant en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de vérifier ce motif. Il n'est pas requis que les faits soient datés (Soc., 20 octobre 2015, pourvoi n° 14-15.565)

Au cas d'espèce, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige indique :

«[...] en premier lieu que vous avez fait entrave au bon fonctionnement du Centre de Recherche et Innovation (CRI) à de nombreuses reprises et en second lieu que vos pratiques managériales ont dégradé les conditions de travail au sein du laboratoire (service) Polymères TP innovations dont vous êtes en charge et au sein du Laboratoire Polymère TP applications avec lequel vous travaillez en étroite collaboration et dont vous partagez les locaux et matériels.

A titre d'exemples de votre entrave au bon fonctionnement du CRI à de nombreuses reprises :

Vous avez sciemment ralenti le fonctionnement de votre service ainsi que d'autres services du Centre de Recherche et Innovation en ordonnant à plusieurs reprises, à un membre de votre équipe de ne pas répondre aux demandes de la personne en charge des travaux au sein du CRI ce, avec la volonté manifeste, de nuire à ce collègue.

Ces ordres ont eu pour conséquence de retarder les travaux au sein de votre laboratoire Polymères TP innovations et du laboratoire Polymère applications avec lequel vous partagez les locaux et matériels.

Cela a également engendré des retards dans les projets.

Enfin, votre attitude a contribué à faire subir à la personne en charge de travaux une pression élevée et inutile, du fait des retards et de la désorganisation dans son travail, ce qui est inacceptable.

Nous avons également constaté que vous avez fait preuve à plusieurs reprises d'une mauvaise volonté manifeste à collaborer avec les autres managers ou services du centre de Recherche et Innovation.

Vous êtes ainsi allé à l'encontre de l'une des priorités affichées de façon constante et répétées de nombreuses fois par l'ensemble de la Direction de l'établissement de voir les laboratoires et collaborateurs du CRI travailler ensemble.

L'enquête que nous avons réalisée a également révélé que vous avez volontairement entravé la démarche de votre Responsable hiérarchique visant à échanger directement avec l'ensemble des ingénieurs de votre service (Polymère TP innovations) et du service Polymère TP applications.

Votre responsable souhaitait en effet recueillir leur avis sur le fonctionnement des équipes et du Centre de Recherche et Innovation et sur les problématiques qu'ils rencontraient. Pour mémoire cette démarche de votre Responsable faisait suite à la constatation d'un turnover important au sein des équipes.

Préalablement à ces entretiens, vous avez réuni l'ensemble des ingénieurs des services Polymères TP innovations et Polymère TP applications et avez personnellement cherché à contrôler et à influencer les éléments que les ingénieurs communiqueraient à votre responsable hiérarchique. Vous avez été jusqu'à leur demander de faire passer vos messages personnels. Cette attitude est inacceptable.

A titre d'exemples de vos pratiques managériales ayant dégradé les conditions de travail au sein des laboratoires Polymères TP innovations et Polymères TP applications, nous avons notamment constaté que vous avez manqué de discernement en imposant à une salariée revenant d'un arrêt de travail pour burnout, une réunion de plus de deux heures consécutives afin de réaliser un examen approfondi des problèmes rencontrés par la salariée.

Cela a eu pour effet de provoquer, aux sus et aux vues de tout le monde une crise de larme inquiétant plusieurs collègues et un représentant du personnel.

A la suite de cette réunion la salariée a fait l'objet d'une déclaration d'inaptitude temporaire par le médecin du travail et a été arrêtée par son médecin traitant plusieurs semaines.

Enfin, nous déplorons de nombreux débordements comportementaux où vous avez mélangé de façon inacceptable des événements personnels à votre environnement professionnel.

Cette utilisation de votre rôle managérial est inappropriée et a notamment entraîné une dégradation des relations professionnelles avec nombre de vos collaborateurs et collègues.

A titre d'exemples vous avez « convoqué » plusieurs salariés (de votre équipe ou de l'équipe Polymères TP applications) pour évoquer vos problèmes personnels.

Vous avez également menacé de sanctions disciplinaires, voire pénales, en lien avec des sujets extra-professionnels plusieurs de vos collaborateurs ou collègues en usant de votre position hiérarchique de manager.

Vous avez de plus, transmis de nombreux mails professionnels à des personnes sans lien avec ces échanges ; en particulier, vous avez transféré des mails à une salariée du laboratoire Polymère TP applications, sans rapport avec ses fonctions et sans aucune justification professionnelle.

Là encore cette attitude est inacceptable. ['] »

La société Hutchinson reproche ainsi, à M. [Z], d'une part une entrave au bon fonctionnement du centre de recherche et d'innovation (C.R.I.) à de nombreuses reprises et d'autre part d'avoir eu des pratiques managériales ayant dégradé les conditions de travail au sein des laboratoires Polymères TP innovations et Polymères TP applications ainsi que la transmission de nombreux mails professionnels à des personnes sans lien avec ces échanges .

Contrairement à ce que soutient M. [Z], la lettre de licenciement fait état de faits suffisamment précis et matériellement vérifiables.

Il apparaît également que la société Hutchinson a apporté des précisions sur les motifs du licenciement, à la demande de M. [Z], par lettre du 11 décembre 2018, conformément aux dispositions de l'article L.1235-2 du code du travail.

Le moyen du salarié sera rejeté.

- Sur le bien fondé du licenciement :

Il ressort de l'article L.1235-1 du code du travail qu'en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

La cour rappelle que les faits invoqués comme constitutifs d'une cause réelle et sérieuse de licenciement doivent non seulement être objectivement établis mais encore imputables au salarié.

L'ancienneté et l'absence de sanction durant la relation de travail d'un salarié ne sauraient priver, à eux seuls, de cause réelle et sérieuse un licenciement disciplinaire. Ils permettent, si les faits sont établis, d'apprécier le caractère proportionné de la sanction choisie par l'employeur, étant observé que les faits en cause concernent la dernière période de la carrière de M. [Z] lorsqu'il s'est vu confier le poste de responsable de laboratoire à partir d'août 2017.

M. [Z] fait sommation à la société Hutchinson de produire l'intégralité des auditions réalisées à la suite du signalement du médecin du travail , celle-ci produisant 7 auditions sur un effectif de 17 salariés composant le laboratoire dont M. [Z] avait la responsabilité. Il soutient qu'elle a volontairement occulté la majorité des témoignages contredisant le comportement fautif reproché et que l'enquête n'est pas contradictoire. Il ajoute que les attestations produites, minoritaires, versées par la société Hutchinson confirment le caractère imprécis et infondés des griefs.

Il ressort de la procédure que le personnel a été entendu oralement. Il n'est pas établi que chaque salarié a accepté de consigner par écrit son témoignage, quel qu'en soit le sens. Les parties peuvent librement produire toute attestation, M. [Z] ayant lui-même versé aux débats des attestations de salariés qui lui sont favorables, dont l'une émanant d'un salarié entendu dans le cadre des investigations. La cour estime qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une telle production.

Par ailleurs, il n'y a pas lieu d'écarter les témoignages au motif que M. [Z] n'en aurait pas eu connaissance avant l' entretien préalable ou n'aurait pas été lui-même entendu avant cet entretien, l'employeur pouvant diligenter une enquête sur le salarié mis en cause, sans l'en informer, ni entendre ses explications, cette enquête s'imposant à l'employeur au regard de son obligation de prévenir le harcèlement moral ou des comportements portant atteinte à la santé et à la sécurité de son personnel ( Soc., 17 mars 2021, pourvoi n° 18-25.597 publié) ; ce qui était le cas en l'espèce.

Au demeurant, la société Hutchinson produit diverses attestations et courriels pour démontrer la réalité des griefs mentionnées à la lettre de licenciement, plusieurs attestants reconnaissant par ailleurs les compétences professionnelles de M. [Z] en matière d'expertise, ce qui permet de les considérer plutôt comme objectives (pièce n°11 à 20).

Il convient d'apprécier la réalité des griefs invoqués au soutien du licenciement.

- Sur l'entrave au bon fonctionnement du centre de recherche et d'innovation :

Pour justifier de ce grief, la société produit une attestation de M. [F], technicien RetD, dans laquelle il atteste 'que durant l'année 2017 Monsieur [D] lui donnait des informations précises et importantes concernant l'organisation et les dates d'intervention dans [son] secteur' ; il précise qu'il avait le domaine de compétences pour intervenir et une information claire mais que M. [Z] lui a donné l'ordre, à deux reprises, de ne pas intervenir afin de 'plomber' Monsieur [D] (responsable des travaux neuf). Il mentionne une intention réelle et permanente de nuire au travail de M. [D] , de la part de M. [Z], aboutissant à des blocages et situations très compliquées et que cette attitude l'a décidé à abandonner son poste de relais sécurité pour ne plus participer indirectement à «ce lynchage injustifié de [R] [D]» . Ce témoin ajoutait que malgré ces faits illustrant un problème managérial, M. [Z] avait toujours été une ressource scientifique et un appui technique de grande valeur.

Ce témoignage, qui n'est pas imprécis, et qui emporte la conviction, n'a pas lieu d'être écarté au motif de liens familiaux avec une autre salariée qui a eu à se plaindre du comportement de M. [Z].

Par ailleurs, il est établi que M. [Z], bien qu'il ait réfuté avoir voulu nuire à Monsieur [D], a reconnu en entretien préalable avoir ordonné «à des gens de ne pas faire certaines choses mais pour soit pour des problèmes de sécurité, soit parce que ce n'était pas à eux de le faire '.

De même, il reconnaît durant l'entretien que sur certains sujets, «il n'y avait pas de proactivité énorme de sa part mais qu'il avait des choix à faire et ce sont les priorités du moment qui lui ont fait faire ces choix».

Il reconnaît encore, durant l'entretien, que sur certains sujets, «il n'y avait pas de proactivité énorme de sa part mais qu'il avait des choix à faire et ce sont les priorités du moment qui lui ont fait faire ces choix».

Ce fait est matériellement établi.

La société reproche encore à M. [Z] d'avoir entravé la démarche de son responsable hiérarchique qui souhaitait échanger directement avec l'ensemble des ingénieurs de son service.

Elle produit en ce sens deux attestations de salariées qui relatent que l'événement a eu lieu lors d'une réunion qui s'est tenue le 13 juillet 2018.

Mme [B], ingénieur R et D, témoigne notamment des tentatives de contrôle voire de manipulation de M. [Z] et cite pour illustration une réunion qu'il a organisée à la dernière minute et avec l'ensemble des ingénieurs, le 13 juillet 2018, dans laquelle il a voulu les «influencer sur ce [qu'ils] devaient dire ou non lors de la rencontre avec Monsieur [J]» qui se ferait individuellement. Il ne souhaitait pas ternir l'image du service et voulait profiter de cet entretien pour «faire passer des messages explicités par lui même». La salariée ajoute que la réunion s'est terminée avec un tour de table où chacun des salariés devaient indiquer publiquement un point positif et un point négatif qu'ils souhaitaient rapporter à M. [J] (pièce n°19).

Mme [X], chef de projet R et D, confirme, dans une attestation circonstanciée qui dit aussi des choses positives sur M. [Z], les propos de Madame [B] sur ce point, indiquant qu'elle avait trouvé M. [Z] très limite dans sa façon de faire évoluer la discussion et finir par leur dire de manière très persuasive quoi dire à M. [J] en citant: «dites qu'il y a des problèmes d'industrialisation...». Elle indique qu'elle comprend que les salariés arrivés récemment aient été choqués. Elle précise qu'elle n'était pas hiérarchiquement rattachée à M. [Z].

Lors de l'entretien préalable, M. [Z] a reconnu avoir réuni les ingénieurs pour les «préparer à leur entretien avec le N+2 car cet entretien pourrait leur paraître étrange». Il précise que le but était de les rassurer.

M. [Z] ne produit aucune argumentation particulière, en cause d'appel, sur ce point et n'apporte aucun élément probant pour justifier de la fausseté de ce grief. Ce fait est établi.

Le premier grief est ainsi démontré.

- Sur les pratiques managériales ayant dégradé les conditions de travail:

La société Hutchinson développe plusieurs faits sur ce grief .

Il ressort de la procédure que le médecin du travail a lancé une alerte mi septembre 2018 sur les comportements managériaux de M. [Z] pouvant mettre à mal plusieurs salariés. Cette alerte a été réitérée peu après par le médecin du travail qui a attesté en ce sens le 16 octobre 2018, faisant état de propos inappropriés et agressifs mêlant sans discernement des éléments de la vie professionnelle et ceux du périmètre de la vie privée, de comportements pouvant être assimilés à de la manipulation et connotée d'une dérive de sa position hiérarchique, évoquant une ambiance délétère qui retentit et nuit gravement au travail au quotidien en sus du retentissement de la santé morale et physique des salariés concernés, dont l'une ayant dû bénéficier d'une inaptitude temporaire afin de la protéger. Le médecin concluait en demandant une intervention afin de faire cesser cette situation. S'il est exact que le médecin n'a rien constaté par lui-même, il n'en demeure pas moins qu'il fait état de plusieurs témoignages et a pu constater médicalement un état de souffrance et de difficultés au sein du personnel travaillant au laboratoire managé par M. [Z]. Ce témoignage n'est pas dénué de toute objectivité.

Ce témoignage est complété par différentes attestations qui illustrent ces comportements.

Il lui est ainsi reproché d'avoir imposé sans discernement à une salariée (Mme [F]) revenant d'un arrêt de travail pour «burnout» une réunion tenue le 4 octobre 2018 de plus de deux heures consécutives afin de réaliser un examen approfondi des problèmes rencontrés par la salariée.

Celle-ci a attesté de manière circonstancée et évoque cette réunion au cours de laquelle elle a été reçue par M. [Z] et Mme [P] afin «d'aborder les questions d'investissement d'équipement de laboratoire». Elle reproche à M. [Z] d'avoir eu un comportement à charge en réfutant un à un les problèmes soulevés et en la faisant culpabiliser parce qu'elle se plaignait. Elle indique durant les deux heures et demi qu'a duré cette réunion qu'elle s'est sentie piégée et insultée. Elle lui fait grief de lui avoir dit que son «burnout» méritait un avertissement au regard de son comportement qui a consisté à lui «crier dessus puis disparaître pendant une semaine» M. [Z] lui demande «comment il doit se sentir»'. Elle précise que c'est suite à cette «réunion» que la société a été avertie et qu'elle a été déclarée inapte temporairement au travail le 9 octobre suivant et de nouveau en arrêt de travail pour maladie.

Cet incident est confirmé par M. [U] qui témoigne de ce qu'il a pu constater le 4 octobre 2018 « J'ai vu [W] [F] en entretien avec [S] [Z] et [V] [P] à 11h à 3 h en rentrant du restaurant d'entreprise, ils étaient toujours en entretien et [W] [F] pleurait à chaudes larmes. Je suis allé chercher [H] [K] (DP) pour lui faire constater la situation. Situation qui n'est pas normale en sachant que [W] [F] a de gros soucis de santé et qu'il lui a été reproché d'être en arrêt de travail alors qu'elIe avait un justificatif» (pièce n°17 de l'employeur).

Mme [X] indique également que tout le monde a vu à travers les vitres de la salle de réunion que le point du 4 octobre durait en longueur, débutant en fin de matinée et durant toute la période du midi.

Si M. [Z] nuance ce fait en indiquant que cette réunion a duré 1h30, ce qui, en soi, reste très long, il apparaît que les difficultés de santé de Mme [F], qui faisait l'objet d'arrêts de travail, étaient connues de M. [Z] , celui-ci évoquant en entretien préalable, sa 'dépendance à la codéine, de gros problème pour être active, se lever le matin, qu'elle pleure souvent ect., ajoutant qu'il était difficile d'absorber la charge de travail au regard de des absences de Mme [F] et qui est 'parfois en manque de force' Et qu'il a néanmoins tenu un entretien dans des conditions inadaptées et mettant à mal la salariée, se limitant à maintenir qu'il se sentait obligé de faire cet entretien ce jour là.

Ces éléments auraient dû le conduire, en sa qualité de manager, à s'entourer de prudence et de prévenance et mettre un terme à un entretien qui s'est révélé éprouvant pour une salariée en situation de faiblesse et qui n'apparaît pas conforme à l'obligation de santé et de sécurité pesant sur l'employeur.

Mme [F] fait également état des remarques blessantes et un mépris face à des questions liées au travail et qui nécessitent son accord ou un incident relatif à un refus de M. [Z] de prêter une attention au fonctionnement du service qualité (au sein du service) qui s'est déroulé en semaine 39 ayant entraîné un arrêt pour un état dépressif.

La société reproche également des débordements où M. [Z] a mélangé de façon inappropriée des événements personnels à son environnement professionnel.

Elle cite deux faits précis : le premier d'avoir « convoqué » plusieurs salariés pour évoquer ses problèmes personnels et de les avoir menacés de sanctions disciplinaires, voire pénales, en lien avec des sujets extra-professionnels plusieurs de ses subordonnés en usant de sa position hiérarchique de manager.

Elle produit deux témoignages, particulièrement détaillés, qui relatent d'une part le fait que M. [Z] rapporte des propos tenus par Mme [O] à Mme [A] (sa petite amie) et que celle-ci s'en prend ensuite à la salariée et d'autre part des menaces contre Mme [E] d'une procédure judiciaire pour diffamation ainsi que la menace d'une sanction disciplinaire (blâme) pour savoir qui colporte des rumeurs sur sa vie privée.

En entretien préalable, M. [Z] a expliqué être confronté à des problèmes familiaux et assez 'lourds' depuis quelques mois, faisant grief à des personnes de s'immiscer dans sa vie privée et s'être permises de 'propager pleins de choses' qu'il ne souhaitait pas divulguer, trouvant inacceptables les rumeurs et enfin cherchant à éclaircir la situation , le nom de Mme [E] étant 'sorti' en sorte que cette dernière avait été convoquée.

De tels faits sont inappropriés et concourent à une dégradation des conditions de travail et il n'apparaît pas que M. [Z] se serait ouvert auprès de ses supérieurs de difficultés éprouvées avec d'autres salariés afin de remédier de manière adaptée à une situation qui ne lui aurait pas convenu.

M. [Z] ne produit pas d'éléments ou attestations qui viendraient contredire totalement ces témoignages concordants et le déroulement de certains faits. Il n'est pas allégué qu'il a eu des comportements inappropriés avec l'ensemble de son équipe.

Le fait que la société n'ait jamais remis en cause ses pratiques managériales au cours des entretiens individuels pour les années 2011, 2013, 2015, 2017 et 2018 ne contredit pas la réalité de ces faits qui correspondent à la dernière partie de carrière de M. [Z] au sein de la société Hutchinson lorsqu'il a pris la direction d'un laboratoire en 2017 et les faits n'ont été révélés que peu de temps avant le licenciement. Il ne peut davantage exclure sa responsabilité en soutenant qu'il encadrait ses subordonnés conjointement avec M. [T] en co-signant les comptes rendus RH et techniques ou partageant un espace de travail, ce dernier n'étant pas mis en cause dans les agissements reprochés.

Les faits sont établis et contreviennent l'obligation de santé et de sécurité de l'employeur sur son personnel.

- Sur la transmission de courriels à une salariée extérieure au service et portant atteinte à la confidentialité

La société Hutchinson fait grief à M. [Z] d'avoir transmis de nombreux courriels professionnels à une salariée appartenant à un service qui n'a pas de rapport avec les fonctions de celle-ci et sans justification professionnelle, celle-ci étant sa nouvelle compagne ou amie.

M. [Z] , tout en reconnaissant ces transmissions qui sont établies par la production des mails, considère qu'il n'a pas violé la clause de confidentialité en transférant à Mme [A], ingénieur sénior, des courriels qui n'ont pas de caractère confidentiel. Il précise que la société ne saurait lui reprocher d'avoir jeté le discrédit, les échanges n'étant pas publics.

Il résulte des courriels produits que M. [Z] a transmis, à une personne qui n'avait pas à les recevoir, des conversations qui revêtant un caractère interne à l'organisation du service, comportant pour certains des commentaires sur le travail et les collaborateurs. Cette faute est établie.

Au regard de ce qui précède, les griefs énoncés dans la lettre de licenciement sont tous établis.

L'ensemble de ces faits, leur nature et leur gravité justifient la rupture du contrat de travail, non-obstant l'ancienneté de M. [Z] dans l'entreprise et l'absence de sanction antérieure.

Par voie de confirmation du jugement, il y a lieu de dire que le licenciement de M. [Z] repose sur une cause réelle et sérieuse et de rejeter sa demande en paiement d'une indemnité à ce titre.

-Sur la cause économique du licenciement

M. [Z] soutient que la véritable cause du licenciement intervient dans un contexte de restructuration de l'activité et de réduction d'effectifs et de budgets.

En premier lieu, M. [Z] n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations et en second lieu la société démontre que son effectif est croissant : 273 (en 2017), 287 (en 2018) et 292 (en 2019).

Par ailleurs, la cour a retenu que tous les faits invoqués au soutien du licenciement pour faute sont fondés.

La demande de M. [Z] tendant à qualifier le licenciement de nature économique sera par voie de conséquence rejetée.

- Sur le caractère brutal et vexatoire du licenciement

Le salarié peut prétendre à des dommages-intérêts lorsqu'il démontre que le licenciement, même fondé, est intervenu dans des circonstances brutales et vexatoires caractérisant une faute de la part de l'employeur.

Au cas particulier, la mise à pied conservatoire qui implique nécessairement une mise à l'écart immédiate du salarié, était justifiée par la nature des faits signalés par le médecin du travail et la nécessité de procéder à des vérifications sans risque d'interaction avec le personnel. Il n'est justifié d'aucune circonstance établissant que la mise à pied et la procédure de licenciement ont été conduites dans des circonstances offensantes.

Par voie de confirmation du jugement, la demande de M. [Z] sera rejetée.

- Sur les dépens et les frais irrépétibles

Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Il y a lieu de condamner M. [Z], partie perdante, aux dépens de l'instance d'appel.

M. [Z] sera également condamné à payer à la société S.A. Hutchinson la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les exposés en cause d'appel. Sa demande présentée à ce titre sera rejetée.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu entre M. [S] [Z] et la S.A. Hutchinson, le 18 mars 2021, par le conseil de prud'hommes de Montargis en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

Condamne M. [S] [Z] à payer la S.A. Hutchinson la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel et rejette sa propre demande présentée à ce titre.

Condamne M. [S] [Z] aux dépens de première instance et d'appel

Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier

Fanny ANDREJEWSKI-PICARD Laurence DUVALLET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01212
Date de la décision : 22/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-22;21.01212 ?
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