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25/05/2023 | FRANCE | N°20/01521

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Chambre civile, 25 mai 2023, 20/01521


COUR D'APPEL D'ORLÉANS



C H A M B R E C I V I L E





GROSSES + EXPÉDITIONS : le 25/05/2023

la SCP LAVAL - FIRKOWSKI

la SCP ROBILIARD

Me Sophie GATEFIN



ARRÊT du : 25 MAI 2023



N° : - : N° RG 20/01521 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GF53



DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BLOIS en date du 04 Juin 2020



PARTIES EN CAUSE



APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265254194452691



Monsieur [I] [J]

né le 18

Mars 1974 à [Localité 9]

[Adresse 2]

[Localité 9]



Monsieur [E] [J]

né le 16 Janvier 1977 à [Localité 9]

[Adresse 4]

[Localité 6]



représentés par Me Olivier LAVAL de la SCP L...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 25/05/2023

la SCP LAVAL - FIRKOWSKI

la SCP ROBILIARD

Me Sophie GATEFIN

ARRÊT du : 25 MAI 2023

N° : - : N° RG 20/01521 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GF53

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BLOIS en date du 04 Juin 2020

PARTIES EN CAUSE

APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265254194452691

Monsieur [I] [J]

né le 18 Mars 1974 à [Localité 9]

[Adresse 2]

[Localité 9]

Monsieur [E] [J]

né le 16 Janvier 1977 à [Localité 9]

[Adresse 4]

[Localité 6]

représentés par Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI, avocat postulant au barreau d'ORLEANS et par Me Jean-Hugues CARBONNIER de la SELARL CARBONNIER LAMAZE RASLE, avocat plaidant au barreau de PARIS

D'UNE PART

INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265264315616700

Monsieur [S] [V] décédé le 10/03/23

né le 09 Juillet 1930 à [Localité 10]

[Adresse 8]

[Localité 3]

représenté par Me Denys ROBILIARD de la SCP ROBILIARD, avocat au barreau de BLOIS

- Timbre fiscal dématérialisé N°:1265253788169646

S.A. PREDICA PREVOYANCE DIALOGUE DU CREDIT AGRICOLE inscrite au RCS de PARIS sous le n° B 334 028 123, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Me Sophie GATEFIN, avocat postulant au barreau d'ORLEANS et par Me Stéphanie COUILBAULT de la SELARL CABINET MESSAGER - COUILBAULT, avocat plaidant au barreau de PARIS,

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du :10 Août 2020

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 27 février 2023

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats

Madame Anne-Lise COLLOMP,, Président de chambre,

Madame Laure Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.

Lors du délibéré

Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,

Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, Conseiller,

Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier :

Madame Karine DUPONT, Greffier lors des débats

Madame Fatima HAJBI, Greffier lors du prononcé.

DÉBATS :

A l'audience publique du 03 AVRIL 2023, à laquelle ont été entendus Madame Laure-Aimée GRUA, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles en vertu de l'ordonnance N° 92/2020, en son rapport et les avocats des parties en leurs plaidoiries.

ARRÊT :

Prononcé le 25 MAI 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Après le décès de son époux le 19 février 2005, Mme [K] [L] veuve [J], née le 4 octobre 1941, a vécu en concubinage à compter de 2007 avec M. [S] [V] né le 9 juillet 1930. Elle est décédée le 3 janvier 2018.

Par acte d'huissier du 28 mars 2018, MM. [E] et [I] [J] ont assigné M. [S] [V] pour voir,

- dire et juger que l'emprise totale de M. [Y] sur Mme [J] a altéré le consentement de cette dernière, la privant de consentir librement aux actes de disposition à titre gratuit scellés à son profit de Monsieur [V],

En conséquence,

- annuler les actes à titre gratuit conclus au bénéfice de ce dernier, savoir,

- la convention d'hébergement permettant à M. [V] d'être logé gracieusement à [Localité 9] ;

- la convention d'hébergement permettant à M. [V] d'être logé gracieusement dans la résidence spécialisée de [Localité 7],

- la convention conférant à M. [V] un droit d'habitation sur le bien immobilier acquis par Mme [J] à [Localité 11], au profit exclusif de celui-ci,

- la stipulation pour autrui, adossée au contrat d'assurance vie Floriane, souscrit par Mme [J] au profit de la compagnie Predica,

- ordonner le paiement par M. [V] de la somme de 70 000 euros, contrepartie légitime de l'occupation par lui des immeubles de [Localité 9], [Localité 11] et [Localité 7],

- ordonner la libération du capital dû par la compagnie Predica entre les mains des descendants de Mme [J], seuls bénéficiaires valablement désignés,

A titre subsidiaire,

- dire et juger que les actes suivants sont constitutifs de libéralités devant être réintégrés à la masse de calcul définie à l'article 922 du Code civil,

- la convention d'hébergement permettant à M. [V] d'être logé gracieusement à [Localité 9],

- la convention d'hébergement permettant à M. [V] d'être logé gracieusement dans la résidence spécialisée de [Localité 7],

- la convention conférant à M. [V] un droit d'habitation sur le bien immobilier acquis par Mme [J] à [Localité 11], à son profit exclusif,

- la stipulation pour autrui, adossée au contrat d'assurance vie Floriane,

souscrit par Mme [J] au profit de la compagnie Predica,

- désigner l'expert qu'il plaira, aux fins de :

- définir la consistance de la masse de calcul définie à l'article 922 du code civil,

- Et, dans cette perspective, évaluer le montant des libéralités consenties par Mme [J] à M. [V],

- chiffrer l'atteinte à la réserve héréditaire des descendants de Mme [J] et, en conséquence, liquider l'indemnité de réduction due aux descendants par M. [V].

- condamner M. [V] au paiement de la somme de  5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 4 juin 2020, le tribunal judiciaire de Blois a,

- déclaré M. [E] [J] et M. [I] [J] recevables en leurs demandes,

- rejeté la demande de requalification de l'assurance vie Floriane n°84490006929167 en libéralité,

- rejeté les demandes d'annulation des clauses bénéficiaires sur le fondement de l'article 901 du code civil,

- rejeté la demande de requalification des conventions d'hébergement en donation indirecte,

- rejeté la demande en paiement de la somme de 70 000 euros,

- rejeté la demande de réduction des primes manifestement exagérées,

- rejeté la demande d'expertise,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision,

- débouté M. [E] [J] et M. [I] [J] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [E] [J] et M. [I] [J] à payer à la SA Predica la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [E] [J] et M. [I] [J] aux dépens,

- autorisé les avocats de la cause à recouvrer directement ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provisions.

Selon déclaration du 10 août 2020, MM. [E] et [I] [J] ont relevé appel de cette décision, en tous chefs de son dispositif.

Les parties ont conclu.

Par ordonnance du 10 février 2023, le conseiller de la mise en état a ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture du 6 février 2023 et dit que l'instruction serait clôturée le 27 février 2023.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 février 2023.

L'affaire a été plaidée le 03 avril 2023.

Le 07 avril 2023, Me ROIBILIARD a notifié le décès de son client, [S] [V],survenu le 10 mars 2023. Conformément à l'article 371 du code de procédure civile, l'instance n'est pas interrompue. La Cour doit donc statuer.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Les dernières conclusions, remises les 1er février 2023 par MM. [J], 6 février 2023 par M. [V], 15 décembre 2020 par la SA Predica, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.

MM. [J] demandent de,

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté leurs demandes,

Et statuant à nouveau,

A titre principal,

- dire et juger que l'emprise totale de M. [V] sur Mme [J] a altéré le consentement de cette dernière, la privant de consentir librement aux actes de disposition à titre gratuit scellés au profit de M. [V] ;

En conséquence,

- annuler les actes à titre gratuit conclus au bénéfice de ce dernier, savoir :

o la convention d'hébergement permettant à M. [V] d'être logé gracieusement à [Localité 9],

o la convention d'hébergement permettant à M. [V] d'être logé gracieusement dans la résidence spécialisée de [Localité 7],

o la convention conférant à M. [V] un droit d'habitation sur le bien immobilier acquis par Mme [J] à [Localité 11], au profit exclusif de celui-ci,

o la stipulation pour autrui, adossée au contrat d'assurance vie Floriane, souscrit par Mme [J] au profit de la compagnie Predica,

- ordonner le paiement par M. [V] de la somme de 70 000 euros, contrepartie légitime de l'occupation par lui des immeubles de [Localité 9], [Localité 11] et [Localité 7],

- ordonner la libération du capital dû par la compagnie Predica entre les mains des descendants de Mme [J], seuls bénéficiaires valablement désignés,

- rejeter l'ensemble des prétentions et réclamations de M. [V],

- rejeter les prétentions et réclamations de Predica contraires aux demandes de MM. [J],

A titre subsidiaire,

Si par extraordinaire, la cour ne s'estimait pas assez éclairée quant à l'altération du consentement de Mme [J]

- désigner tel expert qu'il plaira avec la mission de :

o se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission,

o donner son avis, quant aux actes de dépouillement, sur l'intégrité du consentement de Mme [J] et sur l'emprise de M. [V] sur Mme [J],

o donner son avis sur l'état de dépendance de Mme [J] vis-à-vis de M. [V], sur l'abus qu'en a fait M. [V], sur le fait de savoir si M. [V] aurait obtenu ce profit en l'absence d'une telle contrainte et si l'avantage tiré est manifestement excessif,

o fournir tous éléments de nature à permettre à la juridiction saisie de se prononcer quant aux actes de dépouillement, sur l'intégrité du consentement de Mme [J] et sur l'emprise de M. [V] sur Mme [J], ainsi que sur l'état de dépendance de Mme [J] vis-à-vis de M. [V], sur l'abus qu'en a fait M. [V], sur le fait de savoir si M. [V] aurait obtenu ce profit en l'absence d'une telle contrainte et si l'avantage tiré est manifestement excessif,

o dire que l'expert s'adjoindra s'il l'estime nécessaire tout sapiteur de son choix,

o dire que l'expertise sera mise en oeuvre et que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile et que, sauf conciliation des parties, il déposera son rapport au secrétariat du greffe de la juridiction dans les six mois de sa saisine,

A titre très subsidiaire,

- dire et juger que les actes suivants sont constitutifs de libéralités devant être réintégrées à la masse de calcul définie à l'article 922 du code civil :

o la convention d'hébergement permettant à M. [V] d'être logé gracieusement à [Localité 9],

o la convention d'hébergement permettant à M. [V] d'être logé gracieusement dans la résidence spécialisée de [Localité 7],

o la convention conférant à M. [V] d'un droit d'habitation sur le bien immobilier acquis par Mme [J] à [Localité 11], au profit exclusif de M. [V],

o la stipulation pour autrui, adossée au contrat d'assurance vie Floriane, souscrit par Mme [J] au profit de la compagnie Predica,

- désigner l'expert qu'il plaira à la cour aux fins de :

o définir la consistance de la masse de calcul définie à l'article 922 du code civil,

o Et, dans cette perspective, évaluer le montant des libéralités consenties par Mme [J] à M. [V],

o chiffrer l'atteinte à la réserve héréditaire des descendants de Mme [J] et, en conséquence, liquider l'indemnité de réduction due aux descendants par M. [V],

En tout état de cause,

- condamner M. [V] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [V] aux entiers dépens de la procédure.

M. [V] demande de,

- confirmer le jugement en dans toutes ses dispositions,

- condamner MM. [I] et [E] [J] à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts et de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter MM. [I] et [E] [J] de leurs demandes, fins et conclusions,

- les aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel.

La société Predica demande de,

- juger qu'elle s'en remet à la décision de la cour sur la demande de nullité de la désignation bénéficiaire de M. [V] s'agissant du contrat d'assurance vie «Floriane», n° 844 90006929167, pour absence/vice du consentement par emprise du bénéficiaire sur l'assurée et, en conséquence, juger qu'elle réglera le capital décès (109.473,84 €) : à M. [S] [V] en cas de validité de sa désignation ; aux enfants de l'assurée par parts égales en cas de nullité de la désignation de M. [S] [V],

sur présentation d'un acte de notoriété établissant leur qualité,

En toute hypothèse,

- juger que le paiement des contrats d'assurance vie ne pourra intervenir que dans

le respect des règles prévues au code général des impôts (articles 757 B, 292 A, 806 III et 990 I),

- rejeter la demande de requalification du contrat d'assurance vie «Floriane», n°844 90006929167, de Mme [J] en une donation indirecte,

- prendre acte de ce qu'elle s'en remet à la décision à intervenir quant à l'éventuel caractère manifestement exagéré des primes versées par Mme [J] sur son contrat d'assurance vie et à la réintégration de la partie jugée manifestement exagérée à la succession, entre les mains du notaire, dans la limite des sommes détenues, soit 109 473,84 €, le rachat partiel de 150 000 € du 12 avril 2016, déjà remboursé à l'assurée de son vivant étant nécessairement déduit du montant des primes à rembourser pour réintégration,

- rejeter la demande d'expertise sauf à ce qu'elle soit ordonnée aux frais avancés des appelants,

- rejeter toute demande complémentaire dirigée contre elle,

- condamner toute partie perdante à lui verser 2 700 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner toute partie perdante aux dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Sophie Gatefin, avocat au barreau d'Orléans, en application des articles 699 et suivants du Code de Procédure Civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'annulation des actes pour emprise

Faisant plaider l'annulation des actes consentis par leur mère au profit de M. [V], MM. [J] fondent leurs demandes sur les articles 901 et 1143 du code civil, prétendant qu'elle était sous l'emprise totale de M. [V], qui s'est manifestée par des déménagements successifs, la modification de sa façon de vivre, le délaissement de ses occupations habituelles pour s'investir auprès de lui, l'entière gestion par lui de son patrimoine en lui soutirant des procurations sur ses comptes bancaires, la souscription d'un contrat d'assurance vie Predica à son bénéfice, des largesses inconsidérés en sa faveur.

Aux termes du premier de ces textes, pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit, la libéralité étant nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence, le second texte, dans sa rédaction issue de l'Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, modifiée par la Loi n°2018-287 du 20'avr. 2018, consacrant la violence par abus de dépendance, étant précisé qu'il ne peut être appliqué qu'aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016.

En tout cas, il appartient à celui qui se prévaut de l'existence d'un abus de dépendance de le prouver, par tous moyens, notamment par des certificats médicaux, des rapports d'expertise psychiatrique et plus ordinairement par témoins.

Les appelants versent aux débats les témoignages suivants :

- attestation Mme [U] animatrice aux Sénioriales de [Localité 7], lieu de résidence du couple, pièce n°17, Mme [J] ne paraissait pas libre de ses faits et gestes... semblait devoir être à la disposition de ce Monsieur qui a même refusé que l'on vienne au domicile de Mme [J] pour préparer un programme de messe. Il a ouvertement dragué des résidentes de la résidence et moi-même. Ceci à travers des gestes obscènes... et des appels téléphoniques en l'absence de Mme [J] en laissant des messages de propositions indécentes,

- attestation de Mme [R], voisine de Mme [J] aux Sénioriales, pièce n°18,

Durant l'hospitalisation de [K], ainsi que de mon mari, le Sieur [V] s'est présenté à mon domicile aux fins de se plaindre qu'il manquait d'amour, qu'il ne s'entendait pas avec [K]... je ne l'ai pas invité à rentrer chez moi, il ne m'inspirait pas confiance, attestation de Mme [R],

- pièce n°12, écrit autobiographique de M. [V], 'Dans l'intimité d'un père' adressé à ses enfants, dans lequel il désigne Mme [J] comme 'la personne m'hébergeant, au courant de mes affaires et détenant mes biens'.

Il en ressort que si M. [V] avait une attitude tyrannique dans sa vie de couple et manquait d'élégance en draguant les femmes de leur entourage, il n'est pas établi que Mme [J] se trouvait sous sa dépendance psychologique, ne pouvait lui résister et qu'il obtenait d'elle tout ce qu'il voulait, le fait que le couple ait déménagé à plusieurs reprises ne le prouvant pas, puisqu'il n'est pas établi qu'elle n'y avait pas librement consenti, pas plus le fait qu'elle lui ait donné procuration sur ses comptes ou modifié ses contrats d'assurance en sa faveur, d'autant que les appelants ne donnent aucune précision quant au patrimoine de leur mère.

L'article 146 alinéa 2 du code de procédure civile interdisant au juge d'ordonner une mesure d'instruction en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve, aucune mesure d'expertise ne peut être ordonnée.

En conséquence, il convient de débouter les appelants de leur demande d'annulation des actes à titre gratuit conclus au bénéfice de ce dernier, savoir,

- les conventions d'hébergement permettant à M. [V] d'être logé gracieusement à [Localité 9] et à [Localité 7],

- la convention lui conférant un droit d'habitation sur le bien immobilier de [Localité 11],

- la stipulation pour autrui, adossée au contrat d'assurance vie Floriane, souscrit par Mme [J] auprès de la compagnie Predica.

Et, par suite, de les débouter de leurs demandes subséquentes tendant à voir ordonner le paiement par M. [V] de la somme de 70 000 euros en contrepartie de l'occupation par lui des immeubles de [Localité 9], [Localité 11] et [Localité 7] et ordonner la libération du capital dû par la compagnie Predica entre leurs mains.

Sur la requalification des actes non annulés en libéralités

Aux termes de l'article 893, alinéa 1er du code civil : 'la libéralité est l'acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d'une autre personne'. Introduite par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, cette définition légale reprend les principales caractéristiques de la notion de libéralité, qui s'évinçaient déjà des dispositions en vigueur.

Ne sont pas des libéralités les actes de mise à disposition d'un bien ou d'un droit, à charge de le restituer au bout d'un certain temps ou sur simple demande du titulaire.

En conséquence, ne peuvent être qualifiées telles la convention d'hébergement dont a bénéficié M. [V] à [Localité 9] et [Localité 7], comme le droit d'habitation à [Localité 11], en l'absence de transfert d'un droit patrimonial à son profit.

Pour ce qui concerne le contrat d'assurance vie, les appelants indiquent que leur mère disposait d'un contrat souscrit en mai 2005, au profit de ses enfants, auprès de la société Capma & Capmi mais qu'au mois de février 2011, âgée de 69 ans, elle a souscrit un contrat Floriane auprès de Predica sur lequel elle a versé une prime initiale de 140 000 euros suivie de trois versements d'un montant total de 50 000 euros, concentrant ainsi sur ce support l'ensemble de ses avoirs, en désignant M. [V] en qualité de bénéficiaire principal et, à défaut, ses enfants.

Pour débouter MM. [J] de leur demande de requalification de ce contrat en donation indirecte, le premier juge a retenu que lors de sa souscription, 2011, Mme [J], décédée le 3 janvier 2018, était en bonne santé et a disposé pendant plusieurs années d'une faculté de rachat, dont elle a fait usage le 12 avril 2016 à hauteur de 150 000 euros, manifestant ainsi sa volonté de ne pas se dépouiller de manière irrévocable.

Cette analyse ne peut qu'être approuvée, malgré les dires des appelants selon lesquels si le cancer dont était atteinte leur mère a été diagnostiqué en février 2017, le développement des cellules cancéreuses s'est étalé sur plusieurs années, puisqu'il n'en demeure pas moins que l'aléa, au jour de la souscription du contrat, ou de la désignation bénéficiaire, existait bien et que leur mère a pu en profiter, ce contrat étant rachetable.

Excipant du caractère manifestement exagéré des primes versées, les appelants se réfèrent au fait qu'au moins de janvier 2016, ayant versé 190 191 euros sur le contrat Floriane, sans conserver de liquidités, leur mère a été obligée, au moment de quitter [Localité 11] pour s'installer à [Localité 7], de faire un rachat de 150 000 euros et d'établir un dossier d'aide sociale.

Selon l'alinéa 2 de l'article L. 132-13 du Code des assurances, les règles du rapport et de la réduction ne s'appliquent aux primes que si celles-ci ont été manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur du contrat.

Il est de jurisprudence assurée que l'exagération manifeste s'apprécie en considération de l'âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur et de l'utilité du contrat pour celui-ci, l'utilité étant le critère principal, les autres critères, l'âge ainsi que la situation familiale et patrimoniale de l'assuré servant essentiellement à révéler cette utilité (Cass. 2e civ., 19 mai 2016, n° 15-19.458).

Le premier juge a relevé l'absence de toute pièce relative aux revenus de Mme [J] et à la composition de son patrimoine lui permettant d'apprécier ces critères, devant la cour, les appelants n'ont produit aucune pièce complémentaire, alors que l'exagération manifeste s'apprécie au jour du versement des primes. En conséquence, la décision qui les déboute de leur demande ne peut qu'être confirmée.

Pour les raisons indiquées ci-dessus, la demande d'expertise des appelants sera rejetée, en l'absence de pièces, notamment de la pièce élémentaire constituée par la déclaration de succession.

Sur la demande reconventionnelle de M. [V]

La demande de dommages-intérêts de M. [V] doit être rejetée, en l'absence de preuve d'une faute des appelants, auxquels il ne peut être reproché un acharnement procédural puisqu'ils n'ont fait qu'user du droit d'appel qui leur est reconnu.

Sur les demandes annexes

MM. [J] qui succombent, seront condamnés au paiement des entiers dépens d'appel, distraits au profit de Maître Sophie Gatefin, avocat, au titre de l'article 699 du code de procédure civile, et d'indemnités de procédure de 2 000 euros à M. [V] et 1 000 euros à Predica au titre de l'article 700 de ce code.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe ;

CONFIRME le jugement, en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant ;

DÉBOUTE M. [S] [V] de sa demande de dommages-intérêts ;

CONDAMNE MM. [E] et [I] [J], in solidum, au paiement des entiers dépens d'appel, distraits au profit de Maître Sophie Gatefin, avocat, et d'indemnités de procédure de 2 000 euros à M. [S] [V] et 1 000 euros à la SA Predica.

Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de Chambre et Madame Fatima HAJBI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 20/01521
Date de la décision : 25/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-25;20.01521 ?
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