COUR D'APPEL D'ORLÉANS
C H A M B R E C I V I L E
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 25/05/2023
Me Bertrand RITOURET
la SARL ARCOLE
ARRÊT du : 25 MAI 2023
N° : - : N° RG 20/01420 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GFWT
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOURS en date du 04 Juin 2020
PARTIES EN CAUSE
APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265 2566 1544 5233
Monsieur [H] [N]
né le 14 Avril 1951 à [Localité 13]
[Adresse 3]
[Localité 8]
Monsieur [U] [N]
né le 17 Janvier 1954 à [Localité 10]
[Adresse 16]
[Localité 5]
Madame [R] [N] épouse [Y]
née le 11 Mars 1957 à [Localité 10]
[Adresse 12]
[Localité 4]
Monsieur [I] [N]
né le 30 Novembre 1952 à [Localité 14]
[Adresse 1]
[Localité 7]
Monsieur [K] [N]
né le 17 Février 1951 à [Localité 11]
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentés par Me Bertrand RITOURET, avocat au barreau de TOURS
D'UNE PART
INTIMÉ : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265 2564 7153 9913
Monsieur [L] [W]
né le 18 Février 1950 à [Localité 15] (79)
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 6]
ayant pour avocat Me Catherine GAZZERI-RIVET de la SARL ARCOLE, avocat au barreau de TOURS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du :28 Juillet 2020
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 06 février 2023
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, du délibéré :
Madame Anne-Lise COLLOMP,, Président de chambre,
Monsieur Laurent SOUSA, Cconseiller,
Madame Laure Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.
Greffier :
Madame Karine DUPONT, Greffier lors des débats
Madame Fatima HAJBI, Greffier et du prononcé.
DÉBATS :
A l'audience publique du 03 AVRIL 2023, à laquelle ont été entendus Madame Laure-Aimée GRUA, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles en vertu de l'ordonnance N° 92/2020, en son rapport et les avocats des parties en leurs plaidoiries.
ARRÊT :
Prononcé le 25 MAI 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
[C] [W] et [M] [N] se sont mariés le 25 mars 1961, sans contrat.
Par acte du 30 septembre 1961, [M] [N] a consenti à son époux une donation au dernier vivant, portant sur 'la pleine propriété de l'universalité des biens de toute nature qui composeront sa succession, en quelques lieux qu'ils soient dus et situés sans aucune exception ni réserve.'
Le décès le 17 mai 2012 de [M] [N], épouse de M. [C] [W], a entraîné la mise en accusation de ce dernier devant la cour d'assises selon ordonnance du 5 janvier 2017, pour avoir, "à [Localité 6] entre le 16 et le 19 mai 2012, volontairement commis des violences ayant entraîné, sans intention de la donner, la mort à [M] [N] épouse [W], avec cette circonstance que les faits ont été commis par le conjoint de la victime."
[C] [W] est décédé le 27 février 2017, laissant pour lui succéder son fils, M. [L] [W], issu d'une première union.
Par acte d'huissier délivré le 24 août 2017, MM. [H] et [U] [N], Mme [R] [N] épouse [Y], MM. [I] et [K] [N], les consorts [N], neveux de la victime, ont assigné M. [L] [W] pour voir déclarer [C] [W] indigne de succéder à [M] [N], dire que sa succession leur serait dévolue et ordonner l'emploi des dépens en frais de passif successoral.
Par jugement rendu le 4 juin 2020, le tribunal judiciaire de Tours a :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'absence d'intérêt à agir soulevée par M. [L] [W],
- déclaré en application de l'article 727 du code civil, [C], [L] [W] indigne de succéder à son épouse [M] [F] [N],
- dit que cette déclaration d'indignité est opposable à M. [L] [W], avec toutes conséquences de droit,
- dit que la donation consentie à [C], [L] [W] par [M] [F] [N] suivant acte reçu le 30 septembre 1961 par Me [V], notaire à [Localité 6] n'est pas affectée par l'indignité du donataire,
En conséquence,
- débouté M. [H], [D], [J] [N], M. [U], [T] [N] et Mme [R], [E], [X] [Y], née [N] venant en représentation de leur père [D] [N], M. [I], [G], [P], [S] [N] et M. [K], [A], [S] [N], venant en représentation de leur père [A] [N] de leurs demandes de dévolution de la succession de [M] [F] [N],
- débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté en tant que de besoin toute autre demande plus ample ou contraire à la motivation.
Le 4 août 2020, les consorts [N] ont relevé appel de cette décision, en ce qu'elle a :
- dit que la donation consentie à [C], [L] [W] par [M] [F] [N] suivant acte reçu le 30 septembre 1961 par Me [V], notaire à [Localité 6] n'est pas affectée par l'indignité du donataire,
En conséquence,
- débouté M. [H], [D], [J] [N], M. [U], [T] [N] et Mme [R], [E], [X] [Y], née [N] venant en représentation de leur père [D] [N], M. [I], [G], [P], [S] [N] et M. [K], [A], [S] [N], venant en représentation de leur père [A] [N] de leurs demandes en dévolution de la succession de [M] [F] [N],
- débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté en tant que de besoin toute autre demande plus ample ou contraire à la motivation.
Les parties ont conclu. L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 février 2023.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Les dernières conclusions, remises les 15 décembre 2022 par les consorts [N], 7 avril 2022 par M. [L] [W], auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.
Les consorts [N] demandent de
- confirmer le jugement en qu'il a, - déclaré en application de l'article 727 du code civil, [C], [L] [W] indigne de succéder à son épouse [M] [F] [N] et dit que cette déclaration d'indignité est opposable à M. [L] [W], avec toutes conséquences de droit,
- réformer ce jugement pour le surplus,
- dire et juger que l'acte de donation entre époux, non conforté par une autre disposition testamentaire, conformément à l'article 728 du code civil, ne peut permettre à [C] [W] de recueillir la succession de son épouse,
- dire et juger que l'intégralité de la succession de [M] [N] leur sera dévolue,
- déclarer la décision opposable à M. [L] [W], pris en qualité d'héritier de [C] [W],
- le condamner à leur restituer l'intégralité des biens dépendants de la succession de [M] [N] ainsi que les fruits produits depuis le décès,
- le condamner au paiement des dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Marc Sérégé et d'une indemnité de procédure de 6 000 euros.
M. [L] [W] demande de :
- déclarer recevables mais mal fondés les consorts [N] en leur appel,
- confirmer le jugement,
- débouter les consorts [N] de l'ensemble de leurs demandes,
- les condamner in solidum à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la SARL Arcole conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le premier juge a retenu que l'indignité successorale est limitée aux successions ab intestat et ne concerne pas les libéralités, régies par les articles 957 et suivants du code civil ; [C] [W], indigne, est privé de ses droits d'héritier réservataire sur la succession de son épouse, mais ne perd pas sa qualité de donataire ou légataire universel et il a considéré que ses droits, nés à l'ouverture de la succession de [M] [N], entrent dans le patrimoine transmis à son fils.
Moyens des parties
Les appelants font plaider que les dispositions des articles 727 et suivants ne limitent pas l'indignité successorale aux successions ab intestat ; par ailleurs, si le premier texte permet à l'indigne de succéder à sa victime, il faut une déclaration expresse de volonté de cette victime pour le maintenir dans ses droits. Ils en déduisent, a contrario, que le meurtrier est privé de ses droits héréditaires même s'il existe un testament dès lors qu'il a été établi antérieurement aux faits ayant entraîné la mort. Ils soutiennent que la donation au dernier vivant présente la caractéristique d'être librement révocable en application de l'article 1096 alinéa 1er du code civil, cette révocation étant libre, peut être expresse ou tacite ; si l'article 959 prévoit que les donations en faveur de mariage ne seront pas révocables pour cause d'ingratitude, a contrario la donation à cause de mort ne peut permettre au donataire indigne de recueillir quelque portion que ce soit dans la succession du donateur.
L'intimé répond que ce n'est pas la nature de l'acte qui compte, convention matrimoniale ou donation, mais la volonté du conjoint d'attribuer ses biens à son époux et rappelle les dispositions de l'article 957 du code civil limitant à un an à compter du décès du donateur le délai pendant lequel ses héritiers doivent former leur demande en révocation pour cause d'ingratitude.
Réponse de la cour
En application de l'article 4 du code civil, le juge a l'obligation de juger même dans le silence ou l'insuffisance de la loi.
Le chapitre II du Titre 1er du Livre III du code civil intitulé «'Des qualités requises pour succéder'» au sein duquel l'article 727 du code civil est inséré, dispose que peuvent être déclarés indignes de succéder ceux qui ont donné la mort au défunt à l'égard desquels, en raison de leur décès, l'action publique n'a pas pu être exercée ou s'est éteinte.
Le chapitre III du Titre 1er du Livre III du code civil intitulé «'Des héritiers'» comporte notamment les articles 731 et 732 du code civil.
L'article 731 du code civil dispose «'la succession est dévolue par la loi aux parents et au conjoint successibles du défunt dans les conditions définies ci-après'».
L'article 732 du code civil prévoit que le conjoint survivant non divorcé est conjoint successible.
Il résulte de ces dispositions que le conjoint survivant marié a la qualité d'héritier s'il n'est pas indigne de succéder dans les conditions de l'article 727 du code civil.
La donation au dernier vivant consentie par [M] [N] à [C] [W], hors contrat de mariage, est une disposition à cause de mort, visant à protéger les intérêts de ce dernier par la dévolution de la pleine propriété des biens composant sa succession, pour le cas où elle prédécèderait. Elle n'entraînait aucun transfert de propriété des biens du vivant du disposant, et ne prenait effet qu'à la mort de celui-ci.
L'article 1096 du code de procédure civile dispose :
« La donation de biens à venir entre époux pendant le mariage est toujours révocable.
La donation de biens présents qui prend effet au cours du mariage faite entre époux n'est révocable que dans les conditions prévues par les articles 953 à 958 ».
Les articles 953 à 958 du code civil prévoient la possibilité de révoquer la donation entre vifs pour ingratitude notamment lorsque le donataire a attenté à la vie du donateur.
La donation au dernier vivant consentie par [M] [N] à [C] [W] n'étant pas une donation de biens présents, elle n'est pas soumise aux règles prévues aux articles 953 à 958 du code civil prévoyant la révocation pour ingratitude. La faculté de libre révocation au cours de mariage, prévue par le premier alinéa de ce texte, n'est de nature à supprimer l'exigence de la qualité requise du conjoint pour hériter, à savoir l'absence d'indignité successorale prévue à l'article 727 du code civil.
L'indignité successorale qui exclut de la succession notamment ceux qui ont commis ou tenté de commettre une atteinte à la vie du défunt ne peut être contournée par l'établissement de donation au dernier vivant qui n'est pas expressément mentionnée dans les dispositions législatives précitées.
Il s'ensuit que le bénéficiaire d'une donation au dernier vivant peut être frappé d'indignité successorale prévue à l'article 727 du code civil lorsque l'effet de la disposition à cause de mort a été provoquée par son bénéficiaire lui-même, quand bien même la mort donnée à son conjoint n'était pas directement dictée par la volonté de s'approprier ses biens.
En l'espèce, [C] [W] a été renvoyé devant une Cour d'assises pour y répondre de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner de son conjoint, [M] [N] dont il n'était pas divorcé. L'ordonnance de renvoi de [C] [W] devant la cour d'assises implique qu'il existait des charges graves et concordantes contre l'accusé et qu'il avait reconnu partiellement les faits. L'intéressé avait ainsi admis avoir porté a son épouse octogénaire, laquelle était affaiblie par plusieurs pathologies graves dont un cancer, des coups dont la force se trouve établie par le rapport d'autopsie concluant à un décès dû à une «'une asphyxie mécanique secondaire à une compression thoracique dans un contexte de violences'» caractérisées par des «'lésions multiples à la tête, au visage au cou et sur les membres évoquant des manoeuvres de prise et de défense'».
Il convient de relever qu'en l'absence d'appel principal ou incident sur ce point, le chef du jugement ayant déclaré [C] [W] indigne de succéder à son épouse [M] [N], en application de l'article 727, est définitif.
En revanche, pour les motifs précités, [C] [W] était également indigne à recevoir la donation au dernier vivant consentie par son épouse. Il s'ensuit que le jugement sera infirmé en ce qu'il a dit que la donation consentie à [C], [L] [W] par [M] [F] [N] suivant acte reçu le 30 septembre 1961 par Me [V], notaire à [Localité 6] n'est pas affectée par l'indignité du donataire, et a en conséquence, - débouté M. [H], [D], [J] [N], M. [U], [T] [N] et Mme [R], [E], [X] [Y], née [N] venant en représentation de leur père [D] [N], M. [I], [G], [P], [S] [N] et M. [K], [A], [S] [N], venant en représentation de leur père [A] [N] de leurs demandes de dévolution de la succession de [M] [F] [N].
En conséquence M. [L] [W] n'a pu recueillir de droits provenant de [M] [N] dans la succession de son père, compte tenu de l'indignité de celui-ci.
Il sera dit que l'intégralité de la succession de [M] [N] sera dévolue à ses neveux, les consorts [N]. Il convient donc de condamner M. [L] [W] à leur restituer l'intégralité des biens dépendant de la succession de [M] [N], ainsi que les fruits produits depuis son décès le 17 mai 2012.
Sur les demandes accessoires
Il y a lieu de condamner M. [L] [W] au paiement des dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Marc Sérégé, avocat, au titre de l'article 699 du code de procédure civile, et d'une indemnité de procédure de 5 000 euros au profit des appelants, au titre de l'article 700 de ce code.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort;
INFIRME le jugement, en ses dispositions querellées ;
DIT que [C] [W] était indigne de recevoir la donation au dernier vivant consentie par son épouse [M] [N] le 30 septembre 1961;
DEBOUTE M. [L] [W] de toutes ses demandes ;
DIT que la succession de [M] [N] échoit à ses neveux, MM. [H] et [U] [N], Mme [R] [N] épouse [Y], MM. [I] et [K] [N] ;
CONDAMNE M. [L] [W] à leur restituer l'intégralité des biens dépendant de la succession de [M] [N] ainsi que les fruits produits depuis son décès le 17 mai 2012 ;
LE CONDAMNE au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de l' avocat des appelants et d'une indemnité de procédure de 5 000 euros au profit de MM. [H] et [U] [N], Mme [R] [N] épouse [Y], MM. [I] et [K] [N].
Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de Chambre et Madame Fatima HAJBI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT