COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE
GROSSE à :
SELARL ACTE - AVOCATS ASSOCIES
Me Cécile KERNER
CPAM DU LOIRET
EXPÉDITION à :
[K] [X]
SARL [10]
MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Pôle social du Tribunal judiciaire d'ORLEANS
ARRÊT du : 2 MAI 2023
Minute n°191/2023
N° RG 21/03059 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GPHG
Décision de première instance : Pôle social du Tribunal judiciaire d'ORLEANS en date du 26 Octobre 2021
ENTRE
APPELANT :
Monsieur [K] [X]
[Adresse 8]
[Localité 6]
Représenté par Me Elsa FERLING de la SELARL ACTE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS
D'UNE PART,
ET
INTIMÉES :
SARL [10] anciennement dénommée [12]
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représentée par Me Cécile KERNER, avocat au barreau de MONTARGIS
CPAM DU LOIRET
[Adresse 13]
[Localité 4]
Représentée par Mme [M] [E], en vertu d'un pouvoir spécial
PARTIE AVISÉE :
MONSIEUR LE MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
[Adresse 2]
[Localité 9]
Non comparant, ni représenté
D'AUTRE PART,
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats et du délibéré :
Madame Nathalie LAUER, Président de chambre,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, Conseiller,
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller.
Greffier :
Monsieur Alexis DOUET, Greffier lors des débats et du prononcé de l'arrêt.
DÉBATS :
A l'audience publique le 28 FEVRIER 2023.
ARRÊT :
- Contradictoire, en dernier ressort.
- Prononcé le 2 MAI 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Nathalie LAUER, Président de chambre, et Monsieur Alexis DOUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
M. [K] [X], né en 1966, salarié depuis le 3 janvier 2012 de la SARL [12], entreprise de maçonnerie, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la SARL [10], a été victime d'un accident du travail le 19 décembre 2017 dans les circonstances suivantes : 'affecté au nettoyage de feuilles sur un abri de jardin, il a glissé de l'échelle plate et est tombé sur le sol'. Il s'est blessé au dos.
Cet accident a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret, ci-après CPAM du Loiret, au titre de la législation professionnelle. Son état de santé a été déclaré consolidé le 15 juillet 2019 et l'assuré s'est vu reconnaître un taux d'incapacité permanente partielle de 5 %.
Le 1er août 2019, aux termes de la visite médicale de reprise, M. [X] a été déclaré inapte à son poste sans possibilité de reclassement par le médecin du travail. Il a été licencié le 19 août 2019 pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.
Par courrier du 9 juin 2020, M. [X] a sollicité auprès de la caisse la mise en 'uvre de la procédure amiable en vue de la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans la survenance de son accident du travail. La tentative de conciliation n'ayant pas abouti selon procès-verbal de non-conciliation du 11 août 2020, il a saisi aux mêmes fins le Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans par requête du 28 juillet 2020.
Selon jugement du 26 octobre 2021, le Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans a :
- dit n'y avoir faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail survenu à M. [X] le 19 décembre 2017,
- débouté en conséquence M. [X] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la SARL [10] de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné M. [X] aux dépens.
Selon déclaration du 29 novembre 2021, M. [X] a relevé appel de ce jugement, qui lui a été notifié le 27 octobre 2021.
L'affaire a été appelée à l'audience du 28 février 2023.
Aux termes de ses conclusions visées à l'audience et soutenues oralement, M. [X] demande à la Cour de :
- déclarer son appel recevable et bien fondé.
- réformer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de qualification de faute inexcusable à l'origine de l'accident survenu le 19 décembre 2017 à son préjudice,
Statuant à nouveau,
- déclarer que l'accident du travail dont il a été victime le 19 décembre 2017 est dû à une faute inexcusable de la SARL [10] venant aux droits de la SARL [12],
- déclarer que le versement de l'ensemble des prestations et indemnités qui lui sont dues seront servies par la CPAM du Loiret,
- déclarer qu'il bénéficiera de la majoration maximale de la rente qui lui est allouée en application de l'article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale,
- ordonner, avant dire droit sur son préjudice, une expertise médicale afin de déterminer l'existence et l'ampleur de l'ensemble des préjudices liés à l'accident du travail du 19 décembre 2017 dont il a été victime,
- désigner tel Expert médical qu'il plaira à la Cour, avec pour mission, conformément aux dispositions des articles 232 à 248 et 263 à 284 du Code de procédure civile, de :
- convoquer M. [X] et lui rappeler qu'il peut se faire assister par un médecin-conseil et toute personne de son choix,
- convoquer les parties et leurs conseils aux opérations d'expertise,
- se faire communiquer l'entier dossier médical de M. [X] ainsi que toutes pièces médicales utiles à l'exécution de sa mission,
- recueillir les renseignements nécessaires sur l'identité de la victime et sa situation, les conditions de son activité professionnelle antérieurement et postérieurement à l'accident de travail, son mode de vie antérieur à l'accident et sa situation actuelle,
- entendre les parties et tous sachants,
- décrire en détail les lésions occasionnées par l'accident du travail du 19 décembre 2017, les modalités de traitement, en précisant, les durées exactes d'hospitalisation, de soins, et, pour chaque période d'hospitalisation, la nature des soins concernés,
- recueillir les doléances de M. [X], l'interroger sur les conditions d'apparition des lésions, l'importance des douleurs ressenties, la gêne fonctionnelle subie, leur durée et leurs conséquences au quotidien,
- procéder contradictoirement à un examen détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime, - A l'issue de cet examen, analyser :
o la réalité et l'origine des lésions initiales,
o la réalité de l'état séquellaire,
o l'imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales
- indiquer les périodes durant lesquelles M. [X] a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité totale ou partielle d'exercer son activité professionnelle ; en cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée,
- décrire le déficit fonctionnel temporaire de la victime,
- décrire et évaluer les souffrances physiques et morales endurées par la victime avant et après la consolidation,
- dire si, du fait des lésions initiales, il subsiste après la consolidation une altération permanente d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles ou mentales, ainsi que des douleurs permanente et, dans l'affirmative, après en avoir précisé les éléments et évalué l'importance, chiffrer le taux du déficit fonctionnel permanent,
- dire si l'état de santé de M. [X] est susceptible d'évolution et, dans l'affirmative, donner toute précisions utiles sur cette évolution et son degré de probabilité,
- donner un avis médical sur la nécessité éventuelle de soins postérieurs à la consolidation résultant des lésions subies par M. [X], leur durée et la fréquence de leur renouvellement,
- indiquer si le déficit fonctionnel permanent entraîne d'autres répercussions sur son activité professionnelle actuelle ou future (obligation de formation pour un reclassement professionnel, pénibilité accrue dans son activité, 'dévalorisation' sur le marché du travail, etc.)
- donner un avis sur l'existence et l'importance du préjudice esthétique, et dire son caractère temporaire ou définitif,
- donner un avis sur l'existence et l'importance du préjudice d'agrément, et dire son caractère temporaire ou définitif,
- établir un état récapitulatif de l'ensemble des postes visés par l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale et par la nomenclature Dintilhac y compris non énumérés dans la mission susvisée,
- dire que l'Expert pourra s'adjoindre au besoin tout sapiteur de son choix d'une autre spécialité que la sienne, à charge pour lui d'en informer préalablement le Tribunal,
- dire que l'Expert devra communiquer un pré-rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour produire leurs dires écrits, puis, après avoir répondu à ces éventuels dires, transmettre son rapport définitif aux représentants des parties et à la juridiction ayant procédé à sa désignation,
- déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à la CPAM du Loiret,
- ordonner la consignation par la CPAM du Loiret auprès du Régisseur de la Cour dans les 30 jours de la notification de la décision à intervenir du montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert,
- condamner la CPAM du Loiret à lui verser une somme de 10 000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation de ses préjudices,
- condamner la société [10] venant aux droits de la société [12] à rembourser à la CPAM le montant de la provision réglée en ses lieu et place,
- assortir les condamnations de l'intérêt au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir en application des articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil,
- ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du Code civil,
- condamner la société [10] venant aux droits de la société [12] à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile
- condamner la société [10] venant aux droits de la société [12] aux entiers dépens de la présente procédure dont distraction au profit de la SELARL Acte Avocats Associés.
Aux termes de ses écritures, visées à l'audience et soutenues oralement, la SARL [10] venant aux droits de la SARL [12] demande à la Cour de :
- déclarer l'action intentée par M. [X] prescrite et en conséquence, le déclarer irrecevable en ses demandes,
Subsidiairement sur le fond,
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- condamner M. [X] à lui verser une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel,
Infiniment subsidiairement,
- débouter M. [X] de sa demande d'expertise médicale eu égard à l'ancienneté de l'accident.
A l'audience, la CPAM du Loiret s'en est rapportée sur la faute inexcusable et a sollicité, éventuellement, le remboursement des sommes avancés par ses soins.
En application de l'article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures et observations des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
MOTIFS DE LA DECISION
- Sur la demande de fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action intentée par M. [X]
L'article 431-2 du Code de la sécurité sociale dispose que les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à dater du jour de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière. Il précise en son dernier alinéa qu'en cas d'accident susceptible d'entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la prescription de deux ans opposable aux demandes d'indemnisation complémentaire visée aux articles L. 452-1 et suivants est interrompue par l'exercice de l'action pénale engagée pour les mêmes faits ou de l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident.
En l'espèce, l'employeur soutient qu'en sollicitant la procédure de conciliation par courrier du 9 juin 2020, M. [X] a outrepassé le délai de prescription biennale qui courait à compter du 10 janvier 2018, date de la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident du travail.
L'assuré objecte pertinemment qu'il a cessé de bénéficier de ses indemnités journalières à compter de sa consolidation soit à compter du 15 juillet 2019, de sorte qu'il disposait d'un délai de deux ans à partir de cette date pour introduire sa procédure.
La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a considéré que la saisine du tribunal ayant été faite le 28 juillet 2020, l'action de M. [X] était recevable.
- Sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur
En application de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'accident, ou la maladie professionnelle, est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ainsi que l'a d'ailleurs jugé la Cour de cassation (Civ. 2ème., 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-25.021).
Il appartient au salarié ou à ses ayants droit de rapporter la preuve de la faute inexcusable de l'employeur.
La faute de la victime n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable, seule une faute inexcusable de la victime au sens de l'article L. 453-1 du Code de la sécurité sociale peut permettre de réduire la majoration de sa rente.
Présente le caractère d'une faute inexcusable de la victime, la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience.
- Sur le caractère professionnel de l'accident du 19 décembre 2017
La faute inexcusable ne peut être retenue que si l'accident ou la maladie revêt un caractère professionnel.
Selon l'article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
Il résulte de ces dispositions que l'accident survenu au temps et au lieu de travail est présumé être un accident du travail, sauf à établir que la lésion a une cause totalement étrangère au travail.
En l'espèce, il n'est pas contesté que l'accident du 19 décembre 2017 dont a été victime M. [X] en chutant d'un toit, alors qu'il était en fonction, présente un caractère professionnel et que les lésions en ayant découlé lui sont imputables, l'employeur n'évoquant au surplus aucune cause étrangère.
- Sur la conscience du danger et les mesures prises
En l'espèce, M. [X] soutient que l'employeur a commis des manquements graves à son obligation de sécurité lesquels sont à l'origine de son accident du travail. Il invoque notamment le manque de formation de couvreur puisqu'il était maçon, mais aussi l'absence d'équipements adaptés au travail en hauteur avec de surcroît de l'amiante, ou bien encore le défaut d'évaluation des risques. L'employeur considère pour que sa part que le salarié échoue à rapporter la preuve de ces griefs et donc de la faute inexcusable alléguée.
Au préalable, il sera rappelé que M. [X] exerçait la profession de maçon au sein de la société et que le jour de l'accident, il lui a été demandé de procéder au nettoyage de feuilles sur un abri de jardin, dont il est tombé, se blessant au dos.
Il n'est pas discuté qu'il s'agissait d'un travail en hauteur, l'employeur ne pouvant ignorer les risques de chute inhérents à cette activité.
S'agissant de la formation dispensée à ce sujet au sein de l'entreprise, force est de constater que l'employeur n'apporte aucun élément susceptible de contredire les dires du salarié sur ce point, ne versant aux débats que les CACES 1 et 9 obtenus le 8 mars 2013 par M. [X] en matière d'engins de chantier. Il invoque par ailleurs de manière inopérante l'activité parallèle qu'exerçait le salarié à titre individuel dans le domaine du nettoyage alors que l'obligation de sécurité pèse sur l'employeur et qu'au surplus, le salarié justifie que son activité personnelle se limitait au nettoyage courant de bâtiments.
Sur la question du matériel et des équipements mis à la disposition du salarié pour exercer les travaux querellés, il n'est pas contesté que le salarié disposait d'une échelle plate et était accompagné d'un élève de troisième en stage. De la même façon, les parties conviennent que le toit du garage était compris entre 2,50 mètres et 3,70 mètres voire 4 mètres.
L'employeur justifie d'une note de service du 30 mars 2017 rappelant l'obligation des salariés de porter les équipements de protections individuelles disponibles dans la réserve ; il atteste par plusieurs témoignages de salariés qu'ils en disposaient effectivement. Toutefois, selon un témoin, M. [X] se déplaçait sur le toit sans sécurité en dehors de l'échelle.
Par ailleurs, le conducteur de travaux affirme avoir demandé à M. [X] s'agissant du chantier litigieux de monter des échafaudages de pied de part et d'autre du garage afin d'installer des échelles de toit sur la couverture et de porter un harnais de protection anti-chute. Il doit cependant être observé, ainsi que le relève pertinemment le salarié, qu'il n'avait pas les moyens, seul avec un stagiaire de 3ème, de procéder à ces installations, et que les dires du conducteur de travaux ne sont corroborés par aucun élément matériel alors qu'au surplus, aux termes des dispositions de l'article R. 4323-63 du Code du travail, il est interdit d'utiliser les échelles, escabeaux et marchepieds comme poste de travail, sauf en cas d'impossibilité technique de recourir à un équipement assurant la protection collective des travailleurs ou lorsque l'évaluation du risque a établi que ce risque est faible et qu'il s'agit de travaux de courte durée ne présentant pas un caractère répétitif.
A cet égard, il n'apparaît pas que l'employeur ait procédé, préalablement aux travaux, à une évaluation des risques permettant de répondre aux schéma et constatations du salarié, lequel expose que le toit où il devait intervenir était en fibro-ciment, amianté et dégradé, de sorte qu'il n'a pas supporté la contrainte physique de son poids combiné avec celui du souffleur de feuilles de 15 kilogrammes, ce qui est parfaitement conforme avec les circonstances de l'accident et les lésions en ayant résulté. Il n'est pas davantage avéré qu'en sus des risques de chute inhérents aux travaux en hauteur, les risques tenant à l'élimination de l'amiante aient été pris en considération par l'employeur.
Il est ainsi établi que l'employeur, comme le soutient le salarié, n'a pas identifié ni évalué les risques de chute auquel il était exposé dans l'utilisation de l'échelle plate à sa disposition pour le chantier litigieux de la même façon qu'il n'est pas justifié de la mise en place des actions d'information de formation ainsi que d'une organisation et des moyens appropriés au cas présent. La faute inexcusable de la société [10] sera donc retenue et le jugement entrepris infirmé.
- Sur les conséquences de la faute inexcusable de l'employeur
1- la majoration de la rente
Conformément à l'article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale, la faute inexcusable de l'employeur ouvre droit à la majoration de la rente ou du capital alloué à la victime, calculée en fonction de la réduction de capacité dont celle-ci est atteinte. Toutefois, la rente majorée ne peut pas dépasser soit le salaire annuel de la victime en cas d'incapacité totale, soit la fraction de salaire correspondant au taux d'incapacité s'il s'agit d'une incapacité permanente partielle. La majoration suit l'évolution du taux d'incapacité de la victime.
Il convient en l'espèce de dire que la majoration de la rente sera fixée au maximum dans la limite des plafonds précités et, pour ce qui concerne les rapports caisse/assuré, qu'elle suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle de M. [X], qui a été fixé à 5 %.
S'agissant des rapports caisse/employeur, il y a lieu de prévoir que l'action récursoire de la CPAM du Loiret pourra s'exercer à l'encontre de l'employeur dans la limite du taux d'incapacité permanente de la victime précité.
Enfin, s'agissant du capital représentatif de la majoration de la rente dû par l'employeur en remboursement à la caisse, l'article D. 452-1 du Code de la sécurité sociale prévoit qu'il est calculé dans les conditions prévues à l'article R. 454-1 du même code, lequel renvoie à deux arrêtés successifs définissant le barème de capitalisation qui doit être utilisé par les caisses primaires d'assurance maladie, de sorte que cette demande de la caisse au titre de son action récursoire est déterminable.
En conséquence, la société devra rembourser à la caisse les sommes avancées par elle conformément aux articles L. 452-2 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale.
2. l'indemnisation des préjudices de M. [X]
Indépendamment de la majoration de la rente, la victime peut aussi demander à l'employeur, conformément à l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, la réparation des dommages subis en conséquence de la maladie professionnelle qui ne sont pas couverts par la législation professionnelle. Dans une décision du 18 juin 2010 (n° 2010-8 QPC), le Conseil constitutionnel a précisé que la victime peut, devant la juridiction de sécurité sociale, demander à l'employeur la réparation de certains chefs de préjudice énumérés par l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale et qu'en présence d'une faute inexcusable de l'employeur, les dispositions de ce texte ne sauraient toutefois faire obstacle à ce que cette même personne, devant les mêmes juridictions, puisse demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale.
En l'espèce, il convient de faire droit à la demande d'expertise présentée par M. [X] afin de permettre l'évaluation des préjudices indemnisables résultant de la maladie professionnelle de celui-ci due à la faute inexcusable de l'employeur.
Il y a lieu de rappeler que l'expertise ne peut porter ni sur les frais médicaux et assimilés, ni sur le déficit permanent ni sur la perte de gains professionnels qui sont déjà couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale mais seulement, outre les chefs de préjudices expressément énumérés par l'article L. 452-3, à savoir les souffrances endurées, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément et la perte des possibilités de promotion professionnelle, sur le préjudice sexuel, la nécessité de l'aménagement du logement et celle d'un véhicule adapté, et sur les préjudices non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale en lien avec l'éventuelle nécessité de recourir à une tierce personne avant la consolidation et avec le déficit fonctionnel temporaire.
Les frais d'expertise seront avancés par la caisse qui en récupérera le montant auprès de l'employeur.
3- la demande de provision
M. [X] formule une demande de provision de 10 000 euros à valoir sur le montant de l'indemnité qui lui sera attribuée en réparation de ses préjudices sans plus de motivation. En l'absence de tout élément, il ne sera pas fait droit à ce chef de demande.
- Sur les autres demandes
Il convient de condamner la société, qui succombe, à payer d'ores et déjà à M. [X] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et de réserver les dépens dans l'attente de l'issue du litige.
PAR CES MOTIFS:
La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition et en dernier ressort,
Infirme le jugement du 26 octobre 2021 du Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que l'accident du travail dont M. [K] [X] a été victime le 19 décembre 2017 est dû à la faute inexcusable de son employeur, la SARL [10] venant aux droits de la SARL [12] ;
Fixe au maximum la majoration de la rente allouée à M. [K] [X] ;
Dit que cette majoration sera avancée par la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret qui pourra récupérer auprès de l'employeur le montant de la majoration de la rente reçue par M. [K] [X] ;
Dit que s'agissant des rapports caisse/employeur, l'action récursoire de la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret ne pourra s'exercer à l'encontre de la SARL [10] venant aux droits de la SARL [12] que dans la limite du taux d'incapacité permanente de la victime qui lui est opposable ;
Avant dire droit sur le montant de la réparation des préjudices causés par la faute inexcusable de l'employeur,
Ordonne une expertise médicale de M. [K] [X] ;
Commet pour y procéder le Docteur [W] [B], expert inscrit sur la liste établie par la Cour d'appel de Bourges, demeurant [Adresse 3] (courriel : [Courriel 11], tel : [XXXXXXXX01]) avec mission de :
- convoquer l'ensemble des parties et leurs avocats, recueillir les dires et doléances de la victime, se procurer tous documents médicaux ou autres relatifs à la présente affaire et procéder en présence des médecins mandatés par les parties, avec l'assentiment de la victime, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime,
- décrire en détail les lésions initiales, les modalités de traitement, en précisant les durées exactes d'hospitalisation et pour chaque période d'hospitalisation la nature des soins,
- déterminer, décrire, qualifier et chiffrer :
* les chefs de préjudices expressément énumérés par l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, à savoir :
¿ les souffrances endurées (sur une échelle de 1 à 7),
¿ le préjudice esthétique (sur une échelle de 1 à 7),
¿ le préjudice d'agrément défini comme l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs,
¿ la perte ou la diminution des possibilités de promotion professionnelle,
* le préjudice sexuel,
* la nécessité de l'aménagement du logement et celle d'un véhicule adapté,
* le préjudice d'établissement consistant en la perte d'espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap,
* le déficit fonctionnel temporaire : indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles, préciser la durée des périodes d'incapacité totale ou partielle et le taux de celle-ci,
* s'il y a lieu, la nécessité de recourir à une tierce personne avant la consolidation ;
Rappelle que M. [K] [X] devra répondre aux convocations de l'expert et qu'à défaut de se présenter sans motif légitime et sans en avoir informé l'expert, l'expert est autorisé à dresser un procès-verbal de carence et à déposer son rapport après deux convocations restées infructueuses ;
Ordonne la consignation par la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret auprès du régisseur de la Cour d'appel d'Orléans, dans les 60 jours à compter de la notification du présent arrêt, de la somme de 1 200 euros à valoir sur la rémunération de l'expert ;
Dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret qui en aura fait l'avance, pourra récupérer le montant de la provision pour frais d'expertise auprès de la SARL [10] venant aux droits de la SARL [12] ;
Dit que l'expert pourra en tant que de besoin être remplacé par simple ordonnance du président de la chambre de la sécurité sociale ;
Dit que l'expert devra donner connaissance de ses premières conclusions aux parties et répondre à toutes observations écrites de leur part dans le délai qu'il leur aura imparti avant d'établir son rapport définitif ;
Dit que l'expert déposera son rapport au greffe de la Cour dans les quatre mois après qu'il aura reçu confirmation du dépôt de la consignation ;
Déboute M. [K] [X] de sa demande de provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices ;
Renvoie l'affaire à l'audience de la chambre de la sécurité sociale de la Cour d'appel d'Orléans du mardi 17 octobre 2023 à 9 heures ;
Dit que la notification du présent arrêt vaudra convocation régulière des parties à cette audience ;
Condamne la SARL [10] venant aux droits de la SARL [12] à verser à M. [K] [X] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Réserve les dépens.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,