COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE
GROSSE à :
SELARL [7]
CPAM D'ILLE ET VILAINE
EXPÉDITION à :
SARL [6]
MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Pôle social du Tribunal judiciaire d'ORLEANS
ARRÊT du : 2 MAI 2023
Minute n°184/2023
N° RG 21/02609 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GOIQ
Décision de première instance : Pôle social du Tribunal judiciaire d'ORLEANS en date du 9 Septembre 2021
ENTRE
APPELANTE :
CPAM D'ILLE ET VILAINE
Pôle Contentieux
Contentieux Général et Technique
[Localité 3]
Représentée par Mme [T] [V], en vertu d'un pouvoir spécial
D'UNE PART,
ET
INTIMÉE :
SARL [6]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Michaël RUIMY de la SELARL R & K AVOCATS, avocat au barreau de LYON
PARTIE AVISÉE :
MONSIEUR LE MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
[Adresse 2]
[Localité 5]
Non comparant, ni représenté
D'AUTRE PART,
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats et du délibéré :
Madame Nathalie LAUER, Président de chambre,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, Conseiller,
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller.
Greffier :
Monsieur Alexis DOUET, Greffier lors des débats et du prononcé de l'arrêt.
DÉBATS :
A l'audience publique le 28 FEVRIER 2023.
ARRÊT :
- Contradictoire, en dernier ressort.
- Prononcé le 2 MAI 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Nathalie LAUER, Président de chambre, et Monsieur Alexis DOUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Le 2 mai 2019, M. [W] [M], salarié de la société [6] depuis le 5 septembre 2018, a procédé à deux déclarations de maladies professionnelles qu'il a adressées à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ille et Vilaine pour les pathologies suivantes 'calcification du secteur postérieur du tendon sus épineux gauche et tendinopathie épaule et coude gauche'.
Un certificat médical initial a été établi le 29 avril 2019 faisant état d'une 'tendinopathie tendon sus épineux gauche ' épicondylite du coude gauche ' tableau 57'.
Après avoir procédé à une instruction médico-administrative du dossier au titre du tableau n° 57 des maladies professionnelles, la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille et Vilaine a notifié à la société [6], le 26 août 2019, la prise en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels dans le cadre du 2ème alinéa de l'article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale, de la 'tendinopathie des muscles épicondyliens du coude gauche'.
Le 25 octobre 2019, la société [6] a saisi la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie afin de voir dire que cette décision lui est inopposable.
A défaut de réponse, par requête du 10 février 2020, elle a saisi le Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans du rejet implicite de son recours.
Par jugement rendu le 9 septembre 2021, le Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans a :
- déclaré inopposable à la société [6] la prise en charge de la décision de la caisse du 26 août 2019 de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [M] et l'ensemble des conséquences financières,
- condamné la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille et Vilaine aux dépens.
Suivant déclaration effectuée par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 septembre 2021 et enregistrée au greffe le 20 septembre 2021, la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille et Vilaine a relevé appel de ce jugement.
Dans ses conclusions visées par le greffe le 28 février 2023 et soutenues oralement à l'audience du même jour, la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille et Vilaine demande à la Cour de :
- infirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans le 9 septembre 2021 en ce qu'il a déclaré inopposable à la SARL [6] la décision de prise en charge de la maladie déclarée par M. [W] [M],
En conséquence, et statuant de nouveau':
- déclarer que la condition du tableau n° 57B des maladies professionnelles relative au délai de prise en charge est remplie,
- dire que les conditions de prise en charge de la maladie déclarée par M. [W] [M] sont remplies,
- déclarer opposable à la SARL [6], la décision de la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille et Vilaine notifiée le 26 août 2019, de prendre en charge au titre de la législation professionnelle, la maladie déclarée par M. [W] [M],
- condamner la SARL [6] aux dépens de l'instance.
Dans ses conclusions visées par le greffe le 28 février 2023 et soutenues oralement à l'audience du même jour, la société [6] demande à la Cour de :
Vu les dispositions législatives et réglementaires susvisées,
Vu la jurisprudence précitée,
- confirmer le jugement rendu le 9 septembre 2021 par le tribunal judiciaire d'Orléans,
juger que la caisse primaire d'assurance maladie ne rapporte pas la preuve que la pathologie du 11 février 2019, déclarée par M. [W] [M], a été médicalement constatée dans le délai de prise en charge de 14 jours, requis par le tableau 57B des maladies professionnelles,
- juger qu'il incombe à la caisse primaire d'assurance maladie de rapporter la preuve de la réunion de l'ensemble des conditions requises par le tableau 57B des maladies professionnelles,
- juger que la caisse primaire d'assurance maladie ne démontre pas, en l'espèce, que l'ensemble des conditions requises par le tableau 57B sont remplies,
Par conséquent,
- juger inopposable à la société [6] la décision de prise en charge de la pathologie du 11 février 2019 déclarée par M. [W] [M].
En application de l'article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
MOTIFS
Moyens des parties
La caisse primaire d'assurance maladie d'Ille et Vilaine poursuit l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré inopposable à la société [6] la tendinopathie d'insertion des muscles épicondyliens du coude gauche déclarée par M. [W] [M] le 2 mai 2019. Elle soutient qu'il convient de faire la distinction entre la première constatation médicale et le certificat médical accompagnant la déclaration de maladie professionnelle'; que le respect du délai de prise en charge à compter de la cessation de l'exposition au risque s'effectue à partir d'une première constatation médicale'; qu'en l'espèce, la déclaration de maladie professionnelle mentionne expressément comme date de première constatation de la pathologie déclarée le 11 février 2019, date de cessation d'exposition au risque, que dès lors, le délai de prise en charge prévu au tableau 57B est parfaitement respecté. Elle ajoute ne pas être tenue de produire aux débats le volet désensibilisé de l'arrêt de travail initial, en date du 11 février 2019, lequel demeure soumis au secret professionnel.
La société [6] conclut à la confirmation du jugement déféré. Elle expose qu'une maladie ne peut être prise en charge au titre de la législation professionnelle que si sa première constatation médicale intervient pendant l'exposition au risque ou pendant le délai de prise en charge.
Elle ajoute que si cette première constatation n'est pas soumise aux mêmes exigences de forme que le certificat accompagnant la déclaration de maladie professionnelle, il n'en reste pas moins qu'elle doit ressortir d'un document établi par un médecin au moment de celle-ci et non postérieurement au délai. Elle fait valoir qu'en l'espèce, compte tenu de la maladie déclarée par M. [M], le délai de prise en charge prévu étant fixé à 14 jours, et son dernier jour travaillé au 8 février 2019, sa pathologie devait être médicalement constatée avant le 23 février 2019'; que le colloque médico-administratif qui renvoie à la date fixée sur le certificat médical initial est insuffisant à établir cette date de première constatation, tout comme l'avis d'arrêt de travail du 11 février 2019 qui ne mentionne pas la pathologie, de sorte qu'il est impossible d'établir un lien avec la maladie déclarée, que faute d'élément médical permettant d'établir qu'au 11 février 2019 la maladie a été médicalement constatée, la prise en charge de cette maladie au titre de la législation sur les risques professionnels est inopposable à l'employeur.
Appréciation de la Cour
En application de l'article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale :
'les dispositions du présent titre sont applicables aux maladies d'origine professionnelle sous réserve des dispositions du présent titre. En ce qui concerne les maladies professionnelles, est assimilée à la date de l'accident :
1° la date de la première constatation médicale de la maladie ;
2° lorsqu'elle est postérieure, la date qui précède de deux années la déclaration de maladie professionnelle mentionnée au premier alinéa de l'article L. 461-5 ;
3° pour l'application des règles de prescription de l'article L. 431-2, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle.
Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-1.
Les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme d'origine professionnelle, dans les conditions prévues au septième et avant-dernier alinéa du présent article. Les modalités spécifiques de traitement de ces dossiers sont fixées par voie réglementaire'.
Il résulte de l'article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale qu'est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau et contractée dans les conditions dudit tableau (délai de prise en charge et liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies). En cas de contestation de l'employeur, il appartient à la caisse de démontrer que les conditions du tableau dont elle invoque l'application son remplies.
Selon l'annexe II : Tableaux des maladies professionnelles prévus à l'article R. 461-3 (Articles Annexe II : Tableau n° 1 à Annexe II : Tableau n° 102)
Annexe II : Tableau n° 57
Modifié par Décret n°2017-812 du 5 mai 2017 - art. 1
AFFECTIONS PERIARTICULAIRES PROVOQUEES PAR CERTAINS
GESTES OU POSTURES DE TRAVAIL.
DÉSIGNATION DES MALADIES
DÉLAI
de prise en charge
LISTE LIMITATIVE DES TRAVAUX susceptibles de provoquer ces maladies
B - Coude
Tendinopathie d'insertion des muscles épicondyliens associée ou non à un syndrome du tunnel radial.
14 jours
Travaux comportant habituellement des mouvements répétés de préhension ou d'extension de la main sur l'avant-bras ou des mouvements de pronosupination.
Il est rappelé que la maladie doit correspondre précisément à celle décrite au tableau en l'ensemble de ses éléments constitutifs.
En l'espèce, seul fait débat le délai de prise en charge, la société [6] ne contestant pas le diagnostic de la tendinopathie d'insertion des muscles épicondyliens.
L'article D. 461-1-1 du Code de la sécurité sociale énonce que la date de la première constatation médicale est la date à laquelle les premières manifestations de la maladie ont été constatées par un médecin avant même que le diagnostic ne soit établi, et ajoute qu'elle est fixée par le médecin conseil.
Il est constant que la date de première constatation médicale (nécessaire pour s'assurer du respect du délai de prise en charge figurant au tableau) peut être antérieure à celle du certificat médical initial, et que la pièce caractérisant la première constatation médicale d'une maladie professionnelle dont la date est antérieure à celle du certificat médical initial n'est pas soumise aux mêmes exigences de forme que celui-ci et n'est pas au nombre des documents constituant le dossier qui doit être mis à la disposition de la victime ou de ses ayants droit et de l'employeur en application de l'article R. 441-14, alinéa 3, du Code de la sécurité sociale.
Pour autant, il appartient aux juges du fond de vérifier, en cas de contestation, que la preuve, de ce que la première constatation médicale de la maladie est intervenue dans le délai de prise en charge, est rapportée.
A hauteur de Cour, la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille et Vilaine ne produit aucun élément médical de nature à remettre en cause la décision des premiers juges. En effet, comme l'a exactement retenu le jugement déféré, alors que la date de fin d'exposition au risque est fixée au 8 février 2019, et que le délai de prise en charge est de 14 jours, aucun document médical n'établit qu'au plus tard le 22 février 2019, M. [W] [M] présentait une quelconque manifestation d'une tendinopathie d'insertion des muscles épicondyliens du coude gauche.
Dans sa fiche de colloque médico-administratif du 1er août 2019, le médecin conseil a fixé la date de première constatation médicale au 11 février 2019 en précisant 'date mentionnée sur le CMI'. Il résulte toutefois que le certificat médical initial auquel renvoie le médecin conseil, établi le 29 avril 2019, n'est corroboré par aucun élément objectif contemporain de la date du 11 février 2019.
En effet, l'avis d'arrêt de travail initial du 11 février 2019 produit ne précise pas la pathologie concernée, alors même que M. [W] [M] a déclaré dès mai 2019 deux pathologies, l'une de l'épaule et l'autre du coude.
Dès lors, aucune autre pièce médicale ne permet de rattacher l'avis d'arrêt de travail initial, établi le 11 février 2019 à la tendinopathie d'insertion des muscles épicondyliens du coude gauche déclarée par M. [W] [M] le 2 mai 2019,
Le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
La caisse primaire d'assurance maladie d'Ille et Vilaine, qui succombe, sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS:
Confirme le jugement du 9 septembre 2021 du Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille et Vilaine aux dépens.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,