C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE - A -
Section 2
PRUD'HOMMES
Exp + GROSSES le 30 MARS 2023 à
la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS
la SELARL 2BMP
XA
ARRÊT du : 30 MARS 2023
N° : - 23
N° RG 21/00793 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GKJL
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BLOIS en date du 09 Février 2021 - Section : INDUSTRIE
ENTRE
APPELANTE :
S.A.S. SONOLAQUE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Isabelle TURBAT de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau d'ORLEANS,
ayant pour avocat plaidant Me Hayat TABOHOUT, avocat au barreau de PARIS
ET
INTIMÉE :
Madame [H] [A]
née le 26 Janvier 1987 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Guillaume PILLET de la SELARL 2BMP, avocat au barreau de TOURS
Ordonnance de clôture :
A l'audience publique du 12 Janvier 2023
LA COUR COMPOSÉE DE :
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, conseiller,
Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller.
Assistés lors des débats de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier.
Puis ces mêmes magistrats ont délibéré dans la même formation et le 30 MARS 2023, Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier, a rendu l'arrêt par mise à disposition au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [H] [A] a été engagée par la société Sonolaque (SAS) en qualité de responsable qualité, dans le cadre d'un contrat d'un contrat de travail à durée déterminée à compter du 27 avril 2016, renouvelé le 1er novembre 2016 jusqu'au 30 avril 2017. Un avenant au contrat de travail a été signé le 11 mai 2017, prenant acte de la transformation du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter du 1er mai 2017.
Le 19 mars 2018, Mme [A] a été placée en arrêt de travail pour maladie d'origine non professionnelle.
Dans le cadre d'une visite de reprise, le 16 avril 2018, Mme [A] a été déclarée inapte à son poste de travail, mentionnant que " tout maintien de la salariée dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ".
Le 3 mai 2018, la société a convoqué la salariée à un entretien préalable à licenciement fixé au 16 mai 2018, qui lui a été notifié par courrier le 19 mai 2018 pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
Par requête du 29 août 2018, Mme [H] [A] a saisi le conseil de prud'hommes de Blois d'une demande tendant à reconnaître la nullité du licenciement en raison d'un harcèlement moral, ainsi qu'au paiement de diverses sommes en conséquence.
Par jugement du 9 février 2021, le conseil de prud'hommes de Blois a :
- Dit et jugé que les faits de harcèlement moral sont établis.
- Requalifié le licenciement pour inaptitude de Mme [A] [H] en licenciement nul.
- Condamné en conséquence la SAS Sonolaque à payer à Mme [A] [H] les sommes suivantes :
- 10 000,00 euros au titre des dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- 11 000,00 euros au titre de l'indemnité pour licenciement nul,
- 3 436,84 euros au titre de l'indemnité de préavis,
- 343,68 euros au titre des congés payés afférents.
- Condamné la SAS Sonolaque à régler à Mme [A] [H] la somme de 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
- Ordonné la remise des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à compter du 15ème jour suivant la notification du présent jugement
- S'est réservé la faculté de liquider ladite astreinte.
- Rappelé les dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail relatives à l'exécution provisoire de droit.
- Débouté la SAS Sonolaque de ses demandes reconventionnelles
- Condamné la SAS Sonolaque aux entiers dépens.
Le 10 mars 2021, la société Sonolaque a relevé appel de cette décision, notifiée par courrier du 12 février 2021, par déclaration formée par voie électronique au greffe de la cour.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 25 novembre 2021 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Sonolaque demande à la cour de :
- Déclarer la société Sonolaque bien fondée en son appel, y faire droit ;
A titre liminaire,
- Juger qu'en l'absence de demande d'infirmation du jugement, la cour n'est pas saisie d'appel incident,
Par conséquent,
- Juger que la cour ne peut statuer sur les demandes suivantes :
" - Statuant à nouveau, condamner la SAS Sonolaque à verser à Mme [A] la somme de 20 000 euros d'indemnité pour licenciement nul
-Ordonner la remise des documents de fin de contrat sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter de la décision à intervenir, la remise d'un bulletin de paie afférent aux créances salariales et d'une attestation pôle emploi rectifiées.
-Condamner la SAS Sonolaque aux entiers dépens qui comprendront les frais éventuels d'exécution et au paiement de la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. "
En tout état de cause,
- Juger l'appel de la société Sonolaque recevable et bien fondé ;
- Infirmer le jugement du 9 février 2021 du Conseil de prud'hommes de Blois en ce qu'il a :
o Dit et jugé que les faits de harcèlement moral sont établis ;
o Requalifié le licenciement pour inaptitude de Mme [A] [H] en licenciement nul ;
o Condamné en conséquence la SAS Sonolaque à payer à Mme [A] [H] les sommes suivantes :
-10.000 euros au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral
-11.000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement nul
-3.436,84 euros au titre de l'indemnité de préavis
-343,68 euros au titre des congés payés afférents
o Condamné la SAS Sonolaque à payer à Mme [A] [H] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile
o Ordonné la remise des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour de tard à compter à compter du 15ème jour suivant la notification du présent jugement ;
o S'est réservé la faculté de liquider ladite astreinte ;
o Rappelé les dispositions de l'article R.1454-28 du Code du Travail relative à l'exécution provisoire de droit ;
o Débouté la SAS Sonolaque de ses demandes reconventionnelles ;
o Condamné la SAS Sonolaque aux entiers dépens.
Et statuant à nouveau :
A titre principal,
- Juger que les attestations produites par Mme [A] (pièces adverses numérotées n°22 et 23 en première instance) sont irrecevables, ces dernières ne respectant pas le formalisme prescrit par l'article 202 du Code de Procédure Civile,
- Juger que Mme [A] n'ayant jamais dénoncé de faits de harcèlement moral avant sa saisine du conseil de prud'hommes de Blois, ses demandes au titre de la requalification de son licenciement en licenciement nul et son indemnisation complémentaire sur le même fondement sont irrecevables ;
Et en conséquence,
- Débouter Mme [A] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires ;
- Condamner Mme [A] à verser à la société Sonolaque la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens
A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour jugeait recevables les demandes de Mme [A],
- Juger que Mme [A] ne justifie pas d'éléments matériels, précis et concordants laissant supposer de faits de harcèlement moral à son encontre ou qui, pris dans leur ensemble, caractérisait des actes de harcèlement moral, l'employeur justifiant, en tout état de cause, pour les éventuels faits incriminés, d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement
- Juger que Mme [A] ne justifie pas d'un préjudice distinct pour solliciter une indemnisation complémentaire et en tout état de cause, n'ayant jamais dénoncé les faits de harcèlement moral dont elle se dit victime avant la saisine du conseil en date du 29 août 2018, la société Sonolaque n'a pu manquer à son obligation de sécurité,
Et en conséquence,
- Débouter Mme [A] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires ;
- Condamner Mme [A] à verser à la société Sonolaque la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens
A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire, la cour entrait en voie de condamnation,
- Fixer le salaire de référence de Mme [A] à la somme de 1.718,42 euros bruts
- Fixer l'ancienneté de Mme [A] à 1 an et 11 mois compte tenu des périodes de suspension du contrat de travail non assimilées à du travail effectif dans le calcul de l'ancienneté
- Ramener à de plus justes proportions les indemnités demandées et en conséquence,
- Limiter les condamnations aux sommes suivantes :
o 10.310,52 euros correspondant à 6 mois de salaire, au titre de l'indemnité pour licenciement nul
o 500 euros au titre de l'indemnité pour manquement à l'obligation de sécurité
o 1.714,42 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
o 171,42 euros bruts au titre des congés payés afférents
- Débouter Mme [A] pour le surplus de ses demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires
- Condamner Mme [A] à verser à la société Sonolaque la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens
***
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 25 octobre 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [H] [A] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Blois du 9 février 2021 en ce qu'il a condamné la SAS Sonolaque à verser à Mme [A] :
- 10.000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- 3.436,84 euros au titre de l'indemnité de préavis,
- 343,68 euros au titre des congés payés y afférents,
- 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'infirmer pour le surplus.
- Statuant à nouveau, condamner la SAS Sonolaque à verser à Mme [A] la somme de 20 000 euros d'indemnité pour licenciement nul.
- Ordonner sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter de la décision à intervenir la remise d'un bulletin de paie afférent aux créances salariales et d'une attestation pôle emploi rectifiées.
- Condamner la SAS Sonolaque aux entiers dépens qui comprendront les frais éventuels d'exécution et au paiement de la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur le harcèlement moral
La société Sonolaque demande à la cour de déclarer irrecevables les demandes de Mme [A] fondées sur le harcèlement moral, au motif qu'à aucun moment la salariée n'a qualifié les faits reprochés à l'employeur de harcèlement moral, se fondant sur un arrêt de la Cour de cassation du 13 septembre 2017 (pourvoi n°15-23.045).
La cour constate que cette décision est relative au licenciement d'un salarié qui avait été licencié pour avoir dénoncé des faits reprochés à son employeur que ce dernier considérait comme diffamatoires, mais que ce salarié n'avait pas qualifié de harcèlement moral, ce qui est sans rapport aucun avec le présent litige.
En tout état de cause, il n'est pas exigé du salarié qui dénonce des faits pouvant revêtir la qualification de harcèlement moral et qui en conséquence, demande la nullité du licenciement prononcé par ailleurs à son encontre pour un motif quelconque, de les avoir, préalablement à la procédure qu'il a engagée dans ce sens, qualifiés comme tels.
Ce moyen sera rejeté et les demandes de Mme [A] fondée sur le harcèlement moral seront déclarées recevables.
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il appartient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, Mme [A] expose que le 27 juillet 2017, plusieurs salariés, dont Mme [A], ont adressé un courrier au gérant de la société, M.[Y], dans lequel ils se plaignaient du comportement du co-gérant, Monsieur [B], sans qu'une réponse soit apportée, alors que ce dernier aurait fait preuve d'un manque de respect, de paroles et d'allusions déplacées et d'un comportement oppressant qui a causé le départ pour divers motifs des salariés concernés. Elle produit diverses attestations dans ce sens. Elle ajoute qu'elle a fait l'objet d'une rétrogradation, passant de responsable qualité à simple livreur, les fonctions de livraison, auparavant accessoires, étant devenues les seules après que ses missions de contrôle du travail de poudrage lui ont été retirées. Enfin, elle souligne que le gérant était informé de sa situation qu'elle subissait. Elle affirme que cela a entraîné la dégradation de sa situation de santé.
La société Sonolaque réplique que le courrier collectif du 27 juillet 2017 a trait aux conditions de travail, les revendications étant principalement d'ordre salarial et organisationnel, évoquant un milieu " masculin et un peu rude " au niveau du langage, sans que l'existence d'un harcèlement moral soit évoqué. Elle conteste les attestations produites par la salariée qui émanent, selon elle, de salariés n'ayant que peu travaillé avec Mme [A] ou à une période ancienne, et l'existence de pressions ou d'humiliations invoquées par la salariée. S'agissant de la rétrogradation qui aurait été imposée à Mme [A], elle indique que l'ensemble des salariés de cette petite entreprise sont polyvalents, comme indiqué dans la fiche de poste, soulignant que Mme [A] était classifiée employée et non agent de maîtrise, de sorte qu'elle n'effectuait pas que du contrôle qualité, tâche dont elle n'aurait pas été privée, ce dont elle se serait jamais plainte. Enfin, elle remarque que le dossier médical de l'intéressée n'évoque pas l'existence d'un quelconque harcèlement moral.
A l'appui de ses affirmations, Mme [A] produit :
- Le courrier adressé par 7 salariés, dont Mme [A], le 27 juillet 2017, dans lequel un rendez-vous " confidentiel " est demandé au gérant de la société, M.[Y], en raison de " désagréments dans la gestion du personnel " qu'ils estiment subir quotidiennement, en mettant en cause le co-gérant, M.[B]. La première question que ces salariés souhaitaient aborder était le " respect ", ce qui laisse apparaître l'existence d'une difficulté de comportement de ce dernier, puis diverses questions liées aux feuilles d'heures, aux salaires, à l'égalité de traitement, la sécurité, les conditions de travail, au temps de travail et à la pénibilité,
- Une attestation de M.[N], dans lequel celui-ci dénonce une manque de respect de la part de M.[B] vis-à-vis des salariés, des " paroles déplacées", des " allusions plus que limite ", un " refus et déni de discussion " et un " comportement agressif ", et avoir constaté une " grande baisse de moral " de Mme [A]. Cette attestation, conforme aux prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile, vise des faits, comme le constate l'employeur, antérieurs à l'accident du travail subi par M.[N] le 20 avril 2017, ce qui n'empêche en rien la cour de la prendre en compte,
- Une attestation de M.[S], qui indique que M.[B] traitait les salariés de " moins que rien ", qu'il " hurlait sur tout le monde pour rien, comme si cela lui faisait plaisir ". M.[S] a quitté l'entreprise en juin 2017. Si Mme [A] fait débuter le harcèlement dont elle affirme avoir été victime à compter du 27 juillet 2017, date du courrier collectif, il n'en demeure pas moins que ce témoignage illustre le comportement de M.[B] à l'encontre des salariés, qui a pu perdurer après le départ de M.[A] de l'entreprise;
- Une attestation de M.[L], qui a travaillé au sein de la société Sonolaque deux jours en octobre 2018, qui a pu constater le comportement " agressif et irrespectueux " de M.[B] à son égard.
Par ailleurs, M.[M] et de M.[P] indiquent dans leurs attestations que les responsabilités et les missions de Mme [A] ont changé au profit de M.[U], embauché, selon les éléments produits, du 18 septembre 2017 au 13 février 2018. M.[M] évoque une " mise au placard ", celle-ci s'étant vue privée de ses tâches de contrôle qualité au profit de tâches secondaires comme les accrochages de pièces ou les livraisons. M.[P], dont les deux attestations, sous forme de simples courriers, ne sont pas conformes au formalisme prévu par l'article 202 du code de procédure civile mais qui apparaissent néanmoins crédibles à la cour, décrivent avec précision les tâches auparavant dévolues à Mme [A] et indique également qu'il a constaté, au retour d'un congé maladie, que celle-ci ne les accomplissait plus. Il se plaint également de remarques désobligeantes de la part de M.[B] qui a révélé aux autres salariés présents que celui-ci devait se rendre à la médecin du travail, en termes grossiers.
Ces éléments démontrent, d'une part, l'existence d'un problème de comportement de la part de M.[B] à l'égard des salariés, les affirmations de Mme [A] sur son attitude à son endroit étant corroborées par plusieurs attestations, et d'autre part le fait que Mme [A] a été privée de ses attributions.
Mme [A] produit en outre son dossier médical, qui fait état d'un " syndrome anxieux " au 22 mars 2018 et de ce que, depuis 6 mois, elle était en " déplacement dans un rayon de 400 à 500 kms ". Elle a fait également état du " sentiment d'être écartée " et d'une " incohérence avec le poste déclaré ". Elle avait été placée en arrêt de travail 19 mars 2018. Il résulte par ailleurs des notes prises par le médecin du travail lors de la déclaration d'inaptitude le 16 avril 2018, que c'est bien en raison des difficultés rencontrées à son travail que l'inaptitude a été prononcée, en lien avec le fait qu'elle n'exécutait plus ses tâches habituelles.
Les éléments invoqués par Mme [A], compte tenu notamment des documents médicaux produits, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.
La société Sonolaque produit de son côté plusieurs attestations de salariés qui ne se plaignent pas du comportement de M.[B], comme Messieurs [O], [R], [T], [W] et [D], mais certains d'entre eux indiquent néanmoins qu'il " y a des hauts et des bas " et que lorsque ce dernier " explique les choses, c'est un peu sauvage ".
Le comportement critiquable du co-gérant, responsable hiérarchique direct des salariés, n'est pas remis en cause par ces attestations, sachant que si certains supportaient son attitude pour le moins cavalière, d'autres le supportait légitimement moins, dont Mme [A].
Il n'est en tout état de cause produit aucun élément démontrant que le gérant, M.[Y], ait pris la mesure du malaise créé par M.[B], alors pourtant qu'il avait été alerté par le courrier collectif qui lui avait été adressé.
Par ailleurs, la société Sonolaque produit la fiche de fonctions de Mme [A] dont il résulte que celle-ci devait " définir et mettre en 'uvre la politique qualité de l'entreprise ", qu'elle était " responsable de la conformité des produits ", qu'elle " coordonnait les activités de pilotage et de surveillance de la performance des procédures et méthodologies qualité de l'entreprise ".
Cette fiche rappelle en outre les termes du contrat de travail, selon lequel Mme [A] pouvait " être amenée à réaliser des tâches annexes qui lui seraient demandées pour les besoins de l'organisation de l'entreprise (accrochage, décrochage, manutention, transport ").
Les plannings de livraison produits par l'employeur démontrent que les transports qu'elle effectuait étaient loin de représenter une tâche annexe, puisqu'elle était amenée à se déplacer plusieurs fois par semaine.
Les documents censés démontrer que Mme [A] continuait à assurer le contrôle qualité, notamment chez les clients Dargaisse et Acoustic, ne mentionnent pas son nom et ne sont pas exploitables, et si quelques " rapports de contrôle " signés de Mme [A] ou portant ses initiales sont produits, ils apparaissent isolés sur quelques jours de mai 2017, décembre 2017 et janvier 2018 et sont insuffisants à démontrer l'exercice régulier et continu de ses fonctions de contrôleur qualité depuis 2017.
Il est donc établi que Mme [A] a subi la privation ses attributions principales au profit d'attributions annexes mais d'un moindre intérêt, ce qui peut s'analyser en une rétrogradation injustifiée qui ne peut avoir échappée à l'employeur puisqu'un des co-gérants en est à l'origine.
Dans ces conditions, l'employeur ne démontre en rien que les agissements invoqués par la salariée sont justifiés par des éléments objectifs et ne sont pas constitutifs de harcèlement moral.
C'est pourquoi la cour confirmera le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que Mme [A] a subi des faits de harcèlement moral.
S'agissant du montant des dommages-intérêts alloués à Mme [A] à ce titre, celle-ci demande la confirmation du jugement qui les a fixés à un montant de 10.000 euros.
La société Sonolaque souligne que cette indemnisation ne peut se cumuler avec celle résultant du licenciement nul, par ailleurs réclamée par Mme [A], ajoutant que celle-ci ne justifie pas de son préjudice, d'autant qu'elle n'a jamais fait état auprès de son employeur de faits de harcèlement moral.
La cour rappelle qu'il a été déjà relevé que les faits à l'origine du harcèlement moral invoqué par Mme [A] n'ont en rien été cachés à l'employeur qui a été alerté, d'autant que leur auteur se trouve être co-gérant de l'entreprise.
Par ailleurs, l'octroi de dommages-intérêts pour licenciement nul en lien avec des faits de harcèlement moral ne saurait faire obstacle à une demande distincte de dommages-intérêts pour préjudice moral (Soc., 2 février 2017, pourvoi n°15-26.892).
C'est pourquoi, compte tenu du préjudice moral résultant du harcèlement moral dont Mme [A] a été victime, distinct de celui invoqué par ailleurs, résultant de la nullité du licenciement dont elle a fait l'objet, lié à la rupture de son contrat de travail, il lui sera alloué la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts, le jugement étant confirmé sur ce point.
- Sur la demande visant à la nullité du licenciement
Le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.
Il est nul, lorsque ce sont des faits de harcèlement moral qui sont à l'origine de l'inaptitude, par application de l'article 1152-3 du code du travail.
La société Sonolaque demande que la décision du conseil de prud'hommes ayant requalifié le licenciement pour inaptitude de Mme [A] en licenciement nul soit infirmée, compte tenu de l'absence de tout harcèlement moral.
Mme [A], quoique ne demandant pas la confirmation du jugement sur ce point dans le dispositif de ses conclusions, soutient que la chronologie des faits, les correspondances échangées et le dossier médical permettent de faire le lien entre le prononcé de son inaptitude et le harcèlement moral dont elle a été victime.
La cour relève que les éléments qui ont permis d'établir une situation de harcèlement moral au préjudice de Mme [A] permettent également d'établir que ce harcèlement est à l'origine de l'inaptitude, le médecin du travail, dans le dossier médical, faisant d'ailleurs expressément référence à l'inadéquation entre la fiche de poste de Mme [A] et les déplacements de livraison qu'elle effectuait dorénavant de manière exclusive, ce qui constitue un des éléments constitutif du harcèlement moral imputé à l'employeur.
C'est pourquoi le jugement entrepris sera confirmé s'agissant du prononcé de la nullité du licenciement.
- Sur les conséquences financières du licenciement nul
- sur l'indemnité de préavis et les congés payés afférents :
L'article L.1234-5 du code du travail prévoit que l'indemnité de préavis correspond aux salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise. Elle doit tenir compte notamment des heures supplémentaires habituellement accomplies.
L'article L.1234-1 du code du travail prévoit que :
" Lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit:
1° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l'accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;
2° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d'un mois ;
3° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois. "
Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l'accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d'ancienneté de services plus favorable pour le salarié "
L'article L.1234-5 du code du travail prévoit que " lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.
L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise. "
La société Sonolaque reproche au conseil de prud'hommes d'avoir alloué à Mme [A] une indemnité de préavis égale à deux mois de salaire alors qu'elle avait, arrêts-maladie déduits, moins de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise.
Elle invoque à cet égard l'alinéa 2 de l'article L.1234-11 du code du travail.
La cour relève que c'est l'article L.1234-8 du code du travail qui est applicable au calcul de l'indemnité de préavis. Ce texte prévoit que " les circonstances entraînant la suspension du contrat de travail, en vertu soit de dispositions légales, soit d'une convention ou d'un accord collectif de travail, soit de stipulations contractuelles, soit d'usages, ne rompent pas l'ancienneté du salarié appréciée pour la détermination de la durée du préavis prévue aux 2° et 3° de l'article L. 1234-1. Toutefois, la période de suspension n'entre pas en compte pour la détermination de la durée d'ancienneté exigée pour bénéficier de ces dispositions ".
Il en est ainsi notamment en cas de suspension du contrat de travail en raison de la maladie non professionnelle ( Soc, 10 février 1999, pourvoi n° 95-43.561 et Soc., 16 septembre 2009, pourvoi n° 08-41.999).
En l'espèce, Mme [A], engagée du 27 avril 2016 jusqu'au 19 mai 2018, n'avait pas deux ans d'ancienneté après déduction de 37 jours d'arrêts maladie.
L'ancienneté à prendre en compte pour le calcul de l'indemnité de préavis est donc inférieure à deux ans.
Par voie d'infirmation, l'indemnité de préavis sera fixée à un montant de 1718,42 euros et il sera alloué également à Mme [A] une indemnité de congés payés afférents égale à 171,84 euros.
- sur l'indemnité pour licenciement nul
La société Sonolaque relève en premier lieu à raison que Mme [A] n'a pas demandé, selon ses premières conclusions du 25 août 2021, l'infirmation du jugement en ce qu'il a condamné l'employeur à lui payer la somme de 11 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, mais uniquement qu'il soit " statué à nouveau " en fixant à 20 000 euros le montant des dommages-intérêts, de sorte que son appel incident, visant à l'octroi d'une somme de 20 000 euros à titre, doit être déclaré irrecevable.
En effet, il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant (principal ou incident) ne demande dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement (Cass 2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626).
L'appel incident de Mme [A] sur ce point est donc irrecevable et le fait que qu'elle ait, dans des conclusions postérieures, 25 octobre 2022, ajouté une demande visant à l'infirmation du jugement, est indifférent, l'article 910-4 du code de procédure civile imposant à l'intimé de présenter dans le délai contraint prévu par l'article 910 du code de procédure civile, l'ensemble de ses prétentions.
S'agissant cependant de l'appel principal de la société sur la question du quantum de l'indemnité pour licenciement nul, l'article L.1235-3-1 du code du travail écarte l'application du barème d'indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse prévu par l'article précédent, lorsque comme en l'espèce, le licenciement est entaché de nullité pour harcèlement moral.
Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à retrouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'elles résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu, par voie de confirmation du jugement entrepris, de condamner la société Sonolaque à payer à Mme [A] la somme de 11 000 euros brut à titre d'indemnité pour licenciement nul.
- Sur la remise des documents de fin de contrat
La remise des documents de fin de contrat conformes à la présente décision sera ordonnée, étant précisé que Mme [A] n'a aucunement formé appel incident sur ce point, comme l'affirme la société Sonolaque, puisque la salariée forme devant la cour une demande équivalente à ce qu'a décidé le conseil de prud'hommes.
Aucune circonstance ne permet de considérer qu'il y ait lieu d'assortir cette disposition d'une mesure d'astreinte pour en garantir l'exécution.
- Sur l'article L.1235-4 du code du travail
En application de ce texte, il convient d'ordonner le remboursement par la société Sonolaque à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à Mme [A] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage.
- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Contrairement à ce qu'affirme la société Sonolaque, la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile par Mme [A] est recevable, s'agissant d'une demande afférente aux frais irrépétibles engagés en cause d'appel.
La solution donnée au litige commande de confirmer le jugement en ce qu'il a alloué à Mme [A] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et de condamner la société Sonolaque à lui payer en sus la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a engagés en cause d'appel.
La société Sonolaque sera déboutée de sa propre demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Déclare recevable et bien fondées les demandes de Mme [A] fondées sur le harcèlement moral ;
Déclare néanmoins irrecevable l'appel incident de Mme [H] [A] sur le montant de l'indemnité pour licenciement nul ;
Déclare recevable la demande de Mme [A] de remise sous astreinte des documents de fin de contrat et sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile formée en cause d'appel ;
Confirme le jugement rendu le 9 février 2021 par le conseil de prud'hommes de Blois en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société Sonolaque à payer à Mme [H] [A] la somme de 3436,84 euros à titre d'indemnité de préavis et celle de 343,68 euros d'indemnité de congés payés afférents ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant,
Condamne la société Sonolaque à payer à Mme [H] [A] la somme de 1718,42 euros d'indemnité de préavis et celle de 171,84 euros d'indemnité de congés payés afférents ;
Condamne la société Sonolaque à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Mme [H] [A] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage ;
Ordonne la remise d'un bulletin de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision, et dit n'y avoir lieu à mesure d'astreinte;
Condamne la société Sonolaque à payer à Mme [H] [A] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés en appel ;
Débouté la société Sonolaque de sa propre demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne aux dépens d'appel.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier
Fanny ANDREJEWSKI-PICARD Laurence DUVALLET