C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE - A -
Section 2
PRUD'HOMMES
Exp +GROSSES le 23 MARS 2023 à
la SELARL PIASTRA MOLLET PREVERT
Me Cécile KERNER
XA
ARRÊT du : 23 MARS 2023
MINUTE N° : - 23
N° RG 21/00636 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GJ5Y
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTARGIS en date du 10 Février 2021 - Section : ENCADREMENT
APPELANTE :
S.A. MONAND prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Claudine MOLLET de la SELARL PIASTRA MOLLET PREVERT, avocat au barreau de MONTARGIS,
ayant pour avocat plaidant Me Laura PREVERT de la SELARL PIASTRA MOLLET PREVERT, avocat au barreau de MONTARGIS
ET
INTIMÉ :
Monsieur [A] [E]
né le 14 Septembre 1970 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Cécile KERNER, avocat au barreau de MONTARGIS
Ordonnance de clôture : 5 janvier 2023
Audience publique du 24 Janvier 2023 tenue par Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller, et ce, en l'absence d'opposition des parties, assisté lors des débats de Mme Karine DUPONT, Greffier,
Après délibéré au cours duquel Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller a rendu compte des débats à la Cour composée de :
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,
Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, conseiller,
Puis le 23 Mars 2023, Madame Laurence Duvallet, présidente de Chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Karine DUPONT, Greffier a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
M.[A] [E] a été engagé par la société Monand (SAS) selon contrat à durée indéterminée, à compter du 4 mai 2015, en qualité de manager rayon sec au sein du magasin Intermarché de Villemandeur (45).
Il a été promu directeur par avenant du 1er juin 2017.
Après avoir, par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 septembre 2019, mis à pied M.[E] à titre conservatoire et convoqué ce dernier à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 11 octobre 2019, la société Monand lui a notifié par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 octobre 2019 son licenciement pour faute grave, pour des motifs liés à des problèmes de management du personnel, une des salariées ayant notamment déposé plainte contre lui pour harcèlement moral, à une absence de remise en cause et un refus de suivre les procédures, à un manque d'investissement dans son travail et des critiques proférées à l'encontre de la direction, et plus particulièrement de Mme [I], la présidente de la société.
Par requête enregistrée au greffe le 15 janvier 2020, M.[E] a saisi le conseil de prud'hommes de Montargis pour contester son licenciement et obtenir le paiement de diverses indemnités et un rappel de salaire pour la période de mise à pied.
Par jugement du 10 février 2021, le conseil de prud'hommes de Montargis a :
- Dit que le licenciement de M.[E] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- Condamné la société Monand à payer à M.[E] les sommes suivantes:
- Rappel de salaire suite à la mise à pied conservatoire injustifiée : 1723,08 euros,
- Indemnité légale de licenciement : 3876,19 euros,
- Indemnité pour licenciement abusif : 17 425 euros,
- Indemnité compensatrice de préavis : 10 425 euros,
- Congés payés sur préavis : 1042,50 euros,
- Indemnité réparatrice du préjudice vexatoire : 20 000 euros,
- Ordonné à la société Monand, conformément à l'article L.1235-4 du code du travail, le remboursement aux organismes concernés de six mois d'indemnités de chômage versées à M.[E] à compter du licenciement ,
- Ordonné à la société Monand de remettre à M.[E] les documents de fin de contrat et le bulletin de salaire du mois d'octobre 2019 rectifiés avec une astreinte de 50 euros par jour et document de retard applicable un mois après la notification du jugement,
- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit à hauteur de la somme de 29 071,23 euros, soit 9 mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire,
- Condamné la société Monand à payer à M.[E] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires,
- Condamné la société Monand aux dépens.
La société Monand a relevé appel du jugement par déclaration notifiée par voie électronique le 26 février 2021 au greffe de la cour d'appel.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 15 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles la société Monand demande à la cour de :
- Infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- Débouter M.[E] de ses demandes,
- Condamner M.[E] à verser à la société Monand la somme de 2500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M.[E] en tous les dépens tant de première instance que d'appel dont distraction est requise au profit de la SELARL Piastra-Mollet, en vertu des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- A titre subsidiaire, ramener à de plus justes proportions la demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
- Débouter M.[E] de sa demande au titre du préjudice vexatoire.
Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 20 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles M.[E] demande à la cour de :
- Déclarer la société Monand recevable mais mal fondée en son appel,
- Confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- Y ajoutant, condamner la société Monand à verser à M.[E] une indemnité de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens d'appel y compris ceux nécessaires au recouvrement forcé des sommes mises à sa charge.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 5 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur le licenciement pour faute grave
Il résulte de l'article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.
L'article L.1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Enfin, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis ; la charge de la preuve pèse sur l'employeur.
Par ailleurs, l'article L.1332-4 du code du travail prévoit qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
Le conseil de prud'hommes a retenu la prescription de l'ensemble des faits reprochés à M.[E], au visa de l'article L.1332-4 du code du travail, à l'exception d'une altercation qui a eu lieu en août 2019 dans la chambre froide entre M.[E] et Mme [B], salariée de l'entreprise, et la plainte pour harcèlement moral que cette dernière a déposée contre lui le 25 septembre 2019. M.[E] reprend ce moyen en cause d'appel, que le conseil de prud'hommes semble, au regard du rappel des moyens des parties auquel il a procédé, avoir d'ailleurs soulevé d'office.
Ce moyen de prescription sera examiné au fur et à mesure de l'examen des griefs reprochés par la société Monand au salarié :
-Sur les problèmes de management du personnel : l'attitude de M.[E] vis-à-vis du certains membres du personnel :
La société Monand évoque une plainte déposée par Mme [B] contre M.[E] pour des faits de harcèlement moral que ce dernier aurait commis à son encontre, celle-ci ayant fait état de moqueries et de réflexions désobligeantes, et du fait qu'il lui " parle mal ". Une altercation aurait eu lieu dans la chambre froide, qui s'est entendue jusqu'aux caisses, pour une affaire dont l'intéressée n'était pas responsable. Le fait que la plainte de Mme [B] ait été classée sans suite est, selon l'employeur, indifférent, le juge prud'homal devant néanmoins rechercher si les faits reprochés sont établis ou non et s'ils constituent une faute de la part du salarié mis en cause, à savoir M.[E], et enfin s'ils justifient un licenciement.
Il est reproché à M.[E] d'avoir obligé des salariés à laver le sol à l'eau de javel alors que c'est interdit, les contraignant à mettre des sacs poubelle sur eux pour ne pas se tacher.
Il lui est également reproché de ne pas accompagner les salariés dans leur mission, sans répondre toujours à leurs demandes ni de relayer les consignes mises en place par le magasin, pour leur adresser ensuite des reproches.
Enfin, il est fait état de problèmes relationnels avec plusieurs salariés que ceux-ci ont rapportés à la présidente de la société, Mme [I].
M.[E] réplique que la plainte de Mme [B] a été classée sans suite, le harcèlement moral qu'elle invoquait étant, selon lui, un " moyen pour se débarrasser " de lui, alors qu'il avait alerté l'employeur sur ses doutes quant à ses compétences professionnelles, ce qui d'ailleurs avait provoqué un entretien entre eux, en présence de Mme [I], sans que cela apaise leurs relation, Mme [B] n'hésitant pas à lui faire des reproches sur son travail ou ses absences et en s'en plaignant directement auprès de la présidente. S'agissant de l'altercation dans la chambre froide, il a été légitimement reproché à Mme [B] la présence de produits en voie de péremption. Il affirme qu'il n'a jamais demandé à une salariée de laver le sol à l'eau de javel mais qu'à la demande de cette dernière, il l'a autorisée à le faire pour effacer des traces de charbon de bois laissées par des palettes, après l'avoir d'abord refusé, en lui demandant de protéger ses vêtements et chaussures avec un sac poubelle. D'autres salariés et lui-même ont aidé cette salariée à déplacer les palettes, dans une " bonne ambiance ". Il conteste ensuite chacune des attestations produites par l'employeur, venant illustrer les reproches que lui adressent les salariés quant à son mode de management et ses relations avec eux.
La cour relève en premier lieu que si la plainte déposée par Mme [B] le 25 septembre 2019 a été classée sans suite, en raison, selon l'avis de classement, de preuves insuffisantes pour que les faits relatés par celle-ci puissent, selon le ministère public, être qualifiés pénalement de harcèlement moral, il n'en demeure pas moins que ces faits, s'ils sont avérés, peuvent être invoqués par l'employeur à l'appui du licenciement de l'intéressé.
En effet, cette salariée relate dans sa plainte que M.[E] aurait fait des commentaires sur sa taille, sur sa façon de parler et lui aurait dit qu'elle était une " erreur de casting " pour son embauche, ce qui, de la part de son supérieur hiérarchique, présenterait un caractère fautif, quand bien même le directeur qu'il était aurait eu, comme il l'affirme, à émettre des reproches à Mme [B] sur la qualité de son travail ou sa propre attitude envers lui.
Cette déposition, qui conforte les éléments consignés par Mme [B] dans un email adressé à l'employeur le 13 août 2019, est à mettre en perspective avec les témoignages des autres salariés de l'entreprise figurant dans les attestations produites aux débats par la société Monand, qui font état d'un même comportement inapproprié de M.[E] à l'égard des salariés, comme :
- De traiter M.[H] de " jeune con "
- D'émettre des propos sur le physique de Mme [P] ou des propos " qui pouvaient être blessants, humiliants ", comme celui d'avoir grossi, ou qu'il regrettait de l'avoir embauchée car elle n'était pas " comme ça au début ", cela devant des collègues, la traitant de " bonne à rien " et qu'elle ne serait " pas une grosse perte " lorsqu'elle lui disait qu'elle allait démissionner,
- De faire du " mauvais humour " et de proférer des " propos plutôt vexants " envers les autres (Mme [M]),
- " Il envoyait des pics et des réflexions vexantes, des propos inappropriés par rapport à son statut de directeur " (M.[Z]),
- " Il avait une façon de s'exprimer avec moquerie perverse, ayant habité plusieurs années dans le Nord, il se moquait souvent de moi et de mon parler " (Mme [W]).
En premier lieu, la cour relève que l'employeur peut sanctionner des faits fautifs qu'il connaît depuis plus de deux mois dans la mesure où ces faits se sont poursuivis dans ce délai et s'il s'agit de faits de même nature.
En l'espèce, les faits dénoncés dans ces attestations, à savoir une attitude inappropriée vis-à-vis des salariés, dont M.[E] avait la charge d'encadrer, si tant est qu'ils aient été portés à la connaissance de l'employeur avant le signalement détaillé qu'en a fait Mme [L] le 13 août 2019, se sont bien poursuivis dans le délai de deux mois ayant précédé l'engagement par l'employeur des poursuites disciplinaires contre lui le 30 septembre 2019, soit après le 30 juillet 2019, puisque Mme [L] évoque de tels faits qui se sont déroulés notamment lors d'une altercation qui a eu lieu dans la chambre froide en août 2019.
Le grief invoqué par l'employeur, tiré de cette attitude inappropriée, adoptée par le salarié encadrant les membres du personnel concerné, n'est donc pas prescrit.
Par ailleurs, contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes, aucun élément ne permet de considérer que ces attestations ne soient pas " exemptes de toute possibilité de manipulation " comme mentionné dans les motifs du jugement, puisque d'une part, elles sont conformes aux prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile et que d'autre part, elles sont rédigées de manière très différentes et sont, pour la plupart, illustrées d'exemples précis et circonstanciés.
Ces attestations seront donc retenues par la cour.
Par ailleurs, si M.[E], dans ses écritures, commente point par point les allégations que contiennent ces attestations, pour en critiquer leurs auteurs et remettre en cause leur compétence professionnelle, leur caractère ou leur probité, c'est sans fournir aucun justificatif à ses dires.
Enfin, M.[E] produit, pour contester le reproche qui lui est fait sur son comportement, une attestation d'un ancien salarié (M.[C]) qui indique que son ancien directeur se comportait de manière polie avec les salariés, qu'il passait beaucoup de son temps au magasin, qu'il avait un " ressenti de respect mutuel ", ce qui ne contredit en rien le fait que M.[E] puisse avoir eu, avec d'autres membres du personnel, notamment féminin, des propos inadéquats.
Il produit également une attestation de M.[J], qui se contente de vanter le professionnalisme de M.[E], ce qui est sans rapport avec l'attitude qui lui est reprochée, et une attestation de sa compagne, qui a travaillé dans le magasin, et qui commente ses rapports avec la seule Mme [P].
Ces éléments ne sont pas susceptibles d'écarter le grief opposé à M.[E], tiré de son comportement avec certains membres du personnel, qui apparaît amplement justifié par les attestations produites, et qui viennent corroborer les éléments apportés par Mme [B] à l'appui de sa plainte, quand bien même celle-ci a été classée sans suite.
-Sur les problèmes de management du personnel : le défaut d'accompagnement du personnel
Nombre des attestations de salariés produites par l'employeur font état de ce qu'ils étaient livrés à eux-mêmes et que M.[E] ne prêtait pas attention à leur travail.
Si les faits ne sont pas datés avec précision, il résulte de ces témoignages que le comportement de M.[E] à cet égard a perduré jusqu'à son licenciement, de sorte que ces faits n'apparaissent pas prescrits.
Les divers salariés indiquent :
Mme [X], qui s'occupait du " bistrot " : " Mon secteur ne devait pas l'intéresser car je n'avais pas de directives de sa part et pas de résultat gestion ".
Mme [R] : " J'avais l'impression que le directeur délaissait le rayon boulangerie car le chiffre d'affaires n'était pas là et je devais me débrouiller seule " et que M.[E] " ne s'adressait à la boulangerie que pour faire des reproches, sans nous aider ni apporter des idées afin d'augmenter le chiffre "
M.[H] : " Pas d'intéressement au rayon boucherie depuis que l'ancien chef boucher est parti ". " Il ne s'occupait pas de nous et quand nous avions besoin de lui, il avait toujours autre (chose) à faire. Il nous envoyer balader ".
Mme [M], comptable : " Il ne semblait pas se sentir concerné par les tâches que je faisais pour rendre compte des résultats comme le suivi des marges des secteurs et des taux de casse, afin peut-être de les communiquer aux employés concernés, les impliquer pour mettre en place des analyses et des correctifs. Je n'ai pas constaté d'intérêt de sa part sur le coût des charges de personnel ainsi que l'activité de la station-service, comme le contrôle des prix ou la programmation des commandes pour livraison en dehors de ma présence ".
Mme [N], du rayon poissonnerie : " Je reproche M.[E] de ne m'avoir jamais dit si je faisais bien ou mal, il s'intéressait pas à ce que je faisais car M.[E] aime pas le poisson. Quand je faisais des théâtralisations, jamais il ne me disait quelque chose, il regardait sans plus quand je faisais des préparations chaudes maison, il me disait que ça sentait mauvais. En fait, à ses yeux : poisson = zéro. "
M.[Z], employé commercial : " M.[E] n'était pas vraiment disponible pour l'accompagnement des collaborateurs. Certains employés avaient peur de venir le voir pour un conseil car soit il n'avait pas le temps, soit il envoyait des pics et des réflexions vexantes (') il n'y avait pas vraiment de management de sa part. Il faisait très peu le tour du magasin, ce qui est pourtant un minimum à faire. Ainsi on ne nous disait pas nos erreurs, ce qui nous aurait permis de nous améliorer et faire progresser le magasin. On se débrouillait seul la plupart du temps "
Mme [W] : " je m'aperçois que je n'ai eu aucun accompagnement au niveau des process. Depuis son départ, je découvre des process inconnus qu'il aurait pu m'expliquer ".
Ce grief est démontré, tant le personnel apparaît avoir été livré à lui-même, alors que la fiche de fonction de M.[E], qu'il produit, définissait de manière détaillée l'ensemble des tâches de management du personnel qui lui incombaient.
-Sur le grief d'absence de remise en cause et de refus de suivre les procédures
La société Monand reproche à M.[E], après une année 2018 décevante sur le plan du chiffre d'affaires, et alors qu'elle n'avait pas été en mesure de lui payer la prime de résultat, de ne pas avoir respecté la nouvelle organisation mise en place début 2019 et les process définis par la société Intermarché, que la présidente de la société Monand, Mme [I], n'aurait cessé de lui rappeler.
M.[E] reconnaît avoir eu conscience des raisons pour lesquelles sa prime de résultat ne lui a pas été réglée, liées aux résultats négatifs de l'année précédente, mais réplique qu'il n'était pas assisté du nombre de managers nécessaires à la tenue du supermarché, puisqu'il n'en disposait que de 3 au lieu de 9 selon les préconisations du groupe Intermarché, et avoir constaté une " instabilité du personnel ", surtout depuis début 2019. Il affirme ne pas avoir dès lors eu le temps de mettre en place de nouvelles procédures. La société Monand réplique que le nombre de managers était supérieur à celui indiqué par M.[E] en citant les responsables de plusieurs rayons.
La cour relève en premier lieu que la société Monand produit de nombreux échanges électroniques entre Mme [I], qui, selon les explications qu'elle donne et un courrier circulaire adressé aux salariés du magasin le 27 avril 2019, a entendu " reprendre son rôle principal de chef d'entreprise " après avoir " passé 8 mois à tout recadrer et reconstruire les process ", et qui établissent que jusqu'au 18 septembre 2019, date du dernier email, Mme [I] a adressé des remarques à M.[E] sur les procédures à mettre en place, de sorte que ce grief n'apparaît pas prescrit.
Ces échanges témoignent de l'insatisfaction de l'employeur sur le travail de M.[E] à cet égard.
Ce dernier reconnaissait d'ailleurs le 4 septembre 2019 : " je respecterai mon engagement de rester dans le bateau jusqu'à la fin de l'année, mais je ne me sens plus capable ni physiquement ni moralement de poursuivre au-delà. Depuis plusieurs mois, j'ai le sentiment de reculer intellectuellement, je pense que vous vous en êtes aperçus encore dernièrement (des oublis, des pertes d'automatismes, du temps pour comprendre les choses, perte de déclic, difficultés à garder le contrôle). Je ne me reconnais plus. Alors, depuis plusieurs semaines, j'ai pris le temps de réflexion. J'ai pesé le pour et le contre de rester ou de quitter à la fois l'entreprise mais aussi le commerce, tout simplement pour faire autre chose ".
Par ailleurs, la cour remarque, pour répondre aux critiques de M.[E] quant au manque de personnel, et au fait qu'il a été dans l'obligation de pourvoir lui-même au remplacement de certains d'entre eux, que ce dernier produit un tableau mentionnant les départs de salariés de l'entreprise entre 2015 et 2020, qui démontre que c'est entre 2017 et 2019, soit pendant que M.[E] était directeur, que les départs ont été les plus nombreux : 7 départs en 2018, 9 en 2016, 19 en 2017, 15 en 2018,11 en 2019 et 6 en 2020, ce qui peut être mis en rapport avec les plaintes des salariés quant au management exercé sur eux par M.[E].
Ce grief apparaît, dans ces conditions, pouvoir être retenu.
-Sur le grief afférent aux critiques à l'égard de la direction
M.[E] aurait critiqué la présidente de la société en lui disant " c'est facile du haut de votre bureau ". Il aurait fait courir des rumeurs sur une liaison entre Mme [B], qui a déposé plainte contre lui, et le mari de Mme [I].
M.[E] conteste avoir proféré ces paroles mais indique n'avoir " fait que répéter des informations dont il a eu connaissance par une personne proche de Mme [I] ".
M.[E] reconnaît donc avoir fait courir une information vraie ou fausse, jusqu'à une date qu'il ne précise pas, sur des faits relevant de la vie privée de sa supérieure hiérarchique, alors qu'il aurait pu en toute discrétion, de crainte que ce soit de surcroît une calomnie, la taire.
Ce grief sera donc retenu.
-Sur le grief du manque d'investissement de M.[E]
Selon l'employeur, M.[E] ne prenait pas peine de faire le tour du magasin pour dynamiser les équipes ou ne prenait pas le soin de préparer sérieusement les réunions de direction.
M.[E] réplique qu'il travaillait 60 heures par semaine, qu'il était obligé de déjeuner sur place, qu'il réimplantait lui-même les rayons, même la nuit, qu'il remplaçait au pied levé les salariés absents et qu'il s'occupait de réparer lui-même différents problèmes techniques dans un souci d'économie. Il produit pour en justifier son agenda 2019 qui en effet fait état de certain remplacement de salariés.
Au regard des quelques éléments produits par l'employeur, ce grief n'est pas constitué, M.[E] n'apparaissant pas avoir fait preuve de désintérêt pour son travail lui-même.
***********
Au total, l'ensemble des griefs invoqués dans la lettre de licenciement et développés dans le cadre de cette procédure sont constitués, à l'exception du dernier, ce qui suffit à caractériser une faute susceptible de justifier son licenciement, particulièrement celui afférent à la manière dont M.[E] se comportait vis-à-vis d'une partie du personnel qu'il encadrait, qui apparaît d'une gravité telle que la rupture immédiate de son contrat de travail était également justifiée.
La faute grave étant reconnue, le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions.
M.[E] sera débouté de l'ensemble de ses demandes, y compris celle au titre d'un licenciement vexatoire, aucune circonstance ou élément vexatoire n'étant démontré, et sa demande de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire, celle-ci étant fondée.
M.[E] sera condamné à payer à la société Monand la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, débouté de sa propre demande au même titre et condamné aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et ajoutant,
Dit que le licenciement de M.[E] est justifié par une faute grave ;
Déboute M.[A] [E] de l'ensemble de ses demandes ;
Condamne M. [A] [E] à payer à la société Monand la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le déboute de sa propre demande à ce titre ;
Condamne M. [A] [E] aux dépens de première instance et d'appel.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier
Karine DUPONT Laurence DUVALLET