COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE
GROSSE à :
CPAM D'INDRE ET LOIRE
SELARL BENOIT - LALLIARD - ROUANET
EXPÉDITION à :
SASU [4]
MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Pôle social du Tribunal judiciaire de TOURS
ARRÊT DU : 7 MARS 2023
Minute n°85/2023
N° RG 21/01447 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GLXF
Décision de première instance : Pôle social du Tribunal judiciaire de TOURS en date du 12 Avril 2021
ENTRE
APPELANTE :
CPAM D'INDRE ET LOIRE
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Mme [N] [T], en vertu d'un pouvoir spécial
D'UNE PART,
ET
INTIMÉE :
SASU [4]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Denis ROUANET de la SELARL BENOIT - LALLIARD - ROUANET, avocat au barreau de LYON, substitué par Me Gaëlle DUPLANTIER, avocat au barreau d'ORLEANS
PARTIE AVISÉE :
MONSIEUR LE MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Non comparant, ni représenté
D'AUTRE PART,
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 JANVIER 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Nathalie LAUER, Président de chambre, chargé du rapport.
Lors du délibéré :
Madame Nathalie LAUER, Président de chambre,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, Conseiller,
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller
Greffier :
Monsieur Alexis DOUET, Greffier lors des débats et du prononcé de l'arrêt.
DÉBATS :
A l'audience publique le 10 JANVIER 2023.
ARRÊT :
- Contradictoire, en dernier ressort
- Prononcé le 7 MARS 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- Signé par Madame Nathalie LAUER, Président de chambre et Monsieur Alexis DOUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le Magistrat signataire.
* * * * *
Le 22 janvier 2016, M. [G] [W], salarié de la société [4] depuis le 1er novembre 2014 en qualité d'ouvrier, a déclaré auprès de la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire une maladie professionnelle.
Un certificat médical initial a été établi le 8 décembre 2015 faisant état d'une 'tendinopathie du supraépineux sans fissule décelable - épaule droite'.
Après avoir procédé à une instruction médico-administrative du dossier au titre du tableau n° 57 A des maladies professionnelles, la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire a notifié M. [G] [W], le refus de prise en charge de la maladie déclarée au titre de la législation relative aux risques professionnels.
Saisi par M. [G] [W] d'une contestation du refus de prise en charge, le Pôle social du tribunal de grande instance de Tours a, par jugement du 25 mars 2019, dit que la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire devait prendre en charge la maladie déclarée au titre de la législation relative aux risques professionnels.
La caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire a notifié à la société [4], le 30 avril 2019, la prise en charge de la maladie déclarée par M. [G] [W] le 22 janvier 2016, au titre de la législation relative aux risques professionnels dans le cadre du 2ème alinéa de l'article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale.
La société [4] a saisi la commission de recours amiable de la caisse d'un recours à l'encontre de cette décision, puis a contesté le rejet implicite de celle-ci devant le tribunal de grande instance de Tours, saisi par requête du 4 décembre 2019.
Le tribunal de grande instance est devenu le tribunal judiciaire à compter du 1er janvier 2020.
Par jugement prononcé le 12 avril 2021, le Pôle social du tribunal judiciaire de Tours a :
- déclaré le recours de la société [4] recevable et bien fondé,
- déclaré inopposable à la société [4] la décision de la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire de prise en charge de la maladie professionnelle contractée par son salarié, M. [G] [W],
- condamné la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire Atlantique aux entiers dépens.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu qu'en ne mettant pas à disposition de l'employeur les certificats médicaux de prolongation et en lui communiquant un dossier incomplet, la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire avait manqué à son obligation d'information à l'égard de la société [4].
La caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire a relevé appel de cette décision, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au greffe de la Cour le 28 avril 2021.
Aux termes d'écritures soutenues oralement à l'audience du 10 janvier 2023, la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire demande à la Cour de :
- déclarer son appel recevable et bien fondé,
- infirmer la décision entreprise,
Statuant à nouveau,
- débouter la société [4] de l'ensemble de ses demandes,
- confirmer la décision entreprise,
- confirmer l'opposabilité à l'égard de la société [4] de la maladie professionnelle déclarée le 22 janvier 2016 par son salarié M. [G] [W], ainsi que des arrêts de travail et soins consécutifs,
- condamner la société [4] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire la somme de 800,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses conclusions visées par le greffe le 10 janvier 2023 et soutenues oralement à l'audience du même jour, la société [4] demande à la Cour de :
Vu les dispositions des articles L. 461-1, R. 441-10 à R. 441-14 du Code de la sécurité sociale,
Vu le tableau n° 57 A des maladies professionnelles,
A titre principal :
- constater que le dossier d'instruction transmis n'était pas constitué des certificats médicaux de prolongation détenus par l'organisme de sécurité sociale,
- dire que ledit dossier était incomplet,
- dire que la caisse violait le principe de la contradiction à l'égard de la société [4],
Par conséquent,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 12 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Tours,
A titre subsidiaire :
- constater que M. [G] [W] n'était pas exposé aux risques au sein de la société [4],
- constater qu'il a nécessairement été exposé aux risques au service d'employeurs précédents,
Par conséquent,
- dire et juger que les organismes de sécurité sociale ne sont pas fondés à impacter le compte employeur AT/MP de la société [4] au titre de la maladie 'tendinopathie aigüe [...] de la coiffe des rotateurs' de l'épaule droite (n° 151208691),
- affecter au compte spécial des maladies professionnelles les frais exposés au titre de ladite maladie,
A titre infiniment subsidiaire :
- dire et juger qu'il existe un différend d'ordre médical portant sur la réelle imputabilité des lésions, soins et arrêts de travail indemnisés,
- dire et juger que la société [4] n'était pas en mesure d'apprécier si la prise en charge des arrêts de travail et des soins, au titre de la législation professionnelle, était justifiée,
- dire et juger que la société [4] rapporte un commencement de preuve justifiant la mise en oeuvre d'une mesure expertale,
Par conséquent,
- ordonner une expertise médicale judiciaire aux fins de déterminer l'origine et l'imputabilité des lésions invoquées par M. [R] [L], suivant la mission ci-dessous définie,
Dans ce cadre, demander à l'expert de :
1. se faire communiquer l'entier dossier médical constitué par la caisse au titre de la maladie contractée par M. [G] [W],
2. déterminer si l'ensemble des lésions est dû à un état pathologique indépendant de sa maladie ou préexistant et évoluant pour son propre compte,
3. préciser, le cas échéant, la nature de cet état pathologique antérieur ou indépendant de cette pathologie,
4. dire si cet état pathologique antérieur est responsable en tout ou partie des lésions et arrêts de travail pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire au titre de la maladie en cause,
5. dans l'affirmative, fixer la maladie de M. [G] [W] en rapport avec cet état pathologique antérieur,
6. déterminer les lésions directement et exclusivement imputables au sinistre,
7. déterminer la durée de l'arrêt de travail de M. [G] [W] ayant un lien direct et exclusif avec la maladie déclarée par celui-ci,
8. fixer la date de consolidation des lésions directement et exclusivement consécutives à la maladie déclarée par M. [G] [W] indépendamment du rôle d'un état antérieur,
En tout état de cause,
- dire et juger opposable à la CARSAT compétente le montant des prestations correspondant aux soins, arrêts de travail et toutes autres prestations qui sont déclarés innoposables à la société [4].
Pour un plus ample exposé des moyens et arguments des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures respectives conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
SUR CE
A titre liminaire, il convient de relever que les conclusions de la société [4], intimée, comporte une erreur matérielle, l'expertise médicale judiciaire sollicitée ayant pour objet de déterminer l'origine et l'imputabilité des lésions invoquées par M. [G] [W], et non par M. [R] [L].
Moyens des parties
La caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire sollicite l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a refusé de déclarer la maladie professionnelle déclarée par M. [G] [W] opposable à son employeur la société [4].
A l'appui, elle fait valoir que seuls les éléments faisant grief, à savoir les documents sur lesquels elle s'est basée pour prendre sa décision, doivent être offerts à la consultation, qu'elle n'est pas tenue de mettre à disposition les certificats médicaux de prolongation, qui ne portent pas sur le lien entre la maladie déclarée et l'activité professionnelle de l'assuré, ni sur la qualification de la maladie, mais seulement sur la durée des soins et de l'éventuelle incapacité de travail, qu'elle a notifié à l'employeur la clôture de l'instruction et l'information sur la possibilité de consulter le dossier avant la prise de décision, que l'employeur qui a sollicité la transmission des pièces du dossier ne s'est pas manifesté pour signaler un quelconque manque dans les pièces transmises, et qu'elle a, en conséquence, respecté l'obligation d'information mise à sa charge.
La société [4] conclut à la confirmation du jugement déféré. Elle expose qu'il résulte de l'article R. 441-13 ancien du Code de la sécurité sociale que le dossier d'instruction constitué par la caisse et mis à disposition de l'employeur pour consultation doit notamment comprendre les divers certificats médicaux détenus par la caisse, de sorte que cela inclut les certificats médicaux de prolongation, et que la sanction de la mise à disposition de l'employeur d'un dossier incomplet est l'inopposabilité à son égard de la décision de prise en charge.
Elle indique qu'en l'espèce, suite à sa demande de transmission du dossier, seul le certificat médical initial du 8 décembre 2015 lui a été adressé, que les certificats médicaux de prolongation n'ont pas été mis à sa disposition, ainsi que le reconnaît la caisse.
Appréciation de la Cour
L'article R. 441-14 du Code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que: 'Dans les cas prévus au dernier alinéa de l'article R. 441-11, la caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l'employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception, l'information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier mentionné à l'article R. 441-13'.
Dans sa version applicable à compter du 10 juin 2016, l'article R. 441-13 du Code de la sécurité sociale prévoit que : 'Le dossier constitué par la caisse primaire doit comprendre ;
1°) la déclaration d'accident ;
2°) les divers certificats médicaux détenus par la caisse ;
3°) les constats faits par la caisse primaire ;
4°) les informations parvenues à la caisse de chacune des parties ;
5°) les éléments communiqués par la caisse régionale.
Il peut, à leur demande, être communiqué à l'assuré, ses ayants droit et à l'employeur, ou à leurs mandataires.
Ce dossier ne peut être communiqué à un tiers que sur demande de l'autorité judiciaire'.
Il est constant que la caisse a satisfait à son obligation d'information dès lors qu'elle a informé l'employeur de la clôture de l'instruction et l'a invité, préalablement à sa prise de décision, à consulter le dossier pendant un délai imparti, le mettant ainsi en mesure de prendre connaissance des éléments susceptibles de lui faire grief et de contester la décision (Civ 2ème, 23 octobre 2008, n° 07-18150 ; 14 février 2013, n° 11-25.714; 13 mars 2014, Bull n° 69), peu important l'envoi d'une copie incomplète du dossier (Civ 2ème, 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-20.494).
Pour autant, l'employeur doit avoir été mis en mesure de consulter l'intégralité du dossier d'instruction constitué par la caisse (Civ 2ème, 24 janvier 2019, n° 18-10.757).
Au cas présent, il ressort des pièces produites par la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire que, par lettre du 10 juin 2016, elle a informé la société [4] que l'instruction du dossier était terminée et l'a invitée, préalablement à sa prise de décision à consulter les pièces constitutives du dossier.
Il est également justifié que suite à sa demande, des pièces ont été transmises à l'employeur le 28 juin 2016, ainsi qu'il ressort d'un courrier de transmission de pièces (pièce n° 9 communiquée par la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire), le caisse indiquant avoir transmis les pièces constitutives du dossier, à savoir : la déclaration de maladie professionnelle, le certificat médical initial, le questionnaire employeur, l'enquête assuré et la fiche colloque.
Les pièces du dossier consultées correspondent selon "l'accusé de réception des pièces transmises" retourné à la caisse par l'employeur (pièce n° 10 communiquée par la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire) à la déclaration d'accident de travail, au certificat médical initial prescrivant un arrêt de travail jusqu'au 8 janvier 2016, et à l'enquête administrative.
Il n'est pas contesté par l'appelante d'une part, qu'elle était en possession de certificats médicaux de prolongation d'arrêt de travail intervenus avant le courrier de notification de la fin de l'instruction au moment où elle a pris sa décision de transmission du dossier au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles conformément aux dispositions de l'article L. 461-1 3ème alinéa du Code de la sécurité sociale, et d'autre part, que ces certificats médicaux ne figuraient pas au nombre des pièces constitutives du dossier mis à la disposition de la société [4], la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire se bornant, sur ce point, à soutenir que ces certificats médicaux de prolongation n'avaient pas à être communiqués à l'employeur.
Ainsi que l'a justement relevé le premier juge, l'article R. 441-13 précité n'opère aucune distinction entre les certificats médicaux.
Il convient, par conséquent, de considérer qu'en s'abstenant de mettre à disposition les certificats médicaux de prolongation intervenus avant le courrier de notification de la fin de l'instruction en sa possession, la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire a manqué à son obligation à l'égard de l'employeur.
Il y a lieu, dès lors, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré inopposable à la société [4] la décision de la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire de prise en charge de la maladie professionnelle déclarée le 8 décembre 2015 par M. [G] [W].
Compte tenu de la solution donnée au présent litige, il convient de condamner la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire aux dépens d'appel.
Il n'y a pas lieu, par ailleurs, en l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Les demandes à ce titre seront, en conséquence, rejetées.
PAR CES MOTIFS:
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 12 avril 2021 par le Pôle social du tribunal judiciaire de Tours ;
Y ajoutant ;
Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre et Loire aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,