COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE
GROSSE à :
[J] [G]
[Adresse 8]
EXPÉDITION à :
MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Pôle social du Tribunal judiciaire de CHATEAUROUX
ARRÊT DU : 7 MARS 2023
Minute n°83/2023
N° RG 21/00696 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GKCQ
Décision de première instance : Pôle social du Tribunal judiciaire de CHATEAUROUX en date du 15 Décembre 2020
ENTRE
APPELANT :
Monsieur [J] [G]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Comparant en personne
D'UNE PART,
ET
INTIMÉE :
[Adresse 8]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Mme [F] [K], en vertu d'un pouvoir spécial
PARTIE AVISÉE :
MONSIEUR LE MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
[Adresse 1]
[Localité 6]
Non comparant, ni représenté
D'AUTRE PART,
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 JANVIER 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Nathalie LAUER, Président de chambre, chargé du rapport.
Lors du délibéré :
Madame Nathalie LAUER, Président de chambre,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, Conseiller,
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller
Greffier :
Monsieur Alexis DOUET, Greffier lors des débats et du prononcé de l'arrêt.
DÉBATS :
A l'audience publique le 10 JANVIER 2023.
ARRÊT :
- Contradictoire, en dernier ressort
- Prononcé le 7 MARS 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- Signé par Madame Nathalie LAUER, Président de chambre et Monsieur Alexis DOUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le Magistrat signataire.
* * * * *
Par jugement contradictoire rendu en premier ressort le 15 décembre 2020, le Pôle social du tribunal judiciaire de Châteauroux a :
- Déclaré recevable mais mal fondée l'opposition de M. [J] [G] à l'encontre de la contrainte délivrée à son encontre par l'URSSAF - [Adresse 8] le 19 avril 2019 2019 et signifiée le 24 avril 2019,
- débouté M. [J] [G] de son opposition,
- validé la contrainte du 19 avril 2019 signifiée le 24 avril 2019, à l'initiative de l'URSSAF - [Adresse 8], à hauteur de la somme de 6 489 euros,
- condamné M. [J] [G] à payer cette somme à l'[Adresse 8] , outre les majorations de retard complémentaires continuant à courir et à parfaire jusqu'au paiement complet de la cotisation à laquelle elles se rapportent,
- condamné M. [J] [G] paiement des frais de signification de la contrainte,
- condamné M. [J] [G] aux dépens,
- rappelé qu'en application de l'article R. 133-3 du Code de la sécurité sociale, la décision du tribunal, statuant sur opposition, est exécutoire de droit à titre provisoire et qu'en application de l'article R. 133-6 du Code de la sécurité sociale, tous les actes de procédure nécessaires à l'exécution de la contrainte sont à la charge du débiteur,
- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire
- dit qu'appel peut être formé sous peine de forclusion dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.
Par lettre recommandée avec accusé de réception parvenue au greffe de la Cour le 1er mars 2021, M. [G] a interjeté appel nullité dudit jugement.
L'affaire a été appelée à l'audience du 10 janvier 2023.
Par conclusions soutenues oralement à l'audience, M. [G] invite la Cour à débouter l'[Adresse 8] de toutes ses demandes et à la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice.
Par conclusions soutenues oralement à l'audience, l'URSSAF [Adresse 8] prie la Cour de :
- débouter le requérant de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- ordonner la jonction des recours 21/694, 21/695, 21/696 et 21/697,
- déclarer irrecevables les appels nullité invoqués par M. [G],
- confirmer les jugements déférés,
- confirmer la décision rendue par la commission de recours amiable du 29 novembre 2018 et valider la mise en demeure du 26 juillet 2018 pour son montant à hauteur de 3 651 euros,
- valider les contraintes émises les 20 juin 2019, 21 janvier 2019 et 19 avril 2019,
- condamner M. [G] à la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner M. [G] aux dépens.
SUR CE, LA COUR
- La jonction des recours
Il n'y a pas lieu d'ordonner la jonction des dossiers n° RG 21/694, 21/695, 21/696 et 21/697. Par conséquent, le présent arrêt sera circonscrit au jugement du 15 décembre 2020 relatif à la contrainte du 19 avril 2019 signifiée le 24 avril 2019, à l'initiative de l'URSSAF - [Adresse 8], à hauteur de la somme de 6 489 euros.
- La nullité du jugement
M. [G] a interjeté appel nullité dudit jugement. A l'appui, il fait valoir qu'en adoptant systématiquement la position de l'URSSAF, les premiers juges ont fait preuve de partialité à son égard si bien qu'ils ont attenté à ses droits fondamentaux de sorte que cette voie de recours lui est bien ouverte.
L'[Adresse 8] conclut à l'irrecevabilité de la demande de nullité du jugement. Elle expose que cette voie de recours n'est ouverte qu'en l'absence de tout autre recours, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Appréciation de la Cour
L'article 542 du Code de procédure civile dispose que 'l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel'.
L'appel interjeté par M. [G], intitulé appel-nullité, lequel n'est ouvert qu'en l'absence de tout recours, tend à l'annulation du jugement rendu le 15 décembre 2020 par le Pôle social du tribunal judiciaire de Châteauroux de sorte que la Cour est saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel.
La résolution du litige repose sur une démonstration juridique. Ainsi, le fait que les premiers juges, au terme de cette démonstration , ait fait leur la position de l'URSSAF n'est pas de nature à démontrer en soi leur partialité que M. [G] ne démontre par aucun élément objectif.
Ainsi, en l'absence de moyens propres à l'annulation du jugement, il n'y pas lieu d'ordonner celle-ci, mais il convient de statuer au fond sur l'appel formé par M. [G].
- Le bien-fondé de l'opposition à contrainte
M. [G] poursuit l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a validé la contrainte émise par l'URSSAF [Adresse 8] et l'a condamné à en payer les causes. À l'appui, il invoque les libertés de circulation consacrées par l'acte unique européen qui ont abouti à la création d'un marché concurrentiel de l'assurance dont, d'après lui, le bénéfice ne saurait être interdit à aucune des personnes résidentes en France.
Il rappelle qu'en vertu de l'article 55 de la Constitution, les traités ont une autorité supérieure à celle des lois. Il estime que c'est ainsi que les sociétés [10] et [7] ont signé un accord prévoyant le développement d'une plate-forme digitale proposant une protection sociale, accord qui ne constitue d'après lui, nullement une assurance complémentaire mais une assurance au premier euro. Il souligne que cet accord n'indique pas que les chauffeurs de la société [10], qui sont des travailleurs indépendants, seraient assurés sociaux. Il soutient que le communiqué gouvernemental suite à cet accord met un terme définitif à toutes les interprétations fallacieuses des dispositions établissant la liberté de l'assurance de protection sociale en Europe et donc évidemment en France. Pour appuyer ses demandes, il se prévaut également de l'article premier de la constitution française, de l'article premier de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et de l'article 20 Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne.
Au fondement des articles L. 111-1 et L. 111-2-2 du Code de la sécurité sociale, l'URSSAF Centre Val de [Localité 9] conclut à la confirmation du jugement de ce chef. Elle expose que la protection sociale obligatoire, dont l'organisation basée sur des principes de valeur constitutionnelle relève expressément de l'entière maîtrise des Etats membres de l'Union Européenne conformément aux traités européens ; que la protection sociale complémentaire facultative est soumise à la concurrence et relève du droit national mis en conformité avec la réglementation européenne ; que les directives européennes 'assurance' ne concernent pas les législations de sécurité sociale, qui en sont d'ailleurs expressément exclues. Elle en infère que chaque état membre de l'Union Européenne reste libre d'organiser son propre système de protection sociale obligatoire. Elle rappelle que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union Européenne a précisé ces principes et qu'ainsi la mise en libre concurrence de l'assurance ne concerne pas la protection sociale obligatoire, ce qui a été confirmé par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 25 avril 2013, pourvoi n° 12-13. 234. Elle souligne également que par un arrêt du 22 octobre 2015, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a confirmé que l'affiliation au régime social des indépendants est obligatoire et ne peut être remplacée par la souscription d'une assurance privée.
Appréciation de la Cour
Il incombe à l'opposant à la contrainte de rapporter la preuve du caractère infondé du redressement de cotisations ainsi que l'a d'ailleurs jugé la Cour de cassation (Civ. 2ème, 13 février 2014, n° 13-13.921).
L'article L. 111-1 du Code de la sécurité sociale rappelle le principe de solidarité sur lequel repose la sécurité sociale et impose l'obligation de s'affilier à un régime de sécurité sociale pour les personnes qui travaillent en France.
Conformément à l'article 153 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (article 137 du traité CE), les états membres conservent l'entière maîtrise de l'organisation de leur système de protection sociale. Cela vaut en particulier pour toute l'étendue des dispositions légales et réglementaires concernant la sécurité sociale. Les États sont libres notamment de fixer dans leur législation nationale pour chacun des risques, le niveau des prestations, le mode et le niveau de financement, les modalités de fonctionnement du régime et son degré de solidarité entre les citoyens.
Les directives n° 92/49/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, et n° 92/96/CEE du Conseil, du 10 novembre 1992 excluent expressément, dans leur article 2-2, les risques couverts par les régimes légaux de sécurité sociale . En effet, les dispositions de ces directives de 1992, concernant l'assurance, ne sont pas applicables aux régimes légaux de sécurité sociale fondés sur le principe de solidarité nationale dans le cadre d'une affiliation obligatoire des intéressés et de leurs ayants droit, telle que prévue à l'article L. 111-1 du Code de la sécurité sociale , ces régimes n'exerçant pas une activité économique, ainsi que l'a jugé la Cour de cassation (Civ. 2ème, 25 avril 2013, n°'12-13.234).
Statuant sur question préjudicielle, la Cour de justice des communautés européennes, dans un arrêt du 26 mars 1996 (affaire n° 283/94) a également considéré que l'article 2, paragraphe 2, de la directive 92/49, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239 et 88/357, doit être interprété en ce sens que 'des régimes de sécurité sociale , tels que ceux en cause dans les affaires au principal, sont exclus du champ d'application de la directive 92/49'.
Il convient de relever que la Cour de justice a, dans les paragraphes n° 12 à 14, exclu toute remise en cause de l'obligation d' affiliation aux régimes de sécurité sociale nationaux, dans des termes dépourvus d'ambiguïté.
Il résulte de ce qui précède que le caractère obligatoire de l'assujettissement aux régimes de sécurité sociale n'est pas incompatible avec les règles précitées du droit de l'Union Européenne.
Par ailleurs l' accord passé entre les sociétés [10] et [7], offre à tous les indépendants partenaires et fournisseurs de services à [10] de bénéficier d'une protection sociale privée complète facultative qui tend à améliorer la protection sociale des travailleurs indépendants utilisant la plate-forme de service Uber. Il ne s'agit donc pas d'un accord privé de sécurité sociale mais d'une protection sociale complémentaire, au même titre que les salariés bénéficient au sein de leur entreprise, d'une prévoyance. Cette protection ne change en rien l'obligation d'affiliation de ces derniers à la sécurité sociale des indépendants.
Enfin, La Cour de cassation a décidé dans une affaire dans laquelle étaient contestés les articles L. 111-1, L. 111-2-1 et L. 111-2-2 du Code de la sécurité sociale au regard de l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, que ces dispositions ne portaient pas atteinte à la liberté contractuelle, à la liberté d'entreprendre et à la liberté personnelle car elles ont 'pour objet une mutualisation des risques dans le cadre d'un régime de sécurité sociale fondé sur le principe de solidarité nationale' et qu'elles répondent 'aux exigences de valeur constitutionnelle qui résultent du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946'. Ainsi, les caisses de retraite ont vocation à assurer le versement d'une retraite aux cotisants. Cette mission leur est confiée par le législateur sous le contrôle de l'Etat. L'obligation d'affiliation à ces caisses participe de l'intérêt général qu'il incombe au législateur de préserver.
Il s'en infère que ces dispositions ne méconnaissent pas les libertés fondamentales invoquées par M. [G], étant rappelé de plus, que l'obligation d'affiliation s'impose à tous de sorte qu'il n'en résulte aucune atteinte au principe d'égalité devant la loi.
En l'absence de toute autre contestation de l'appelant, il convient donc de valider la contrainte litigieuse et de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions de ce chef.
- La demande de dommages et intérêts
Compte tenu de ce qui précède, aucune faute n'est démontrée à l'encontre de l'URSSAF [Adresse 8] qui n'a fait qu'appliquer les textes qui s'imposent à elle. La demande de dommages et intérêts est rejetée.
- Les dispositions accessoires
Le sens du présent arrêt conduit à condamner M. [G] aux dépens d'appel. Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 au bénéfice de l'URSSAF [Adresse 8].
PAR CES MOTIFS:
Confirme le jugement rendu en dernier ressort le 15 décembre 2020 par le Pôle social du tribunal judiciaire de Châteauroux en toutes ses dispositions ;
Et, y ajoutant,
Rejette la demande de dommages et intérêts de M. [G] ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne M. [G] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,