C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE - A -
Section 2
PRUD'HOMMES
Exp +GROSSES le 26 JANVIER 2023 à
la SELARL 2BMP
la SARL ORVA-VACCARO & ASSOCIES
XA
ARRÊT du : 26 JANVIER 2023
MINUTE N° : - 23
N° RG 20/02380 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GHWY
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BLOIS en date du 29 Septembre 2020 - Section : INDUSTRIE
APPELANT :
Monsieur [D] [K]
né le 29 Janvier 1964 à
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Guillaume PILLET de la SELARL 2BMP, avocat au barreau de TOURS
ET
INTIMÉE :
S.A.R.L. PORTEVIN ET FILS prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me François VACCARO de la SARL ORVA-VACCARO & ASSOCIES, avocat au barreau de TOURS
Ordonnance de clôture : 10 novembre 2022
Audience publique du 29 Novembre 2022 tenue par Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller, et ce, en l'absence d'opposition des parties, assisté lors des débats de Monsieur Jean-Christophe ESTIOT, Greffier,
Après délibéré au cours duquel Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller a rendu compte des débats à la Cour composée de :
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,
Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, conseiller.
Puis le 26 Janvier 2023, Madame Laurence Duvallet, présidente de Chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Karine DUPONT, Greffier a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
M.[D] [K] a été engagé par la société Portevin & fils (SARL) en qualité de peintre en bâtiment, dans le cadre d'un contrat d'apprentissage, à compter du 15 septembre 1980, auquel a succédé un contrat à durée indéterminée.
A la suite d'un accident du travail dont M.[K] a été victime le 29 février 2016, le médecin du travail a émis le 4 avril 2019, un avis d'inaptitude précisant un certain nombre de restrictions concernant le reclassement.
Plusieurs propositions de reclassement ont alors été émises par l'employeur, que M.[K] a refusées.
Le 16 mai 2019, la société Portevin & fils a adressé à M.[K] une convocation à un entretien préalable fixé au 23 mai 2019 et par courrier du 28 mai 2019, la société lui a notifié son licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement.
Par requête du 8 août 2019, M.[K] a saisi le Conseil de prud'hommes de Blois, aux fins de contester son licenciement en invoquant une violation par l'employeur de son obligation de reclassement et solliciter le paiement de diverses sommes en conséquence.
Par jugement du 29 septembre 2020, le Conseil de prud'hommes de Blois a :
- débouté M.[K] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné M.[K] à payer à la société Portevin & fils la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M.[K] aux dépens.
Par déclaration formée par voie électronique le 23 novembre 2020, M.[K] a relevé appel de cette décision, qui lui avait été notifiée par courrier du 23 octobre 2020.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 28 janvier 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du Code de procédure civile et aux termes desquelles M.[K] demande à la Cour de :
- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions
- Statuant à nouveau, condamner la société Portevin & fils à régler à M.[K] les sommes suivantes :
- 45 967,40 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 31 189,34 € au titre du rappel de l'indemnité spéciale de licenciement
- 4596,74 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
- 10 000 € de dommages-intérêts pour le préjudice subi
- Ordonner sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir la remise des bulletins de paie afférents aux créances salariales ainsi qu'un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle Emploi
- Condamner la société Portevin & fils aux entiers dépens qui comprendront les frais éventuels d'exécution et au paiement d'une somme de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 2 mars 2021 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du Code de procédure civile et aux termes desquelles la société Portevin & fils demande à la Cour de :
- Débouter M.[K] de son appel et de ses demandes
- Confirmer le jugement dont appel
- Condamner M.[K] à verser à la société Portevin & fils la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur le respect par l'employeur de son obligation de reclassement
L'article L.1226-10 du code du travail prévoit : " Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail. "
M.[K] soutient que la recherche de reclassement à laquelle a procédé l'employeur est insatisfaisante, en ce que le même poste de magasinier lui a été proposé à trois reprises, alors qu'il était auparavant peintre, et seulement à temps partiel, de sorte que cela représentait pour lui une modification de son contrat de travail. Il souligne la célérité avec laquelle la recherche d'un poste de reclassement a été opérée et présentée au comité économique et social, ce qui ne caractérise pas, selon lui, une recherche sérieuse et loyale. Il ajoute que le médecin du travail n'a pas émis d'avis favorable au poste qui lui était proposé, conseillant seulement qu'une formation soit dispensée à l'intéressé, ce qui ne lui a pas été proposé, de sorte qu'il ne pouvait que refuser la proposition de reclassement.
L'employeur réplique qu'un reclassement sur un poste de magasinier a été faite, puis réitérée après le refus de M.[K] mais avec un salaire plus élevé, en y associant le médecin du travail. Devant un nouveau refus de M.[K], le poste lui été proposé avec une rémunération, à temps partiel, équivalente à celle qu'il avait auparavant à temps plein. La société Portevin & fils assure que le médecin du travail a été associé à la recherche de reclassement.
La cour relève que compte-tenu des restrictions importantes émises par le médecin du travail le 4 avril 2019 (pas de station debout prolongée, pas d'activité nécessitant des marches supérieures à 1000 m, pas de travail en hauteur, pas de travail accroupi à genoux, pas de port de charges supérieures à 15 kgs), un poste de magasinier, sans port de charges supérieures à 15 kg et ne nécessitant pas de longues marches, lui a été proposé le 15 avril 2019, moyennant un horaire hebdomadaire de 20 heures et une rémunération mensuelle de 1078,17 €. Il est précisé qu'il s'agissait de la création d'un poste, qui relevait de la même classification. Une fiche de poste très précise était jointe à cette proposition.
M.[K] a opposé un refus, considérant qu'elle n'était pas " à la hauteur de (ses) compétences ni à (ses) aspirations professionnelles " et notant qu'elle entraînait une diminution de sa rémunération.
Par courrier du 6 mai 2019, l'employeur réitérait sa proposition, mais avec un horaire de 24 heures hebdomadaire et un salaire de 1617,20 euros.
M.[K] a également opposé un refus.
Enfin, par courrier du 10 mai 2019, la société Portevin & fils a proposé à nouveau le même poste, avec un horaire de 24 heures hebdomadaires, moyennant une rémunération de 2088,92 euros, ce qui correspondait à son salaire à temps plein avant le prononcé de son inaptitude, 13 heures supplémentaires incluses.
M.[K] a maintenu son refus.
L'ensemble de ces propositions ont été soumises au comité économique et social, lequel a, à chaque fois, donné son accord à ces propositions de reclassement.
Le médecin du travail a été associé à la recherche de reclassement. Le docteur [J], dans une lettre du 12 avril 2019 en réponse à un courrier de la société Portevin & fils du 9 avril 2019 dans lequel elle l'interrogeait sur la compatibilité du nouveau poste de magasinier avec ses préconisations, soulignait " l'investissement " de l'employeur dans cette démarche, et rappelait qu'il ne pourrait être de nouveau saisi qu'en cas d'acceptation du salarié du nouveau poste, dans le cadre d'une nouvelle visite.
En outre, le médecin du travail précise : " concernant les formations à envisager, il est difficile de se prononcer en l'absence d'un bilan de compétences et de précisions sur le nouveau poste de travail. Cependant il est raisonnable de penser qu'une formation d'initiation de mise à niveau à l'outil informatique devrait être profitable à M.[K]".
L'employeur s'est donc tenu à ces recommandations et M.[K] ne peut sans mauvaise foi lui reprocher l'absence d'avis du médecin du travail sur le poste de reclassement alors que celui-ci estimait qu'il ne fournirait cet avis qu'après son acceptation éventuelle de ce poste, pas plus qu'il ne peut souligner qu'aucune formation ne lui a été proposée, alors que sa mise en place était également subordonnée à son accord de principe, qu'il n'a jamais donné, ses courriers de refus étant totalement dénués d'ambiguïté.
On ne peut pas, non plus, retenir une célérité quelconque de la société Portevin & fils à formuler la proposition de reclassement, qui s'est étalée en trois étapes, allant jusqu'à proposer un poste à temps partiel rémunéré à la même hauteur que son ancien emploi de peintre à temps plein.
C'est pourquoi la société Portevin & fils démontre qu'elle a sérieusement et loyalement opéré une recherche de reclassement au bénéfice de M.[K].
Le licenciement dont il a été l'objet est donc pourvu d'une cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris, qui a débouté M.[K] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sera confirmé sur ce point.
- Sur le caractère abusif du refus par M.[K] de l'offre de reclassement et les demandes d'indemnité spéciale de licenciement et d'indemnité de préavis
L'article L.1226-14 du code du travail prévoit :
" La rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9.
Toutefois, ces indemnités ne sont pas dues par l'employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif. "
M.[K], à l'appui de sa demande d'indemnité spéciale de licenciement, soutient que malgré les indications portées sur son dernier bulletin de salaire, la somme qu'il a reçue au titre de l'indemnité " spéciale " de licenciement pour inaptitude professionnelle correspond en réalité à l'indemnité de droit commun, ce que reconnaît implicitement l'employeur qui indique qu'en raison d'un refus, jugé abusif, du reclassement qui était proposé, l'indemnité spéciale de licenciement n'était pas due.
Le jugement entrepris ne pouvait donc débouter M.[K] de sa demande en paiement de dommages-intérêts en se fondant uniquement sur le fait qu'une telle indemnité spéciale de licenciement était portée sur le bulletin de salaire, sans examiner le moyen relatif au refus, jugé abusif par l'employeur, des propositions de reclassement.
M.[K] expose à cet égard que l'offre de reclassement impliquait une modification de son contrat de travail, caractérisée par une modification de son temps de travail, un changement de ses fonctions et une diminution de sa rémunération, de sorte qu'il était légitime à la refuser.
La société Portevin & fils réplique que le refus de son ultime proposition de reclassement, qui permettait à M.[K] de conserver un emploi à temps partiel mais avec la même rémunération qu'auparavant à temps plein, motivé iniquement par ses aspirations ou son avenir professionnel, témoigne d'un exercice peu loyal de la relation contractuelle et présente un caractère abusif.
La cour relève que les précédentes fonctions de M.[K], peintre en bâtiment, depuis la formation qu'il avait suivie plus de 30 ans auparavant au sein de la même entreprise, différaient largement de celles de magasinier, quand bien même il aurait continué à bénéficier de la même classification et du même salaire mensuel, et même d'un salaire horaire supérieur.
En raison du changement de fonctions que l'offre de reclassement impliquait, et donc de la modification du contrat de travail qu'elle entraînait, M.[K] pouvait, sans abus de sa part, refuser d'y répondre positivement.
Dans ces conditions, le caractère abusif du refus de reclassement invoqué par l'employeur n'est pas établi, de sorte que l'indemnité spéciale de licenciement est due, de même qu'une indemnité compensatrice de préavis.
A titre superfétatoire, la cour remarque que la lettre de licenciement mentionnait que M.[K] percevrait " l'indemnité légale de licenciement conformément aux règles applicables en vigueur sur les accidents du travail " et que le bulletin de salaire portait une ligne mentionnant " indemnité spéciale de licenciement pour inaptitude professionnelle ", sans que le montant versé y corresponde, ce qui pouvait être trompeur.
Le quantum réel du solde de l'indemnité de licenciement et celui de l'indemnité de préavis ne sont aujourd'hui pas contestés par l'employeur.
Par voie d'infirmation du jugement, la société Portevin & fils sera condamnée à lui payer à M.[K] la somme de 31 189,34 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement, et celle de 4596,74 euros au titre de l'indemnité de préavis.
- Sur la demande en paiement de dommages-intérêts pour préjudice subi
M.[K] soutient avoir subi un préjudice lié au fait que son employeur l'aurait privé d'un emploi mais également de sommes lui revenant et réclame 10 000 euros de dommages-intérêts à ce titre.
La cour considérant que les conditions du reclassement de M.[K] ne sont pas critiquables, et celui-ci ne justifiant pas, s'agissant des indemnités de licenciement et de préavis qu'il réclame, de l'existence d'un préjudice distinct du retard de paiement, indemnisé par les intérêts légaux, il sera débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour préjudice subi.
- Sur la remise des documents de fin de contrat
La remise des documents de fin de contrat conformes à la présente décision sera ordonnée.
Aucune circonstance ne permet de considérer qu'il y ait lieu d'assortir cette disposition d'une mesure d'astreinte pour en garantir l'exécution.
- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
La solution donnée au litige commande d'infirmer la décision du conseil de prud'hommes condamnant M.[K] à payer à la société Portevin & fils la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de débouter celle-ci de sa demande à ce titre et de la condamner à payer à M.[K] la somme de 2500 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
S'agissant de la demande de condamnation aux frais d'exécution, il sera rappelé que le titre servant de fondement aux poursuites permet le recouvrement des frais de l'exécution forcée qui sont à la charge du débiteur.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 29 septembre 2020 par le conseil de prud'hommes de Blois en ce qu'il a:
- débouté M.[D] [K] de sa demande visant à voir déclarer dépourvu de cause réelle et sérieuse son licenciement et de sa demande d'indemnité afférente ;
- débouté M.M.[D] [K] de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour préjudice subi ;
Infirme ce jugement pour le surplus,
Statuant des chefs infirmés et ajoutant,
Condamne la société Portevin & fils à payer à M.[D] [K] les sommes suivantes :
- 31 189,34 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement
- 4596,74 euros au titre de l'indemnité de préavis.
Ordonne la remise d'un bulletin de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision, et dit n'y avoir lieu à mesure d'astreinte ;
Condamne la société Portevin & fils à payer à M.[D] [K] la somme de 2500 euros au titre de ses frais irrépétibles, et la déboute elle-même de ce chef de prétention, tant au titre la première instance qu'en cause d'appel ;
Condamne la société Portevin & fils aux dépens de première instance et d'appel.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier
Karine DUPONT Laurence DUVALLET