C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE - A -
Section 2
PRUD'HOMMES
Exp +GROSSES le 26 JANVIER 2023 à
la SCP HOUSSARD ET TERRAZZONI
la SELARL PRUNIER-D'INDY
XA
ARRÊT du : 26 JANVIER 2023
MINUTE N° : - 23
N° RG 20/02357 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GHVG
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TOURS en date du 21 Octobre 2020 - Section : ACTIVITÉS DIVERSES
APPELANT :
Monsieur [V] [W]
né le 03 Décembre 1970 à [Localité 4] (SENEGAL)
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Eugène HOUSSARD de la SCP HOUSSARD ET TERRAZZONI, avocat au barreau de TOURS
ET
INTIMÉE :
Association EMERGENCE représentée par son Président domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Constance D'INDY de la SELARL PRUNIER-D'INDY, avocat au barreau de TOURS
Ordonnance de clôture : 10 novembre 2022
Audience publique du 29 Novembre 2022 tenue par Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller, et ce, en l'absence d'opposition des parties, assisté lors des débats de Monsieur Jean-Christophe ESTIOT, Greffier,
Après délibéré au cours duquel Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller a rendu compte des débats à la Cour composée de :
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,
Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, conseiller.
Puis le 26 Janvier 2023, Madame Laurence Duvallet, présidente de Chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Karine DUPONT, Greffier a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
M.[V] [W] a été engagé par l'association Etape Halte de Jour en qualité d'animateur, aux droits de laquelle vient aujourd'hui l'association Emergence, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, à compter du 10 février 2010, auquel a succédé un contrat à durée indéterminée à compter du 1er avril 2013.
L'association Emergence gère des hébergements sociaux pour adultes et familles en difficulté.
A la suite d'une agression dont M.[W] a été victime le 19 octobre 2016, ayant occasionné une blessure au genou, prise en charge au titre d'un accident du travail, le médecin du travail a émis le 23 avril 2018 un avis d'inaptitude libellé comme suit : " inapte à son poste, apte à un poste administratif, avec position assise et debout en alternance, sans piétinement, sans posture debout prolongée, sans accroupissement, sans porte de charges lourdes ".
Une proposition de reclassement a alors été émise par l'employeur, que M.[W] a refusée.
L'association Emergence a adressé à M.[W] une convocation à un entretien préalable fixé au 15 juin 2018 et par lettre du 22 juin 2018, lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
M.[W] a saisi le Conseil de prud'hommes de Tours par requête du 21 juin 2019, formant une demande tendant à contester son licenciement, invoquant une violation par l'employeur de son obligation de sécurité et de son obligation de reclassement et sollicitant le paiement de diverses sommes en conséquence.
Par jugement du 21 octobre 2020, le Conseil de prud'hommes de Tours a :
- débouté M.[W] de l'intégralité de ses demandes ;
- débouté l'association Emergence de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M.[W] aux dépens.
Par déclaration formée par voie électronique le 18 novembre 2020, M.[W] a relevé appel de cette décision.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 11 février 2021 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M.[W] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement entrepris du conseil de prud'hommes de Tours en date du 21 octobre 2020 en ce qu'il a déclaré que le licenciement de M.[W] reposait sur une cause réelle et sérieuse ;
- dire et juger que le licenciement pour inaptitude de M.[W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- condamner l'association Emergence à payer à M.[W] la somme de 30.000 € d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- condamner l'association Emergence à payer la somme de 2.000 € à la SCP Houssard & Terrazzoni, par application combinée de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article 700 du code de procédure civile, à charge pour ladite SCP de renoncer à percevoir la part contributive de l'état ;
- dire que conformément aux articles 1231-7 et 1343-2 du code civil, ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, avec capitalisation annale des intérêts à compter de la même date ;
- condamner l'association Emergence aux dépens de l'instance.
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 10 mai 2021 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles l'association Emergence demande à la cour de :
- Dire et juger M.[W] fondé en son appel,
- en conséquence, confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Conseil de Prud'hommes de Tours en date du 21 octobre 2020 et débouter M.[W] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions dirigées contre l'association Emergence
-le condamner à verser à l'association Emergence une indemnité de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la violation par l'employeur de son obligation de sécurité et la faute de l'employeur à l'origine de l'inaptitude
Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
En vertu des articles L.4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l'employeur est tenu à l'égard de son salarié d'une obligation de sécurité. Il doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, actions d'information et de formation, mise en place d'une organisation et de moyens adaptés) en respectant les principes généraux de prévention suivants : éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé, tenir compte de l'état d'évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle, donner les instructions appropriées aux travailleurs. Il lui appartient de justifier qu'il a satisfait à ses obligations.
Le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.
M.[W] expose que lors de l'agression dont il a été victime, l'équipe d'accueil ne se composait que de trois personnes, étant précisé que la population accueillie est composée d'hommes seuls présentant souvent des addictions et des troubles du comportement, de sorte que le risque de comportements violents était prévisible, sans qu'une réflexion de prévention ait été menée à cet égard par l'employeur.
L'association Emergence réplique que lors de l'agression de M.[W], l'équipe était composée de 5 personnes et non de 3, et que si toutes n'ont pas été en mesure d'intervenir, il n'est pas établi qu'un nombre supérieur de salariés présents aurait permis d'éviter l'altercation. Elle affirme que ce type d'altercation n'est pas fréquente, les faits de violence n'étant pas courants. M.[W] aurait en outre suivi une formation sur la gestion des situations difficiles et il lui est reproché de ne pas avoir su gérer la situation. Le salarié n'aurait pas entendu exercer un recours contre son agresseur et la halte de jour a été fermée immédiatement le jour des faits, l'agresseur ayant été exclu. L'association Emergence affirme donc qu'aucune faute ne peut lui être reprochée.
Le carnet de liaison de l'établissement mentionne que le jour des faits est survenue " une grosse altercation entre [V] et [B] [H], suivie d'une bagarre obligeant [V] à aller aux urgences. Halte du matin fermée à 10h15 ".
Un collègue de M.[W], M.[I], atteste que lors de l'agression de M.[W], ils n'étaient que trois salariés présents sur les lieux.
Le carnet de liaison fait état de 5 personnes, dont l'employeur reconnaît que certaines pouvaient être occupées ailleurs.
Il n'en demeure pas moins qu'il n'est pas établi que M.[W] est resté isolé face à la situation de conflit à laquelle il a été confronté, ni que la présence de salariés supplémentaires aurait été de nature à empêcher la bagarre qui a suivi l'altercation intervenue entre M.[W] et son agresseur.
L'employeur apparaît avoir respecté son obligation de formation pour prévenir ce type d'évènement, en corrélation avec la fiche de poste de M.[W] qui mentionnait la mission qui lui était confiée de " gérer les conflits pour maintenir un climat calme dans la structure ", puisqu'il a suivi une formation à la " gestion des relations difficiles " sur deux jours au mois de septembre 2016, soit peu de temps avant l'incident. Le descriptif de cette formation correspond très exactement à la prévention du risque de ce type de débordement, s'agissant " d'apprendre à décoder et anticiper les personnalités et situations annonciatrices de conflit ", et, entre autres, " d'acquérir les comportements adaptés et les outils de communication efficaces pour encadrer les personnalités difficiles ".
Ceci témoigne de la démarche de prévention de l'employeur à cet égard.
C'est pourquoi aucun manquement de l'association Emergence quant à son obligation de sécurité ne peut être retenu qui soit à l'origine de l'inaptitude de M.[W] à son poste de travail et de son licenciement.
Ces moyens seront rejetés.
- Sur l'obligation de reclassement
L'article L.1226-10 du code du travail prévoit que lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
En l'espèce, l'association Emergence a, dans une lettre du 14 mai 2018, indiqué à M.[W] " qu'aucun poste à caractère purement administratif n'est vacant dans l'association " mais qu'il était proposé à M.[W] le poste d'animateur socio-éducatif à l'accueil familles.
M.[W] affirme en premier lieu que les modalités de consultation des délégués du personnel (alors encore en place) ne sont pas conformes aux exigences relativement à la fourniture de toutes les informations nécessaires quant au reclassement du salarié, et que cette instance n'a pas été consultée sur la question plus générale du reclassement, mais uniquement sur le poste envisagé.
L'association Emergence réplique que la consultation qui est intervenue est régulière et que l'information qui a été donnée est loyale et complète.
La cour relève en premier lieu que la consultation des instances représentatives du personnel est obligatoire et doit porter sur la proposition de reclassement faite au salarié concerné, et qu'en l'espèce, cette consultation résulte du procès-verbal de réunion des délégués du personnel du 4 mai 2018 produit aux débats.
La consultation impose à l'employeur de fournir une information utile et loyale.
L'association Emergence a rappelé les restrictions émises par le médecin du travail sur le poste de reclassement et explique que, selon elle, le poste proposé était conforme à ces restrictions, en détaillant les postures : passage d'une posture assise à debout, pas de piétinement ni d'accroupissement ; pas de port de charges lourdes, les livraisons s'effectuant en présence d'autres salariés. Le délégué du personnel présent a émis un avis défavorable, compte tenu du peu de différence, selon lui, entre le poste proposé et l'ancien.
L'information des représentants du personnel est donc satisfaisante, puisqu'un avis éclairé sur la proposition de reclassement émise par l'employeur a pu être émis.
Ce moyen, tiré de l'irrégularité de la consultation des délégués du personnel, doit être rejeté.
S'agissant de l'impossibilité de reclassement opposée par l'association Emergence, M.[W] la conteste en affirmant que le poste qui lui a été proposé était similaire au précédent s'agissant des postures qu'il imposait, selon lui non-conforme aux restrictions émises par le médecin du travail, de sorte que ce dernier aurait dû être consulté à nouveau. Par ailleurs, M.[W] affirme qu'un poste d'assistant à temps partiel aurait pu lui être proposé ou un tout autre poste que celui d'animateur.
L'association Emergence réplique que le poste de reclassement qui a été soumis à M.[W] a été avalisé par le médecin du travail et était beaucoup moins contraignant que le précédent, et que si aucun autre poste, notamment administratif, ne lui a été proposé, c'est qu'il n'existait aucun poste disponible.
La cour constate en premier lieu que par email du 2 mai 2018, le médecin du travail a indiqué que le poste d'animateur famille proposé avec M.[W], " avec les aides possibles au moment des manutentions les plus lourdes semble répondre aux restrictions ", précisant en outre qu'il serait présent " pour évaluer les difficultés résiduelles qui pourraient exister sur ce nouveau poste, si M.[W] l'accepte ".
L'employeur n'a donc pas failli à ses obligations en proposant ce poste, en y associant le médecin du travail.
S'agissant des autres postes éventuellement disponibles, compatibles avec les compétences de M.[W] et purement administratifs, comme préconisé par le médecin du travail dans son avis d'inaptitude, ces postes sont limités, en dehors des postes de cadre, à 4 au sein de l'association, qui d'après les éléments fournis par le salarié, comprend un effectif entre 20 et 49 et 38 selon le document produit par l'employeur.
Parmi eux, celui d'assistant, confié à Mme [M], n'a été pourvu que le 10 septembre 2018, soit presque trois mois après le licenciement de M.[W], et il s'agissait d'un contrat d'apprentissage nécessitant de suivre un enseignement en alternance.
Le registre d'entrée et de sortie du personnel fait état par ailleurs de l'embauche, au moment du licenciement de M.[W], de plusieurs salariés animateurs ou agents polyvalents, ce dont ce dernier n'affirme en rien qu'ils auraient été appropriés à ses capacités, notamment du point de vue des restrictions imposées par le médecin du travail, les postes requérant une station debout proscrites par ce dernier.
Dans ces conditions, l'association Emergence, en proposant à M.[W] un poste avec l'aval du médecin du travail, sans qu'un autre poste apparaisse pouvoir lui être proposé, a respecté son obligation de recherche sérieuse et loyale de reclassement.
Le licenciement pour inaptitude de M.[W] est donc pourvu d'une cause réelle et sérieuse, et le jugement entrepris sera confirmé sur ce point, y compris en ce qu'il a débouté M.[W] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
La solution donnée au litige commande de condamner M.[W] à payer à l'association Emergence la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, celui-ci étant débouté de sa demande de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle.
M.[W] sera condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 octobre 2020 par le conseil de prud'hommes de Tours ;
Y ajoutant,
Condamne M.[V] [W] à payer à l'association Emergence la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le déboute de sa demande au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle ;
Condamne M.[W] aux dépens d'appel.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier
Karine DUPONT Laurence DUVALLET