C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE - A -
Section 2
PRUD'HOMMES
Exp +GROSSES le 24 NOVEMBRE 2022 à
la SCP LAVAL - FIRKOWSKI
M [H]
XA
ARRÊT du : 24 NOVEMBRE 2022
MINUTE N° : - 22
N° RG 20/01174 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GFEO
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BLOIS en date du 30 Janvier 2020 - Section : COMMERCE
APPELANTE :
Madame [M] [D]
née le 29 Septembre 1964 à [Localité 5] ([Localité 5])
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par M. [M] [H], défenseur syndical,
ET
INTIMÉE :
S.A.S. STAUFF agissant en la personne de son représentant légal domicilié
en cette qualité au siège social
Zone Industrielle
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI, avocat au barreau d'ORLEANS
ayant pour avocat plaidant Me Amandine PEROCHON de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de BLOIS,
Ordonnance de clôture : 1er septembre 2022
Audience publique du 27 Septembre 2022 tenue par Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller, et ce, en l'absence d'opposition des parties, assisté lors des débats de Mme Karine DUPONT, Greffier,
Après délibéré au cours duquel Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller a rendu compte des débats à la Cour composée de :
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,
Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre,
Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller.
Puis le 24 Novembre 2022, Madame Laurence Duvallet, présidente de Chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier, a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [M] [D] a été engagée par la société Stauff (SAS) selon contrat à durée indéterminée à compter du 4 décembre 1987, en qualité de préparatrice de commande.
Elle exerçait en dernier lieu le mandat de déléguée du personnel suppléante.
Elle a été convoquée à un entretien préalable à licenciement, fixé au 16 février 2017, en vue d'un licenciement économique collectif.
La société Stauff a demandé l'autorisation à l'inspection du travail de licencier Mme [D], qui a été accordée par décision du 14 mars 2017.
La société Stauff a notifié à Mme [D] par courrier du 17 mars 2017 son licenciement pour motif économique.
Saisi d'un recours de Mme [D] contre l'autorisation de licencier accordée par l'inspection du travail, le ministre du travail, par décision du 13 novembre 2017, a confirmé cette autorisation.
Par requête enregistrée au greffe le 16 mars 2018, Mme [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Blois pour demander l'octroi d'une indemnité pour non-respect des critères d'ordre du licenciement.
Par jugement du 30 janvier 2020, le conseil de prud'hommes de Blois a débouté Mme [D] de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Stauff l'euro symbolique au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Mme [D] a fait appel de ce jugement, notifié le 9 juin 2020, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée le 18 juin 2020 au greffe de la cour d'appel.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 29 août 2022, identiques à celles enregistrées le 16 septembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles Mme [D] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement entrepris
- Constater le non-respect de l'ordre des licenciements au motif que le critère déterminant des qualités professionnelles mises en 'uvre par l'employeur ne repose pas sur des éléments objectifs et vérifiables et ne tient pas compte des absences de Mme [D] au titre de l'exercice de son mandat de délégué du personnel
- Condamner la société Stauff à verser à Mme [D] :
-45 000 euros à titre de dommages-intérêts
-1500 euros code de procédure civile
- Ordonner l'exécution provisoire de la décision intervenir
Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 18 décembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles la société Stauff demande à la cour de :
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [D] de ses demandes
- Débouter Mme [D] de sa demande au titre du non-respect des critères d'ordre du licenciement
- Débouter Mme [D] de l'ensemble de ses demandes
- Condamner Mme [D] à verser à la société Stauff la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- Condamner Mme [D] au entiers dépens
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur le respect de l'ordre des licenciements
L'article L.1233-5 du code du travail, dans version applicable au litige, énonce que " lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l'absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.
Ces critères prennent notamment en compte :
1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;
2° L'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise ;
3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;
4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.
L'employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l'ensemble des autres critères prévus au présent article ".
Il appartient à l'employeur, tenu de prendre en considération l'ensemble des critères qu'il a retenus pour fixer l'ordre des licenciements, de communiquer au juge, en cas de contestation, les éléments objectifs sur lesquels il s'est appuyé pour arrêter son choix et les données objectives, précises et vérifiables sur lesquelles il s'est appuyé.
L'inobservation des critères d'ordre des licenciements ne rend pas le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse mais ouvre droit pour le salarié à une indemnisation du préjudice qu'il en a subi, pouvant aller jusqu'à la perte injustifiée de son emploi.
En l'espèce, Mme [D] critique uniquement la mise en 'uvre du critère relatif aux compétences professionnelles, le fait qu'elle n'ait obtenu que deux points à ce titre l'ayant désignée, selon elle, pour être licenciée parmi 3 autres préparateurs de commande, ayant alors été à égalité de points avec un collègue moins ancien qu'elle.
Elle explique que les commandes étaient préparées sur la base de bons de livraison, répartis de manière aléatoire entre les salariés, comportant des lignes représentant elles-mêmes de 1 à 10 000 pièces, chaque ligne nécessitant dès lors un temps de préparation différent selon les clients, de sorte que les qualités professionnelles de chaque salarié, telles que définies par l'employeur en fonction du nombre de lignes de commandes préparées dans l'année, ne présentent pas un caractère suffisamment objectif. Elle souligne l'absence d'éléments sur la composition de ces lignes de commande.
Elle ajoute qu'en sa qualité de déléguée du personnel suppléant, il n'a pas été tenu compte des nombreux remplacements du titulaire qu'elle effectuait alors qu'elle aurait dû bénéficier d'un crédit d'heures, au visa de l'article L.2314-30 du code du travail, le fait qu'elle n'ait pas pu produire de bons de délégation, alors que ce procédé n'a jamais été mis en place au sein de l'entreprise, étant inopérant. Elle produit des justificatifs de son activité en tant que déléguée du personnel suppléante.
La société Stauff réplique que les commandes étaient réparties entre les salariés de manière aléatoire et que ceux-ci n'avaient pas de clients attitrés, de sorte que tous les salariés étaient amenés à traiter des commandes importantes, ajoutant que le nombre moyen de pièces par ligne était de 25 seulement.
Elle indique que les absences de chacun ont été pris en compte pour le calcul du nombre de lignes de commande, mais conteste que Mme [D] ait pu bénéficier de crédits d'heures pour l'exercice de son mandat de déléguée du personnel suppléante car elle n'aurait jamais remplacé le titulaire, celui ayant notamment les mêmes horaires de travail.
Pour justifier du critère afférent aux qualités professionnelles de chacun des préparateurs de commande, la société Stauff produit un récapitulatif des lignes de commande préparées par ces derniers, dont il résulte que Mme [D] en a réalisé un nombre moindre que ses 3 collègues, que ce soit avant pondération en fonction des jours d'absence, ou après pondération, soit :
Année 2015 :
- 21 288 pour M.[K]
- 27 551 pour M.[E]
- 19 436 pour M.[P]
- 14 694 pour Mme [D]
Année 2016 :
- 18 645 pour M.[K]
- 28 182 pour M.[E]
- 21 216 pour M.[P]
- 15 593 pour Mme [D]
Les variations en nombre de pièces à traiter de chaque ligne de commande ne peuvent expliquer une telle différence de performance, puisque les bons de commande étaient distribués de façon aléatoire à chacun des salariés, comme c'est reconnu par Mme [D], que cette différence, constatée en 2015, a été confirmée en 2016 et que ces variations ne peuvent résulter du simple hasard.
L'employeur a donc utilisé, pour mesurer les qualités professionnelles de chacun, un critère précis, objectif et vérifié.
S'agissant du mandat de délégué du personnel suppléant de Mme [D], cette qualité ne lui permettait pas, en tant que telle, de bénéficier de crédits d'heures de délégation, qui présentent un caractère individuel et personnel propre au délégué du personnel titulaire. De plus, il n'est pas admis une répartition des heures de délégation entre délégués du personnel titulaires et suppléants ( Soc., 10 décembre 1996, pourvoi n° 95-45.453, Bulletin 1996, V, n° 437 ).
Il résulte, en revanche, de l'article L.2314-30 du code du travail dans sa version applicable au litige, que le délégué du personnel suppléant a vocation à remplacer le délégué du personnel titulaire et à bénéficier de son crédit d'heures de délégation, en cas d'absences de celui-ci, celles-ci s'entendant de la cessation de ses fonctions, ou d'absences momentanées pour une cause quelconque ( sur ce cas, Soc., 5 octobre 1994, pourvoi n° 93-42.164), étant observé qu'il peut s'agir d'absences prévues ou imprévues pour une mission ou une réunion entière ou pendant un temps plus court.
En l'espèce, le délégué du personnel titulaire, M.[E], disposait de 10 heures par mois de crédit d'heures de délégation et n'a, selon l'attestation qu'il a fournie à Mme [D], démissionné de son mandat que le 29 avril 2017, soit après le licenciement de cette dernière, en sorte que celle-ci ne l'a pas remplacé de manière définitive dans ses fonctions.
Par ailleurs, Mme [D] ne justifie par aucun élément de remplacements ponctuels, même réguliers, de M. [E] qui seraient intervenus en raison de l'empêchement de ce dernier d'exercer momentanément son mandat du délégué du personnel titulaire.
Il est établi, ainsi que l'a relevé le conseil de prud'hommes, que sur la période d'appréciation du critère d'ordre des licenciements relatif aux qualités professionnelles, de nombreuses réunions mensuelles entre la direction et les délégués du personnel ont été annulées à la demande de ces derniers, confirmant l'exercice par M. [E] de son mandat de délégué du personnel.
Le temps que Mme [D] a librement consacré, comme elle le souhaitait, en soutien du mandat exercé par le délégué titulaire, ne peut être décompté en absences dument justifiées dont l'employeur aurait eu à tenir compte pour pondérer les chiffres de performance de Mme [D].
Ainsi, Mme [D] ne peut pas bénéficier du crédit d'heures de délégation exclusivement attachées aux fonctions de M.[E].
C'est pourquoi le moyen qu'elle soulève à ce titre doit être rejeté.
Mme [D] ne forme aucune critique sur les autres critères d'ordre retenus par la société Stauff à l'appui du licenciement.
C'est pourquoi Mme [D] sera, par voie de confirmation, déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts.
- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
La solution donnée au litige commande de confirmer la décision de première instance afférente à l'euro symbolique qui a été alloué à la société Stauff au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et de condamner Mme [D] à payer à la société Stauff la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles engagés en cause d'appel, elle-même étant déboutée de sa propre demande au même titre.
Mme [D] sera en outre condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 30 janvier 2020 par le conseil de prud'hommes de Blois en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [M] [D] à payer à la société Stauff la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa propre demande au même titre ;
Condamne Mme [M] [D] aux dépens d'appel.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier
Fanny ANDREJEWSKI-PICARD Laurence DUVALLET