C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE - A -
Section 2
PRUD'HOMMES
Exp +GROSSES le 24 NOVEMBRE 2022 à
Me Christophe MOYSAN
la SELARL CELCE-VILAIN
XA
ARRÊT du : 24 NOVEMBRE 2022
MINUTE N° : - 22
N° RG 20/00967 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GEUZ
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TOURS en date du 19 Mai 2020 - Section : COMMERCE
APPELANT :
Monsieur [I] [Z]
né le 25 Avril 1972 à ALGERIE (99)
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté par Me Christophe MOYSAN, avocat au barreau de TOURS
ET
INTIMÉE :
S.A.S. MAGASINS GALERIES LAFAYETTE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social,
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Pascal VILAIN de la SELARL CELCE-VILAIN, avocat au barreau d'ORLEANS,
ayant pour avocat plaidant Me Jérôme DANIEL de l'AARPI EUNOMIE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
Ordonnance de clôture : 1er septembre 2022
Audience publique du 27 Septembre 2022 tenue par Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller, et ce, en l'absence d'opposition des parties, assisté lors des débats de Mme Karine DUPONT, Greffier,
Après délibéré au cours duquel Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller a rendu compte des débats à la Cour composée de :
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,
Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre,
Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller.
Puis le 24 Novembre 2022, Madame Laurence Duvallet, présidente de Chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier, a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Selon contrat de travail à durée déterminée, transformé en contrat à durée indéterminée, la société des Magasins Galeries Lafayette (SAS) a engagé M.[I] [Z] le 3 novembre 2010 en qualité de manutentionnaire et affecté celui-ci au magasin de [Localité 5].
M.[Z] a bénéficié de la reconnaissance de travailleur handicapé à la suite d'un traumatisme du coude pendant l'enfance et à compter du 1er mars 2013, il s'est vu reconnaitre un taux d'incapacité compris entre 50 et 80 %. Il a fait l'objet d'un suivi régulier par le médecin du travail qui, à plusieurs reprises, l'a déclaré apte avec des restrictions.
M.[Z] a été victime le 23 février 2016 d'un accident du travail : alors qu'il soulevait un bac rempli de marchandises qui se trouvait au sol, il a ressenti des douleurs au coude et au poignet droit.
Le 20 mai 2016, le médecin du travail a émis un avis d'aptitude à la reprise du travail au 23 mai 2016, à temps partiel thérapeutique, en préconisant l'absence de port de charges de plus de 5 kgs. Il s'en est suivi à nouveau plusieurs arrêts de travail, le médecin du travail préconisant, toujours à temps partiel thérapeutique, une reprise du travail le 19 avril 2017 avec mise à disposition d'un mini-gerbeur et d'un transpalette électrique, préconisation réitérée le 16 juin 2017.
Finalement, le médecin du travail a émis le 13 octobre 2017 un avis d'inaptitude de M.[Z] au poste qu'il occupait, en mentionnant : " serait apte à un poste sans sollicitation répétitive du membre supérieur droit (') sans tâches de manutention répétitives, serait apte pour des tâches administratives, accueil physique et téléphonique etc') ".
La société Magasins Galeries Lafayette affirme avoir alors tenté sans succès de trouver à M.[Z] une solution de reclassement.
M.[Z] a été convoqué à un entretien préalable à licenciement fixé au 23 avril 2018.
Le 7 mai 2018, M.[Z] s'est vu notifier son licenciement " pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement dans un emploi disponible correspondant aux préconisations du médecin du travail et à (ses) compétences professionnelles ".
M.[Z] a saisi le conseil des prud'hommes de [Localité 5] le 4 septembre 2018 d'une demande visant à voir dire et juger que son licenciement était lié au non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité.
Par jugement du 19 mai 2020, le conseil de prud'hommes de Tours a :
- Débouté M.[Z] de l'ensemble de ses demandes,
- Débouté la société Magasins Galeries Lafayette de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné M.[Z] aux dépens.
M.[Z] a relevé appel de cette décision par déclaration formée par voie électronique le 2 juin 2020.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions remises au greffe par voie électronique le 1er juillet 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M.[Z] demande à la cour de :
- Réformer le jugement entrepris,
- Dire et juger que le licenciement de M.[Z] est lié au non-respect des dispositions de l'article L.4121-1 du code du travail et en conséquence dénué de toute cause réelle et sérieuse,
- Condamner la société Magasins Galeries Lafayette à verser à M.[Z] la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts, outre 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu les dernières conclusions remises au greffe par voie électronique le 17 septembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Magasins Galeries Lafayette demande à la cour de :
- déclarer irrecevable la demande la demande de M.[Z] en réparation du préjudice qu'il prétend avoir subi du fait de son accident du travail en l'absence de faute inexcusable de la société Magasins Galeries Lafayette,
- en conséquence, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de M.[Z] en réparation du préjudice subi du fait de l'accident du travail dont il a été victime,
- débouter M.[Z] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la violation de l'obligation de sécurité à hauteur de 30 000 euros,
- à titre subsidiaire et en tout état de cause :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'absence de tout manquement de la société Magasins Galeries Lafayette à son obligation de sécurité,
- constater que le licenciement de M.[Z] pour inaptitude et impossibilité de reclassement repose sur une cause réelle et sérieuse,
- dire infondé et débouter M.[Z] de sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 30 000 euros,
- en conséquence, débouter M.[Z] de l'ensemble de ses demandes,
- à titre reconventionnel et en tout état de cause, condamner M.[Z] à verser à la société Magasins Galeries Lafayette la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la recevabilité de la demande de M. [Z] devant la juridiction prud'homale
S'il résulte de l'article L.451-1 du code de la sécurité sociale que l'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail, qu'il soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive des juridictions compétentes en matière de sécurité sociale, la juridiction prud'homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ( Soc., 3 mai 2018, pourvoi n° 16-26.850, Bull. 2018, V, n° 72).
La société Magasins Galeries Lafayette soutient que la demande de M.[Z] échappe à la compétence du conseil de prud'hommes car elle consiste à obtenir la réparation des conséquences de l'accident du travail dont il a été victime, en lien avec la faute inexcusable qu'elle aurait commise, résultant de la méconnaissance par l'employeur de son obligation de sécurité qui en serait à l'origine, de sorte que seule la juridiction compétente en matière de sécurité sociale était compétente pour statuer sur les demandes de M.[Z], qui consistent en réalité à réparer les séquelles de son accident du travail.
La cour relève que la demande de M.[Z] vise à contester les conditions dans lesquelles son licenciement est intervenu, estimant que ce licenciement est " lié au non-respect " par l'employeur de ses obligations en matière de sécurité du travail, à voir juger que le licenciement est " dénué de toute cause réelle et sérieuse " et à obtenir des dommages-intérêts en conséquence.
M.[Z] ne réclame en rien la réparation des conséquences de son accident du travail, notamment la réparation de son préjudice corporel.
Aussi le litige relève de la compétence exclusive de la juridiction prud'homale.
Comme le jugement entrepris l'a retenu, l'action de M.[Z] est recevable devant la juridiction prud'homale.
- Sur le licenciement
Le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.
Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
En vertu des articles L.4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l'employeur est tenu à l'égard de son salarié d'une obligation de sécurité. Il doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, actions d'information et de formation, mise en place d'une organisation et de moyens adaptés) en respectant les principes généraux de prévention suivants : éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé, tenir compte de l'état d'évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle, donner les instructions appropriées aux travailleurs. Il lui appartient de justifier qu'il a satisfait à ses obligations.
En l'espèce, M.[Z] invoque l'existence d'un manquement de l'employeur au titre de son obligation de sécurité qui aurait conduit à ce que le médecin du travail prononce son inaptitude.
Il affirme que la société Magasins Galeries Lafayette n'a pas appliqué les préconisations émises par le médecin du travail quant à l'adaptation de son poste, en particulier en ne laissant pas à sa disposition un mini-gerbeur.
La société Magasins Galeries Lafayette réplique que dès lors que sa faute inexcusable n'a pas été reconnue par la juridiction compétente en matière de sécurité sociale, M.[Z] ne peut pas prétendre que son licenciement pour inaptitude serait dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité. Elle soutient au demeurant qu'elle a parfaitement respecté cette obligation, en affirmant avoir pris l'ensemble de mesures suffisantes à la préservation de la santé de M.[Z], et notamment en suivant scrupuleusement les préconisations du médecin du travail depuis 2013, puis après la survenance de l'accident du travail. Elle relève que le 20 mai 2016, le médecin du travail a indiqué qu'une étude de poste était nécessaire, sans indication de délai impératif, qu'elle a alors recouru à un organisme spécialisé, le cabinet Initiatives Prévention, pour mettre en place les mesures nécessaires et que le médecin du travail a validé sans réserves les propositions alors émises. Elle affirme que le médecin du travail n'a aucunement subordonné le maintien dans l'emploi de M.[Z] à la mise à disposition de matériels spécifiques mais qu'il a néanmoins été mis à disposition de ce dernier des transpalettes électriques, une table mobile élévatrice, un mini-gerbeur (en août 2017), des bacs à bec et un siège adapté, même si ces matériels n'étaient pas nécessairement mis à sa disposition exclusive. Elle ajoute que l'avis d'inaptitude ne relève aucun manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, que M.[Z] n'a jamais contesté les avis d'aptitude préalablement émis, n'a jamais alerté l'employeur, ni les représentants du personnel ou l'inspection du travail de sa situation.
La cour relève en premier lieu que la reconnaissance de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité n'impose en rien que soit préalablement reconnu sa faute inexcusable, comme l'affirme l'employeur, s'agissant de notions distinctes qui ne répondent pas aux même conditions.
Par ailleurs, il résulte des éléments produits par la société Magasins Galeries Lafayette qu'après la visite de reprise du 20 mai 2016, dans lequel le médecin du travail indiquait que M.[Z] était " à revoir après étude de poste ou avant si souci ", l'employeur a mis en place le 25 mai 2016 par l'intermédiaire de l'Agefiph, et avec l'accord de M.[Z], une étude préalable à l'aménagement et à l'adaptation de la situation de ce dernier, réalisée en septembre 2016 par Mme [C], consultante ergonome du cabinet Initiatives Prévention. Après avoir analysé les contraintes que représentent pour M.[Z] la manutention des bacs textiles superposés les uns au-dessus des autres, et des portants sur lesquels sont accrochés les vêtements, celle-ci a émis diverses préconisations : limitation du nombres de bacs superposés pour limiter l'élévation des membres supérieurs, positionnement d'un transpalette électrique de chaque côté du plan de travail, mise à disposition d'un mini-gerbeur permettant de transférer les bacs directement afin de limiter le porte de charges de la palette au plan de travail et de vider les bacs sans réaliser d'élévation des membres supérieurs, fourniture de bacs à bec, travail en position assise avec un siège adapté afin de reposer ses membres inférieurs lors de la mise en place de " bips " de sécurité, utilisations de portants réglables en hauteur. Il est également préconisé de positionner les bureaux à l'abri des courants d'air et d'isoler le bureau pour éviter le ressenti de froid.
Il résulte des éléments produits que suite à ces recommandations, un certain nombre de mesures ont été prises par la société Magasins Galeries Lafayette et notamment l'achat de bacs à bec, d'un siège ergonomique, d'une table élévatrice. S'agissant du mini-gerbeur, dont le défaut d'acquisition constitue le seul grief opposé à l'employeur par M.[Z], un échange de courriels entre le responsable ressources humaines de la société Magasins Galeries Lafayette et la responsable du pôle de prévention des risques professionnels, témoigne de ce qu'une commande a été passée, après étude du matériel et recherche de financement, le 26 avril 2017, en même temps que le transpalette, mais qu'au 16 juin 2017, le fournisseur avait été relancé sans succès pour la livraison. L'employeur affirme, sans le démontrer cependant, que le mini-gerbeur a été livré en août 2017. L'inaptitude de M.[Z] a été prononcée par le médecin du travail le 13 octobre 2017.
La cour relève que malgré les nombreuses diligences effectuées par la société Magasins Galeries Lafayette pour répondre aux recommandation émises par le cabinet consultant et le médecin du travail, et même s'il est démontré que l'employeur s'est heurté à des difficultés, indépendantes de sa volonté, pour procéder à l'acquisition du mini-gerbeur, la livraison effective de cet équipement nécessaire à l'adaptation du poste n'est pas établie, aucune facture ou aucun bon de livraison n'étant produit.
En ce sens, la société Magasins Galeries Lafayette n'a pas totalement répondu à ces recommandations.
La violation par la société Magasins Galeries Lafayette de son obligation de sécurité est dans ces conditions démontrée.
L'inaptitude qui a été prononcée ensuite par le médecin du travail, trouve dans ce manquement une origine au moins partielle.
Le licenciement qui s'en est suivi est dès lors dépourvu de cause réelle et sérieuse, de sorte que le jugement sera infirmé sur ce point.
- Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse
L'article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, prévoit, compte tenu de l'ancienneté de l'intéressé dans l'entreprise, et de la taille de l'entreprise, supérieure à 10 salariés une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre 3 et 8 mois de salaire brut.
Au regard des éléments soumis à la cour, compte tenu de l'âge du salarié, de son ancienneté, de ses perspectives de retrouver un emploi, il y a lieu d'évaluer à 7000 euros le préjudice consécutif au licenciement abusif.
- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
La solution donnée au litige commande de condamner la société Magasins Galeries Lafayette à payer à M.[Z] la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile .
La société Magasins Galeries Lafayette sera condamnée aux dépens d'appel de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme en toutes ses dispositions de jugement rendu le 19 mai 2020 par le conseil de prud'hommes de Tours ;
Statuant à nouveau et ajoutant,
Dit que le licenciement de M.[I] [Z] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société Magasins Galeries Lafayette à payer à M.[I] [Z] la somme de 7000 euros au titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société Magasins Galeries Lafayette à payer à M.[I] [Z] la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Magasins Galeries Lafayette aux dépens de première instance et d'appel.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier
Fanny ANDREJEWSKI-PICARD Laurence DUVALLET