C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE - A -
Section 2
PRUD'HOMMES
Exp + GROSSES le 24 NOVEMBRE 2022 à
la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS
la SARL ORVA-VACCARO & ASSOCIES
XA
ARRÊT du : 24 NOVEMBRE 2022
N° : - 22
N° RG 20/00932 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GESK
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOURS en date du 15 Mai 2020 - Section : *
ENTRE
APPELANTE :
S.A.S. IDVERDE La SAS IDVERDE, au capital de 19.923.480 €, immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n° 339 609 661, dont le siège social est [Adresse 1], est prise en la personne de son Président, en exercice, et de tous autres représentants légaux domiciliés en-qualité audit siège.
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Isabelle TURBAT de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau d'ORLEANS,
ayant pour avocat plaidant Me Mathieu INFANTE de l'AARPI ACTIO AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
ET
INTIMÉE :
Madame [V] [S]
née le 11 Septembre 1962 à
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me François VACCARO de la SARL ORVA-VACCARO & ASSOCIES, avocat au barreau de TOURS
Ordonnance de clôture : 28 juillet 2022
A l'audience publique du 08 Septembre 2022
LA COUR COMPOSÉE DE :
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, conseiller,
Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller.
Assistés lors des débats de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier.
Puis ces mêmes magistrats ont délibéré dans la même formation et le 24 NOVEMBRE 2022, Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidnte de la collégialité, assistée de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier, a rendu l'arrêt par mise à disposition au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Selon contrat de travail à durée indéterminée, la société Giraud a engagé Mme [V] [S] le 3 avril 1989.
En dernier lieu, Mme [S] a exercé les fonctions de responsable administrative, statut cadre.
La société Giraud a intégré le groupe Idverde, qui l'a rachetée, à compter de juin 2017, avant que le contrat de travail de Mme [S] soit transféré à la société Idverde (SAS), à la suite d'une fusion-absorption complète entre ces deux sociétés, à compter du 1er avril 2018, avec reprise d'ancienneté.
Entretemps, après avoir été convoquée par la société Giraud le 13 mars 2018 à un entretien préalable fixé au 21 mars 2018, et que deux postes de reclassement lui soient proposés, qu'elle a refusés, Mme [S] a été licenciée pour motif économique par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 avril 2018 adressée par la société Idverde.
Mme [V] [S] a alors accepté un congé de reclassement proposé par la SAS Idverde.
C'est dans ces conditions que par requête du 11 octobre 2018, Mme [V] [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Tours aux fins de contester le licenciement dont elle a été l'objet, de voir reconnaitre que l'employeur a manqué à son obligation de loyauté dans le cadre des tentatives de reclassement opérées, et d'obtenir diverses sommes en conséquence, ainsi que le paiement d'heures supplémentaires, un arriéré de salaire, un rappel de prime de vacances et le paiement de dommages-intérêts en raison d'une modification illicite de son contrat de travail.
Par jugement du 15 mai 2020, le conseil de prud'hommes de Tours a :
- Dit que le licenciement de Mme [V] [S] par la société Idverde ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse,
- Dit que la société Idverde paiera à Mme [V] [S] :
- Au titre d'heures supplémentaires et d'indemnité compensatrice de congés payés attenante, avec exécution provisoire de droit, 6339,73 euros et 633,97 euros
- Au titre des dommages et intérêts pour modification unilatérale du contrat de travail : 2000 euros,
- Au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat : 80 000 euros,
- Au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros;
- Dit n'y avoir pas lieu à exécution provisoire, sauf pour les sommes à caractère de salaires,
- Dit que la société Idverde est déboutée de ses demandes reconventionnelles et qu'elle remboursera à Pôle emploi, en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, un mois de prestations chômage versées à Mme [V] [S],
- Dit que les dépens de l'instance seront à la charge de la société Idverde.
La SAS Idverde a relevé appel de cette décision le 25 mai 2020 par déclaration formée par voie électronique.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions remises au greffe par voie électronique le 18 juillet 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la SAS Idverde, demande à la cour de :
- Déclarer la société Id Verde bien fondée en son appel ;
Et
1) Sur le licenciement :
- Infirmer le jugement du 15 mai 2020 ;
- Juger que le licenciement de Mme [V] [S] est justifié ;
- Débouter Mme [V] [S] de ses demandes fins et conclusions afférentes.
2) Sur la demande au titre des heures supplémentaires :
- Infirmer le jugement du 15 mai 2020 ;
- Constater le caractère injustifié de la demande et la rejeter ;
- Condamner Mme [V] [S] à restituer à la société Id Verde la somme de 4.984,66 euros.
3) Sur la demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail :
- Confirmer le jugement du 15 mai 2020 ;
- Débouter la salariée de sa demande.
4) Sur la demande au titre de la modification du contrat de travail :
- Infirmer le jugement du 15 mai 2020 ;
- Débouter la salariée de sa demande.
5) Sur la demande au titre de rappels de salaire (régularisation de salaire et prime vacance) :
- Confirmer le jugement du 15 mai 2020 ;
- Rejeter la demande de Mme [V] [S] .
En tout état de cause :
- Rejeter l'ensemble des demandes fins et conclusions de Mme [V] [S] et la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions;
- Condamner Mme [V] [S] à verser à la société Id Verde la somme de 3.500,00 euros au titre de l'article 700 du CPC, outre les dépens.
&
Vu les dernières conclusions remises au greffe par voie électronique le 11 mai 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [V] [S], relevant appel incident, demande à la cour de :
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le licenciement de Mme [V] [S] était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a été fait droit aux demandes de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires de Mme [V] [S],
- Infirmer le jugement pour le surplus,
En conséquence, statuant à nouveau,
- Condamner la société Idverde à verser à Mme [V] [S] les sommes suivantes :
- 84 856 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- 50 000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail dans le cadre du reclassement de Mme [V] [S] ;
- 287,01 euros au titre de la régularisation de ses salaires eu égard à l'avenant n°20 de la convention collective applicable ;
- 34,65 euros au titre de sa prime de vacances ;
- 10 000 euros de dommages et intérêts pour modification illicite de son contrat de travail.
- Condamner la société Idverde à verser à Mme [V] [S] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la demande de rappel de prime de vacances
Mme [S] demande un rappel de prime de vacances que l'employeur affirme avoir intégrée à son salaire de base.
Il résulte des dispositions de l'article R.3243-1 6° du code du travail que le montant des primes et autres accessoires de salaire doivent figurer chacune sur une ligne distincte du bulletin de paie.
Le fait que la prime de vacances soit, selon l'employeur, incluse dans le salaire brut global ne permet donc pas de démontrer que la prime de vacances ait été payée à Mme [S] en tant que telle, faute d'autre élément démontrant cette inclusion.
La demande de Mme [S] en ce sens sera accueillie, étant précisé que le conseil de prud'hommes n'a pas statué sur cette demande pourtant déjà formée en première instance.
La société Idverde sera condamnée à lui payer à ce titre la somme de 34,65 euros.
- Sur la demande de rappel de salaire
Mme [S] soutient qu'elle n'a pas bénéficié du salaire mensuel brut minimal des salariés cadres position C3, porté à 3957,01 euros à compter du 1er janvier 2016 (avenant n°16 à la convention collective nationale des entreprises du paysage), puis à 4012,75 euros à compter du 1er janvier 2018 et enfin à 4016,60 euros à compter du 1er avril 2018 (avenant n°20).
Cependant, il résulte des éléments produits que Mme [S] a été payée au-delà de ces sommes, puisqu'elle bénéficiait, selon ses explications fournies dans un courrier du 5 juin 2018 et un tableau annexé, d'une somme supplémentaire constante de 860 euros par mois par rapport au minimum conventionnel tel qu'appliqué par l'employeur, de sorte que ce minimum apparaît avoir été respecté.
C'est pourquoi sa demande sera rejetée, étant précisé que le conseil de prud'hommes n'a pas statué sur cette demande dans le dispositif de son jugement.
- Sur la demande en paiement de dommages-intérêts pour modification illicite du contrat de travail
Mme [S] affirme que la société Idverde lui a imposé le 3 avril 2018 une modification " substantielle " de son contrat de travail sans avoir recueilli son accord, en lui indiquant qu'elle serait dorénavant soumise à un forfait annuel, entraînant la " perte sèche " de 50 % des jours de RTT dont elle bénéficiait auparavant, ce qui lui a causé un préjudice dont elle réclame la réparation.
La société Idverde soutient que cette demande n'est pas justifiée en son principe, sans expliquer pourquoi, sauf à considérer qu'elle n'a pas subi cette modification puisqu'elle a quitté l'entreprise au moment même de sa mise en place. Elle conteste l'existence d'un préjudice quelconque.
Un courrier adressé par la société Idverde à Mme [S] du 3 avril 2018 indique : " compte tenu de votre degré d'autonomie dans l'exercice de vos fonctions et de votre niveau de responsabilité, nous estimons que vous relevez de l'article L.3121-38 et suivants du code du travail et que vous pouvez bénéficier d'une convention de forfait. Par conséquent, vous serez soumise à ce forfait et devez exercer vos fonctions, pour l'année, en un nombre maximal de jours ", en précisant qu'elle travaillerait donc 215 jours par an, avec 25 jours de congés payés et 11 jours de RTT.
La cour constate en premier lieu que l'employeur, dans ce courrier, se réfère manifestement à un texte dans sa version abrogée par la loi n°2016-1088 du 8 août 2016.
Lors de la mise en place de la convention de forfait litigieuse, un nouveau dispositif était en place, issu de cette loi, qui prévoit notamment, en son article L.3121-45, que " La forfaitisation de la durée du travail doit faire l'objet de l'accord du salarié et d'une convention individuelle de forfait établie par écrit ", ce qui en l'espèce n'a manifestement pas été le cas.
C'est pourquoi, en imposant à Mme [S] un telle convention de forfait, la société Idverde était fautive.
Ces nouvelles modalités ont été appliquées, comme le précisent les bulletins de salaire, dès le mois de janvier 2018, alors que Mme [S] a fait l'objet d'un licenciement le 5 avril 2018.
Sur une période aussi courte, le préjudice qu'elle en aura ressenti n'aura été que limité, en sorte que le conseil de prud'hommes apparaît avoir fait une correcte appréciation du préjudice subi par la salariée, en lui allouant la somme de 2000 euros de dommages-intérêts à ce titre, le jugement devant être confirmé sur ce point.
- Sur la demande de paiement d'heures supplémentaires
L'article L. 3171-4 du Code du travail indique que "en cas de litige relatif à l'existence et au nombre d'heures effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estimait utiles".
Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
En l'espèce, Mme [S] affirme que selon l'accord d'entreprise sur les 35 heures du 1er octobre 1999, elle travaillait 9 heures par jour et bénéficiait d'un jour de RTT un mercredi sur deux, outre d'autres jours de RTT. Elle notait ses mercredis de repos sur un calendrier dont elle produit certains exemplaires. Elle affirme qu'à partir de juin 2017, son rythme de travail a augmenté à la suite du projet de fusion. A compter de janvier 2018, elle indique qu'elle était assujettie à l'annualisation de son temps de travail sur la base d'un forfait annuel et elle a alors noté plus précisément ses heures de travail sur un agenda, qu'elle produit, à défaut de badgeuse. Un email adressé par un collègue indique qu'elle embauchait le matin entre 7h30 et 7h45, qu'elle prenait rapidement son repas au bureau et qu'elle débauchait entre 18h45 et 19 h. Elle produit un tableau récapitulatif de ses heures de travail et affirme n'avoir retenu que les heures qui dépassaient 45 heures par semaine, qu'elle réclame sur la période comprise entre le 31 juillet 2017 et le 2 février 2018.
La société Idverde affirme que Mme [S] a " fabriqué de toutes pièces " les éléments qu'elle produit, qu'elle n'avait pas versé aux débats en première instance, et notamment son agenda, et qu'elle n'avait pas chiffré sa demande en première instance ni n'avait fourni le détail des heures supplémentaires qu'elle réclamait, se contentant de demander l'audition de 15 salariés. Elle reproche à Mme [S] de ne pas démontrer que son volume de travail a été augmenté du fait du projet de fusion alors en cours.
La cour constate que Mme [S] produit un décompte détaillé, sur une période d'ailleurs limitée, des heures supplémentaires qu'elle réclame, accompagné de pièces, et notamment d'un email que lui a adressé un collègue de travail décrivant son rythme de travail et corroborant ses calculs. Ces éléments sont suffisamment précis et permettent à l'employeur d'y répondre.
La société Idverde, de son côté, ne produit strictement aucun élément sur la manière dont était organisé le temps de travail de Mme [S] et son contrôle, et en ce sens ne remplit en rien l'exigence probatoire mise à sa charge par l'article L.3171-4 du code du travail.
C'est pourquoi, par voie de confirmation, il sera alloué à Mme [S] la somme de 6339,73 euros au titre des heures supplémentaires impayées qu'elle réclame, qui correspondait d'ailleurs à sa demande initiale qu'elle avait bien formée devant le conseil, contrairement à ce qu'affirme la société Idverde, outre une indemnité de congés payés afférents de 633,97 euros.
- Sur l'obligation de reclassement
L'article L.1233-4 du code du travail, dans sa version applicable à l'espèce, prévoit: " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.
Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.
L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.
Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. "
Tout manquement à l'obligation de reclassement préalablement au licenciement prive celui-ci de cause réelle et sérieuse.
En l'espèce, Mme [S] indique qu'elle n'a reçu que deux propositions de postes d'assistante de gestion en région parisienne, dont un à durée déterminée, alors que la société Idverde est une entreprise de plusieurs milliers de salariés, puis, après la rupture du contrat de travail, un poste de comptable fournisseurs (TAM) à [Localité 5] ; elle relève que ces postes représentaient pour elle une diminution de salaire ; elle prétend qu'elle était pourtant prête à suivre des formations comme elle en avait exprimé le souhait.
La société Idverde réplique que son obligation de reclassement a été satisfaite par les propositions qu'elle a émises, aucun poste d'encadrement équivalent à celui que la salariée occupait n'étant disponible. Elle précise que la difficulté est venue du fait que Mme [S] était la seule responsable dans une petite entreprise mais que les postes de niveau de compétence équivalents au sein de la société Idverde étaient de niveau TAM, de sorte que les postes qui lui ont été proposés étaient en réalité équivalents au sien. Enfin, elle indique que la majorité de ses salariés interviennent sur les chantiers et que les fonctions administratives sont réduites.
La cour constate que, comme l'indique Mme [S], celle-ci occupait un poste d'encadrement, de sorte que les propositions de reclassement sur des postes de même catégorie était rendu nécessairement difficiles, même pour une entreprise de la taille de la société Idverde. Il n'est pas établi qu'un tel poste d'encadrement ait été disponible au siège administratif de l'entreprise lors du licenciement de Mme [S]. Seul un poste de comptable fournisseur apparaît s'être libéré après son licenciement, à la suite d'une démission et ce poste lui a d'ailleurs été proposé par courrier du 19 avril 2018. Les organigrammes des différentes agences réparties sur le territoire établissent que les postes administratifs étaient occupés par des assistantes de direction ou de gestion sous l'autorité du directeur d'agence. C'est dans ces conditions que deux postes d'assistantes de gestion qui ont été proposés à Mme [S] le 29 mars 2018, avant son licenciement.
Il résulte de ces éléments que la société Idverde apparaît avoir respecté son obligation de reclassement, comme l'a d'ailleurs retenu le conseil de prud'hommes dans les motifs de son jugement.
- Sur le caractère économique du licenciement
L'article L.1233-3 du code du travail, dans sa version applicable après le 1er avril 2018, prévoit : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus;
2° A des mutations technologiques ;
3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité;
4° A la cessation d'activité de l'entreprise.
La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.
Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude. "
Mme [S] conteste que l'employeur ait connu des difficultés économiques, relevant qu'une trentaine de salariés ont quitté la société Giraud, devenue société Idverde, dans la même période qu'elle, pour divers motifs, alors qu'elle est la seule pour laquelle un motif économique a été invoqué. Elle affirme que l'état financier de la société Giraud a été volontairement dégradé jusqu'à la fusion avec la société Idverde : aucune mesure n'aurait été prise pour palier à la diminution du volume des commandes, la clientèle des particuliers a été abandonnée, la société Idverde facturait des prestations à la société Giraud qui n'en répercutait le coût que partiellement auprès des clients, la société Idverde utilisait le gasoil facturé par le fournisseur auprès de la société Giraud, le projet de fusion a engendré plusieurs contentieux prud'homaux qui ont pesé sur les finances. La diminution du chiffre d'affaires a ainsi été, selon la salariée, purement artificielle, et été organisée en vue de la transmission du patrimoine de la société Giraud à la société Idverde. Mme [S] ajoute que la société Idverde ne connaissait quant à elle aucune difficulté économique, qui doit être appréciée au niveau du groupe.
Par ailleurs, Mme [S] affirme que la société Idverde a procédé à une " réorganisation " en vue de " rationaliser les process administratifs et comptables ", selon les termes de la lettre de licenciement, et par là d'accroître ses bénéfices, en recourant aux services de simples assistantes de gestion alors qu'elle était cadre. Elle ajoute que les difficultés de la société Giraud n'étaient pas si importantes et que les risques que ces difficultés faisaient peser sur la société Idverde ne seraient pas établis. Elle reproche à la société Idverde de ne pas avoir mis en place à son profit un dispositif de gestion des emplois et des parcours professionnels et la mixité des métiers (GEPPMM) prévu par l'article L.2242-20 du code du travail.
La société Idverde réplique que la société Giraud a connu de lourdes pertes financières, et un climat social dégradé ayant conduit à de nombreux procès prud'homaux de salariés mécontents de la gestion de l'ancienne direction. 80 protocoles transactionnels ont été signés, entraînant un coût important qui a grevé les finances de la société Giraud qui a connu de lourdes pertes également en raison de la diminution du chiffre d'affaires. La société Idverde conteste avoir " sabordé " la société Giraud dans le cadre de la fusion, et indique que cette société Giraud lui a facturé des sommes beaucoup plus importantes que celles qu'elle lui a elle-même facturées.
Au regard de cette situation économique très dégradée, la société Idverde ajoute que la réorganisation rationnelle des services support était indispensable à garantir la compétitivité de l'entreprise, de sorte que la suppression du poste de Mme [S] a été rendue nécessaire compte tenu du volume d'agences qu'elle doit gérer, l'ensemble des supports (paye, DRH, juridique) étant centralisé au siège de [Localité 5]. Dès lors, le maintien de " micro-services " administratifs n'était pas souhaitable et constituerait même une faute de gestion, même si au sein de chaque agence il continue d'exister un service chargé de relayer les informations économiques et comptables auprès du siège, travail réalisé par de simples assistantes. La société Idverde conteste la nécessité de mettre en place une GEPPMM compte tenu du fait que Mme [S] a refusé toute mobilité en interne.
La lettre de licenciement énonce que lors de l'intégration de la société Giraud au sein du groupe Idverde en juin 2017, " le carnet de commandes était exsangue et le résultat déficitaire, constaté au moment de la clôture des comptes réalisée à l'occasion de cette cession, avait continué à se dégrader pour atteindre fin février 2017 un résultat négatif de 540 K€ (soit toujours -15% du chiffre d'affaires). S'il a pu être envisagé dans un premier temps le maintien d'un poste de contrôle régional basé à [Localité 6], l'ampleur des pertes et l'absence de perspective de reprise significative à court et moyen terme ne permet pas finalement d'envisager cette alternative qui alourdirait encore un peu plus les frais généraux d'une structure déjà en grosse difficulté. Afin de sauvegarder cette activité, nous avons été contraints de rationnaliser l'organisation de la société Giraud qui depuis est devenue une agence Idverde à part entière, ayant été absorbée par la société Idverde le 1er avril 2018. Dans ces conditions, les tâches qui vous sont dévolues doivent être assurées par les services de support du siège (') cette centralisation, organisée et en place de longue date, répond à des nécessités de sauvegarde de compétitivité de l'entreprise qui ne peut se permettre une dilution de ses services supports non " c'ur de métier ", tel que celui de la paie et de la comptabilité, au sein de ses établissements et agences régionaux. Dès lors, le poste de responsable administratif qui était vous a été confié a été définitivement supprimé".
La cour relève que la réalité des difficultés économiques rencontrées par la société Giraud est établie par les comptes tels que produits aux débats (en 2017 : 930 105 euros de pertes pour 622 985 euros de déficit d'exploitation ; sur le premier trimestre 2018 : 118 953 euros de pertes pour 211 326 euros de déficit d'exploitation). Le contentieux prud'homal opposant la société Giraud à de nombreux salariés, lié au respect de la durée du travail et des rémunérations a grevé ses résultats. Les quelques éléments produits sur les facturations croisées de prestations de prêt de personnel ou d'achat de matériaux établissent que la société Giraud a opéré des facturations auprès de la société Idverde d'un volume plus important que le contraire, et il n'en résulte en rien que la situation financière de la société Giraud aurait été volontairement obérée.
S'agissant de la situation financière de la société Idverde ou du groupe Idverde, ce ne sont pas leurs difficultés économiques contemporaines au licenciement qui sont invoquées par l'employeur, mais uniquement la nécessité de sauvegarder la compétitivité après que la société Giraud, en situation déficitaire ait été achetée par le groupe en juin 2017 puis absorbée par la société Idverde en avril 2018.
En effet, les lourdes pertes de la société Giraud créaient de facto un risque pour la société Idverde. Aussi des mesures de redressement s'imposaient, parmi lesquelles la suppression du poste de cadre administratif que Mme [S] occupait au sein de la société Giraud, toujours autonome depuis son rachat en juin 2017, mais rendu inutile après la fusion-absorption en avril 2018, compte tenu de l'existence de services centralisés en région parisienne, seul le maintien de postes d'assistantes sur l'agence de [Localité 6] demeurant nécessaire.
Il est donc démontré que cette suppression de poste était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise.
S'agissant de la mise en place d'une GEPPMM, Mme [S] n'explique pas en quoi la mise en place d'un tel dispositif aurait limité le risque que faisait peser sur la société Idverde l'absorption d'une société largement déficitaire.
C'est pourquoi la légitimité du caractère économique du licenciement ne peut être remise en cause, le jugement rendu par le conseil de prud'hommes devant être sur ce point infirmé, et Mme [S] sera déboutée de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- Sur la demande en paiement de dommages-intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail
Mme [S] affirme que l'employeur s'est comporté de manière déloyale en lui assurant dans un premier temps que son emploi serait maintenu, ce qui l'a incitée à collaborer pleinement au projet de fusion. Elle décrit toutes les tâches qu'elle a été amenée à réaliser dans le cadre de la fusion, ce qui lui a causé de l'anxiété. La société Idverde s'est ensuite ravisée en la licenciant pour un motif économique artificiel, ce qui a provoqué une réaction ayant entraîné son hospitalisation le 28 février 2018 et un arrêt de travail. Enfin, l'employeur aurait fait fi de son obligation de reclassement.
La société Idverde conteste toute déloyauté et réplique que Mme [S] était consciente de ce que son poste pouvait être impacté par le rachat de la société Giraud mais que tout a été fait pour qu'elle le conserve, sachant que le poste aurait pu être supprimé avant avril 2018.
La cour relève qu'aucun élément ne démontre que Mme [S] aurait été assurée du maintien de son poste, qu'il était légitime que l'employeur lui demande, en sa qualité de responsable administratif, sa collaboration dans le cadre du projet de fusion qui était en cours après le rachat de la société Giraud par la société Idverde, que le motif économique du licenciement dont elle a été l'objet est jugé légitime et que le respect par l'employeur de son obligation de reclassement n'a pas lieu d'être remis en cause.
C'est pourquoi Mme [S] échoue à démontrer que l'employeur ait agi avec déloyauté.
Celle-ci, par voie de confirmation, sera déboutée de sa demande en paiment de dommages-intérêts à ce titre.
- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
La solution donnée au litige commande de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Idverde à payer à Mme [S] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, mais l'appel de la société Idverde étant partiellement fondé, il conviendra de débouter la salariée de sa demande formée en cause d'appel.
La société Idverde sera déboutée de sa propre demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 15 mai 2020 par le conseil de prud'hommes de Tours en ce qu'il a condamné la société Idverde à payer à Mme [V] [S] les sommes suivantes :
- 6339,73 euro euros au titre des heures supplémentaires effectuées
- 633,97 euros à titre d'indemnité de congés payés sur les heures supplémentaires
- 2000 euros pour modification unilatérale du contrat de travail
- 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Le confirme en ce qu'il a débouté Mme [V] [S] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Dit que le licenciement de Mme [V] [S] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
Déboute Mme [V] [S] de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Y ajoutant,
Condamne la société Idverde à payer à Mme [V] [S] la somme de 34,65 euros de rappel de prime de vacances ;
Déboute Mme [V] [V] [S] de sa demande de rappel de salaire ;
Déboute Mme [V] [S] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile formée en cause d'appel ;
Déboute la société Idverde de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Idverde aux dépens de première instance et l'appel.
Et le présent arrêt a été signé par la présidente de chambre et par le greffier.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier
Fanny ANDREJEWSKI-PICARD Laurence DUVALLET