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24/11/2022 | FRANCE | N°20/00839

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Chambre sociale, 24 novembre 2022, 20/00839


C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE - A -

Section 2

PRUD'HOMMES

Exp +GROSSES le 24 NOVEMBRE 2022 à

Me Emmanuelle POURRAT

la SARL ORVA-VACCARO & ASSOCIES





XA





ARRÊT du : 24 NOVEMBRE 2022



MINUTE N° : - 22



N° RG 20/00839 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GEL3



DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TOURS en date du 11 Février 2020 - Section : COMMERCE







APPELANTE :


r>Madame [W] [D]

née le 05 Février 1966 à [Localité 4] ([Localité 4])

[Adresse 1]

[Localité 4]



représentée par Me Emmanuelle POURRAT, avocat au barreau de TOURS



(bénéficie d'une aide juridict...

C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE - A -

Section 2

PRUD'HOMMES

Exp +GROSSES le 24 NOVEMBRE 2022 à

Me Emmanuelle POURRAT

la SARL ORVA-VACCARO & ASSOCIES

XA

ARRÊT du : 24 NOVEMBRE 2022

MINUTE N° : - 22

N° RG 20/00839 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GEL3

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TOURS en date du 11 Février 2020 - Section : COMMERCE

APPELANTE :

Madame [W] [D]

née le 05 Février 1966 à [Localité 4] ([Localité 4])

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Emmanuelle POURRAT, avocat au barreau de TOURS

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/001661 du 18/05/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de ORLEANS)

ET

INTIMÉE :

S.A.R.L. PYRENEENNE DE NETTOYAGE prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me François VACCARO de la SARL ORVA-VACCARO & ASSOCIES, avocat au barreau de TOURS,

ayant pour avocat plaidant Me Vincent DE TORRES de la SCP DE TORRES - PY - MOLINA - BOSC BERTOU, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES

Ordonnance de clôture : 1er septembre 2022

Audience publique du 27 Septembre 2022 tenue par Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller, et ce, en l'absence d'opposition des parties, assisté lors des débats de Mme Karine DUPONT, Greffier,

Après délibéré au cours duquel Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller a rendu compte des débats à la Cour composée de :

Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,

Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre,

Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller.

Puis le 24 Novembre 2022, Madame Laurence Duvallet, présidente de Chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier, a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Selon contrat de travail à durée indéterminée la société SAMSIC, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société Pyrénéenne de Nettoyage (SARL), a engagé Mme [W] [D] épouse [N], le 8 mars 2000, en qualité d'agent de propreté. Elle était dernièrement affectée sur un poste de nettoyage à la gare de [Localité 4], à temps partiel.

Mme [D] a bénéficié de la reconnaissance de travailleur handicapé, catégorie 2, à compter du 1er décembre 2016.

Mme [D] a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 8 juin 2018.

S'estimant victime de harcèlement moral de la part d'une salariée de la SNCF, sans un appui de sa hiérarchie, elle a saisi, le 13 juillet 2018, le conseil de prud'hommes de Tours d'une demande visant, sur ce fondement, à obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Le 5 juin 2019, le médecin du travail a émis un avis d'inaptitude rédigé comme suit : " inapte au poste d'agent de service, inapte à un poste impliquant des efforts physiques et notamment le port de charges lourdes, des travaux en force, des manutentions répétées, la station debout prolongée, le frottage des sols et surfaces. L'état de santé du salarié fait obstacle à toute reclassement dans un emploi, article L.4624-42 du code du travail ".

Mme [D] a été convoquée à un entretien préalable à licenciement fixé au 28 juin 2019.

Le 4 juillet 2019, Mme [D] s'est vu notifier son licenciement " pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement ".

Mme [D] a maintenu devant le conseil de prud'hommes sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail en raison de la mise en danger créée par la situation de harcèlement moral dont elle s'estime avoir été victime, ajoutant que l'employeur aurait manqué à son obligation de sécurité. Elle contestait par ailleurs le licenciement pour inaptitude, estimant que des manquements de l'employeur en étaient à l'origine, ou du moins qu'elle avait un caractère professionnel. Elle demandait le paiement de diverses indemnités, ainsi qu'un rappel de " prime d'expérience ".

La société Pyrénéenne de Nettoyage a formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Par jugement du 11 février 2020, le conseil de prud'hommes de Tours a:

- Dit n'y avoir lieu à résiliation judiciaire du contrat de travail

- Débouté Mme [D] de l'ensemble de ses demandes

- Débouté la société Pyrénéenne de Nettoyage de l'ensemble de ses demandes

- Condamné Mme [D] aux dépens

Mme [D] a relevé appel de cette décision par déclaration formée par voie électronique le 10 mars 2020.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions remises au greffe par voie électronique le 25 juillet 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [D] demande à la cour de :

- Réformer le jugement entrepris,

- A titre principal, juger que la rupture du contrat de travail de Mme [D] est imputable à la société Pyrénéenne de Nettoyage et qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- A titre subsidiaire, juger que le licenciement de Mme [D] a une origine professionnelle,

- Juger que le licenciement de Mme [D] est dénué de cause réelle et sérieuse,

- En tout état de cause, condamner la société Pyrénéenne de Nettoyage à régler à Mme [D] les sommes de :

-Indemnité de préavis : 3617,70 euros,

-Congés payés afférents : 361,70 euros,

-Complément d'indemnité de licenciement : 6463,26 euros,

-Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 17 485,55 euros,

-Dommages-intérêts pour mise en danger de la salariée : 5000 euros,

- Dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité : 5000 euros,

- Ordonner la remise de bulletins de salaire, d'une attestation Pôle Emploi et d'une attestation professionnelle conformes au jugement à intervenir sous astreinte quotidienne de 10 euros, la cour se réservant la possibilité de liquider l'astreinte,

- Condamner la société Pyrénéenne de Nettoyage à régler à Me [B], faisant application des articles 35 et 37 de la loi du 10 juillet 1991, la somme de 1800 euros HT au titre de ses honoraires en cause d'appel,

- Donner acte à Me [B] qu'elle s'engage à renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle dans les conditions prévues par l'article 108 du décret du 19 décembre 1991 si elle parvient dans les 12 mois de la délivrance de l'attestation de fin de mission à recouvrer auprès de la société Pyrénéenne de Nettoyage la somme ainsi allouée,

- Condamner la société Pyrénéenne de Nettoyage aux dépens, incluant ceux liés à l'exécution forcée éventuelle,

- Condamner la société Pyrénéenne de Nettoyage à régler à Mme [D] la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles.

Vu les dernières conclusions remises au greffe par voie électronique le 17 juillet 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Pyrénéenne de Nettoyage demande à la cour de :

- Juger irrecevable les écritures de l'appelante, au visa de l'article 960 alinéa 2 du code de procédure civile,

- Subsidiairement, confirmer en tous points le jugement entrepris,

- Condamner l'appelante au paiement de la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur la recevabilité des conclusions de Mme [D]

La société Pyrénéenne de Nettoyage soutient que les conclusions de Mme [D] (sans précision de leur date) ne comportent aucune des mentions exigées par l'article 960 du code de procédure civile, s'agissant de la nationalité, de la profession, de la date de naissance " etc ", de sorte que ces conclusions seraient irrecevables.

La cour constate que ces mentions figurent sur les dernières conclusions de Mme [D] du 25 juillet 2020, sur lesquelles la cour statue conformément à l'article 954 du code de procédure civile, en sorte que la procédure a été régularisée au regard des exigences de l'article 960 du code de procédure civile.

Ce moyen sera rejeté par la cour, les dernières conclusions de Mme [D] devant être déclarées recevables.

- Sur la demande de rappel de prime d'expérience

La cour constate que les débats soumis à la cour ne portent que sur certains points ci-dessous détaillés. La décision déférée sera donc confirmée en ses autres dispositions non critiquées et non contraires à une disposition d'ordre public, s'agissant de la demande de rappel de prime d'expérience, dont Mme [D] a été déboutée par le conseil de prud'hommes.

- Sur la demande visant à la résiliation judiciaire du contrat de travail

A titre liminaire, la cour relève que la demande de Mme [D] visant à ce que " la rupture du contrat de travail " soit déclarée " imputable à la société Pyrénéenne de Nettoyage et qu'elle produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse " constitue une demande de résiliation du contrat de travail, comme Mme [D] l'avait initialement sollicitée et comme le conseil de prud'hommes l'a examinée pour la rejeter ensuite.

Lorsqu'un salarié a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail et que, comme en l'espèce, son employeur le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande en résiliation est fondée. La résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée à l'initiative du salarié et aux torts de1'employeur, lorsque sont établis des manquements par ce dernier à ses obligations d'une gravité suffisante pour faire obstacle à la poursuite du contrat de travail. Dans ce cas, la résiliation du contrat produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mais lorsque la résiliation judiciaire du contrat de travail est motivée par des faits de harcèlement moral, comme Mme [D] le soutient en l'espèce, elle produit les effets d'un licenciement nul.

Mme [D] invoque l'existence d'un harcèlement moral. Elle soutient également que l'employeur a méconnu son obligation de sécurité et l'a mise en danger, compte tenu de son statut de travailleur handicapé et de la majoration de sa charge de travail.

- Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il appartient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [D] expose qu'elle a dénoncé en vain auprès de son employeur les agissements d'une salariée de la SNCF l'ayant accusée publiquement d'être à l'origine de la disparition de désodorisants et l'ayant humiliée, ce qui a causé un malaise et son arrêt de travail pour maladie de juin 2018.

Elle produit à l'appui de ses allégations :

- Une attestation de Mme [I], employée de la SNCF, indiquant avoir été témoin du harcèlement de Mme [D] par Mme [A] [S], salariée de la SNCF, qui réprimandait Mme [D] sur " l'état des toilettes de son étage ", qui " déchargeait ses malheurs et problèmes personnels sur Mme [D] " et qui l'a accusée par " sous-entendus " de la disparition de bouteilles de désodorisants. Elle ajoute que " la société de nettoyage fait pression sur Mme [D] suite à ces dires calomnieux ".

- Une attestation de Mme [U] indiquant que " certains de ses collègues ont des propos délétères sur le professionnalisme de Mme [D], alors que selon elle, elle réalise ses tâches avec sérieux.

- Une attestation de M. [D] indiquant que jusqu'à 2016 (date de sa retraite), " Mme [D] a été l'objet de remarques infondées et toujours sournoises tant de ses employeurs que de certains de ses collègues ; ne se sentant pas soutenue, elle a eu à passer des périodes difficiles ".

- Des arrêts de travail à compter du 8 juin 2018,

- Un certificat médical de son médecin traitant indiquant qu'il avait placée Mme [D] en arrêt maladie " au motif de souffrances ressenties au travail ", ajoutant qu'elle l'avait consulté en octobre 2017 suite à un malaise survenu sur son lieu de travail,

- Un compte-rendu de consultation au centre de consultation de pathologie professionnelle du CHRU de [Localité 4], relatant les doléances de Mme [D] sur ses conditions de travail, et notamment sur les " reproches émis par son supérieur sur la qualité de son travail ", les accusations, fausses selon elle, qu'elle a reçues et des souffrances psychologiques ressenties, ayant nécessité la prescription d'anxiolytique. Le rapport conclut : " dans la description des conditions de travail faite par Mme [D], on retrouve de nombreux facteurs de risques psychosociaux, notamment en rapport avec l'absence de reconnaissance, absence de soutien de la part de la hiérarchie, la perception d'un harcèlement moral ".

Les éléments invoqués par la salariée, compte tenu des documents médicaux produits, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

La société Pyrénéenne de Nettoyage réplique qu'elle n'a pas été tenue informée des faits de harcèlement moral dénoncés par Mme [D], que cette dernière n'a, à aucun moment, saisi les instances représentatives du personnel ou le CHSCT de cette question, ni déposé plainte ou demandé la reconnaissance d'une maladie professionnelle. Elle ajoute, attestations à l'appui, que sa responsable, Mme [L], qui déclare elle-même que Mme [D] ne l'a jamais avisée du harcèlement moral exercé par Mme [S], que la responsable était considérée comme étant à l'écoute des salariés tandis que Mme [D] est décrite comme " capable d'inventer des mensonges ".

Si la jurisprudence admet, ainsi que le souligne la salariée, que le harcèlement moral puisse émaner d'un client ou d'un prestataire, il apparaît que l'employeur répond des agissements d'un tiers lorsque ce dernier exerce de fait ou de droit, pour le compte de l'employeur, une autorité sur le salarié ( Soc., 1 mars 2011, pourvoi n° 09-69.616, Bull. 2011, V, n° 53; Soc., 19 octobre 2016, pourvoi n° 14-29.623 ; Soc., 27 juin 2018, pourvoi n° 16-22.622)

A l'appui de sa demande visant à la reconnaissance d'un harcèlement moral, Mme [D] vise exclusivement des faits dont se serait rendue coupable Mme [A] [S], personne extérieure à la société Pyrénéenne de Nettoyage puisque salariée de la SNCF, prestataire de la société Pyrénéenne de Nettoyage, sur une période et pendant une durée qui ne sont pas précisées, le seul témoin direct étant Mme [I]. Or, il ressort des éléments du dossier que Mme [S], qui travaillait à l'étage dont Mme [D] se voyait confier l'entretien des sanitaires, n'exerçait aucune autorité de fait ou de droit sur Mme [D].

Par ailleurs, aucun élément n'établit de manière probante que ces faits aient fait l'objet d'un signalement à l'employeur, le courrier adressé par cette dernière le 8 juin 2018, soit le premier jour de son arrêt de travail maladie, faisant exclusivement état du manque de matériel mis à sa disposition, et non les faits de harcèlement moral qu'elle a ensuite dénoncés dans le cadre de la procédure.

L'employeur produit, par ailleurs, des attestations qui combattent utilement les pièces de la salariée sur tout signalement antérieur de l'attitude de Mme [S] et sur le comportement reproché de collègues ou de la supérieure hiérarchique.

Enfin, la cour constate que le médecin du travail a prononcé son inaptitude pour des raisons exclusivement physiques et non psychologiques, et dans tous les cas, sans se référer aucunement à une situation de harcèlement moral.

Il en résulte que les agissements invoqués par la salariée ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral qui puisse être reproché à la société Pyrénéenne de Nettoyage, le jugement du conseil de prud'hommes devant être confirmé sur ce point.

- Sur la violation par l'employeur de son obligation de sécurité et la mise en danger du salarié

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

En vertu des articles L.4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l'employeur est tenu à l'égard de son salarié d'une obligation de sécurité. Il doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, actions d'information et de formation, mise en place d'une organisation et de moyens adaptés) en respectant les principes généraux de prévention suivants : éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé, tenir compte de l'état d'évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle, donner les instructions appropriées aux travailleurs. Il lui appartient de justifier qu'il a satisfait à ses obligations.

Mme [D] expose que la société Pyrénéenne de Nettoyage a méconnu son statut de travailleurs handicapé, alors qu'elle avait attiré son attention sur ce point et lui reproche de ne pas avoir tenu compte des propositions d'aménagement de poste qui ont été émises par le médecin du travail lors d'un avis d'aptitude du 7 décembre 2017, les outils que ce dernier avait recommandés lui ayant été ôtés lors de la reprise par la société Pyrénéenne de Nettoyage de la société SAMSIC en avril 2018, de même que les accessoires qu'elle utilisait jusqu'alors. Elle ajoute qu'elle a subi une majoration de sa charge de travail suite au départ d'une de ses collègues avec laquelle elle intervenait en binôme. Elle affirme en outre qu'elle était amenée à porter des charges de plus de 5 kgs.

La société Pyrénéenne de Nettoyage réplique qu'une étude de poste adapté a été effectuée, le médecin du travail y ayant été associé et le CHSCT avisé, que des matériels de travail nouveaux lui ont été fournis et que Mme [D] a accepté ses nouvelles conditions de travail, si ce n'est qu'elle a refusé de travailler avec un " balai espagnol " plutôt qu'avec un système de lavage à plat, pourtant plus ergonomique. Elle ajoute que Mme [D] multipliait les pauses abusives et quittait son poste de travail en avance. Elle conteste toute surcharge de travail.

A l'appui de ses allégations, Mme [D] produit :

- L'avis d'aptitude du 7 décembre 2017 qui préconise d'éviter d'utiliser le " Faubert ", soit un système de balayage à plat, plutôt que le balai espagnol, d'éviter les efforts importants (port de charges de plus de 5 kgs, frottage de sols et de surfaces) et d'éviter le travail à genoux.

- Une attestation de Mme [U] qui affirme que le " matériel adapté " n'avait pas été fourni à Mme [D], qu'elle portait des charges lourdes comme des sacs poubelles et qu'elle manquait de produits nettoyants, de lavettes et de sacs poubelle

- Une attestation de Mme [I] dont il résulte que le manque de sacs poubelles obligeait Mme [D] à les vider sans les changer, qu'elle ne disposait pas des " serpillières nécessaires "

- Une attestation de Mme [X] qui a constaté également le manque de sacs poubelles et de produits nettoyants

- Une attestation de M.[J] relève également le manque de matériel adapté au handicap de Mme [D], mais avant 2016.

La société Pyrénéenne de Nettoyage produit :

- Une attestation de Mme [L], manager de chantiers, qui indique avoir essayé d'aider Mme [D] suite à la " découverte de son handicap ", en lui proposant d'autres sites de travail et du matériel adéquat, en " conviant " le médecin du travail et la Carsat, pour une étude de poste adapté. Il lui a été proposé alors de travailler sur un autre chantier plus modeste que celui de la gare de [Localité 4], qui n'a pas convenu puisque Mme [D] s'est manifestée en indiquant qu'elle " se sentait enfermée ". Il lui aurait alors été proposé un balai à réservoir que Mme [D] n'a pas souhaité utiliser et un matériel très léger.

- Un courriel du représentant du CHSCT du 18 mai 2018, questionné après une plainte de Mme [D] sur son matériel jugé inadéquat, indiquant que " lors de la prise de marché, nous avons mis en place le matériel identique à celui de SAMSIC qu'utilisait Mme [D], sauf pour le balai espagnol qui est remplacé par un lavage à plat. Il offre plus d'ergonomie. "

- Un courriel du 22 mai 2018 mentionnant qu'un point a été fait avec Mme [D] sur les opérations de nettoyage qu'elle réalisait. Il a été constaté que le chariot " bi-bac " qui lui avait été fourni avait disparu et qu'on lui en fournirait un autre rapidement et que Mme [D] refusait de travailler avec un système de lavage à plat, n'optant que pour le balai espagnol, jugé inadapté pour des surfaces importantes par l'employeur.

- Des plaintes d'autres salariés sur le comportement de Mme [D] qui prenait des pauses cigarettes importantes, qui quittait prématurément son poste de travail et dont la qualité du travail laissait à désirer.

Il résulte de ces éléments que l'employeur n'est pas resté inactif à la suite d'une part, à la notification du statut de travailleur handicapé de la salariée, et d'autre part, aux préconisations du médecin du travail : un poste moins contraignant que la gare de [Localité 4] a été proposé sans succès à Mme [D] qui a opposé un refus, ce que celle-ci ne conteste pas. Par ailleurs, il n'apparaît pas que les gestes prohibés par le médecin du travail aient été accomplis par Mme [D], notamment le frottage des sols, le travail à genoux. S'agissant du port de charges de plus de 5 kgs, il n'est fait état que de sacs poubelles dont rien n'établit qu'ils dépassaient ce poids déjà important. Aucun élément n'est produit s'agissant de l'alourdissement de sa charge de travail. En réalité, Mme [D] ne s'est réellement plainte que de l'utilisation qui lui a été imposée du nettoyage à plat, au lieu du balai espagnol, plus léger selon elle, mais plus ergonomique selon l'employeur, tandis qu'il est constant que les autres matériels, et notamment un chariot bi-bac, lui ont été fournis. Ce seul élément isolé, qui, malgré la recommandation du médecin du travail sur ce point, demeure controversé, ne peut suffire à lui-seul à caractériser la violation par l'employeur de son obligation de sécurité ni la mise en danger de Mme [D].

C'est pourquoi Mme [D] sera, par voie de confirmation, déboutée de ses demandes de dommages-intérêts à ces deux titres.

Par ailleurs, les manquements de la société Pyrénéenne de Nettoyage allégués par Mme [D] étant insuffisamment caractérisés, celle-ci sera déboutée de sa demande visant à ce que soit jugé que la rupture du contrat de travail soit judiciairement prononcée, qu'elle soit rendue imputable à la société Pyrénéenne de Nettoyage et qu'elle produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

- Sur la contestation, formée à titre subsidiaire, du licenciement pour inaptitude

Le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.

En l'espèce, Mme [D] invoque les manquements déjà examinés, qui selon elle auraient conduit à ce que le médecin du travail prononce son inaptitude.

Il vient d'être jugé que ces manquements (harcèlement moral, violation de l'obligation de sécurité, mise en danger) n'étaient pas établis.

Dans ces conditions, la demande subsidiaire formée par Mme [D] tendant à dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse sera, par voie de confirmation, rejetée, de même que sa demande en paiement de dommages-intérêts afférente.

- Sur la demande de complément d'indemnité de licenciement et d'indemnité de préavis

L'article L.1226-14 du code du travail prévoit que la rupture du contrat de travail pour inaptitude consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle " ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L.1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9. "

Ces règles protectrices, applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée et invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement ( Soc, 24 juin 2015, pourvoi n°13-28.460).

Mme [D] soutient que son inaptitude a une origine professionnelle, sans qu'il soit nécessaire que la pathologie qui en est à l'origine ait été prise en charge par la caisse de sécurité sociale au titre des risques professionnels et qu'elle est en droit de réclamer dès lors l'indemnité de préavis et l'indemnité spéciale de licenciement.

La société Pyrénéenne de Nettoyage réplique que cette demande est irrecevable pour avoir été formée en cours de procédure, au mépris des règles applicables à la suite de l'abrogation de l'article R.1452-7 du code du travail par le décret n°2016-660 du 20 mai 2016.

Cependant, cette demande de Mme [D], présentée au cours de la procédure de première instance, présente un lien suffisant avec sa demande initiale consistant notamment à invoquer l'origine professionnelle de l'inaptitude dont elle a été l'objet.

Conformément aux dispositions de l'article 70 du code de procédure civile, cette demande est donc recevable.

Sur le fond, la société Pyrénéenne de Nettoyage soutient que le médecin du travail n'a pas visé une inaptitude d'origine professionnelle, que la caisse primaire d'assurance maladie n'a pas pris en charge la pathologie de Mme [D] au titre d'une maladie professionnelle, aucune démarche dans ce sens n'ayant été engagée par cette dernière et enfin que l'employeur n'a aucunement eu connaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude de Mme [D].

La cour relève que le médecin du travail n'a pas visé l'origine professionnelle de l'inaptitude qu'il prononçait et qu'aucune demande de reconnaissance de maladie professionnelle n'a été formée par Mme [D], ce qui aurait pu alerter l'employeur. Aucun autre élément n'établit qu'au moment du licenciement, la société Pyrénéenne de Nettoyage ait eu connaissance de cette origine éventuelle.

C'est pourquoi le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [D] de ses demandes indemnitaires à ce titre.

- Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive

Aucun abus du droit d'ester en justice n'étant caractérisé, la demande de dommages-intérêts formée par la société Pyrénéenne de Nettoyage au titre d'une procédure abusive de la part de Mme [D] sera, par voie de confirmation, rejetée.

- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

L'équité ne commande pas de prononcer au profit de l'une ou l'autre des parties, une condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ou de l'article 37 de la loi sur l'aide juridictionnelle.

Mme [D] sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

Déclare recevables les conclusions de Mme [D] du 25 juillet 2020 ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu, le 11 février 2020, entre Mme [W] [D] et la SARL Pyrénéenne de Nettoyage par le conseil de prud'hommes de Tours ;

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ou de l'article 37 de la loi sur l'aide juridictionnelle ;

Condamne Mme [W] [D] aux dépens de première instance et d'appel.

Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier

Fanny ANDREJEWSKI-PICARD Laurence DUVALLET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/00839
Date de la décision : 24/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-24;20.00839 ?
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