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25/10/2022 | FRANCE | N°20/02768

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Chambre sécurité sociale, 25 octobre 2022, 20/02768


COUR D'APPEL D'ORLÉANS



CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE







GROSSE à :

SELARL MS SIMONNEAU

SELARL ABDOU ET ASSOCIES

SARL [15]

CPAM DU LOIRET

EXPÉDITION à :

[P] [R]

SAS [14]

SNC [16]

MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Pôle social du Tribunal judiciaire d'ORLEANS





ARRÊT du : 25 OCTOBRE 2022



Minute n°467/2022



N° RG 20/02768 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GIRQ



Décision de première instance : Pôle so

cial du Tribunal judiciaire d'ORLEANS en date du 17 Décembre 2020



ENTRE



APPELANT :



Monsieur [P] [R]

[Adresse 4]

[Localité 10]



Représenté par Me Maryline SIMONNEAU de la SELARL MS SIMONNEAU, avocat au ...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE

GROSSE à :

SELARL MS SIMONNEAU

SELARL ABDOU ET ASSOCIES

SARL [15]

CPAM DU LOIRET

EXPÉDITION à :

[P] [R]

SAS [14]

SNC [16]

MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Pôle social du Tribunal judiciaire d'ORLEANS

ARRÊT du : 25 OCTOBRE 2022

Minute n°467/2022

N° RG 20/02768 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GIRQ

Décision de première instance : Pôle social du Tribunal judiciaire d'ORLEANS en date du 17 Décembre 2020

ENTRE

APPELANT :

Monsieur [P] [R]

[Adresse 4]

[Localité 10]

Représenté par Me Maryline SIMONNEAU de la SELARL MS SIMONNEAU, avocat au barreau de TOURS

D'UNE PART,

ET

INTIMÉES :

SAS [14]

[Adresse 6]

[Localité 12]

Représentée par Me Valéry ABDOU de la SELARL ABDOU ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

SNC [16]

ETS VAL DE LOIRE

[Adresse 7]

[Localité 9]

Représentée par Me Anne-Sophie LERNER de la SARL ARCOLE, avocat au barreau de TOURS

CPAM DU LOIRET

[Adresse 18]

[Localité 8]

Représentée par Mme [O] [X], en vertu d'un pouvoir spécial

PARTIE AVISÉE :

MONSIEUR LE MINISTRE CHARGE DE LA SECURITE SOCIALE

[Adresse 5]

[Localité 13]

Non comparant, ni représenté

D'AUTRE PART,

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats et du délibéré :

Madame Sophie GRALL, Président de chambre,

Madame Carole CHEGARAY, Président de chambre,

Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,

Greffier :

Monsieur Alexis DOUET, Greffier lors des débats et du prononcé de l'arrêt.

DÉBATS :

A l'audience publique le 31 MAI 2022.

ARRÊT :

- Contradictoire, en dernier ressort.

- Prononcé le 25 OCTOBRE 2022, après prorogation du délibéré, par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de chambre, et Monsieur Alexis DOUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

M. [P] [R], salarié intérimaire de la société [14] depuis 2015, a été mis à la disposition de la société [16] en qualité de man'uvre TP niveau N1P1, affecté au 'tirage d'enrobés, port de charges, aide à la pose de bordures', selon un contrat de mission du 5 février 2018.

Le 5 février 2018, à 11h45, M. [P] [R] a été victime d'un accident du travail dans les circonstances suivantes : 'M. [R] se trouvait à proximité d'un engin de chantier. Suite à une mauvaise manipulation, l'engin a fait un tour sur lui-même et a heurté le bras gauche de M. [R]'. Le certificat médical initial établi le 9 février 2018 fait état d'une 'fracture ouverte de l'extrémité distale du radius et du carpe gauche'.

Cet accident a été pris en charge au titre de la législation professionnelle le 14 février 2018. L'état de santé de M. [P] [R] a été déclaré consolidé à la date du 27 septembre 2019 et un taux d'incapacité permanente partielle a été fixé à 12 % par le médecin conseil pour 'une limitation des mouvements du pouce gauche et une limitation modérée des mouvements du poignet gauche du côté non dominant'. Ce taux fait l'objet d'une contestation pendante devant les juridictions de sécurité sociale.

M. [P] [R] a sollicité la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la société [14], dans la survenance de l'accident du 5 février 2018. Un procès-verbal de non-conciliation a été dressé le 19 décembre 2019.

Par requête du 16 janvier 2020, M. [P] [R] a saisi le Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur relative à l'accident du travail du 5 février 2018.

Par jugement du 17 décembre 2020 notifié le même jour, le Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans a :

- dit que la présomption de faute inexcusable de l'article 4154 du Code du travail n'est pas applicable,

- dit que M. [P] [R] ne rapporte pas la preuve d'une faute inexcusable de la société [16],

- débouté M. [P] [R] de toutes ses demandes,

- débouté la société [16] de sa demande d'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamné M. [P] [R] aux dépens.

Suivant déclaration du 30 décembre 2020, M. [P] [R] a interjeté appel de ce jugement au contradictoire de la société [14], de la société [16] et de la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret.

Dans ses conclusions visées par le greffe le 31 mai 2022 et soutenues oralement à l'audience du même jour, M. [P] [R] demande à la Cour de :

- réformer le jugement du 17 décembre 2020 sur les chefs de jugement suivants :

* 1er chef de jugement critiqué': dire que la présomption de faute inexcusable de l'article 4154 du Code du travail n'est pas applicable,

* 2ème chef de jugement critiqué': dire que M. [P] [R] ne rapporte pas la preuve d'une faute inexcusable de la société [16],

* 3ème chef de jugement critiqué': débouter M. [R] de toutes ses demandes':

''''''''''' dommages et intérêts résultant de la faute inexcusable': 20'000 euros

''''''''''' article 700 du Code de procédure civile : 2'000 euros'

* 4ème chef de jugement critiqué': condamner M. [R] aux dépens,

- confirmer le jugement du 17 décembre 2020 en ce qu'il a débouté la société [16] de sa demande d'article 700 du Code de procédure civile,

- reconnaître la faute inexcusable des sociétés [14] et [16],

- condamner in solidum les sociétés [14] et [16] à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts résultant de la faute inexcusable, outre la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses conclusions visées par le greffe le 31 mai 2022 et soutenues oralement à l'audience du même jour, la SAS [14] demande à la Cour de :

A titre principal,

-'confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

-'débouter en conséquence M. [P] [R] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

-'condamner M. [P] [R] aux entiers dépens de l'instance,

A titre subsidiaire,

-'condamner la société [16] à relever et garantir la société [14] des conséquences financières résultant de l'action de la faute inexcusable alléguée par M. [P] [R], tant en principal qu'intérêts et frais, en ce compris les sommes allouées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

-'dire que seul le taux d'incapacité permanente partielle définitivement opposable à l'employeur déterminera le calcul de la majoration de l'indemnité en capital recouvrée par la caisse primaire d'assurance du Loiret,

-'dire que la mission de l'expert judiciaire sera limitée à l'évaluation des chefs de préjudice non pris en charge en tout ou partie au titre du livre IV du Code de la sécurité sociale,

-'dire que l'expertise sera ordonnée aux frais avancés par la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret,

-'débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts et de frais irrépétibles ou, du moins, inclure ceux-ci dans la garantie due par la société utilisatrice.

Dans ses conclusions visées par le greffe le 31 mai 2022 et soutenues oralement à l'audience du même jour, la SNC [16] demande à la Cour de :

Vu les pièces versées aux débats,

-'confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

Y ajoutant,

-'condamner M. [P] [R] au paiement à la société [16] de la somme de 4'000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

A titre subsidiaire, si par impossible la Cour entendait entrer en voie de réformation,

-'débouter M. [P] [R] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société [16],

-'voir dire et juger que l'accident de M. [P] [R] ne résulte que de la faute inexcusable de la société [14],

-'en toute hypothèse, si la Cour venait à considérer que la société [16] avait commis une faute, prononcer un partage de responsabilité à hauteur de 60 % pour la société [14], employeur de M. [P] [R] et de 40% pour la société [16], entreprise utilisatrice,

-'en toute hypothèse, condamner la société [14] à garantir la société [16] à hauteur de 60% de toutes les condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre,

-'condamner M. [P] [R] à régler à la société [16] une somme de 4'000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

A l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret a déclaré s'en rapporter sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et a sollicité le remboursement des sommes dont elle serait éventuellement amenée à faire l'avance.

En application de l'article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

MOTIFS

En application de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'accident, ou la maladie professionnelle, est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.

Il convient de rappeler qu'en application de l'article L. 1251-1 du Code du travail, le seul employeur d'un salarié lié par un contrat de mission à une entreprise de travail temporaire et mis à la disposition d'une entreprise utilisatrice est l'entreprise de travail temporaire.

L'article L. 412-6 du Code de la sécurité sociale dispose que 'pour l'application des articles L.452-1 à L.452-4, l'utilisateur, le chef d'entreprise utilisatrice ou ceux qu'ils se sont substitués dans la direction sont regardés comme substitués dans la direction, au sens desdits articles, à l'employeur. Ce dernier demeure tenu des obligations prévues audit article sans préjudice de l'action en remboursement qu'il peut exercer contre l'auteur de la faute inexcusable'.

Il en résulte qu'en cas de faute inexcusable, l'entreprise utilisatrice est réputée substituée à l'entreprise de travail temporaire, employeur. Toutefois, l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ne peut être engagée qu'à l'encontre de l'employeur de la victime (Civ. 2ème ., 9 février 2017, n° 15-24.037), soit l'entreprise de travail temporaire qui demeure responsable des conséquences financières de la faute inexcusable, sauf pour elle à exercer une action récursoire en garantie contre l'entreprise utilisatrice fautive afin d'obtenir le remboursement des sommes versées.

Sur la présomption de faute inexcusable :

Aux termes de l'article L. 4154-2 du Code du travail, 'les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité bénéficient d'une formation renforcée à la sécurité ainsi que d'un accueil et d'une information adaptés dans l'entreprise dans laquelle ils sont employés'.

L'article L. 4154-3 du Code du travail dispose que 'la faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale est présumée établie pour les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité ils n'auraient pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue à l'article L. 4154-2".

Cette présomption s'applique dès lors que le poste de travail présente des risques particuliers pour la santé ou la sécurité des salariés.

En l'espèce, le contrat de mission signé par M. [P] [R] le 5 février 2018 est ainsi rédigé au titre des 'Caractéristiques particulières et risques professionnels du poste' :

'Qualification demandée': Man'uvre TP (H/F) N1P1

Tâches et risques du poste': Tirage d'enrobés ' port de charges ' aide à la pose de bordures

Poste à risque (art. L4142-2)': NON Surveillance médicale renforcée': NON Poste soumis à intempéries': OUI

Facteurs de pénibilité'(art. 4161 et R.CT)': Aucun

Equipements individuels de sécurité': Chaussures de sécurité Casque de sécurité Baudrier

Tuteur [S] [D]'.

Il ne ressort pas du contrat de mission que le poste occupé par M. [P] [R], soit un poste de manoeuvre en travaux publics sans spécificité, est un poste à risque au sens de l'article L. 4154-2 du Code du travail. M. [P] [R] ne caractérise pas plus lui-même les risques particuliers qu'il encourait. Il ne peut donc prétendre à bénéficier de la présomption de faute inexcusable.

'

Sur l'existence de la faute inexcusable :

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il appartient au salarié de prouver la conscience qu'avait ou qu'aurait dû avoir l'employeur du danger auquel il était exposé et l'absence de mise en oeuvre des mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

La faute de la victime n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de la faute inexcusable.

En l'espèce, M. [P] [R], intérimaire de la société [14], a été mis à la disposition de la société [16] le 5 février 2018 pour un poste de man'uvre TP, ayant déjà effectué quelques missions pour d'autres clients du BTP.

Les circonstances de l'accident du travail survenu le jour même de la mise à disposition de M. [P] [R] ne sont pas contestées. Ainsi, selon le compte rendu de la société [14] : 'M. [R] effectuait son premier jour de mission avec notre client [16]. En fin de matinée, vers 11h30, M. [R] était à côté du bras de la mini-pelle. Le chef d'équipe est monté dans la cabine de la mini-pelle pour aider le conducteur qui ne trouvait pas une commande. En se penchant pour lui montrer la commande, le chef de chantier a enclenché un levier sans faire exprès, ce qui a fait tourner la pelle et le godet est venu percuter la main gauche de M. [R]'. Le chef de chantier [16] et tuteur de M. [P] [R], M. [S] [D], relate lui-même l'accident'dans les mêmes cironstances : 'j'étais sur le côté de la cabine, sur chenille de la pelle 5T. [P] était à côté du bras de la pelle. J'indiquais au chauffeur de la pelle l'emplacement d'une commande pour 'casser le bras de la pelle'. Je me suis penché dans la cabine et c'est mon ventre qui a déplacé une commande de la pelle. Le godet et le bras ont tourné rapidement vers la droite. Les collègues m'ont demandé d'appeler immédiatement les secours car ils ont vu qu'[P] avait été touché'.

Il est mentionné dans le mémo sécurité OPPBTP (la prévention BTP) pour la partie relative aux engins de chantier et les principaux risques y afférents que 'l'utilisation des engins de chantier n'est pas sans risque et peut générer des incidents ou accidents plus ou moins graves' notamment 'collision piéton-engin (heurt, écrasement')'. 'Pour limiter les risques liés à l'utilisation d'engins de chantier, le chef d'entreprise doit s'organiser en amont', il y est préconisé parmi d'autres mesures de 'baliser les zones de circulation pour éviter les interférences entre engins ou entre engins et travailleurs au sol ; fixer les règles de circulation propres au chantier ou à la zone d'évolution des engins (vitesses maximales, priorités') ; organiser la circulation en désignant un chef de man'uvre pour aider les engins à évoluer en sécurité ; sensibiliser les salariés aux risques liés aux engins de chantier'.

Le même document précise au titre des bonnes pratiques d'usage que 'les conducteurs d'engin doivent être vigilants et respecter un certain nombre de règles de sécurité' et recommande pendant l'utilisation d'être 'vigilant aux dangers présents dans la zone d'évolution (absence de piétons, de lignes électriques, d'obstacles').

Le manuel de sécurité des pelles hydrauliques établi par l'INRS édité en 2009 recense parmi cinq types d'accidents :

'un piéton trop près de la pelle est heurté par la tourelle en rotation ou par le godet en mouvement': accident lié à un manque de visibilité,

un piéton dans la zone d'évolution de la pelle est écrasé lors d'une marche avant ou d'une marche arrière': manque de visibilité'.

Il s'en déduit que la société [16] ne pouvait qu'avoir conscience des risques encourus par les travailleurs piétons évoluant à proximité d'engins de chantier, en l'occurence d'une mini-pelle, et qu'il lui appartenait de prendre les mesures de prévention nécessaires conformément à l'article R. 4323-52 du Code du travail qui prévoit que 'des mesures d'organisation sont prises pour éviter que des travailleurs à pied ne se trouvent dans la zone d'évolution des équipements de travail mobiles. Lorsque la présence de travailleurs à pied est néanmoins requise pour la bonne exécution des travaux, des mesures sont prises pour éviter qu'ils ne soient blessés par ces équipements'.

M. [P] [R] n'est pas démenti lorsqu'il indique qu'aucune zone de circulation n'a été mise en place sur le chantier et qu'aucun avertissement ne lui a été délivré lors de la manoeuvre à exécuter au regard de sa proximité par rapport à l'engin en état de marche. Il s'avère que la société [16] n'a pas produit de document unique d'évaluation des risques. Le livret d'accueil individuel qu'elle a remis à M. [P] [R] le 5 février 2018 dont elle se prévaut pour justifier avoir rempli son obligation de formation à la sécurité envers ce travailleur intérimaire, s'il est effectivement signé de celui-ci, ne permet pas d'établir que la formation a été effectivement assurée puisqu'aucune des cases portant sur 'les instructions délivrées au salarié arrivant' n'est cochée, et parmi elles 'l'environnement du site, les réseaux présents, les travaux réalisés', 'les caractéristiques de circulation sur le site'...

Il n'est donc pas établi que les mesures de prévention nécessaires ont été prises.

S'il est exact que l'accident a pour origine la maladresse du chef de chantier qui en montant sur l'engin a involontairement avec son ventre actionné la commande de la pelle, il ne peut être retenu, comme le soutient la société [16], que l'accident était imprévisible pour l'entreprise, dès lors qu'évoluaient dans la même zone salariés à pied et engins de chantier sans organisation ou consigne propre à éviter tout risque de collision. Au demeurant, il convient de rappeler que la faute inexcusable de l'employeur n'a pas à être la cause déterminante de l'accident, mais seulement une cause nécessaire, et peut être reconnue quand bien même d'autres fautes ont concouru au dommage.

En conséquence, il convient de retenir la faute inexcusable de la société [16], entreprise utilisatrice substituée à l'employeur, la société [14], dans la survenance de l'accident du travail du 5 février 2018 et d'infirmer le jugement entrepris qui a débouté M. [P] [R] de ce chef.

Sur les conséquences de la faute inexcusable :

La reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur permet à la victime d'obtenir une majoration des indemnités qui lui sont dues, conformément aux dispositions de l'article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale.

Ladite faute inexcusable ouvre en effet droit à une majoration de la rente ou du capital alloué à la victime. Lorsqu'une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité.

Lorsqu'une rente a été attribuée à la victime, la majoration de la rente ne peut pas dépasser soit le salaire annuel de la victime en cas d'incapacité totale, soit la fraction de salaire correspondant au taux d'incapacité s'il s'agit d'une incapacité permanente partielle.

La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur dans des conditions déterminées par décret.

En l'absence de faute inexcusable du salarié, il convient de dire que la majoration de la rente ou de l'indemnité en capital sera fixée au maximum dans la limite des plafonds précités et, pour ce qui concerne les rapports caisse/assuré, qu'elle suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité permanente partielle de M. [P] [R].

S'agissant des rapports caisse/employeur, il y a lieu de prévoir que l'action récursoire de la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret ne pourra s'exercer contre la société [14] que dans la limite du taux d'incapacité permanente de la victime qui lui est opposable.

Indépendamment de la dite majoration, la victime peut aussi demander à l'employeur, conformément l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, la réparation des dommages subis en conséquence de l'accident qui ne sont pas couverts par la législation professionnelle.

Ceux-ci ne sauraient être réparés par l'allocation d'une somme forfaitaire, comme le sollicite M. [P] [R], une expertise avant dire droit étant nécessaire pour déterminer et chiffrer les différents postes de préjudices indemnisables.

S'agissant de la mission à confier à l'expert, il convient de rappeler que l'article L. 452-3 alinéa 1er du Code de la sécurité sociale, tel qu'interprété par la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, dispose qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, à la condition qu'ils ne soient pas déjà couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale.

Il en résulte que l'expertise ne peut porter ni sur les frais médicaux assimilés, ni sur le déficit permanent ni sur la perte de gains professionnels qui sont déjà couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale mais seulement, outre les chefs de préjudice expressément énumérés par l'article L. 452-3, à savoir les souffrances endurées, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément et la perte des possibilités de promotion professionnelle, sur le préjudice sexuel, la nécessité de l'aménagement du logement et celle d'un véhicule adapté, et sur les préjudices non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale en lien avec l'éventuelle nécessité de recourir à une tierce personne avant la consolidation et avec le déficit fonctionnel temporaire.

Il convient donc d'ordonner une expertise selon la mission prévue au dispositif de la présente décision.

Sur la garantie de l'entreprise utilisatrice :

Il résulte de l'article L. 412-6 du Code de la sécurité sociale qu'en cas d'accident du travail imputable à la faute inexcusable d'une entreprise utilisatrice, l'entreprise de travail temporaire, seule tenue en sa qualité d'employeur de la victime, des obligations prévues aux articles L. 452-1 à L. 452-4 du Code précité, dispose d'un recours contre l'entreprise utilisatrice pour obtenir le remboursement des indemnités complémentaires versées à la victime, ainsi que l'a jugé la Cour de cassation (Civ. 2ème, 15 septembre 2016, n° 15-21.962).

La société [14] demande la garantie intégrale de l'entreprise utilisatrice.

La société [16] se prévaut de l'absence de test SMS (savoir minimum sécurité) et d'AIPR (autorisation d'intervention à proximité des réseaux) pour solliciter un partage de responsabilité avec la société [14].

En l'espèce, la faute inexcusable est établie du fait de l'absence de mesures propres à préserver le salarié à pied du risque de collision avec un engin de chantier et de l'absence de formation à la sécurité du salarié.

Il ressort des termes d'un courriel de la société [14] adressé à la société [16] le lendemain de l'accident le 6 février 2018 que 'pour le test sms, M. [R] a été validé pour la mission vendredi tardivement et n'a pas pu se présenter à l'agence avant le démarrage. Il était prévu qu'il passe le faire le lundi soir. Et pour l'AIPR, M. [R] fait partie des intérimaires qui ne sont pas encore formés'. Quand bien même M. [P] [R] avait passé un 'test sécurité environnement travaux ferroviaires' le 29 mai 2017 valable jusqu'au 29 novembre 2018 et qu'il était toléré que l'AIPR, obligatoire depuis le 1er janvier 2018, pouvait n'être détenue que par un seul salarié d'une équipe de chantier jusqu'au 1er janvier 2019, il apparaît que la société [14] avait conscience de ce qu'elle avait insuffisamment formé M. [P] [R] en matière de sécurité en sa qualité de travailleur intérimaire, comme cela le lui incombait.

'

En conséquence, la société [14] n'est fondée à exercer son recours en garantie à l'encontre de la société [16] tant en principal, intérêts, frais et indemnité de procédure qu'à concurrence de 80 %.

'

Sur les demandes accessoires :

'

La société [14], qui succombe, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et sera condamnée à verser à M. [P] [R] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

'

Infirme le jugement du 17 décembre 2020 du Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans, sauf en ce qu'il a dit que la présomption de la faute inexcusable de l'article L. 4154-3 du Code du travail n'est pas applicable ;

Statuant à nouveau,

Dit que l'accident dont M. [P] [R] a été victime le 5 février 2018 est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [14] ;

'

Fixe au maximum la majoration de la rente ou du capital alloué à M. [P] [R] et dit qu'elle devra suivre l'évolution du taux d'incapacité de la victime ;

'

Dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret qui en aura fait l'avance à M. [P] [R], procèdera à la récupération auprès de la société [14] dans la limite du taux opposable à l'employeur ;

'

Dit que la société [16] devra garantir la société [14] de l'ensemble des conséquences financières découlant de la reconnaissance de la faute inexcusable à concurrence de 80 % ;

'

Avant dire droit sur le montant de la réparation des préjudices causés par la faute inexcusable de l'employeur ;

'

Ordonne une expertise médicale de M. [P] [R] ;

'

Commet pour y procéder le docteur [E] [C]

[Adresse 3]

[Localité 11]

Tél : [XXXXXXXX01]

Port. : [XXXXXXXX02] Mèl : [Courriel 17]

qui, après avoir entendu les parties, s'être fait remettre tous documents utiles, et notamment le dossier médical complet de M. [P] [R] avec l'accord de celui-ci, et avoir examiné la victime, aura pour mission de :

1°) décrire les blessures subies lors de l'accident du 5 février 2018,

2°) indiquer leur traitement, leur évolution et préciser les troubles en rapport direct avec l'accident,

3°) déterminer, décrire, qualifier et chiffrer :

''''''''''' * les chefs de préjudices expressément énumérés par l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, à savoir :

''''''''''''''''''''''' ¿ les souffrances endurées (sur une échelle de 1 à 7),

''''''''''''''''''''''' ¿ le préjudice esthétique (sur une échelle de 1 à 7),

''''''''''''¿ le préjudice d'agrément, défini comme l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs,

''''''''''''''''''''''' ¿ la perte ou la diminution des possibilités de promotion professionnelle,

''''''''''' * le préjudice sexuel,

''''''''''' * la nécessité de l'aménagement du logement et celle d'un véhicule adapté,

''''''''''' * le déficit fonctionnel temporaire,

''''''''''' * s'il y a lieu, la nécessité de recourir à une tierce personne avant la consolidation,

Rappelle que M. [P] [R] devra répondre aux convocations de l'expert et qu'à défaut de se présenter sans motif légitime et sans en avoir informé l'expert, l'expert est autorisé à dresser un procès-verbal de carence et à déposer son rapport après deux convocations restées infructueuses ;

Ordonne la consignation par la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret auprès du régisseur de la Cour d'appel, dans les 60 jours à compter de la notification du présent arrêt, de la somme de 1 200 euros à valoir sur la rémunération de l'expert, laquelle en récupérera le montant auprès de la société [14] ;

Dit que l'expert pourra en tant que de besoin être remplacé par simple ordonnance du président de la chambre de la sécurité sociale ;

'

Dit que l'expert devra donner connaissance de ses premières conclusions aux parties et répondre à toutes observations écrites de leur part dans le délai qu'il leur aura imparti avant d'établir son rapport définitif ;

'

Dit que l'expert déposera son rapport au greffe de la Cour avant le 31 mai 2023 ;

'''''''''''

Renvoie l'affaire à l'audience de la chambre de sécurité sociale de la Cour d'appel d'Orléans du 27 juin 2023 à 9 heures ;

'

Dit que la notification du présent arrêt vaudra convocation régulière des parties à cette audience ;

'

Condamne la société [14] aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne la société [14] à payer à M. [P] [R] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Chambre sécurité sociale
Numéro d'arrêt : 20/02768
Date de la décision : 25/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-25;20.02768 ?
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