C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE - A -
Section 1
PRUD'HOMMES
Exp +GROSSES le 11 JUILLET 2022 à
la SELARL 2BMP
la SCP LAVAL - FIRKOWSKI
AD
ARRÊT du : 11 JUILLET 2022
MINUTE N° : - 22
N° RG 20/00758 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GEGZ
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TOURS en date du 18 Février 2020 - Section : COMMERCE
APPELANTE :
Madame [J] [B]
née le 13 Septembre 1984 à [Localité 4]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Louis PALHETA de la SELARL 2BMP, avocat au barreau de TOURS
ET
INTIMÉE :
S.A.R.L. TRANS EUROP EXPRESS agissant en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI, avocat au barreau d'ORLEANS,
ayant pour avocat plaidant Me France TETARD de la SCP QUINCY - REQUIN & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
Ordonnance de clôture : 12 avril 2022
Audience publique du 10 Mai 2022 tenue par M. Alexandre DAVID, Président de chambre, et ce, en l'absence d'opposition des parties, assisté lors des débats de Mme Karine DUPONT, Greffier.
Après délibéré au cours duquel M. Alexandre DAVID, Président de chambre a rendu compte des débats à la Cour composée de :
Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre, président de la collégialité,
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre,
Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller
Puis le 11 Juillet 2022 (délibéré prorogé, initialement fixé au 7 juillet 2022), Monsieur Alexandre DAVID, président de Chambre, assisté de Mme Karine DUPONT, Greffier a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [J] [B] a été engagée le 4 août 2014 par la SARL Trans Europ Express en qualité de chauffeur livreur, d'abord selon contrat de travail à durée déterminée puis, à compter du 5 septembre 2014, selon contrat de travail à durée indéterminée.
Le contrat de travail comportait une clause de mobilité.
Mme [J] [B] a été affectée sur un trafic décentralisé du siège social, basé dans le département d'Indre et Loire. Elle effectuait la ligne [Localité 7]-[Localité 6] / [Localité 6]-[Localité 7].
A la suite de la perte de cette ligne, l'employeur a informé le 28 février 2018 Mme [J] [B] de sa décision de l'affecter à [Localité 5] (Côte d'Or), siège social de la société, à compter du 3 avril 2018.
Ce faisant, il a mis en oeuvre la clause de mobilité du contrat.
Après avoir refusé plusieurs postes proposé par l'employeur, Mme [J] [B] a sollicité la rupture conventionnelle de son contrat de travail.
L'employeur n'a pas donné une suite favorable à cette demande.
Par courrier du 18 juillet 2018, l'employeur a informé la salariée qu'elle devait se présenter le 23 juillet 2018 sur le site de [Localité 5] à 8h00 pour sa prise de poste.
Par courrier du 26 juillet 2018, Mme [J] [B] a précisé à l'employeur qu'elle ne donnerait pas suite à la proposition de prendre son poste à [Localité 5], dans la mesure où cette mutation entraînerait des bouleversements familiaux trop importants. Mme [J] [B] a réitéré à cette occasion sa demande de rupture conventionnelle.
Par courrier du 3 août 2018, l'employeur a confirmé sa position, en rappelant qu'il n'existait aucune ligne disponible dans le secteur de la salariée.
Par courriers du 23 et du 29 août 2018, l'employeur a de nouveau mis en demeure la salariée de se présenter à son poste ou de justifier de son absence, considérant que depuis le 20 août (après sa prise de congés) elle était en absence injustifiée.
Le 4 septembre 2018, Mme [J] [B] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 13 septembre 2018.
Le 17 septembre 2018, Mme [J] [B] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave au motif qu'elle avait refusé de prendre son poste à [Localité 5].
Par requête du 5 décembre 2018, Mme [J] [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Tours aux fins, principalement, de contester son licenciement, de le voir juger dépourvu de cause réelle et sérieuse au motif de la nullité de la clause de mobilité et d'obtenir diverses sommes au titre de la rupture.
Par jugement du 18 février 2020, le conseil de prud'hommes de Tours a :
- Débouté Mme [J] [B] de l'ensemble de ses demandes,
- Débouté la SARL Trans Europe Express de ses demandes reconventionnelles de condamnation à l'encontre de Mme [J] [B], pour ce qui est des entiers dépens et de la demande de paiement de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Laissé les dépens à la charge de chacune des parties.
Mme [J] [B] a interjeté appel de cette décision le 13 mars 2020.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions remises au greffe par voie électronique le 24 avril 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [J] [B] demande à la cour de :
- Dire et juger Mme [J] [B] tant recevable que bien fondée en son appel et en ses demandes,
- En conséquence, il plaira la cour d'infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau, dire et juger le licenciement de Mme [J] [B] dépourvu de cause réelle et sérieuse, et condamner la SARL Trans Europ Express à devoir lui régler les sommes suivantes :
- Rappel de salaire : 1 666,42 euros,
- Congés payés afférents : 166,64 euros,
- Indemnité de préavis : 3 159,04 euros,
- Indemnité de congés payés sur préavis : 315,90 euros,
- Indemnité de licenciement : 1 579,50 euros,
- Indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse : 6 318,08 euros,
- Ordonner sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir la remise des bulletins de paie afférents aux créances salariales ainsi que d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à Pôle emploi,
- Condamner la SARL Trans Europ Express aux entiers dépens qui comprendront les frais éventuels d'exécution et au paiement d'une somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions remises au greffe par voie électronique le 7 avril 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la SARL Trans Europ Express, relevant appel incident, demande à la cour de :
- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Tours du 18 février 2020 en ce qu'il a :
- Débouté Mme [J] [B],
Et statuant à nouveau,
- Dire et juger que :
- Le licenciement de Mme [J] [B] est fondé et repose sur une faute grave,
- La demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est abusive et non fondée,
- La demande d'indemnité de licenciement, de préavis et de congés payés afférents est abusive et non fondée ;
- La demande de rappel d'heures de salaires et des congés payés afférents est abusive et non fondée,
- La demande d'astreinte est injustifiée.
En conséquence,
- Rejeter la demande de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- Rejeter la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Rejeter les demandes d'indemnité de licenciement, de préavis et de congés payés afférents,
- Rejeter la demande de rappel d'heures de salaires et des congés payés afférents;
- Rejeter la demande d'astreinte,
- Et condamner Mme [J] [B] à verser à la SARL Trans Europ Express la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Et la condamner en outre au paiement des entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 avril 2022.
MOTIFS
Sur la validité de la clause de mobilité
Lorsque le contrat de travail prévoit une clause de mobilité, celle-ci doit être circonscrite. Une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application et ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée (Soc., 7 juin 2006, pourvoi n° 04-45.846, Bull. 2006, V, n° 209 et Soc., 12 juillet 2006, pourvoi n° 04- 45.396, Bull. 2006, V, n° 241).
En l'espèce, la clause de mobilité prévue dans le contrat de travail liant Mme [J] [B] à la SARL Trans Europ Express est libellée comme suit :
« Lieu de travail - Clause de mobilité géographique
Le poste de Mme [J] [B] est basé dans le département 37.
Dans le cadre de ses fonctions, l'employeur pourra demander au salarié de prendre son service en un lieu différent compte tenu des contraintes de l'exploitation; il est donc expressément convenu entre les parties, que le salarié n'est pas affecté définitivement à une ligne déterminée et qu'en conséquence, il accepte le principe de toute modification de ligne dans les régions où est implantée la société TRANS EUROP EXPRESS, c'est-à-dire Bourgogne, Franche Comté, Rhône Alpes, Auvergne, Aquitaine et Région Parisienne, Centre Ouest, Lorraine, Alsace, PACA, Centre, Midi Pyrénées ».
Si la Bourgogne, la Franche-Comté, Rhône-Alpes, l'Auvergne, l'Aquitaine, la Lorraine, l'Alsace, la PACA, le Centre et Midi-Pyrénées sont des régions administratives dont les frontières sont précisément délimitées, tel n'est pas le cas du Centre-Ouest et de la région Parisienne. Ces mentions de la clause ne renvoient à aucune zone géographique précisément déterminée.
Par conséquent, la clause de mobilité ne définit pas de façon précise sa zone géographique d'application. Elle est donc nulle.
Sur le bien-fondé du licenciement
La lettre de licenciement du 17 septembre 2018, qui fixe les limites du litige, fait grief à Mme [J] [B] d'être en absence injustifiée et d'avoir refusé de se présenter sur le lieu de sa nouvelle affectation, à [Localité 5] (Côte d'Or).
La mutation imposée par l'employeur à la salariée était fondée sur la mise en oeuvre de la clause de mobilité.
Il importe peu que l'employeur ait proposé à Mme [J] [B] un poste se situant dans une des régions précisément définies par la clause de mobilité. Cette clause étant nulle, la SARL Trans Europ Express ne pouvait imposer à la salariée un tel changement de son lieu de travail.
Le comportement de la salariée n'étant pas fautif, il y a lieu de dire, par voie d'infirmation du jugement, que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Sur la demande de rappel de salaire
La clause de mobilité étant nulle, la société SARL Trans Europ Express ne pouvait unilatéralement modifier le lieu d'affectation de la salariée à moins de procéder à la révision du contrat de travail.
Mme [B], qui se tenait à disposition, était donc fondée à ne pas se présenter sur le lieu désigné par son employeur.
La retenue de salaire effectuée par la SARL Trans Europ Express n'est pas justifiée.
Il y a donc lieu de condamner l'employeur à payer à Mme [B] les sommes de 1666,42 euros brut à titre de rappel de salaire et de 166,64 euros brut au titre des congés payés afférents.
Sur l'indemnité de préavis
Mme [B] a droit à une indemnité de préavis, qui doit être fixée à la somme qu'elle aurait perçue si elle avait travaillé pendant la période de préavis de deux mois.
Il y a lieu de condamner l'employeur à lui verser les sommes de 1 579,52 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 315,90 euros brut au titre des congés payés afférents.
Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Au jour de son licenciement, Mme [B] comptait quatre années complètes d'ancienneté au sein de l'entreprise.
En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable à la présente espèce compte tenu de la date du licenciement, en l'absence de réintégration comme tel est le cas en l'espèce, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre trois mois et cinq mois de salaire brut.
Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à retrouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'elles résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de condamner l'employeur à payer à Mme [B] la somme de 6 000 euros brut à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur le remboursement des indemnités chômage
Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du même code qui l'imposent et sont donc dans le débat, d'ordonner d'office à l'employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à la salariée, dans la limite de six mois d'indemnités.
Sur l'indemnité de licenciement
Aux termes de l'article L. 1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.
En l'espèce, compte tenu de l'ancienneté Mme [J] [B], il y a lieu de fixer l'indemnité légale de licenciement à laquelle elle peut prétendre à 1579,50 euros net et de condamner l'employeur au paiement de cette somme.
Sur la demande de remise des documents de rupture
Il y a lieu d'ordonner à la SARL Trans Europ Express de remettre à Mme [J] [B] un ou plusieurs bulletins de paie, un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle emploi conformes aux dispositions du présent arrêt, dans un délai d'un mois à compter de sa signification. Il n'y a pas lieu d'assortir cette mesure d'une astreinte.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il y a lieu d'infirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens.
Il y a lieu de condamner la SARL Trans Europ Express aux dépens de première instance et d'appel.
Il y a lieu de condamner la SARL Trans Europ Express à payer à Mme [J] [B] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de débouter l'employeur de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 18 février 2020, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Tours ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Dit le licenciement de Mme [J] [B] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SARL Trans Europ Express à payer à Mme [J] [B] les sommes suivantes :
- 1666,42 euros brut à titre de rappel de salaire, outre 166,42 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- 3 159,04 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 315,90 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- 1579,50 euros net à titre d'indemnité légale de licenciement
- 6 000 euros brut à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ordonne à la SARL Trans Europ Express de remettre à Mme [J] [B] un ou plusieurs bulletins de paie, un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle emploi conformes aux dispositions du présent arrêt, dans un délai d'un mois à compter de sa signification, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette mesure d'une astreinte ;
Ordonne à la SARL Trans Europ Express de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à Mme [J] [B], dans la limite de six mois d'indemnités ;
Condamne la SARL Trans Europ Express à payer à Mme [J] [B] la somme de 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et rejette sa demande à ce titre ;
Condamne la SARL Trans Europ Express aux dépens de première instance et d'appel.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre et par le greffier
Karine DUPONT Alexandre DAVID