COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE
GROSSE à :
Me Sandrine AUDEVAL
URSSAF CENTRE VAL DE LOIRE
EXPÉDITION à :
[F] [O]
MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BLOIS
ARRÊT du : 05 JUILLET 2022
Minute n°318/2022
N° RG 18/03543 - N° Portalis DBVN-V-B7C-F2YB
Décision de première instance : Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BLOIS en date du 26 Novembre 2018
ENTRE
APPELANT :
Monsieur [F] [O]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par Me Sandrine AUDEVAL, avocat au barreau de BLOIS
D'UNE PART,
ET
INTIMÉE :
URSSAF CENTRE VAL DE LOIRE
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par M. [B] [Y], en vertu d'un pouvoir spécial
PARTIE AVISÉE :
MONSIEUR LE MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
[Adresse 1]
[Localité 6]
Non comparant, ni représenté
D'AUTRE PART,
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats et du délibéré :
Madame Sophie GRALL, Président de chambre,
Madame Carole CHEGARAY, Président de chambre,
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,
Greffier :
Monsieur Alexis DOUET, Greffier lors des débats et du prononcé de l'arrêt.
DÉBATS :
A l'audience publique le 26 AVRIL 2022.
ARRÊT :
- Contradictoire, en dernier ressort.
- Prononcé le 05 JUILLET 2022 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Sophie GRALL, Président de chambre, et Monsieur Alexis DOUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
M. [F] [O] qui exerçait une activité d'achats et de reventes de métaux a fait l'objet d'un contrôle par le Régime social des indépendants.
Une enquête a été ouverte pour travail dissimulé à l'encontre de M. [O], et un procès-verbal a été transmis au Procureur de la République du tribunal de grande instance de Blois.
Le 30 juillet 2012, le Régime social des indépendants a émis une lettre d'observations à l'encontre de M. [O], portant redressement de cotisations sociales obligatoires d'un montant de 32'386 euros au titre de son activité commerciale non déclarée d'achats et de revente de métaux pour les années, 2009, 2010 et 2011.
Le 19 décembre 2014, le Régime social des indépendants a établi une mise en demeure à l'encontre de M. [O], afférente aux cotisations sociales obligatoires redressées au titre des années 2009, 2010 et 2011 pour un montant total de 40'858 euros soit 32'386 euros en principal et 8'472 euros de majorations de retard.
M. [O] a saisi la commission de recours amiable du Régime social des indépendants du Centre Val de Loire, le 22 décembre 2014, qui a rejeté son recours par décision du 16 mars 2015.
Par requête du 20 mars 2015, M. [O] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Loir et Cher afin de contester la décision de recours amiable. Par requête du 7 mai 2015, le conseil de M. [O] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Loir et Cher aux mêmes fins.
Par jugement du 26 novembre 2018, le tribunal a:
- ordonné la jonction des procédures inscrites sous les numéros 15/100 et 15/171 sous le numéro 15/100,
- débouté M. [O] de l'intégralité de ses demandes,
- confirmé la décision de la commission de recours amiable du 16 mars 2015,
- confirmé en conséquence, le redressement auquel l'URSSAF Centre Val de Loire, venant aux droits du Régime social des indépendants a procédé à l'encontre de M. [O] du chef de travail dissimulé à hauteur de 40'858 euros,
- rejeté toutes plus amples demandes.
Par déclaration d'appel du 18 décembre 2018, M. [O] a interjeté appel du jugement.
Par arrêt du 1er décembre 2021, la Cour a ordonné la réouverture des débats et invité l'URSSAF Centre Val de Loire à produire et communiquer le procès-verbal n° 00628/2011 établi par la brigade de recherches de Vendôme.
Après réouverture des débats, M. [O] demande à la Cour de:
- infirmer le jugement en ce qu'il a: débouté M. [O] de l'intégralité de ses demandes; confirmé la décision de la commission de recours amiable; confirmé le redressement de M. [O] pour un montant de 40'858 euros.
Et statuant à nouveau,
À titre principal,
- dire et juger que la demande de recouvrement formée par l'URSSAF est prescrite pour la période antérieure au 19 décembre 2011.
- prononcer la nullité de la mise en demeure du 19 décembre 2014.
En conséquence,
- débouter l'URSSAF Centre Val de Loire de l'intégralité de ses demandes.
- condamner l'URSSAF Centre Val de Loire à lui verser la somme de 2'000'euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
- condamner l'URSSAF Centre Val de Loire aux dépens de première instance et d'appel.
À titre subsidiaire,
- lui accorder le bénéfice de deux années de délais de paiement en application de l'article 1343-5 du Code civil.
L'URSSAF Centre Val de Loire demande à la Cour de:
- débouter M. [O] de toutes ses demandes, fins et conclusions.
- confirmer la décision de première instance rendue par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Blois le 26 novembre 2018.
- valider la mise en demeure litigieuse du 19 décembre 2014.
Il est référé pour le surplus aux écritures déposées par les parties à l'appui de leurs explications orales devant la Cour.
SUR CE, LA COUR:
' Sur la nullité de la mise en demeure:
L'appelant soutient que le contrôle réalisé par l'inspecteur de recouvrement était uniquement fondé sur l'enquête diligentée par le Parquet de Blois; que s'il a été condamné par le tribunal correctionnel de Blois pour l'infraction de travail dissimulé, ce n'est que pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010; que l'URSSAF prétend à tort que c'est cette enquête qui l'a conduit à organiser un contrôle de sa situation, alors que le procès-verbal sur lequel elle se fonde pour tenter de justifier de la régularité de la procédure de contrôle ne vise que l'année 2010; qu'en conséquence, aucun élément ne justifie les poursuites de l'URSSAF sur les périodes antérieures et postérieures à l'année 2010; que la commission de recours amiable elle-même a indiqué que le rappel des cotisations sociales obligatoires a eu lieu au terme de la procédure pénale; que la mise en demeure était nécessairement entachée de nullité puisqu'elle portait sur des périodes de cotisations indues.
L'URSSAF réplique qu'en matière de travail dissimulé, la procédure de recouvrement des cotisations redressées est mise en 'uvre indépendamment des suites pénales; que la décision rendue par le tribunal correctionnel de Blois le 28 février 2012 ayant reconnu M. [O] coupable des faits d'exécution de travail dissimulé en récidive pour l'année 2010 ne s'impose pas à l'inspecteur du recouvrement qui peut constater l'exécution d'un travail dissimulé pour les années antérieures ou postérieures; que la condamnation pénale de M. [O] pour travail dissimulé pour l'année 2010 n'empêchait pas de procéder à un contrôle supplémentaire par lequel il a été constaté du travail dissimulé sur les années 2009 et 2011.
L'article R. 243-59 alinéa 5 du Code de la sécurité sociale, dans sa version applicable, dispose:
'À l'issue du contrôle, les inspecteurs du recouvrement communiquent à l'employeur ou au travailleur indépendant un document daté et signé par eux mentionnant l'objet du contrôle, les documents consultés, la période vérifiée et la date de la fin du contrôle. Ce document mentionne, s'il y a lieu, les observations faites au cours du contrôle, assorties de l'indication de la nature, du mode de calcul et du montant des redressements envisagés.
Le cas échéant, il mentionne les motifs qui conduisent à ne pas retenir la bonne foi de l'employeur ou du travailleur indépendant. Ce constat d'absence de bonne foi est contresigné par le directeur de l'organisme chargé du recouvrement. Il indique également au cotisant qu'il dispose d'un délai de trente jours pour répondre par lettre recommandée avec accusé de réception, à ces observations et qu'il a, pour ce faire, la faculté de se faire assister d'un conseil de son choix.
En l'absence de réponse de l'employeur ou du travailleur indépendant dans le délai de trente jours, l'organisme de recouvrement peut engager la mise en recouvrement des cotisations, des majorations et pénalités faisant l'objet du redressement.'
La lettre d'observations émise par le Régime social des indépendants le 30 juillet 2012 ayant pour objet la 'recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé mentionnées à l'article L. 8221-1 et L. 8221-2 du code du travail', mentionne une fin du contrôle le 30 juillet 2012 et une période vérifiée du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011. L'inspecteur du recouvrement a précisé avoir consulté un 'Procès-verbal de travail dissimulé d'un autre corps de contrôle' pour l'établissement de la lettre d'observations ainsi rédigée:
'Suite au procès n° 00628/2011 établi par le Maréchal des logis Chef Michaud de la Brigade de Recherches de Vendôme et qui a été transmis au Parquet de Blois, au titre du travail dissimulé par dissimulation d'activité avec absence de déclaration de revenus au RSI, les redressements correspondant sont calculés ci-dessous.
Les chiffres d'affaires qui ont été relevés lors de cette enquête auprès des différents acheteurs de métaux subissent un abattement fiscal forfaitaire de 25'% afin de tenir compte de charges éventuellement supportées par le non salarié, soit:
2009
CA relevé = 27'442'€
CA retenu = 20'582'€
2010
CA relevé = 34'874'€
CA retenu = 26'156'€
2011
CA relevé = 33'074'€
CA retenu = 24'806'€'»
La mise en demeure notifiée à M. [O] le 19 décembre 2014 fait expressément référence aux chefs de redressement notifiés le 30 juillet 2012 et précise la nature, le montant et la période des cotisations et contributions réclamées, permettant au cotisant d'être pleinement informé des sommes sollicitées par l'URSSAF.
Sur invitation de la Cour, l'URSSAF a produit le procès-verbal de synthèse n° 00628/2011 établi par la brigade de recherches de Vendôme mentionnant notamment:
'Des investigations effectuées, il ressort que [O] [F] a volontairement dissimulé aux organismes sociaux et fiscaux son activité de ventes de métaux lui ayant rapportés pour 2010 un total de 34'874 euros 33.
En raison de la fréquence des ventes (340 transactions) et du tonnage vendu (162 tonnes 978), cette activité ne peut être que professionnelle.
De plus, malgré les ressources ainsi perçues illégalement et non déclarées, [O] [F] a volontairement, avec sa conjointe [E] [J], fraudé encore plus afin de percevoir indûment des allocations RSA, et CMU, montrant ainsi leur volonté de profiter au maximum des organismes sociaux'.
Le procès-verbal n° 00628/2011 servant de fondement au redressement ne mentionne donc aucune activité non déclarée sur les années 2009 et 2011, et aucun chiffre d'affaires correspondant.
Cependant, le caractère indu des cotisations réclamées relève de l'appréciation du redressement et non de sa nullité qui n'est encourue qu'en cas de violation des règles de procédure de contrôle et de garanties du cotisant, qui n'est pas démontrée. Il n'y a donc pas lieu à annulation de la mise en demeure du 19 décembre 2014 et le jugement sera confirmé sur ce point.
' Sur la prescription des sommes sollicitées:
L'appelant fait valoir qu'aux termes de l'article L. 244-3 du Code de la sécurité sociale, la mise en demeure ne peut concerner que les cotisations exigibles au cours des trois années civiles qui précèdent l'année de son envoi; qu'à la date d'envoi de la mise en demeure litigieuse le 19 décembre 2014, l'URSSAF était prescrite en sa demande de recouvrement portant sur les années 2009, 2010 et jusqu'au 19 décembre 2011.
L'URSSAF réplique qu'en application de l'article L. 244-3 du Code de la sécurité sociale dans sa version applicable au litige, la prescription applicable est de cinq ans, s'agissant d'une mise en demeure émise suite à constatation d'une infraction de travail illégal; que la mise en demeure litigieuse du 19 décembre 2014 a été émise moins de cinq années à compter des cotisations sociales les plus anciennes soit en 2009, de sorte que la prescription ne peut donc être considérée comme étant acquise.
L'article L. 244-3 du Code de la sécurité sociale, dans sa version alors applicable, dispose:
'L'avertissement ou la mise en demeure ne peut concerner que les cotisations exigibles au cours des trois années civiles qui précèdent l'année de leur envoi ainsi que les cotisations exigibles au cours de l'année de leur envoi. En cas de constatation d'une infraction de travail illégal par procès-verbal établi par un agent verbalisateur, l'avertissement ou la mise en demeure peut concerner les cotisations exigibles au cours des cinq années civiles qui précèdent l'année de leur envoi ainsi que les cotisations exigibles au cours de l'année de leur envoi'.
En l'espèce, le redressement litigieux est fondé sur le constat d'une infraction de travail dissimulé constatée par procès-verbal, de sorte que la prescription applicable est de cinq années.
La mise en demeure a été délivrée le 19 décembre 2014 et concernait les cotisations sociales exigibles en 2009, 2010 et 2011. En application de l'article L. 244-3 du Code de la sécurité sociale précité, les sommes réclamées ne sont pas prescrites, de sorte que la demande en paiement de l'URSSAF est recevable.
' Sur le bien-fondé du redressement:
L'appelant indique qu'il conteste être l'auteur de faits de travail dissimulé sur la période de 2009 à 2011; qu'il n'a été condamné à ce titre par le tribunal correctionnel de Blois que pour l'année 2010; que faisant fi du principe de présomption d'innocence, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Blois a considéré qu'il lui incombait de rapporter la preuve de l'absence de travail dissimulé sur les périodes susvisées, alors qu'il appartient à l'URSSAF d'établir l'existence d'un travail dissimulé sur cette période; que les années 2009 et 2011 n'ont fait l'objet d'aucune condamnation et les poursuites de l'URSSAF sur ces périodes étaient donc injustifiées et mal fondées, le pénal tenant le civil en l'état.
L'URSSAF explique que l'action en recouvrement des cotisations sociales ne dépend pas de la décision pénale; que la décision rendue par le tribunal correctionnel de Blois le 28 février 2012 ayant reconnu coupable le cotisant des faits d'exécution de travail dissimulé en récidive pour l'année 2010 ne s'impose pas à l'inspecteur du recouvrement qui peut constater l'exécution d'un travail dissimulé pour les années antérieures ou postérieures; que la sanction pénale et l'action en recouvrement des cotisations sociales n'ont ni le même objet ni le même fondement juridique, de sorte que la condamnation pénale de M. [O] pour travail dissimulé pour l'année 2010 n'empêche pas l'inspecteur du recouvrement de procéder à un contrôle supplémentaire par lequel il constate du travail dissimulé sur les années 2009 et 2011.
M. [O] n'a été poursuivi et condamné par le tribunal correctionnel de Blois pour l'infraction de travail dissimulé qu'au titre de l'année 2010. Il ne peut donc se prévaloir de l'autorité de chose jugée au pénal sur le civil en l'absence de saisine de la juridiction pénale au titre d'une infraction de travail dissimulé commise sur les années 2009 et 2011. En revanche, la condamnation de M. [O] pour travail dissimulé sur l'année 2010 s'impose au juge civil.
S'agissant du redressement opéré par l'URSSAF au titre des années 2009 et 2011, la lettre d'observations précitée se fonde sur le seul le procès-verbal n° 00628/2011 de la brigade de recherches de Vendôme pour établir l'existence d'un travail dissimulé et pour en évaluer le chiffre d'affaires en résultant.
Or, ce procès-verbal produit par l'URSSAF, sur demande de la Cour, ne mentionne aucune constatation relatif à l'exercice d'une activité professionnelle non déclarée par M. [O] sur les années 2009 et 2011. Le redressement opéré par l'URSSAF sur ces années n'est donc pas justifié et le jugement qui l'a validé pour son entier montant doit être infirmé.
Il convient de valider le redressement et la mise en demeure afférente à hauteur de 15'004 euros correspondant aux cotisations, contributions et majorations de retard pour l'année 2010.
' Sur la demande de délais de paiement:
En application de l'article R. 243-21 du Code de la sécurité sociale, seul le directeur de l'organisme chargé du recouvrement des cotisations a la possibilité d'accorder des échéanciers de paiement et des sursis à poursuites pour le règlement des cotisations, des pénalités et des majorations de retard.
La demande de délais de paiement formé par l'appelant sur le fondement de l'article 1343-5 du Code civil doit donc être rejetée.
' Sur les demandes accessoires:
Au regard de la solution du litige, il convient de condamner l'appelant aux dépens d'appel et de dire n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
Infirme le jugement rendu le 26 novembre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Blois sauf en ce qu'il a débouté M. [F] [O] de sa demande d'annulation de la mise en demeure en date du 19 décembre 2014;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés;
Déclare recevable la demande en paiement formée par l'URSSAF Centre Val de Loire et rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription;
Valide le redressement opéré par l'URSSAF Centre Val de Loire venant aux droits du RSI Centre et la mise en demeure délivrée le 19 décembre 2014 à l'encontre de M. [F] [O] à hauteur de 15'004 euros correspondant aux cotisations, contributions et majorations de retard pour l'année 2010;
Y ajoutant;
Rejette la demande de délais de paiement formée par M. [F] [O];
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile;
Condamne M. [F] [O] aux entiers dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,