C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE - A -
Section 1
PRUD'HOMMES
Exp +GROSSES le 24 MAI 2022 à
la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS
la SELARL RENARD - PIERNE
- AD -
ARRÊT du : 24 MAI 2022
MINUTE N° : - 22
N° RG 19/03574 - N° Portalis DBVN-V-B7D-GBZI
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TOURS en date du 05 Novembre 2019 - Section : AGRICULTURE
APPELANTE :
S.A.R.L. LE JARDIN DE RABELAIS
ZAC des Grands Clos
37420 AVOINE
représentée par Me Alexis LEPAGE de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
ET
INTIMÉ :
Monsieur [H] [J]
né le 07 Octobre 1970 à Bulgarie
37 rue du Parc - appartement 3
Appartement 3
37420 BEAUMONT EN VERON
représenté par Me Jacqueline PIERNE de la SELARL RENARD - PIERNE, avocat au barreau de TOURS
Ordonnance de clôture : 1er mars 2022
Audience publique du 15 Mars 2022 tenue par M. Alexandre DAVID, Président de chambre, et ce, en l'absence d'opposition des parties, assisté/e lors des débats de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier.
Après délibéré au cours duquel M. Alexandre DAVID, Président de chambre a rendu compte des débats à la Cour composée de :
Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre, président de la collégialité,
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre,
Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller
Puis le 24 Mai 2022, Monsieur Alexandre DAVID, président de Chambre, assisté de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
La SARL Le jardin de Rabelais exerce à Avoine, en Indre-et-Loire, une activité de maraîchage et d'exploitation agricole.
Elle a recruté M. [H] [J] en qualité d'ouvrier agricole, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée saisonnier du 3 septembre au 31 décembre 2012, qui a été prolongé, à effet du 2 janvier 2013, par un contrat à durée indéterminée, le salarié étant engagé aux mêmes fonctions, au niveau 1 de la convention collective de travail et des exploitations de polyculture et d' élevage d'Indre-et-Loire du 15 mars 1966.
Il a été affecté au service de l'entretien, de la culture, de la cueille, de la taille et du conditionnement des tomates, au sein de l'exploitation.
La durée du travail était fixée à 35 heures par semaine, avec une clause d'annualisation fixée à 1607 heures par an pour un salaire mensuel de 1425 euros.
Le salarié a fait l'objet de trois avertissements, le 20 novembre 2014 et le 30 juin 2015, pour non-respect des consignes, le 1er juillet 2016, pour comportement irrespectueux envers ses collègues, et d'une mise à pied le 7 mars 2017, pour non-respect des consignes de travail.
Le 3 janvier 2018, la SARL Le jardin de Rabelais l'a convoqué à un entretien préalable pour le 12 janvier suivant, avant de le licencier pour faute grave, le 19 janvier 2018 pour propos racistes et insultants envers un collègue, à qui il aurait dit que « les musulmans étaient tous des fainéants et des manouches' ».
Le 21 mars 2018, M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Tours, en sa section de l'agriculture, d'une action contre la SARL Le jardin de Rabelais pour :
- que le licenciement soit considéré sans cause réelle et sérieuse
-et que la société soit condamnée à lui régler les sommes de :
. 12'368,04 € de dommages-intérêts pour licenciement infondé
. 2138,22 € pour les heures supplémentaires effectuées et 213,82 € de congés payés afférents,
. 3339,54 € de repos compensateur pour 2016 et 2017,
. 3400 € de dommages-intérêts pour dépassement de la durée maximum hebdomadaire de travail,
. 1000 € de dommages-intérêts pour les avertissements disciplinaires nuls,
. 136,64 € de rappel de salaire pour la mise à pied disciplinaire injustifiée et 13,66 € de congés payés afférents ,
. 4 122,67 € d'indemnité de préavis et 412,26 € de congés payés afférents,
. 2748,45 € d'indemnité légale de licenciement,
. 2500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile .
L'employeur a conclu devant le conseil de prud'hommes au débouté de toutes ces demandes et à la condamnation du salarié à lui payer la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 5 novembre 2019, le conseil de prud'hommes de Tours, section agriculture, a :
Condamné la SARL le Jardin de Rabelais à verser à M. [H] [J] les sommes suivantes :
6.184,02 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
2.138,82 euros bruts à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires;
213,22 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés sur rappel de salaire sur heures supplémentaires ;
3.339,54 euros bruts à titre de paiement de repos compensateurs pour 2015 et 2017 ;
4.122,67 euros bruts à titre d'indemnité de préavis ;
412,27 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés sur préavis ;
2.748,45 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
1.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Rappelé que l'exécution provisoire est de droit pour les créances salariales qui seront assorties des intérêts légaux à compter du 23 mars 2018 et fixe à la somme brute de 2.061,34 euros brut sur la base mensuelle des salaires prévue à l'article R.4154-28 du Code du travail.
Ordonné l'exécution provisoire du jugement sur le fondement de l'article 515 du Code de procédure civile sur la totalité des dommages et intérêts, soit la somme de 6.184,02 euros, et de consigner le montant de ladite somme au Pôle de gestion des consignations de Nantes dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement, et de communiquer à M. [H] [J] la justification de cette consignation.
Dit que la somme consignée sera rendue disponible au profit de qui de droit par l'effet de l'épuisement des voies de recours.
Ordonné à la SARL le Jardin de Rabelais de remettre à M. [H] [J] [H] les documents suivants conformes à la présente décision :
Le bulletin de salaire relatif aux créances salariales susvisées ;
L'attestation Pôle emploi ;
Et ce sous astreinte de 100 euros par document et par jour de retard à compter du 20ème jour suivant la notification du jugement.
S'est réservé la faculté de liquider l'astreinte.
Débouté M. [H] [J] du reste de ses demandes.
Débouté la SARL le Jardin de Rabelais de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamne aux entiers dépens d'instance.
Le 19 novembre 2019, la SARL Le jardin de Rabelais a interjeté appel de cette décision, par voie électronique.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions remises au greffe par voie électronique le 9 avril 2020 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la SARL le Jardin de Rabelais demande à la cour de :
Dire et juger que la SARL le Jardin de Rabelais est recevable et bien fondée en son appel à l'encontre du jugement du Conseil de prud'hommes de Tours du 5 novembre 2019,
Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du Conseil de prud'hommes de Tours du 5 novembre 2019, sauf en ce qu'il a débouté M. [H] [J] de sa demande de dommages et intérêts au titre du dépassement de la durée légale hebdomadaire maximum de travail, et en ce qu'il l'a débouté de sa demande tendant à l'annulation des avertissements notifiés à son encontre ;
Débouter M. [H] [J] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Condamner M. [H] [J] d'avoir à verser à la concluante la somme de 4.000,00 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner M. [H] [J] aux entiers dépens.
La SARL Le jardin de Rabelais critique le jugement déféré, qui n'a pas tenu compte des pièces probantes produites et de la rémunération effective versée pour les heures supplémentaires, comme le salarié le reconnaît à hauteur de 10'682,09 € .
Selon elle, la mise en 'uvre de l'annualisation est intervenue avant que la société bénéficie de la présence d'un délégué du personnel ou de celle d'un comité d'entreprise.
Un avenant à l'accord collectif du 14 mars 2002 a été régularisé entre la société et Madame [V], dûment habilitée par la CFDT, qui porte sur l'annualisation du temps de travail, et a été notifié à l'inspecteur du travail le 2 avril 2002, en sorte qu'aucun manquement ne peut lui être reproché.
En outre, un programme de modulation a bien été conçu par l'entreprise et affiché comme elle en justifie, ce qui a permis aux salariés de connaître les périodes de grand ou de faible temps d' activité, plusieurs semaines ou plusieurs mois avant leur exécution.
Sur les sanctions, elle souligne qu'il existait bien un règlement intérieur, régulièrement affiché au tableau prévu à cette fin, en sorte qu'il reste opposable à l'ensemble du personnel. Au fond, le salarié n'en a jamais critiqué ni le fondement, ni leur matérialité.
Sur le licenciement, elle soutient que les faits reprochés ne concernent pas seulement ceux du 22 décembre 2017, en sorte que le licenciement reste bien fondé sur l'ensemble des éléments qui ont fait grief.
L'enquête, à laquelle le CHSCT a procédé, a conclu à la réalité et à la véracité des insultes à caractère religieux proférées par M. [J] à l'égard de M. [C] et confirmées par diverses attestations de salariés de l'entreprise.
Vu les dernières conclusions remises au greffe par voie électronique le 28 janvier 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [H] [J], relevant appel incident, demande à la cour de :
A titre principal, confirmant le jugement dans son principe mais le réformant dans son quantum :
Dire le licenciement intervenu dépourvu de cause réelle sérieuse ;
Condamner la SARL le Jardin de Rabelais à payer à M. [H] [J] une somme de 12 368,04 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En toute occurrence confirmant le jugement,
Condamner la SARL le Jardin de Rabelais à payer à M. [H] [J] les sommes de :
2 138,22 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires ;
213,82 euros au titre des congés payés afférents ;
3 339,54 euros au titre des repos compensateurs 2016 et 2017 ;
4 122,67 à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
412,27 euros au titre des congés payés afférents ;
2 748,45 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;
1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Subsidiairement,
Constater l'absence de gravité de la faute reprochée ;
Réformant le jugement entrepris,
Prononcer la nullité de l'avertissement en date du 1er juillet 2016 et de la mise à pied à titre disciplinaire en date du 7 mars 2017 ;
Condamner également la SARL le Jardin de Rabelais à payer à M. [H] [J] :
3 400 euros à titre de dommages-intérêts pour dépassement de la durée du travail hebdomadaire maximale ;
1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour sanctions disciplinaires nulles
136,64 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied disciplinaire injustifiée ;
13,66 euros au titre des congés payés afférents ;
Pour la procédure en cause d'appel,
Condamner la SARL le Jardin de Rabelais à payer à M. [H] [J] une somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ordonner la remise d'un certificat de travail, d'une attestation pôle emploi et des bulletins de salaire afférents rectifiés, avec reprise de l'ancienneté au 3 septembre 2012 sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document, à compter de la notification de la décision à intervenir,
Sur le temps de travail, M. [H] [J] relate que les heures supplémentaires n'étaient payées qu'en une seule fois, à l'occasion de la paie d'octobre, ce qui permettait à l'employeur de ne pas appliquer la majoration légale à 50 %, mais seulement celle à 25 %.
L'accord de l'annualisation du temps de travail lui est inopposable dès lors que la société n'a pas consulté les représentants du personnel à cet égard.
L'accord versé aux débats ne prévoit nullement le système d'annualisation mais seulement une modélisation classique du temps de travail.
En outre, la société n'a pas prévu de programme de modulation selon l'article 10-4 de l'accord qui doit également être soumis au conseil d'établissement ou au représentant du personnel, ce qui n'est pas justifié en l'occurrence.
En conséquence, les heures supplémentaires seront dues, ainsi que les repos compensateurs y afférents.
En outre, il affirme avoir dépassé régulièrement la durée maximale du travail hebdomadaire de 48 heures, 6 fois en 2016, et 11 fois en 2017.
Sur les sanctions disciplinaires, il affirme n'avoir pas eu connaissance du règlement intérieur, en sorte que les sanctions doivent être annulées alors que les preuves restent défaillantes :
- l'avertissement du 1er juillet 2016 reste très imprécis et ne lui permet pas de se défendre utilement,
- la mise à pied disciplinaire du 7 mars 2017 ne résiste pas à l'analyse, alors qu'il n'était pas au volant du camion qui a endommagé un bâtiment et que cette sanction n'analyse pas le comportement défaillant qu'il aurait eu, à cet égard.
Sur le licenciement, il conteste les accusations de l'employeur alors que, le jour des faits dénoncés, c'est lui-même qui a été agressé par M. [N] [C], et par ailleurs l'employeur reste défaillant à démontrer la faute alléguée.
Quant aux attestations fournies par la société, elles s'avèrent de pure complaisance et ne peuvent donc être retenues, alors qu'elles n'évoquent nullement les faits incriminés du 22 décembre 2017, seuls cités dans la lettre de licenciement, qui fixent les limites du litige.
L'enquête qu'aurait diligentée la société n'a, en réalité, jamais eu lieu et le CHSCT n'a jamais été consulté dans cette optique.
À titre subsidiaire, l'existence de cette faute ne présente pas le degré de gravité correspondant une faute grave alors qu'il n'a pas fait l'objet d'une mise à pied conservatoire.
Enfin, son ancienneté doit remonter au début du contrat à durée déterminée, soit au total cinq ans et quatre mois et il lui est dû une indemnité de préavis et une indemnité légale de licenciement.
Une ordonnance de clôture a été rendue le 1er mars 2022, renvoyant la cause et les parties à l'audience des plaidoiries du 15 mars suivant.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La notification du jugement est intervenue le 6 novembre 2019, en sorte que l'appel principal de la société, régularisé le 19 novembre suivant à ce greffe, dans le délai légal d'un mois, s'avère recevable en la forme, comme l'appel incident de M. [J], sur le fondement des dispositions de l'article 550 du code de procédure civile.
Sur le litige concernant le temps de travail
A) Sur l'opposabilité de l'accord d'annualisation du temps de travail au salarié
Le temps de travail du salarié était annualisé, comme le précise son contrat de travail conclu le 2 janvier 2013 et ce, conformément à l'accord national du 23 décembre 1981 sur la durée du travail dans les exploitations et entreprises agricoles.
Dans sa rédaction issue de l'avenant n° 16 du 13 novembre 2008, l'article 10-4 prévoit que :
- L'horaire de 35 heures peut être modulé en vue d'adapter la durée effective du travail à la nature de l'activité ;
- L'annualisation est organisée dans le cadre d'une période au maximum égale à 12 mois consécutifs au cours de laquelle les heures de modulation effectuées au-delà de 35 heures par semaine doivent être compensées par des heures de repos appelées heures de compensation ;
- Le nombre d'heures de modulation susceptibles d'être effectuées tous les ans est limité à 250. Cependant ce nombre annuel maximum d'heures de modulation peut être majoré par convention ou accord collectif dans les entreprises de moins de 50 salariés par accord avec le ou les délégués du personnel, dans la limite de 100 heures au maximum ;
- L'employeur qui met en 'uvre l'annualisation de l'horaire de travail doit établir une programmation et tenir des comptes individuels de compensation, conformément aux dispositions de l'annexe II de l'accord.
Cette annexe II prévoit qu'avant de décider la mise en 'uvre de l'annualisation, l'employeur doit consulter le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, s'ils existent. En tout état de cause, la décision prise doit être portée à la connaissance du personnel, par voie d'affichage un mois avant le début de la période d'annualisation.
En l'espèce, la SARL Le jardin de Rabelais verse aux débats l'avenant du 14 mars 2002 à l'accord collectif du 21 octobre 1998 sur l'aménagement et la réduction du temps de travail. Cet avenant, signé par Mme [V], habilitée à cet effet par l'organisation syndicale CFDT, a été transmis le 2 avril 2012 à l'inspecteur du travail.
L'employeur justifie donc d'un accord d'entreprise conforme aux dispositions de l'accord national du 23 décembre 1981.
B) Sur l'absence de programme de modulation
Aux termes de l'annexe II de l'accord précité du 23 décembre 1981, pris en son paragraphe III, « avant le début de la période d'annualisation, l'employeur établit pour la collectivité des salariés concernés un programme indiquant l'horaire indicatif correspondant aux travaux à réaliser pendant la période considérée. Ce programme peut être modifié en cours d'annualisation.
Ce programme doit préciser les points suivants :
- la formule d'annualisation choisie,
- la collectivité de salariés concernés,
- la période d'annualisation retenue,
- les périodes de grande activité, pendant lesquelles l'horaire de travail est supérieur à la durée hebdomadaire de 35 heures,
- les périodes d'activité réduite ou nulle, pendant lesquelles l'horaire de travail est inférieur à la durée hebdomadaire de 35 heures,
- les périodes pendant lesquelles l'horaire est égal à la durée hebdomadaire de 35 heures,
- l'horaire indicatif correspondant à chacune de ces périodes [...]
Le programme indicatif d'annualisation est soumis à la consultation du comité d'entreprise ou à défaut des délégués du personnel s'ils existent et est porté à la connaissance du personnel par voie d'affichage au moins une semaine à l'avance. Un exemplaire du document affiché est transmis à l'inspecteur du travail ».
Il ressort d'un ordre du jour de la réunion du comité d'entreprise du 21 septembre 2012 qu'il existait des délégués du personnel, Mme [O] [E] et Mme [X] [Z].
Or, la SARL Le jardin de Rabelais ne justifie pas qu'un programme indicatif de la répartition de la durée du travail ait été établi et soumis aux institutions représentatives du personnel au cours de la période sur laquelle porte la demande de rappel d'heures supplémentaires. En effet, l'employeur produit des attestations de membres du personnel indiquant qu'il était établi des plannings de travail et de vacances mais non le planning d'annualisation présenté au comité d'entreprise ou aux représentants du personnel mentionnant, pour chaque période de l'année, l'horaire indicatif de travail.
Par conséquent, l'accord d'annualisation est privé d'effet et le salarié peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires décomptées sur la base de 35 heures hebdomadaires (Soc., 2 juillet 2014, pourvoi n° 13-14.216, Bull. 2014, V, n° 173).
C) Sur le paiement des heures supplémentaires
Le salarié présente un état récapitulatif des heures effectuées sur la période de travail non prescrite. Il évalue sa créance à la somme de 12'820,31 €. Il ajoute que l'employeur lui a réglé des heures supplémentaires en octobre 2015, octobre 2016 et octobre 2017 pour un total de 10'682,09 € brut. En conséquence, il estime que l'employeur lui est redevable des sommes de 2138,22 € brut à titre de rappel de salaire et de 213,82 € brut au titre des congés payés afférents.
Au vu des éléments produits par l'une et l'autre des parties, il y a lieu, par voie de confirmation du jugement, de fixer à ces montants la créance du salarié au titre des heures supplémentaires et de condamner l'employeur au paiement de ces sommes.
D) Sur les repos compensateurs
M. [J] a effectué
- 237 heures 25 supplémentaires entre mars et décembre 2015 soit 17h25 au-delà du contingent annuel pour une valeur horaire de 9,61 €,
- 363 heures supplémentaires en 2016 , soit 143 heures au-delà du contingent annuel pour une valeur horaire de 9,67 €,
- 403 h 50 supplémentaires en 2017 soit 183 heures 50 au-delà du contingent annuel pour une valeur horaire de 9,76 €.
Par voie de confirmation du jugement, il y a lieu de condamner la SARL Le jardin de Rabelais à verser à M. [H] [J] la somme de 3 339,54 euros au titre des repos compensateurs.
Sur le dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail
L'article L. 3121-20 du code du travail dispose qu'au cours d'une même semaine, la durée maximum hebdomadaire de travail est de 48 heures. Il s'agit d'une disposition d'ordre public.
Il résulte des pièces 8 à 10 du salarié que cette durée a été dépassée à plusieurs reprises, notamment :
- la troisième semaine de février 2016,
- la troisième semaine de mars 2016,
-les deuxième et cinquième semaine d'avril 2016,
- la quatrième semaine de juin 2016 et la deuxième semaine de septembre 2016
ainsi que
-la cinquième semaine de mars 2017,
-les deuxième, troisième et quatrième semaines d'avril 2017,
-les première, troisième et quatrième semaines de mai 2017,
-les deuxième, troisième et quatrième semaines de juin 2017,
-la deuxième semaine de juillet 2017,
soit un total de 17 semaines au cours desquelles la durée maximale hebdomadaire de travail a été dépassée.
Par voie d'infirmation du jugement, Il y a lieu de condamner la SARL Le jardin de Rabelais à payer à M. [H] [J] la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice subi de ce chef.
Sur la demande d'annulation des sanctions disciplinaires
Le salarié se réfère aux dispositions de l'article L. 1333-1 du code du travail qui dispose que l'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments, et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute existe, il profite au salarié.
Il importe peu que M. [H] [J] ait ou non contesté, pendant le cours de la relation de travail, l'avertissement du 1er juillet 2016 et la mise à pied disciplinaire du 7 mars 2017.
L'avertissement du 1er juillet 2016 (pièce n° 5 du dossier de l'employeur) concerne « son comportement vis-à-vis de certains collègues signalé comme irrespectueux. Nous avons déjà abordé ce sujet avec vous et nous constatons aujourd'hui que vous ne tenez pas compte des remarques faites par M. et Madame [I].
Nous ne pouvons tolérer des écarts de langage, des comportements irrespectueux entre collègues de travail dans l'entreprise. L'attitude que vous avez et votre comportement nous amène à vous notifier un avertissement. »
Trois collègues ont attesté le 11 octobre 2018 que « M. [J] avait une attitude hautaine, il a insulté par les mots « vils musulmans vous n'êtes bons à rien, vous ne savez rien faire » ou encore « qu'il créait des problèmes chaque mois, il m'insultait en me traitant de' fomak coupé » ou encore « il me traitait d'ordure tout le temps, il nous a injuriés chaque jour devant les collègues et nous traitait de tziganes' ».
Cependant, la cour constate qu'il s'agit de propos rapportés dont la date n'est pas indiquée. Il n'est pas établi que les salariés ayant attesté étaient présents dans l'entreprise avant le 1er juillet 2016. Dans ces conditions, le doute doit profiter à M. [J] et cet avertissement sera donc annulé.
La mise à pied disciplinaire du 7 mars 2017 concerne « le fait de ne pas respecter les consignes de travail imposées : le 17 février 2017, vous deviez guider et accompagner le transporteur dans la conduite de ses man'uvres dans le conditionnement de la serre 6 à Savigny en Verron. Ce jour-là, vous n'avez pas appliqué les consignes données et le camion, suite à vos instructions, a endommagé un bâtiment neuf pour lequel l'entreprise va devoir entreprendre des réparations' en conséquence nous vous demandons de ne pas vous présenter à l'entreprise les 14 et 15 mars 2017 ».
La mise à pied n'explicite nullement quelle est exactement la faute commise par le salarié, ni quelles ont été les consignes données qui n'auraient pas été suivies, ni même dans quelles circonstances le camion a heurté un immeuble neuf.
De surcroît, aucune pièce ne permet d'établir la matérialité des faits ayant justifié le prononcé de cette mise à pied. Il y a lieu d'annuler cette sanction.
Le jugement est infirmé de ces chefs. Il y a lieu de condamner l'employeur à payer au salarié les sommes de 200 € au titre du préjudice subi du fait de ces sanctions injustifiées et de 136,64 € brut à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied de deux jours, outre 13,66 € brut au titre des congés payés afférents.
Sur le bien-fondé du licenciement pour faute grave
La lettre de licenciement du 19 janvier 2018, qui fixe les limites du litige, énonce :
« Lors de notre entretien du vendredi 12 janvier 2018 [...] nous vous avons exposé les raisons pour lesquelles nous avons envisagé votre licenciement et nous avons écouté vos explications.
Celles-ci ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation de la situation et nous vous informons que nous avons pris la décision de vous licencier pour faute grave. Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement fautif.
En effet, le 22 décembre 2017 à 16 heures, vous avez eu des propos racistes et insultants vis-à-vis de M. [N] [C]. À ce titre et selon témoins, vous avez insulté M. [C] dans les termes suivants : « les musulmans sont tous des fainéants, les musulmans sont tous des manouches. »
Or, vous avez été embauché en qualité d'ouvrier agricole le 2 janvier 2013. À ce titre vous avez notamment pour fonction d'exécuter un emploi de manutentionnaire au niveau 1.
Ainsi il vous appartient de vous conformer aux instructions et consignes qui vous sont données afin notamment de garantir le bon fonctionnement des engins et manoeuvres en travaillant avec vos collègues de manière respectueuse sans discrimination de races, de sexe et de religion ».
Contrairement à ce que soutient la société, celle-ci n'a envisagé, au soutien de la faute grave, que les faits du 22 décembre 2017, la lettre de licenciement précisant expressément « nous avons eu à déplorer de votre part un agissement fautif ». L'employeur se borne à relever qu'il ne peut « malheureusement que prendre note de la plupart des accusations » d'autres salariés car il a, par le passé averti et sanctionné M. [H] [J], pour des écarts de langage et comportements irrespectueux envers des collègues.
Il n'est versé aux débats aucune pièce relative aux faits qui se seraient déroulés le 22 décembre 2017 et que l'employeur impute au salarié.
Dans ses conclusions pages 15, M. [J] « conteste formellement avoir tenu un quelconque propos injurieux ou raciste à l'encontre de M. [C] ».
En pièce 22 de la société, un cadre, M. [S] [F] atteste, le 11 octobre 2018 « avoir été alerté, à plusieurs reprises par les salariés de l'entreprise sur le comportement irrespectueux de M. [J]. Des insultes à propos de la religion et de la race ont été à plusieurs fois, évoquées par les personnes qui sont venues me voir en tant que membre du CHSCT.' Il s'agit d'une attestation référendaire vague et qui ne précise pas les faits ni leur date. Elle ne pourra être retenue.
Le certificat médical du 22 décembre 2017 du Docteur [L] énonce « avoir examiné ce jour M. [J] qui se plaint d'avoir reçu un coup de poing au visage et d'avoir perdu connaissance. Il se plaint d'une douleur au nez et à la pommette gauche. À l'examen, 'dème pouvant correspondre un coup de poing. Pas d'incapacité totale de travail. ».
Le salarié a déposé plainte le 24 décembre 2017 à la gendarmerie de Chinon pour violences subies sur son lieu de travail le 22 décembre 2017 vers 15h30.
L'enquête réalisée par le CHSCT suite à l'altercation du 22 décembre 2017 (pièce n° 9 du dossier de l'employeur) ne permet pas d'établir la matérialité des propos imputés à M. [H] [J], l'enquêteur s'étant contenté de rapporter les propos de M. [C].
A supposer que la lettre de licenciement énonce un grief distinct tiré de ce que « d'autres salariés se plaignent de vos propos irrespectueux, injurieux, racistes et diffamatoires », ce grief n'est pas étayé par les pièces versées aux débats, qui ne permettent de déterminer ni la date de commission des agissements imputés à M. [H] [J] ni les circonstances de ceux-ci.
La matérialité des griefs énoncés dans la lettre de licenciement n'est pas établie. Par voie de confirmation du jugement, il y a lieu de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A) Sur l'indemnité de préavis
Conformément à l'article L.1234-1 du code du travail, la durée du préavis est de deux mois puisque le salarié avait cinq ans complètes d'ancienneté au sein de l'entreprise.
Il y a lieu de fixer l'indemnité de préavis en considération des sommes que le salarié aurait perçues s'il avait travaillé durant cette période, soit à 4 122,67 € brut outre 412,27 € brut au titre des congés payés afférents. Il y a lieu, par voie de confirmation du jugement, de condamner l'employeur au paiement de ces sommes.
B) Sur l'indemnité légale de licenciement
Eu égard aux dispositions de l'article L. 1234-9 et R. 1234-1du code du travail et au temps passé au sein de l'entreprise, il y a lieu, par voie de confirmation du jugement, de condamner l'employeur au paiement d'une somme de 2748,45 € à titre d'indemnité légale de licenciement.
C) Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls, le barème ainsi institué n'est pas applicable, permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi.
Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail.
M. [H] [J] a acquis une ancienneté de cinq années complètes au moment de la rupture dans la société employant habituellement au moins onze salariés. Le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est compris entre trois et six mois de salaire.
Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 21-14.490, FP-B+R).
Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à retrouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'elles résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de condamner la SARL Le jardin de Rabelais à payer à M. [H] [J] la somme de 6184,02 € euros brut à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement est confirmé de ce chef, sauf à préciser que l'indemnité allouée l'est en brut.
Sur la demande de remise des documents de fin de contrat
Il convient d'ordonner à la SARL Le jardin de Rabelais de remettre à M. [H] [J] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un ou plusieurs bulletins de paie conformes aux dispositions du présent arrêt et avec mention d'une ancienneté à compter du 3 septembre 2012, et ce dans un délai d'un mois à compter de sa signification. Il n'y a pas lieu d'assortir cette obligation d'une astreinte.
Sur l'article L. 1235-4 du code du travail
Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du même code qui l'imposent et sont donc dans le débat, d'ordonner d'office à l'employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de six mois d'indemnités
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dépens de première instance et d'appel sont à la charge de l'employeur, partie succombante.
Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a alloué au salarié la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il paraît inéquitable de laisser à la charge du salarié l'intégralité des sommes avancées par lui et non comprises dans les dépens. Il lui sera alloué la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure d'appel. L'employeur est débouté de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
Infirme le jugement rendu le 5 novembre 2019 entre les parties par le conseil de prud'hommes de Tours mais seulement en ce qu'il a débouté M. [H] [J] de ses demandes au titre de l'annulation de l'avertissement du 1er juillet 2016 et de la mise à pied disciplinaire du 7 mars 2017 ainsi que sa demande de dommages-intérêts pour dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Annule l'avertissement du 1er juillet 2016 et la mise à pied disciplinaire du 7 mars 2017 ;
Condamne la SARL Le jardin de Rabelais à payer à M. [H] [J] les sommes de :
- 200 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par ces sanctions injustifiées,
- 136,64 € brut à titre de rappel de salaire sur mise à pied, outre 13,66 € brut au titre des congés payés afférents,
- 1 000 € à titre de dommages-intérêts pour dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail ;
Dit que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse allouée par le conseil de prud'hommes est exprimée en brut ;
Ordonne à la SARL Le jardin de Rabelais de remettre à M. [H] [J] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un ou plusieurs bulletins de paie conformes aux dispositions du présent arrêt et avec mention d'une ancienneté à compter du 3 septembre 2012, et ce dans un délai d'un mois à compter de sa signification ;
Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;
Ordonne le remboursement par la SARL Le jardin de Rabelais à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [H] [J] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de six mois d'indemnités de chômage ;
Condamne la SARL Le jardin de Rabelais à payer à M. [H] [J] la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande à ce titre ;
Condamne la SARL Le jardin de Rabelais aux dépens de l'instance d'appel.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre et par le greffier
Fanny ANDREJEWSKI-PICARD Alexandre DAVID