C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE - A -
Section 2
PRUD'HOMMES
Exp +GROSSES le 19 MAI 2022 à
la SAS ENVERGURE AVOCATS
la SCP LCDD AVOCATS, LISON-CROZE, DEBENEST, DEVILLERS
-XA-
ARRÊT du : 19 MAI 2022
MINUTE N° : - 22
N° RG 19/03837 - N° Portalis DBVN-V-B7D-GCIO
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TOURS en date du 25 Novembre 2019 - Section : INDUSTRIE
APPELANTE :
S.A.S. JAYBEAM WIRELESS
ZI la Boitardière
Chemin du Roy
37400 AMBOISE
représentée par Me Pierre GEORGET de la SAS ENVERGURE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
ET
INTIMÉE :
Madame [B] [D]
née le 05 Février 1979 à BUCAREST
35 Rue Jules Gautier
37530 SAINT OUEN LES VIGNES
représentée par Me Amaury DEVILLERS de la SCP LCDD AVOCATS, LISON-CROZE, DEBENEST, DEVILLERS, avocat au barreau de TOURS
Ordonnance de clôture : 15 MARS 2022
Audience publique du 31 Mars 2022 tenue par Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller, et ce, en l'absence d'opposition des parties, assisté lors des débats de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier,
Après délibéré au cours duquel Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller a rendu compte des débats à la Cour composée de :
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,
Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre,
Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller.
Puis le 19 Mai 2022, Madame Laurence Duvallet, présidente de Chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
La société MAT Equipement, aujourd'hui dénommée société Jaybeam Wireless (SAS), a engagé Mme [B] [D] à compter du 6 septembre 2004 en qualité d'assistante administrative bilingue.
Elle a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 6 octobre 2016.
Mme [D] a été convoquée le 22 décembre 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 9 janvier 2018.
Par lettre du 12 janvier 2018, Mme [D] était licenciée pour absence prolongée et désorganisation de l'entreprise.
Mme [D] a saisi le conseil des prud'hommes de Tours, par requête 13 juillet 2018, aux fins de voir juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et obtenir une indemnité à ce titre.
Par jugement du 25 novembre 2019, le conseil de prud'hommes de Tours a :
-Jugé le licenciement de Mme [D] sans cause réelle et sérieuse ;
-Condamné la société Jaybeam Wireless à verser à Mme [D] les sommes suivantes :
-24 400 € nets au titre des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
-1200 € nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile
-Ordonné d'office, en application des dispositions de l'alinéa 2 de l'article L.1235-4 du code du travail, le remboursement pour la partie défenderesse aux organismes concernés, des indemnités éventuellement perçues par la partie demanderesse du jour de son licenciement au jour du jugement, six mois d'indemnités de chômage
-ordonné l'exécution provisoire
-débouté la société Jaybeam Wireless de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile
-condamné celle-ci aux dépens ;
La société Jaybeam Wireless a relevé appel de cette décision par déclaration formée par voie électronique 10 décembre 2019.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions remises au greffe par voie électronique le 6 mars 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Jaybeam Wireless demande à la cour de :
-Infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Tours
-en conséquence, statuant à nouveau,
-à titre principal, dire et juger que le licenciement repose bien sur une cause réelle et sérieuse et débouter Mme [D] de ses demandes
-condamner Mme [D] à payer à la société Jaybeam Wireless une indemnité de 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens
-à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour estimerait que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,
-vu l'article L.1235-3 du code du travail, fixer à 6545,45 € le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
-débouter Mme [D] de toutes plus amples demandes
Vu les dernières conclusions remises au greffe par voie électronique le 2 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [D], relevant appel incident, demande à la cour de :
-déclarer l'appel de la société Jaybeam Wireless irrecevable et en tous les cas mal fondé
-confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions
-en conséquence, juger que le licenciement de Mme [D] est abusif
-condamner la société Jaybeam Wireless à payer à Mme [D] la somme de 24 400 € nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
-débouter la société Jaybeam Wireless de toutes ses demandes
-la condamner à lui payer la somme de 3500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur le licenciement
Si l'article L.1132-1 du code du travail prohibe le licenciement d'un salarié en raison de son état de santé, le licenciement peut être motivé non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise qui se trouve dans la nécessité de pourvoir au remplacement définitif d'un salarié dont l'absence prolongée ou les absences répétées perturbent le fonctionnement.
L'article L.1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
L'article 64 de la convention collective de la métallurgie d'Indre-et-Loire prévoit que : " l'employeur sera fondé à rompre le contrat de travail lorsque les absences du salarié du fait de leur fréquence ou du fait de leur durée prolongée, désorganisent l'entreprise et nécessitent le remplacement effectif de l'intéressé. La rupture en raison de l'absence prolongée ne pourra pas intervenir tant que le salarié n'aura pas épuisé ses droits aux indemnités complémentaires de maladie prévues par la convention collective et au plus tôt à l'expiration d'un délai de trois mois après le début de l'absence résultant de la maladie de l'accident "
La lettre de licenciement est libellée comme suit : " en raison de la désorganisation engendrée par votre absence prolongée, et la nécessité de vous remplacer de façon définitive pour un temps complet, il ne nous est malheureusement pas possible d'attendre plus longtemps votre retour dans votre emploi d'assistante administration des ventes au sein de l'entreprise. Des intérimaires se sont succédés, nécessitant chaque fois une formation très significative aux produits, aux clients et aux systèmes informatiques, sans pour autant que nous ayons réussi à pérenniser leur emploi puisque vous êtes prolongés en arrêt maladie de mois en mois. Nous avons décidé et sommes parvenus, cette fois, à recruter un assistant commercial export en CDI et à temps complet. Cette embauche nous permet désormais de répondre aux demandes de notre clientèle dans les délais normaux, allège la surcharge permanente supportée par les deux assistantes commerciales depuis de nombreux mois, notamment du fait des commandes d'accessoires de site qui connaît un succès grandissant, évite davantage de compromettre le traitement de nos commandes et la bonne relation avec nos clients. Après réflexion, nous avons donc décidé de vous licencier pour absence maladie prolongée et désorganisation de l'entreprise "
La société Jaybeam Wireless expose que les conditions posées au licenciement en raison de l'absence prolongée de Mme [D] sont en l'espèce remplies.
Selon la société :
-le délai de garantie d'emploi de 125 jours a été respecté, Mme [D] étant arrêtée depuis le 7 octobre 2016 jusqu'à ce que la procédure de licenciement soit engagée, ce dont convient Mme [D],
-la perturbation de l'entreprise, qui doit être appréciée in concreto, résulte de ce que Mme [D] appartenait à une équipe de 3 assistantes du service administration des ventes, essentiel au bon fonctionnement de l'entreprise et de ce que ses 2 collègues ne pouvaient sur une période aussi longue la remplacer, d'autant qu'en 2016/2017, l'entreprise a dû faire face à un surcroît d'activité, celle de la vente de câbles et d'accessoires de site qui a été développée, s'ajoutant à celle de vente d'antennes-relais. Un changement de logiciel pour la partie commerciale de l'entreprise a été mis en place, avant l'arrêt de travail pour maladie de Mme [D] ce qui a conduit à une embauche qui n'a pas pu être pérennisée, en sorte qu'il a fallu recourir à des intérimaires en raison du surcroît d'activité créé par le changement de logiciel. Enfin, plusieurs intérimaires ont également dû être engagés pour remplacer Mme [D], son retour n'étant pas annoncé.
-le remplacement définitif de Mme [D] par un contrat à durée indéterminée a été effectif par l'embauche de M. [U] en contrat à durée indéterminée et à temps plein, le conseil de prud'hommes ayant, par erreur selon l'employeur, retenu que M. [U] n'avait pas le même rattachement fonctionnel que Mme [D].
Mme [D] soutient que :
-la condition liée à la garantie d'emploi de 125 jours est remplie,
-la perturbation pour l'entreprise créée par son absence n'est pas établie, pas plus que le caractère essentiel du service auquel elle appartenait. Mme [D] relève une baisse d'activité de l'entreprise et qu'il a été nécessaire de recourir au chômage partiel, remarque que si l'activité de vente de câbles et d'accessoires, créée il y avait 6 ans, se développait, elle compensait seulement celle d'antennes-relais et que le changement de système informatique date de 2014. Elle rappelle que le site compte environ 200 salariés et que son service était composé de deux autres assistantes commerciales et une responsable, qui étaient en capacité de prendre en charge ses dossiers, ajoutant que son remplacement ne posait aucune difficulté, notamment par des intérimaires, relevant que ceux qui ont été embauchés pendant son absence ne l'ont pas été pour la remplacer, à l'exception de Mme [E], pendant 3 jours seulement. Enfin, elle relève que les intérimaires engagés, puis M. [U], ne la remplaçaient que pour partie.
La cour relève que Mme [D] était absente, lors de son licenciement, depuis un an et trois mois.
Les pièces produites font état de ce que :
- le service de l'administration des ventes était composé de trois assistantes, dont Mme [D], et une responsable,
- Mme [H]-[S] a été embauchée en sus depuis le 17 mai 2016 pour suppléer la responsable du service " mobilisée sur la mise en place su logiciel EPICOR ",
- Mme [H]-[S] a quitté la société le 31 décembre 2016, le service fonctionnant alors à deux personnes, outre la responsable,
- Mme [E] a été engagée le 22 février 2017, et figure à l'organigramme de la société comme appartenant au service " administration des ventes " auquel appartenait Mme [D],
- le contrat de travail à durée déterminée signé par Mme [E] mentionne le " surcroît d'activité occasionné par la migration de BANN vers EPICOR ", ce qui démontre que celle-ci n'a d'abord été engagée que pour remplacer Mme [H]-[S],
- à compter du contrat à durée déterminée du 9 mai 2017, Mme [E] est officiellement engagée pour remplacer Mme [D] " pour partie des tâches ", jusqu'au 12 mai 2017,
- M. [U] est engagé, à compter du 6 juin 2017, en contrat à durée déterminée en tant qu'assistant logistique export, " pour remplacer partiellement Mme [D] ", jusqu'au 31 août 2017,
- M. [U] est engagé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2017 en qualité d'assistant commercial export.
Il résulte de ces éléments que le service de Mme [D] a continué de fonctionner pendant de nombreux mois avec ses deux seules collègues et un(e) intérimaire.
Si au départ, le recours à cet(te) intérimaire était motivé par un surcroît d'activité créé par l'installation du nouveau logiciel EPICOR, la nécessité de remplacer Mme [D], au moins partiellement, est apparue à compter du 9 mai 2017.
Ce sont donc bien les deux collègues titulaires de Mme [D] qui ont ,depuis son absence, accompli les tâches qui lui étaient dévolues, aidées partiellement d'un(e) intérimaire à partir du printemps 2017.
Cette situation, dans un service restreint dévolu aux ventes, et donc aux ressources de l'entreprise, ne pouvait perdurer avec le recours systématique à des contrats précaires, engendrant un turn-over permanent, d'autant que la société Jaybeam Wireless justifie de ce que ses ventes de câbles et accessoires de site ont augmenté entre 2016 et 2017 et que les difficultés rencontrées par l'entreprise, dont Mme [D] se prévaut, imposaient justement que le service des ventes ne soit pas fragilisé par son absence. La réalité des perturbations créées par cette absence est démontrée. Le remplacement définitif de Mme [D] s'imposait donc.
En septembre 2017, M.[U] a été embauché dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée au même poste d'assistant commercial que celui de Mme [D]. Il était " rattaché fonctionnellement au responsable administration des ventes ", comme Mme [D], même s'il était " rattaché hiérarchiquement au directeur Supply Chain Europe ". Il remplaçait donc définitivement Mme [D].
L'ensemble des conditions posées par la convention collective étant remplies, le licenciement de Mme [D] apparaît pourvu d'une cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions, y compris de celle prononcée au titre de l'article L.1235-4 du code du travail et Mme [D] débouté de l'ensemble de ses demandes.
- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
La solution donnée au litige ne commande pas de prononcer une condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile, Mme [D] étant néanmoins condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu entre Mme [B] [D] et la société Jaybeam Wireless, le 25 novembre 2019, par le conseil de prud'hommes de Tours en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que licenciement de Mme [B] [D] est pourvu d'une cause réelle et sérieuse;
Déboute Mme [B] [D] de ses demandes ;
Déboute chacune de parties de leur demande respective au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [B] [D] aux dépens de première instance et d'appel.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre et par le greffier.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier
Fanny ANDREJEWSKI-PICARD Laurence DUVALLET